Ma 6ème ascension du Canigou
15/08/04. L'itinéraire n° 3 est raide comme la justice, mais avec un petit coup de cravache, il mène au sommet en six ou sept heures.
Lorsque je traverse le village, en direction du départ du sentier,
l'église de Vernet sonne les sept heures. Sarah dort encore.
Je suis à 650 mètres d'altitude.
8h15. Près du monument du maquis. Je suis en nage, mais ravi.
L'air est piquant, il a encore le goût de la nuit, et je prends froid immédiatement.
C'est la partie la plus sauvage de la randonnée, et je ne peux pas m'empêcher de me faire peur, de me faire des films, lorsque je traverse des sous-bois encore pleins d'ombres.
Ça grimpe, ça grimpe.
Je bois, je mange, j'halète.
Tous mes sens en éveil, comme ceux d'un animal.
Le silence est complet, il n'y
a que le bruit de mes pas cognant contre les pierres.
A mesure que je m'élève, de nouveaux sommets surgissent sur l'horizon.
Après l'embranchement qui part vers le roc de Cogullo, le sentier n'est
plus entretenu. Les ronces me barrent la route, je dois escalader des petits talus, trouver les bons appuis,
repérer les marques dans les éboulis.
J'avance moins vite.
Le jour se déploie, mais la lumière tombe, car je m'enfonce dans un ravin.
Voici plusieurs secondes que j'entends un sifflement insistant. Je lève les yeux. Un
isard se tient face à moi, à cinquante mètres.
Nous nous regardons. C'est lui qui
émet ce bruit, un chuintement qui ne sonne pas vraiment comme une politesse.
Il se sauve dès que je sors mon appareil photo, mais j'arrive à le saisir dans sa fuite.
Les isards apprécient cette zone reculée du massif du Canigou car les randonneurs s'y font rares.
Le sentier remonte en lacets serrés dans une grande forêt, et débouche enfin sur le refuge
de Bonaigua. Il est 9h50. Je suis à 1800 mètres d'altitude.
L'intérieur du refuge est plus sale et fruste
que le cellier chez mes parents, mais y passer la nuit doit être exotique.
J'aime beaucoup cet endroit.
C'est reparti dans l'interminable forêt.
Les mouches se sont réveillées.
Mon rythme ralentit, mon attention diminue, mais pas la pente.
Une demi-heure plus tard, l'horizon s'ouvre enfin et je débouche sur l'orri de Castella, qui, dit-on, peut servir de refuge.
La lumière est éblouissante.
La sueur qui perle sur mon front se mélange à la crème solaire, et l'ensemble me tombe dans les yeux - ça pique.
Mes jambes me font déjà souffrir.
Parfois j'ai de légers étourdissements, alors je m'arrête une minute, et je bois un peu d'eau.
J'ai rejoint le G.R.
Bonjour les vaches. Bonjour les touristes du dimanche, qui redescendent vers le chalet des Cortalets, où une jeep
les attend pour les ramener sur la terre ferme.
Un filet d'eau coule de la source de la Perdrix, j'y remplis une bouteille.
Peu après midi, je franchis le pic Joffre, à 2200 mètres d'altitude, épuisé, sans plus penser à rien.
Ces derniers kilomètres sur la face nord du Canigou ont quelque chose d'irréel. Les paysages sont lunaires, et saturés de bleu. Sur l'horizon espagnol, vers Figueiras, on voit s'élever des hordes de nuages fantastiques, qui me font penser à des toiles de Dali.
J'approche du sommet...