Préhistoire

Au début des années 70, mes parents sont des intellectuels gamins, des bourgeois naïfs, rêveurs et lettrés.

Des personnes curieuses, douces et sensibles, sans doute un peu fières, qui n'en font qu'à leur tête, et qui prennent la vie du bon côté.

Mon père a arrêté ses études de droit pour reprendre la gestion d'une entreprise familiale de primeurs en gros.

Ma mère donne des cours d'anglais, ici ou là.

Anglophile, elle monte à cheval, choie son chat, et boit du thé chaque matin.

Leur vie ?
Je n'existe pas encore, donc je ne peux qu'imaginer...
J'imagine qu'elle consiste à lire des livres, à aller à des expositions ou au bistrot, à fumer des cigarettes, à boire, à jouer aux cartes avec des amis, à écouter des disques de rock ou de jazz, et à faire de folles virées dans leur cocinnelle.

Mes parents ne s'ennuient jamais.

Ils se promènent...

Ou bien ils rêvent...

Ils habitent un appartement charmant au coeur de Rouen, où ils ont accumulé des babioles étranges.

Un mélange de brocante, de vieux jouets d'après guerre, de pop art et de couleurs psyché.

C'est assez spécial.

Ils ont plein d'amis, et leurs amis commencent à faire des enfants.

A l'époque, ma mère ne le trouve pas facile, son Jules.
Contempteur de la bêtise et de la vulgarité humaines, il est une montagne d'orgueil à lui tout seul, malgré un coeur d'artichaud bien caché.

Ah, quel homme pourrait rester insensible à ce visage si malin, si généreux et plein de promesses ?

Elle est la plus belle. Normal : ce sera ma maman.

Elle a dû en avoir, des prétendants...
Mais elle a décidé de se livrer à l'homme le plus fier, le plus raffiné et le plus inabordable de la jeunesse rouennaise de l'époque.

Bref, un couple pas banal.