Sotteville-lès-Rouen

Pharmacie rue de Paris
L'ancienne maison de mes grands-parents (2004)
Sotteville est un faubourg industriel et ouvrier de l'agglomération de Rouen. Les maisons mitoyennes en briques y côtoient les grands immeubles en béton d'après guerre.

Mon grand-père y tenait une pharmacie, rue de Paris. J'y suis venu souvent, lorsque j'étais petit.
Sotteville, c'est toute une partie de mon enfance.

La rue de Paris
Mais d'abord, comment mon grand-père, fils d'un agriculteur modeste de l'Eure, a-t-il atterri là ?
Enfant, je crois qu'il était plutôt bon élève, qualité qui lui permit d'intégrer un lycée réputé de Rouen. Puis la guerre éclata, et c'est dans un Paris occupé qu'il termina ses études de pharmacie. A la Libération, il reprit la gestion d'une officine à Héricourt-en-Caux, puis une autre à Gasny, dans l'Eure, avant de venir s'installer à Sotteville en 1952 avec sa femme (ma grand-mère donc), alors médecin scolaire, et leurs quatre enfants (Alain, Philippe, Catherine, et Anne, ma mère). Ma tante Isabelle naquit peu après.
Mes grands-parents ont donc vécu à Sotteville pendant près d'une quarantaine d'années, jusqu'à leur déménagement dans le centre de Rouen, à l'automne 1984.

Papi et mamie, dans la salle à manger (1984)
Je garde des souvenirs nostalgiques de cette étroite maison, au 254 rue de Paris, quoiqu'à l'époque elle ne me parût pas si étroite. Elle faisait corps avec cette pharmacie que mon grand-père, Robert Ducrocq, administra consciencieusement toute sa vie, en homme intègre qu'il était, avec l'aide de sa fidèle assistante, Mme Cousin.
(longtemps d'ailleurs, il pesta contre cette pharmacie mutualiste qui avait eu l'audace de venir s'installer à quelques centaines de mètres de la sienne, dans la même rue, et qui lui causait une concurrence bien injuste ; en 1999, à la retraite depuis longtemps, il en faisait encore de mauvais rêves, comme en témoigne cette communication adressée à ses anciens pairs...)
J'aimais aller trouver mon grand-père derrière son comptoir, jouer à cache-cache entre les étagères de médicaments, et faire rouler le marchepied à roulette. Les clients me regardaient avec une mine attendrie : « C'est votre petit-fils ? »

Au grenier, avec ma sœur Sarah et ma cousine Elise (1983)
Le dernier étage de la maison était un fatras d'objets hétéroclites (un piano désaccordé, un faux crocodile empaillé, une machine à écrire des années 30, des jouets en plastique fatigués, moults appareils 110V hors d'usage...), une petite jungle dont l'exploration nous aidait, ma sœur et moi, à passer le temps lorsque nous étions invités à déjeuner avec nos parents le dimanche.
Il m'est arrivé d'y dormir aussi, dans l'ancienne chambre de bonne, une petite pièce qui sentait la lessive, située juste au dessus de la cuisine. Pour y accéder, il fallait traverser la chambre de papi, une pièce un peu austère, avec un crucifix, un couvre-lit verdâtre, et un cabinet de toilette qui sentait l'après-rasage.

Ma tante Isabelle, avec Titi
Ma grand-mère Odette, au salon
Mon cousin Cédric, au côté de Suzy et Jacques Grivault (le frère de ma grand-mère)
Mon père, mes tantes Annick et Catherine

Le mercredi après-midi, ma grand-mère m'emmenait au jardin des Plantes de Rouen, un jardin botanique typique du 19ème siècle, avec serres, bassins aux poissons rouges et petite ménagerie.
Nous nous y rendions « en auto », comme elle disait, une Opel automatique qui sentait l'essence et le plastique chaud.
De retour à la maison, ma grand-mère m'achetait un goûter, puis me laissait monter au salon regarder la télévision, dont mes parents tardaient à s'équiper. Je n'attendais que mon programme favori : l'île aux enfants, une émission dont l'énoncé seul enchantait mes oreilles comme une féérie.
Ma mère me récupérait en fin de journée. Sur le trajet du retour, nous nous arrêtions faire quelques courses au Prisunic, en face de l'Hôtel de Ville de Sotteville, un supermarché déjà désuet et aujourd'hui disparu.

Galette des Rois
Mon père, ma sœur et ma mère, chez mes grands-parents (1982)
Galette des Rois
...et moi, le roi
Sotteville...
Les fenêtres vibraient au passage des voitures dans la rue.
La télévision était en noir et blanc.
La pendule égrenait les heures.
Les toilettes étaient au fond de la cour.
Tandis que dans sa petite chambre, ma tante Isabelle faisait ses coloriages en écoutant Claude François, son idole, et que Titi, le chat de la maison, dormait en boule sur un coin de lit.
Ma mère, accueillie au whiskey après une compétition équestre
A Sotteville, le temps s'écoulait, lent et calme... A Sotteville, tout était toujours pareil, et rien d'accidentel ne pouvait arriver.

Ma mère y vécut presque toute son enfance. Elle se souvient des bruits de la gare de triage qu'elle percevait depuis son lit, la nuit, le crissement des freins des trains, et l'écho des consignes qu'on donnait aux cheminots par haut-parleur.

La gare de triage... Le dépôt de locomotives... L'atelier des Quatre-Mares. J'aimais regarder passer les trains depuis le pont en béton surplombant les voies de chemin de fer, et peut-être qu'une partie de ma fascination pour le monde ferroviaire se trouve associée à ces moments de contemplation, sur le pont de la gare de triage de Sotteville...

Mes cousines Sylvie et Marie, lors d'un repas de famille
Mon grand-père (et ma grand-mère dans le fond)
Isabelle et moi (1979)
Avec ma grand-mère

Après le déménagement de mes grands-parents, en 1984, je n'ai plus eu de raison de me rendre à Sotteville, banlieue du sud de Rouen, loin des hauts quartiers bourgeois où je vivais avec mes parents. J'y suis cependant retourné quelques fois dans les années 90, lorsque je raccompagnais mon amie Christelle en voiture le soir, jusqu'à la petite bicoque ouvrière de la rue Pierre Corneille où elle vivait avec sa sœur, ainsi que lors du populaire festival Vivacité... Puis en 1999, quand j'ai dû passer des examens d'embauche dans un centre médical de la SNCF.

Sotteville est un intéressant sujet de photographie (auquel ce site se consacre d'ailleurs), une ville dont les récentes transformations urbaines se sont accompagnées d'importantes mutations sociales : désindustrialisation, tertiarisation, développement de la mixité sociale... Malheureusement, depuis Paris, aujourd'hui, il m'est difficile de m'y rendre. J'espère que Google ne m'en voudra donc pas pour ces quelques clichés que je lui ai chipés, qui donneront au lecteur étranger à cette ville une idée de l'ambiance un peu particulière qui y règne :

Rien que des salons de coiffure...
et de toilettage pour chiens
La rue Pierre Corneille
La rue de la gare

La rue Victor Hugo
La rue Vincent Auriol
Le dépôt de la SNCF
La rue Emile Zola

L'avenue de Grammont
Près de la gare
La rue d'Elbeuf
Le boulevard industriel

La rue de Jussieu, gentrifiée
La rue François Arago
Cité Grenet

L'avenue de Grammont
Bref, voir Sotteville et mourir...