Une ascension du Canigou en 1995
Tout était encore plongé dans la nuit, le village dormait paisiblement.
La montagne semblait dégagée, et
on distinguait des étoiles dans le ciel, qui scintillaient de leur éclat glacial.
La journée serait belle.
Quand je me suis engagé sur le sentier une heure plus tard, il faisait encore bien sombre.
Quoique l'air fût toujours aussi frais, j'avais déjà le dos en nage : mon itinéraire était certes
le plus rapide et le moins fréquenté pour accéder au Canigou, mais c'était aussi le plus raide.
Je venais de traverser des ravins pleins d'ombres et des sous-bois humides qui sentaient la nuit et l'humus.
Seul le croassement insistant d'un corbeau sembla m'appeler durant quelques minutes, venu de nulle part.
Poursuivi par un calme si étrangement profond et sauvage, j'avais eu le pas vif.
On entendait l'écho lointain d'un torrent qui chantait en contrebas, dans une gorge.
Bien que j'aie déjà pris de l'altitude, et que plus aucun village, plus aucune bâtisse,
plus aucune route n'apparussent à l'horizon, le Canigou - quand
il surgissait devant moi - me semblait encore énorme, et si inaccessible.
Sa silhouette avait simplement grossi, comme au travers d'une loupe.
Le paysage changeait peu à peu. Les bois s'estompaient, la végétation s'éclaircissait, les petits buissons se multipliaient. L'espace d'une seconde, on se serait cru dans un canyon caillouteux du Far-West.
Le sentier redescendit soudain sur quelques centaines de mètres, avant de remonter dans une épaisse forêt de pins en faisant d'étourdissants lacets.