1981
En janvier, je vais en Angleterre pour la première fois avec mes parents. Voilà d'ailleurs plusieurs semaines que tout le monde parle d'un certain chanteur anglais assassiné à New York, mais moi je m'en fiche un peu. Qui ça ? Jaune les nonnes ?
A Pâques, comme l'année précédente, nous passons une semaine dans le Cotentin.
Nous louons un gîte rural dans un endroit appelé le hameau Thiébot.
Ma cousine Elise, du Havre, nous accompagne. Elise a plus ou moins l'âge de ma sœur.
Tous les trois, on fait les fous en permanence !
Elise est un peu maladroite parfois. Elle trouve le moyen de tomber dans le lavoir.
Nous passons une journée à Barcelone, et nous grimpons dans la Sagrada Familia.
Nous faisons aussi l'ascension de la Peña avec Sarah, qui n'aime pas marcher, et qui nous le fait savoir.
En juillet, j'ai 7 ans. L'âge de raison, me dit-on !
Ce sont enfin les grandes vacances, mais je continue à me lever tôt. Car chaque matin que Dieu fait, je me lève tôt, au grand désespoir de mes parents parfois (dans ce domaine, comme dans d'autres, les choses évolueront ensuite notablement). Ainsi, le dimanche matin, alors qu'ils espèrent faire la grasse matinée après avoir invité des amis la veille à dîner, et joué au poker jusque très tard dans la nuit avec eux, ma sœur et moi sommes debout dès sept heures du matin, comme les poules, et, comme les poules, nous picorons les biscuits apéritif qui traînent encore dans les coupelles abandonnées sur la table, entre les cendres de cigarette et les miettes de l'apple crumble que maman avait préparé pour le dessert. A la télé, il y a Le Jour du Seigneur, Gym Tonic et Dimanche Martin. Quelle barbe ! Bon, quand est-ce qu'ils se lèvent ?
Avec mes amies Laurence, Marie, et les autres, nous jouons à Titi-Toto dans la cour de l'école. Nous en avons conçu deux versions : Titi-Toto Hanté et Titi-Toto
Bêtise. Ce sont des sortes de jeux de rôle, basés sur des scénarios imaginaires, comiques et souvent absurdes.
Une fois, en classe, il me gronde parce que je proteste contre Florence (cette chipie !) qui, assise derrière moi,
m'asticote depuis 10 minutes : il va jusqu'à m'envoyer dans la classe de Mme Périgne (la punition absolue), où je pleurniche misérablement.
Je ruminerai longtemps cette injustice qu'il m'a faite.
J'enchaîne à 11h30 avec une leçon de tennis.
Le mercredi après-midi, maman nous abandonne, ma sœur et moi, au Centre des Loisirs, où, sous la surveillance d'Odile, nous faisons de la peinture
et de la poterie. Parfois Laurent, un autre moniteur, nous emmène en promenade en forêt, et parfois nous terminons la journée au petit cinéma d'art et d'essai de
Mont-Saint-Aignan.
Autrement dit, on rate Récré A2 et les Visiteurs du Mercredi (et donc Albator, et donc Capitaine Flam, et donc les Quat'z'amis, etc.)
Le jeudi, c'est le jour de la piscine, quelle horreur !
Et le vendredi midi, au menu à la cantine, il y a parfois des choux de Bruxelles ! Beurk !
La foire Saint-Romain de Rouen,
c'est le rendez-vous automnal des montagnes russes, des trains-fantômes de pacotille, des auto-tamponneuses, des barbes-à-papa collantes et
écœurantes, des
attractions spectaculaires qui donnent la nausée, et des petits manèges à chevaux de bois ringards.
L'attraction que je préfère, c'est le cinéma 3D : des travelings frénétiques dans des grands huits américains,
des vues accélérées
d'hélicoptère, des caméras embarquées qui déboulent les collines, façon landeau du Cuirassé Potemkine... J'aime bien, car ça file le vertige,
mais pas trop, et on garde les pieds sur terre ; ça convient bien à ma nature prudente et mesurée...
A Noël, on m'offre une platine disque, avec haut-parleur intégré, en remplacement de mon vieux mange-disque orange qui a rendu l'âme.
Génial ! Non seulement je vais pouvoir réécouter mes 45 tours, mais je vais aussi pouvoir passer des 33 tours, comme papa !
Pas question, cependant, que j'emporte les 33 tours du salon dans ma chambre, je vais les rayer paraît-il. Pfff, on
ne veut jamais me faire confiance, c'est toujours pareil.
En tout cas, ayant eu vent de cette nouvelle acquisition, certains membres de ma famille se mettent à m'offrir, ou plutôt à se débarrasser,
de disques un peu trop encombrants, comme ces enregistrements de Musique indienne des Andes par l'ensemble Achalay,
ces 16 merveilles de la trompette de Jean-Claude Borelly,
cette Valse pour Liseron d'Uña Ramos,
ce Bonaparte's Retreat des Chieftains,
mais aussi ce Bach chez Mozart (une série de fugues du Clavier bien tempéré transcrites pour quatuor à cordes par Mozart),
cet indémodable Carnaval des Animaux de Saint-Saëns,
et ce non moins indémodable Pierre et le Loup de Prokofiev : des musiques que j'écoute, assis sur la moquette de ma chambre,
sans les préjuger, en faisant un puzzle ou en lisant un livre.