1ère partie : un centre équestre
Avant son déménagement, au début des années 90, la Société Hippique Urbaine de Rouen comprenait deux allées d'écuries, un manège couvert, une carrière de sable,
jouxtée d'une tribune,
et un terrain d'obstacles. Il y avait aussi une grange, où étaient entreposés les ballots de paille, et une petite maison
privative, à l'entrée, dont je n'ai jamais su l'usage.
Le centre possédait une douzaine de chevaux, une dizaine de grands poneys et autant de Shetlands, tous dédiés aux leçons d'équitation.
Il accueillait également quelques chevaux extérieurs en pension, comme Ilius, le cheval de ma mère. Ou comme Île-du-Manoir, une jument que
j'aimais beaucoup – au point de l'embrasser sur l'encolure lorsqu'elle passait la tête hors de son box.
Les chevaux ont des caractères bien différents, parfois trempés.
Vous vous en rendez compte une fois que vous leur avez grimpé dessus, parfois même avant, lorsque vous les brossez ou leur curez les sabots...
Sur les poutres des écuries, en hauteur, on pouvoir voir les souris s'agiter frénétiquement, et les moineaux chahuter ensemble.
Quand il pleuvait, les gouttes d'eau rebondissaient sur les toits de tôle comme sur une batterie, faisant un vrai raffut dans le manège.
En hiver, un froid piquant s'infiltrait dans tous les coins, si bien qu'après notre leçon, le mercredi matin, ma sœur et moi allions attendre dans la tiédeur du
secrétariat l'arrivée de notre mère, qui venait nous chercher dans son Austin Mini noire et rouillée (prof d'anglais, elle donnait des cours dans un
institut, à proximité).
Je ne me sentais pas davantage à l'aise avec Isabelle, une monitrice autoritaire et peu souriante.
Je préférais le directeur du centre, Patrick A., un peu plus retenu et flegmatique. Il était souvent coiffé d'une casquette à carreaux verdâtre et
vêtu d'un blouson sans manche (dans mon souvenir en tout cas).
Son fils, Timothée, de quelques années mon cadet, montait déjà ; c'est aujourd'hui un cavalier renommé.
Mme Dupin tenait le planning et les registres d'inscription, au secrétariat.
Il y avait le palefrenier aussi, un bon à tout faire (dur métier !), bien pratique lorsque je n'arrivais pas à seller ma monture.
Et puis il y avait les propriétaires des chevaux en pension, comme Mme de Pélissier, une femme distinguée, qui arrivait sur le parking dans une voiture
aussi grande que son nom, ou bien Sylvie P., une fille un peu hommasse, toujours flanquée de deux boxers.
Parfois ma mère était de jury. Elle siégeait dans l'aquarium poussiéreux, sous les gradins du manège, d'où les membres
du jury pouvaient examiner
et noter les prestations des cavaliers sans se faire remarquer. Il ne fallait surtout pas la déranger dans ces moments là.
Mais l'équitation était un sport trop exigeant pour moi, trop rigoureux, dont j'ai abandonné la pratique vers l'âge de 10 ans.
Je pense que certaines chutes, même bénignes, m'ont un peu refroidi, et surtout j'avais une peur bleue du saut d'obstacle – je pâlissais dès que je voyais mon moniteur
installer les barres.
Ma sœur continue, elle, dans un autre club.
Ma mère a arrêté depuis longtemps. Ilius est mort en 1999, alors qu'il était à la retraite, au pré chez un agriculteur
de l'Eure.