La SHUR

1ère partie : un centre équestre

Leçon d'équitation à la SHUR
Leçon d'équitation à la SHUR
Je veux parler de l'ancienne SHUR, celle de la route de Maromme, en face de la rue des Pétrels et de la rue des Pélicans, juste avant l'allée du Houssel. Celle que j'ai toujours connue.

Avant son déménagement, au début des années 90, la Société Hippique Urbaine de Rouen comprenait deux allées d'écuries, un manège couvert, une carrière de sable, jouxtée d'une tribune, et un terrain d'obstacles. Il y avait aussi une grange, où étaient entreposés les ballots de paille, et une petite maison privative, à l'entrée, dont je n'ai jamais su l'usage.
Le centre possédait une douzaine de chevaux, une dizaine de grands poneys et autant de Shetlands, tous dédiés aux leçons d'équitation.
Il accueillait également quelques chevaux extérieurs en pension, comme Ilius, le cheval de ma mère. Ou comme Île-du-Manoir, une jument que j'aimais beaucoup – au point de l'embrasser sur l'encolure lorsqu'elle passait la tête hors de son box.
Les chevaux ont des caractères bien différents, parfois trempés. Vous vous en rendez compte une fois que vous leur avez grimpé dessus, parfois même avant, lorsque vous les brossez ou leur curez les sabots...

Ilius dans son box
Ilius (Ilôt Séduisant, de son vrai nom)
Il y avait plein d'odeurs à la SHUR. Des odeurs de crottin, de paille, de foin, de grain, de cuir, de graisse, de sciure, de bois, de produit d'entretien, de citronnelle, d'essence de térébenthine ...
Sur les poutres des écuries, en hauteur, on pouvoir voir les souris s'agiter frénétiquement, et les moineaux chahuter ensemble.
Quand il pleuvait, les gouttes d'eau rebondissaient sur les toits de tôle comme sur une batterie, faisant un vrai raffut dans le manège.
En hiver, un froid piquant s'infiltrait dans tous les coins, si bien qu'après notre leçon, le mercredi matin, ma sœur et moi allions attendre dans la tiédeur du secrétariat l'arrivée de notre mère, qui venait nous chercher dans son Austin Mini noire et rouillée (prof d'anglais, elle donnait des cours dans un institut, à proximité).

Carrière
La carrière extérieure
Jean-Pierre fut l'un des mes moniteurs. C'était une sorte de Popeye, pas méchant, mais assez primitif, rustaud et moqueur. Une figure incontournable de la SHUR. Mais il m'impressionnait, et à la longue, j'ai demandé à prendre des cours avec quelqu'un d'autre. Au trot enlevé, lorsque mes bras commençaient à s'agiter comme ceux d'un canard, il rigolait et me criait : « Garde tes bras près du corps ! Tu vas t'envoler à force de battre des ailes ! ».
Je ne me sentais pas davantage à l'aise avec Isabelle, une monitrice autoritaire et peu souriante.
Je préférais le directeur du centre, Patrick A., un peu plus retenu et flegmatique. Il était souvent coiffé d'une casquette à carreaux verdâtre et vêtu d'un blouson sans manche (dans mon souvenir en tout cas).
Son fils, Timothée, de quelques années mon cadet, montait déjà ; c'est aujourd'hui un cavalier renommé.
Mme Dupin tenait le planning et les registres d'inscription, au secrétariat.
Il y avait le palefrenier aussi, un bon à tout faire (dur métier !), bien pratique lorsque je n'arrivais pas à seller ma monture.
Et puis il y avait les propriétaires des chevaux en pension, comme Mme de Pélissier, une femme distinguée, qui arrivait sur le parking dans une voiture aussi grande que son nom, ou bien Sylvie P., une fille un peu hommasse, toujours flanquée de deux boxers.

Ma sœur Sarah, en compétition
Certains week-ends, des compétitions étaient organisées. La SHUR se remplissait alors de vans, de voitures et de badaux.
Parfois ma mère était de jury. Elle siégeait dans l'aquarium poussiéreux, sous les gradins du manège, d'où les membres du jury pouvaient examiner et noter les prestations des cavaliers sans se faire remarquer. Il ne fallait surtout pas la déranger dans ces moments là.

Ma mère avec Ilius
Ma mère avec Ilius
Parfois c'était elle qui passait un concours, en obstacle ou en dressage. Elégamment habillée, elle avait longtemps pansé et tressé Ilius à l'avance. Si tout s'était bien passé, elle rentrait à la maison avec une coupe et un flot.

Encore ma sœur, accompagnée de Patrick Anciaume... lors d'un concours déguisé
Certains jours aussi, le maréchal-ferrant était de passage, avec ses instruments du diable. Une écœurante odeur de corne brûlée se répandait alors dans les écuries, et même au delà.

Île du Manoir
Île du manoir, ma jument préférée (le mec, je ne sais pas qui c'est)
C'est tout un univers, un centre équestre, et je comprends que l'on puisse en tomber amoureux.
Mais l'équitation était un sport trop exigeant pour moi, trop rigoureux, dont j'ai abandonné la pratique vers l'âge de 10 ans. Je pense que certaines chutes, même bénignes, m'ont un peu refroidi, et surtout j'avais une peur bleue du saut d'obstacle – je pâlissais dès que je voyais mon moniteur installer les barres.
Ma sœur continue, elle, dans un autre club.
Ma mère a arrêté depuis longtemps. Ilius est mort en 1999, alors qu'il était à la retraite, au pré chez un agriculteur de l'Eure.

La rue du Manège
La rue du manège, aujourd'hui
La route de Maromme
La route de Maromme
Vers la fin des années 80, la SHUR a déménagé pour un autre emplacement de Mont-Saint-Aignan. Tous les anciens bâtiments ont été rasés, dans le cadre d'une vilaine opération immobilière. A la place, on trouve aujourd'hui des pavillons tristes et sans âme. Seul le nom d'une rue, la rue du manège, est là pour témoigner de l'existence de cet ancien poney-club.

* Les plus vieilles photos de cette page datent de 1984 (il s'agit donc de mon premier reportage photographique !)