Vacances à Vernet-les-Bains

Vernet-les-Bains
Bizarrement, cette station thermale endormie des Pyrénées, hantée par de vieux rhumatisants, n'offrait a priori rien de très exaltant pour les deux sauvages et individualistes petits Normands que nous étions dans notre jeunesse, ma sœur et moi.
Chaque été, nous y passions pourtant une quinzaine de jours, avec la seule compagnie de nos grands-parents et d'Isabelle, notre tante handicapée (ces trois là vivant ensemble depuis toujours, comme des inséparables).

Sur le balcon
Eté 1983, nous faisons les fous sur le balcon
Ma sœur et moi aimions finalement beaucoup les vacances à Vernet.

Nous nous y sentions moins surveillés qu'à la maison, car nos grands-parents passaient davantage de temps la tête plongée dans leurs mots-croisés, qu'à épier chacun de nos gestes.
Et puis le soleil était toujours au rendez-vous, et nous aimions ce petit village, avec son torrent murmurant et son labyrinthe de ruelles ensommeillées.

A la piscine
Août 1984, à la piscine
Peut-être se dégageait-il aussi quelque chose de rassurant, de relaxant dans l'extrême lenteur de la vie de ce pays, dans son rythme toujours égal.

Par exemple, une journée à Vernet ne commençait pas autrement que par des bouillons à la piscine (la piscine municipale de Vernet-les-Bains, un sujet remarquablement intéressant qui fait l'objet de ce petit aparté).

Août 1984
Le reste du temps, nous traînions nos sandales dans les ruelles et les petits parcs ombragés du village.

A trois heures de l'après-midi, le soleil cuit comme un four là-bas, et tous les habitants du village restaient terrés chez eux.

Mais vers 15h30 le buraliste tirait enfin son rideau, le buraliste chez qui nous dépensions nos petits sous en succulentes sucreries synthétiques.

Sarah et ma cousine Elise, en jupe dans le torrent
Nous folâtrions aussi entre les pierres et les vipères du Cady, le torrent qui traverse le village.
Il s'y passait forcément milles histoires, dans ce Cady : des histoires de cabanes, des histoires de barrages, de flaques transformées en lacs, de passages secrets connus de nous seuls, de territoires précieux et interdits où les autres enfants du village n'avaient pas accès, etc...
Notre paradis était bien scellé.

Cherchez le grand-père dans le paysage
L'une de mes autres activités favorites consistait à suivre mon grand-père sur les sentiers de montagne.
En fait, plus les années passaient, plus c'est lui qui me suivait.

J'étais fasciné par les endroits que nous traversions, par les incroyables points de vue qu'il y avait toujours au bout du chemin. Pharmacien à la retraite, mon grand-père m'enseignait aussi un peu de botanique en cours de route, mais j'ai presque tout oublié.
Aujourd'hui, je marcherais dans le massif du Canigou les yeux fermés !

Pique-nique à Marialles
Pique-nique en 1988
Parfois nous montions en voiture jusqu'au refuge de Marialles, sur une mauvaise route en terre, chaotique et toute ravinée, qui n'impressionnait nullement mon grand-père.

Nous pique-niquions toujours au même endroit, sur les mêmes bancs de bois.

Les mêmes salades de pommes de terre dégoulinantes d'huile et pleines d'oignons, les mêmes œufs durs très durs, les mêmes pêches locales archi-juteuses...

Pique-nique en 1990
A Vernet-les-Bains, les années passaient et se ressemblaient.

Un village doux et paisible, que la municipalité - je m'en souviens - essayait désespérément de tirer de son sommeil de belle endormie, avec des fêtes folkloriques (des Sardanes !), des manifestations sportives (du rugby !) et des expositions d'artisanat local (des poteries !).
Cette couverture du bulletin municipal de 1991 donne le ton.

A Puigcerda
En sortant d'un restaurant de Puigcerdà
Certaines années, nos grands-parents nous emmenaient à Puigcerdà, une ville espagnole éloignée d'une centaine de kilomètres, au delà de Font-Romeu, un peu avant la principauté d'Andorre.

Sarah exécrait ce voyage automobile sur des interminables routes en lacets.

Tout ça pour ramener de l'huile d'olive et du Banyuls un peu moins chers !

