2001

En février 2001, je me promène dans les rues de Paris en compagnie de Frederik, un étudiant suédois, grand et blond, froid et altier, comme une mauvaise caricature de Suédois.

Je me promène aussi avec Adrien, un petit gars tout simple, fraichement sorti du placard, qui n'aspire qu'à rencontrer son mister Right pour mener avec lui une vie de couple sans histoire.

Je me rends compte un peu trop tard que je préfère Adrien à Frederik.

Entretemps, Adrien s'est trouvé quelqu'un d'autre.

Je suis accablé de chagrin, alors même qu'un petit vent de fête et d'insouciance souffle sur les quartiers gay de la capitale.
Les mélopées entêtantes de Kylie Minogue, ou du dernier groupe de French Touch à la mode – « Lady ! Hear me tonight... », « One more time » – envahissent les dance floors et les terrasses du Marais. De nouvelles enseignes arborant le rainbow flag continuent d'ouvrir tout autour de la rue Saint-Croix-de-la-Bretonnerie. En mars, Bertrand Delanoë est élu maire de Paris.

Sur Internet, les sites de rencontre font florès. J'épluche les petites annonces du portail LGBT "Yarps", je tape l'incruste sur les chats de "Voilà" ou de "Citégay", caché derrière des pseudonymes variés : "Babar", "Ohlesbeauxjours", "ClafoutisFromParis", "Søvnløshet"...

Madame rêve.
Madame rêve de Norvège et de ciels d'azur.
A défaut de rencontrer un beau viking aux yeux bleus, je conserve une bouteille d'Absolut Vodka dans le bac à glaçons de mon frigo top.

En mai 2001, je passe un week-end chez Delphine à Marseille.
J'y vais avec Fabien, mon bon ami du moment.

Fabien fréquente le milieu LGBT, tendance Act Up. Grand et mince, il pratique la natation, et s'entraîne juste en face de chez lui, à la piscine Jean Taris. Il aime la techno de Detroit, les sets de Patrick Vidal, et il tient même une petite chronique de ses soirées branchées (en écriture inclusive) qu'il envoie par email à ses amis.
Mais il n'a pas de téléphone portable, niet, à cause des risques que cet appareil fait courir sur la vie privée, m'explique-t-il (quand on sait les évolutions technologiques qui suivront, on peut se dire qu'il n'a pas fini d'être inquiet).

Cet été 2001, je n'ai pas un sou en poche, et je ne pars pas en vacances. C'est la dèche complète, CB bloquée. Eh oui, malgré mon boulot d'informaticien chez "Magnitude" ! C'est que ma carrière débute à peine, et que je dois, en plus, terminer de rembourser un prêt que j'ai contracté l'année précédente pour payer mes frais d'installation sur Paris.

En manque de fric, de soleil et de verdure, je me promène le dimanche dans les parcs parisiens.

Qu'est-ce que je me serai promené dans cette putain de ville !

C'est là qu'un jeune type, rencontré sur le net, me propose de développer un site web pour le compte d'organisateurs de soirées branchées (ils prévoient d'appeler leur truc « VIP Club », tout un programme). Je lui réalise donc son site Internet en PHP (travail pour lequel je ne serai, au passage, qu'à demi payé) (puisque j'ai décidé de tout vous dévoiler de mes problèmes d'argent), puis j'essaye de le draguer. Assez maladroitement, comme à mon habitude. D'autant que le type n'est pas du tout intéressé : il est claquemuré dans le souvenir de son ex, avec qui il a vécu plusieurs années à Londres. Ils s'appellent encore tous les soirs au téléphone, me confie-t-il en espérant que cette précision suffira à repousser mes avances. Il ne me connaît pas !

Cet été 2001, Nico s'en va faire un stage à Arles dans une maison d'édition de renom. Il y rencontre un certain Guillaume, dont il s'entiche. A l'automne, à l'occasion d'un passage à Paris, il me le présente. Quelques mois plus tard, ils s'installent tous deux dans un petit appartement du quartier de Belleville. C'est le début d'une belle amitié à trois.

Nico, JC, Pierre : heureusement que mes amis sont là. Je leur dis tout, et ils savent tout de mes humeurs et de mes excentricités.
Eux-mêmes se cherchent, tentent l'aventure, hésitent à s'engager. Ce sont encore un peu des célibataires, ils savent ce que je vis.
The sun always shines on TV.

Début septembre 2001, mon agence web m'envoie deux semaines à Brest en mission chez un gros cabinet d'assurance.
J'y arrive en avion, avec veste et cravate, comme un homme d'affaire. Je dors dans un hôtel Ibis, à la périphérie de la ville, entre une bretelle d'autoroute et un centre commercial. C'est assez déprimant.

Quelques jours plus tard, les attentats terroristes du 11 septembre horrifient le monde.