La fuite à Paris
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Donc, j'arrive à Paris en septembre 1998.
Je débarque rue Erard, dans le XIIe arrondissement, chez une parfaite inconnue (une jeune dir de com à la Fnac) que j'ai rencontrée par le biais d'un petit journal, et qui recherche un colocataire pour meubler son appart HLM de 70 m2.
Je me sens déraciné, naufragé, dans cet appartement où rien n'est à moi. Pour ne rien arranger à mon humeur, ma logeuse me met entre les mains Le Grand Cahier, d'Agota Kristof. -
Au bout d'un mois, je refais ma malle, c'est à dire une pauvre valise élimée, et c'est Jacqueline, une amie de mes parents, qui me recueille à son domicile rue Aubry-le-Boucher, en face de Beaubourg.
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Paris.
Paris le jour.
Paris la nuit.Un soir, je fais du vélo à minuit, sur les boulevards, avec Veit, un ami allemand de Laurence, de passage à Paris.
Une course en vélo, brinquebalé sur un porte-bagage grinçant, dans cette immensité lumineuse d'avenues et d'horizons sans fin, en voilà des sensations ! -
On respire dans ma chambre un mélange d'odeurs de cire, de poussière et de peinture, car Jacqueline peint, et vient y faire sécher son travail.
Le bruit de la rue piétonne est permanent dans cette pièce.
Je finis par connaître par coeur les chansons populaires du joueur d'orgue de barbarie, qui fait son office chaque après-midi, en bas de l'immeuble.
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En me penchant par la fenêtre, je vois défiler les touristes, armés de sacs à dos et d'appareils photo, dans un continuel va-et-vient au pied du temple de l'art contemporain.
Je médite en regardant passer ce flot humain, d'où monte un gai ronronnement, qui me fait oublier un peu ma solitude.
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Paris se tiens là, face à moi, insaisissable cité, pleine de vies joyeuses, d'existences voluptueuses, de beautés insoupçonnables et de destinées inouïes, une Babylone vilaine et arrogante, un interminable réseau de souterrains secrets, de portes cachées et de routes tournées vers des avenirs bien incertains.
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La nuit tombée, après que les derniers garçons du Marais ont regagné leur royaume, et que les dealers ont écoulé toute leur marchandise, la petite place Edmond Michelet retrouve enfin un semblant de silence.
Alors je m'endors, comme sur une île déserte, dans l'écho lointain de quelques bolides remontant le boulevard de Sébastopol, pareils à des petits clapotis cognant doucement contre mon nouveau rivage.