Petites notes rouennaises

17 mai 2004.

A Rouen, ma sœur loue un appartement situé juste au dessus du Sissy Bar.
Un rendez-vous de motards qui n'ont pas froid aux yeux.
Ils ne connaissent sans doute pas le sens du mot sissy.

Le samedi, on y donne des concerts rockabilly rugissants, qui font tellement de vibrations dans l'appartement, que les verres en tintent sur leur étagère, dans la cuisine.

La minette de ma sœur, Chatouille, ramène les petits objets qu'on lui lance, exactement comme un chien, avec la même frénésie et la même fierté.

L'appartement est sympa : il a de l'espace, plein de fenêtres, un air vieillot, et son plancher n'est pas droit - on se croirait sur un bateau qui tangue.

Je me suis ensuite promené tout seul dans les rues de Rouen.

Je n'y ai aperçu aucun fantôme, ni dans la rue Saint-Maclou (son église, son bar à bourgeois, ses crêperies...) ni à proximité de la Cascade, ce tabac interlope, ouvert tard la nuit.

Il y avait juste des gens bizarres, sur la place de la Cathédrale.

Alors je suis revenu vers la voiture...

La nuit.

La nuit à Rouen.

Je me suis laissé envahir par le calme des ombres, par l'excitation des lumières électriques, je me suis laissé plonger dans cet état paradoxal où la nuit - temps du sommeil - se transforme en un temps d'action, de stimulation, de concentration, d'émulation.
De liberté.

La nuit à Rouen

La nuit à Rouen, c'est tout ce qui, du monde extérieur, m'était encore inconnu.

Qu'allait-il, que va-t-il se passer ?

Que vais-je encore découvrir ?

Mes parents sont là, bien vivants, avec moi, dans la maison d'où je contemple la ville, qui scintille dans un ronronnement innocent. C'est facile, alors, de voir le monde avec le regard d'un enfant, au conditionnel. Pourtant je sais bien que la mort ne rime pas avec l'espoir, et qu'elle aura le dernier mot.
Qu'il ne faut pas trop tarder, à méditer sur le temps qui passe.

Mais j'ai besoin de rêver ainsi.
De donner un aspect dramatique à ces perspectives parfaites, à ces géométries linéaires qui se figent dans mon regard, besoin de m'enrouler dans ces horizons fuyants et ce parterre de rues silencieuses - c'est comme si j'y entendais quelque chose, un murmure intelligent, une voix douce, qui parlerait un langage que je ne comprendrais pas bien, mais dont je pourrais me laisser bercer par la musique.
Comme si je percevais intimement, pendant quelques secondes, et sans pouvoir le décoder ni l'analyser, un discours sensé, logique, sage, sur le cours des choses et le monde. Avant d'être repris par le bruit incohérent et sourd de mes inquiétudes, ou par le flot absurde du quotidien des autres hommes, et leurs épuisantes, vaines activités.