Retour aux sources
Au mois de mai 2002, à l'occasion d'un voyage à Barcelone, j'ai passé une journée à Vernet avec Nico et Guillaume.
Le voyage en voiture avait été atroce. Il avait plu sans discontinuer depuis Nîmes, nous avions évité de justesse un accident sur l'autoroute, et, entre Perpignan et Vernet, nous avions roulé dans des paysages apocalyptiques de rivières en crue, et de grands nuages fantomatiques engloutissant les vallées.
Mais le lendemain matin, le soleil perçait entre les nuages.
Je jubilais intérieurement, je n'arrivais pas y croire : j'étais à Vernet, et le souvenir de ce lieu si connu et tant apprécié n'était plus un souvenir, c'était la réalité, et j'étais soudain projeté en plein dedans, dans la lumière aveuglante du matin.
Les volets du cinquième étage étaient ouverts.
Après le déménagement, j'avais rêvé à plusieurs reprises que je me glissais par effraction dans l'appartement,
en l'absence de sa nouvelle propriétaire, et sous la menace de son retour inopiné.
En m'éloignant, je ne me sentais cependant ni amer, ni jaloux, bien que j'eus été ravi de franchir la porte de l'appartement.
La situation était simplement étrange, nouvelle.
Le tintement de la cloche de l'église n'avait pas changé, les vieux sur la place du village n'avaient peut-être même pas vieilli, et ce magasin Radiola semblait toujours vendre le même électroménager désuet qu'il y a vingt ans.
Nous avons pris un café sur une terrasse, dans le ronronnement du village qui s'éveillait lentement.
J'ai proposé que nous grimpions sur l'Alzina, une petite colline avoisinante.
A part la montagne, je n'avais pas grand chose d'autre à montrer à mes amis d'ailleurs...
Quoi, la source Elisa, et son odeur d'oeuf pourri ?
Dans la salle des fêtes du village, un affreux bal musette était organisé, où tous les rhumatisants de la station
thermale s'étaient donnés rendez-vous, costumés à la belle époque, pour danser des valses au son du bandonéon,
entre les bibelots poussiéreux d'un vide-grenier
qui se tenait là par la même occasion.
Je me sentais un peu honteux vis à vis de Nico et de Guillaume, j'avais l'impression d'être moi même
un bibelot poussiéreux qui retrouvait son étagère natale.
La nature paraissait très belle dans ses couleurs de printemps, et je sentais comme un décalage entre nous, trois citadins brutalement débarqués de Paris, et l'ordonnancement figé, stoïque, intemporel, presque mystique, de la montagne.
Il était question de passer la nuit à Girone, pour être au plus tôt à Barcelone le lendemain.
Nous sommes donc remontés en voiture, et j'ai laissé derrière moi Vernet et son Canigou, de nouveau encerclés par la brume et les nuages de pluie.