Le club des cinq

La naissance de ma seconde sœur Zoé, en novembre 1987, provoque un certain bouleversement à la maison.

D'abord, le cercle – pourtant très hermétique – de notre famille accepte un nouveau membre en son sein. C'est un changement structurel et arithmétique notable. Nous ne sommes plus quatre, mais cinq.

L'arrivée de Zoé apporte également de la nouveauté, de la spontanéité et de la gaieté, à une époque alors assez sinistre et préoccupante pour mes parents, comme pour moi.
Bon, j'avoue qu'elle augmente aussi l'agitation et le nombre de décibels produits à la maison. Aux cris, aux plaintes et aux injonctions de ma mère s'ajoutent désormais les pleurnicheries de ma seconde sœur.

Au petit déjeuner (1988)
Sarah et moi – non sans une certaine mesquinerie – sommes assez surpris par la grande indulgence dont maman fait preuve vis-à-vis de Zoé, laquelle, à mesure qu'elle grandit, s'autorise des actions rigoureusement proscrites de notre temps, comme boire du Coca-Cola devant la télé en laissant traîner la bouteille au pied du lit, ou organiser un congrès de peluches dans le salon après dîner. Les ordres et les mises en demeure pleuvent, mais ils ne sont jamais respectés. Plusieurs fois, devant certains abus, nous regrettons que maman ne soit pas un peu plus sévère avec Zoé, alors que nous avons tellement souffert de cette rigueur nous-mêmes, étant plus jeunes.
En plus, gâtée comme une petite dernière, elle possède autant de jouets qu'à nous deux réunis.
Dans son bain (1988)
Mais, secrètement, je pense que Sarah et moi sommes surtout jaloux de l'attitude de papa vis-à-vis de notre nouvelle sœur, dont il est littéralement gaga, dont il se soucie en permanence, et qu'il photographie à tour de bras (il est d'ailleurs l'auteur d'une bonne partie des photos de cette présente page internet).
Par bien des aspects, Zoé lui ressemble d'ailleurs davantage qu'à maman. Comme lui, elle se révèle imperméable à toute notion d'ordre domestique, et, comme lui, elle aime beaucoup dessiner (les talents artistiques qu'exprimera beaucoup plus tard la brillante étudiante des Beaux-Arts sont déjà perceptibles dans son engouement pour le dessin).

Avec mes lunettes (1989)
En attendant, le quotidien de la maison est rythmé par une série de rituels et d'événements ubuesques, dont, adolescent, je perçois les échos depuis ma chambre.

« Mon chiffon ! »

Mes deux sœurs (1989)
Presque chaque soir, c'est le même quart d'heure épique, la même interminable chasse au trésor dans un fatras de vêtements et de jouets éparpillés à travers toute la maison : retrouver le chiffon de Zoé pour qu'elle puisse – enfin – aller se coucher.

L'épisode du bain est également une arlésienne quotidienne, vu que nous sommes dorénavant trois (moi et mes deux sœurs) à vouloir, comme des vieux maniaques, faire nos ablutions à la tombée de la nuit.
Distraite par ses jouets pour le bain, et par son imagination sans limite, notre sœur est ainsi capable de rester assise plus d'une heure dans la baignoire refroidie.
Ma mère s'emporte :

« Bon, Zoé, range tes jouets et sors de la baignoire, il y a Baptiste et Sarah qui voudraient prendre leur bain ! »

Remarquez le précieux haillon qui constitue son chiffon (1991)
« Tu n'es toujours pas habillée ?? »

« Laisse Gris-Gris tranquille. »

« Zoé, arrête de jouer avec ton rond de serviette, et finis ton assiette ! »

« Zoé, je ne veux pas que tu ailles dehors en chausson quand il pleut ! »

A Gruchy, avec la chienne Bidulette (1991)
« Arrête de manger des biscuits, tu n'auras plus faim pour le dîner ! »

« Zoé ! Où est-ce que tu as mis l'éponge ? »

« Non, je ne sais pas où il est ton chiffon. »

« Tu t'es cognée ? Mais si tu faisais moins la folle, aussi ! »

Opale, recouvert par les bons soins de Zoé (il est possible que la photo soit d'elle également)
« Qu'est-ce qu'elle fait sur la terrasse, la brosse à cheveux ? »

« Zoé, je ne veux pas que tu fasses du trampoline sur ton lit avec Marion ! »

« Tu ouvres encore une bouteille de Coca ? Mais l'autre n'est même pas terminée ! Comment ça, l'autre elle n'a plus de goût ? »

« On ne dit pas ouais. On dit : s'il te plaît ma petite maman chérie. »

« Est-ce que tu as fait tes devoirs ? »

Mes deux sœurs (1991)
« Zoé, éteins la télé quand tu as fini de la regarder ! »

« J'en ai assez de retrouver des miettes de pain dans mon lit... Mais... ...Zoé ! ... Il y a un morceau de Babybel dans mon lit ! »

« Non, je ne sais pas où il est, Alex (son nounours). Tu l'as peut-être oublié dans la voiture tout à l'heure. »

A table (1991)
« Qu'est-ce que c'est que toute cette terre par terre ? Zoé, je viens de passer l'aspirateur ! »

« Zoé, je ne veux pas que tu ramènes des cloportes dans la maison. Il y en a déjà plein dans la jardinière. »

« Elle a encore oublié de tirer la chasse d'eau ? »

« Viens là que je te coiffe ! »

Distribuant de la laitue aux pintades (1992)
« Zoé, qu'est-ce que tu as fait de mes petits ciseaux ? »

« Ah non, Zoé, tu mets ton manteau. Il neige, voyons. »

« Pourquoi tu ne veux pas mettre ce petit gilet ? Hein ? Mais il est très bien ce petit gilet ! »

(1992)
(claquement de porte au 1er étage)
« Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Zoé !! »

« Mais qu'est-ce qu'elle fabrique ?? »

(raclement d'un objet lourd sur le sol de sa chambre)
« Zoé ! »

Dans la cour de Gruchy (1992)
(choc sourd et violent, suivi de la chute de plusieurs objets)
« ZO-É !!! »

« Elle a encore mal refermé la bouteille de lait. »

« Tu pourrais dire merci. »

« Zoé, tu ne veux pas ranger tous tes jouets qui traînent ? »

Noël (1994)
« Non, il n'y a plus de Cheerios. Oh, arrête de râler ! J'en rachèterai cet après-midi à Continent. »

« Il y a papa qui t'attend dans la voiture depuis dix minutes. »

Avec Calypso (1995)
« Zoé, tes cheveux trempent dans ton assiette. Et puis arrête de donner des coups de pied comme ça dans le tiroir de la table ! »

« T'embêtes encore Opale ? »

« Zoé, tu as du feutre sur le menton. »

« Qu'est-ce que font tous ces cailloux dans la baignoire ? Et mes chaussures sur le lavabo ? »

« Zoé, lâche ça et mange proprement s'il te plaît. »

Chez papi et mamie (1992)
« Ah si-si-si, ce soir, je te lave les cheveux ! »

Dans le jardin de Gruchy (1997)
« Toujours aussi aimable... »