Vacances à Vernet-les-Bains
Chaque été, nous y passions pourtant une quinzaine de jours, avec la seule compagnie de nos
grands-parents et d'Isabelle, notre tante handicapée (ces trois là vivant ensemble depuis toujours, comme des inséparables).
Nous nous y sentions moins surveillés qu'à la maison, car nos grands-parents passaient davantage
de temps la tête plongée dans leurs mots-croisés, qu'à épier chacun de nos gestes.
Et puis le soleil était toujours au rendez-vous, et nous aimions ce petit village,
avec son torrent murmurant et son labyrinthe de ruelles ensommeillées.
Par exemple, une journée à Vernet ne commençait pas autrement que par des bouillons à la piscine (la piscine municipale de Vernet-les-Bains, un sujet remarquablement intéressant qui fait l'objet de ce petit aparté).
A trois heures de l'après-midi, le soleil cuit comme un four là-bas, et tous les habitants du village restaient terrés chez eux.
Mais vers 15h30 le buraliste tirait enfin son rideau, le buraliste chez qui nous dépensions nos petits sous en succulentes sucreries synthétiques.
Il s'y passait forcément milles histoires, dans ce Cady : des histoires de cabanes, des histoires de barrages, de
flaques transformées en lacs, de passages secrets connus de nous seuls, de territoires précieux et interdits
où les autres enfants du village n'avaient pas accès, etc...
Notre paradis était bien scellé.
En fait, plus les années passaient, plus c'est lui qui me suivait.
J'étais fasciné par les endroits que nous traversions, par les incroyables points de vue qu'il y avait
toujours au bout du chemin. Pharmacien à la retraite, mon grand-père m'enseignait aussi un peu de botanique en cours de route, mais j'ai presque tout oublié.
Aujourd'hui, je marcherais dans le massif du Canigou les yeux fermés !
Nous pique-niquions toujours au même endroit, sur les mêmes bancs de bois.
Les mêmes salades de pommes de terre dégoulinantes d'huile et pleines d'oignons, les mêmes œufs durs très durs, les mêmes pêches locales archi-juteuses...
Un village doux et paisible, que la municipalité - je m'en souviens - essayait désespérément de tirer de son sommeil
de belle endormie, avec des fêtes folkloriques (des Sardanes !), des manifestations sportives (du rugby !) et des expositions d'artisanat local
(des poteries !).
Cette couverture du bulletin municipal de 1991 donne le ton.
Sarah exécrait ce voyage automobile sur des interminables routes en lacets.
Tout ça pour ramener de l'huile d'olive et du Banyuls un peu moins chers !
Nous étions donc bien contents de nous arrêter de temps en temps, pour nous dégourdir les jambes autour d'une petite chapelle romane ou d'un lac.
Malgré l'inconfort relatif de ces voyages, j'étais émerveillé par ces pays que nous traversions - le Conflent, la Cerdagne - sans avoir pourtant bien conscience que c'était de l'émerveillement. Avec mes yeux d'enfant, tout ces paysages me semblaient finalement très évidents, très proches, très naturels.
Ah, la fameuse garde-robe de vieux que nous y avons trouvée !
C'était là, semblait-il, que nos grands-parents entreposaient les vêtements qu'ils n'osaient même plus porter eux-mêmes.
N'importe quel objet trouvé dans l'appartement fit office d'accessoire : les affaires d'équitation de ma sœur, un fer à repasser, une bouteille de bière trouvée dans la cuisine, une grotesque paire de lunettes seventies dénichée sur une étagère...
Qu'auraient dit nos grand-parents s'ils étaient entrés soudainement dans la chambre, et qu'ils étaient tombés nez à nez avec leurs petits-enfants, hystériques et gloussant, vêtus de vieilles toilettes à eux, empestant l'antimite ?
(si j'ai beaucoup immortalisé ces différents moments passés à Vernet avec mon petit appareil photo de l'époque,
il y a d'ailleurs assez peu de clichés me représentant. Sarah m'a quelque fois pris par surprise,
mais le résultat est affreux)
Bref, on s'amusait bien.
On jetait les BN du goûter par dessus le balcon (sitôt qu'on se lassait de leur parfum), on vidait les bouteilles de Contrex dans l'évier, qu'on remplissait ensuite d'eau du robinet et d'une pointe de sel de céleri.
Mais nous n'étions pas méchants, juste sournois. Et nous les aimions bien, nos aïeux. D'ailleurs, seuls, peut-être, les enfants parviennent-ils à s'adapter au mode de vie lénifiant des vieilles personnes...
Ainsi, sur ce cliché, mon grand-père (la baleine vue de dos) termine des mots croisés, tandis que ma grand-mère
(sur le canapé) écoute un programme radio sur son petit poste.
Certains soirs, ma sœur et moi, nous nous étendions sur le marbre froid du balcon, et nous écoutions les échos de la musique du "Bal mobile",
qui, à la nuit tombée, attirait toute l'adolescence fleurie du village.
Nous jouions à deviner le titre des chansons, enroulés dans une couverture, nous regardions les
étoiles scintillantes, et nous divaguions.
Une atmosphère différente, marquée par davantage de doutes intérieurs et de questionnements adolescents,
mais sur un rythme de vie guère plus frénétique...