Au bord du lac des Bouillouses
Au bord du lac des Bouillouses
Les voyages en voiture n'étaient pas rendus plus faciles par la présence de la volumineuse tante Isabelle, posée avec nous sur la banquette arrière.

Nous étions donc bien contents de nous arrêter de temps en temps, pour nous dégourdir les jambes autour d'une petite chapelle romane ou d'un lac.

Malgré l'inconfort relatif de ces voyages, j'étais émerveillé par ces pays que nous traversions - le Conflent, la Cerdagne - sans avoir pourtant bien conscience que c'était de l'émerveillement. Avec mes yeux d'enfant, tout ces paysages me semblaient finalement très évidents, très proches, très naturels.

Sarah essaye une première robe
Lorsque nous avons été un peu plus âgés, nous avons commencé à explorer plus en détail ce que renfermait le placard de notre chambre.

Ah, la fameuse garde-robe de vieux que nous y avons trouvée !

C'était là, semblait-il, que nos grands-parents entreposaient les vêtements qu'ils n'osaient même plus porter eux-mêmes.

Moi, dans une veste en velours de papi, portant les affaires d'équitation de Sarah
Devant de tels trésors, nous n'avons pas résisté au plaisir d'improviser un petit défilé de mode privé.

N'importe quel objet trouvé dans l'appartement fit office d'accessoire : les affaires d'équitation de ma sœur, un fer à repasser, une bouteille de bière trouvée dans la cuisine, une grotesque paire de lunettes seventies dénichée sur une étagère...

Qu'auraient dit nos grand-parents s'ils étaient entrés soudainement dans la chambre, et qu'ils étaient tombés nez à nez avec leurs petits-enfants, hystériques et gloussant, vêtus de vieilles toilettes à eux, empestant l'antimite ?

Ma sœur essaye une seconde robe
On aurait sans doute répondu qu'on faisait des photos, tout simplement.
(si j'ai beaucoup immortalisé ces différents moments passés à Vernet avec mon petit appareil photo de l'époque, il y a d'ailleurs assez peu de clichés me représentant. Sarah m'a quelque fois pris par surprise, mais le résultat est affreux)

Bref, on s'amusait bien.

On jetait les BN du goûter par dessus le balcon (sitôt qu'on se lassait de leur parfum), on vidait les bouteilles de Contrex dans l'évier, qu'on remplissait ensuite d'eau du robinet et d'une pointe de sel de céleri.

Sarah, Isabelle, mon grand-père et ma grand-mère
On les imitait dès qu'ils avaient le dos tourné, on enquiquinait Isabelle dans son sommeil ou dans la voiture, on les espionnait lorsqu'ils étaient aux toilettes, par la bouche d'aération du balcon...

Mais nous n'étions pas méchants, juste sournois. Et nous les aimions bien, nos aïeux. D'ailleurs, seuls, peut-être, les enfants parviennent-ils à s'adapter au mode de vie lénifiant des vieilles personnes...

L'apéritif du midi
Car le quotidien de mes aïeux était imperturbablement scandé par les mêmes rituels : écouter France-Inter au petit déjeuner, faire les courses au village le matin - quand l'air était encore frais - prendre l'apéritif du midi toutes fenêtres ouvertes, ou aller au restaurant, regarder Des Chiffres et des Lettres en fin de journée...
Ainsi, sur ce cliché, mon grand-père (la baleine vue de dos) termine des mots croisés, tandis que ma grand-mère (sur le canapé) écoute un programme radio sur son petit poste.

La lune s'éveille
J'avais 17 ans, la dernière année où je suis venu à Vernet avec mes grands-parents. C'était comme de revêtir des habits démodés, et trop petits pour moi - mais des vêtements que j'affectionnerais encore trop pour m'en séparer.
Certains soirs, ma sœur et moi, nous nous étendions sur le marbre froid du balcon, et nous écoutions les échos de la musique du "Bal mobile", qui, à la nuit tombée, attirait toute l'adolescence fleurie du village.
Nous jouions à deviner le titre des chansons, enroulés dans une couverture, nous regardions les étoiles scintillantes, et nous divaguions.

Le village vu du balcon, en 1984
Les années suivantes, je suis retourné à Vernet sans mes grands-parents : je venais seul, ou bien accompagné de Laurence, une amie.
Une atmosphère différente, marquée par davantage de doutes intérieurs et de questionnements adolescents, mais sur un rythme de vie guère plus frénétique...