Le repli

Mon CDD à Sida Info Service arrive à son terme.

Février 1999, je quitte Paris et retourne en Normandie vivre chez mes parents. Je réintègre ma vieille chambre d'enfant de toujours, avec la bizarre impression de rentrer bredouille.

A la fac, j'assiste à quelques cours du second semestre. Je passe en juin les examens de licence de musique que je peux.
Les autres étudiants me paraissent ballots, naïfs – je plane un peu.

J'entame une psychanalyse avec un lacanien réputé, dont le cabinet se trouve dans le quartier de mes parents, dans le quartier même de mon enfance. Pratique pour les réminiscences ! Je lis Totem et Tabou, les Cinq Psychanalyses et les Séminaires durant les surveillances d'examens et de concours que le rectorat de Rouen veut bien me confier.

Je reprends contact avec Franck. Je chante de nouveau avec Caro. Mais ils ont déménagé : les Emmurées n'existent plus, définitivement.

Rouen me semble vide, monotone, sans avenir. Une terrible nostalgie de Paris (où je m'étais pourtant senti si seul) s'empare soudain de moi. Il faut que je remonte sur la capitale coûte que coûte !
Mais comment ?

Au mois de septembre 1999, je suis hôte d'accueil pour un mois à la FNAC de Rouen. Je dois renseigner les étudiants sur les offres commerciales qui leur sont proposées par la célèbre enseigne à l'occasion de la rentrée universitaire.
Là, j'apprends qu'un nouveau magasin va s'ouvrir au Havre. Je m'empresse d'y envoyer une candidature dans l'espoir d'être embauché comme vendeur au rayon musique. Convoqué pour un entretien, j'ai l'impression de refaire le coup de l'examen de prépa HEC à l'ESC du Havre, six ans plus tôt, en allant me promener sur la plage en veste et cravate, au pied des immeubles d'Auguste Perret, les cheveux au vent, l'âme mélancolique et pleine d'incertitudes.

Mais qu'est-ce qui me prend ?
Pourquoi le Havre ? Ne voulais-je pas revenir sur Paris ? Ne voulais-je pas retrouver Paris et ses quais romantiques, Paris et sa lumière grise, Paris et les fabuleuses aventures qui m'y attendent (forcément) ?

Après moult hésitations, je décide de rester à Rouen pour quelques mois encore, le temps de suivre une formation d'analyste-programmeur dans une école d'informatique. Je remonterai ensuite sur la capitale pour y trouver du travail comme informaticien...
Tel est mon nouveau projet. C'est décidé.
Et tant pis pour le rayon musique de la FNAC du Havre...
De toute façon, à part caissier, ils n'ont finalement rien d'autre à me proposer pour le moment.

Le 28 décembre, une gigantesque tempête d'abat sur le nord de la France. Un clocheton en fonte de la cathédrale de Rouen s'écrase dans le chœur.

Trois jours plus tard, je sors avec un mec, rencontré sur Internet.
Il est gentil, mais un peu bigot.
Je mets un terme à cette historiette au bout d'un mois... qui est quand même la première de ma vie.
La première de ma vie !

Peu de temps après, une gastro-entérite paroxystique me saisit, tellement forte que je crois à un empoisonnement et que ma mère m'emmène aux urgences, où je débarque paniqué et échevelé, en pyjama, avec un chausson à un pied et une simple chaussette à l'autre.

Pour la nouvelle année – le fameux an 2000 ! –, je monte sur Paris rendre une brève visite à Alix, qui vient de quitter Rouen pour Montmartre (elle s'est installée dans un affreux petit studio de la rue des Trois-Frères, en rez-de-chaussée, un cagibi sombre et humide dont elle a caché les murs tâchés en suspendant de grandes bâches de papier argenté afin, dit-elle, d'avoir « plus de lumière », un bricolage qui donne surtout l'impression que son appartement est en travaux). Elle a été acceptée à l'école Centrale pour faire une thèse, mais elle m'avoue qu'elle consacre moins de temps à ses études, qu'à boire des coups dans le troquet qui jouxte son appartement.

En tout cas, je ne suis pas mécontent de quitter cette vilaine année 1999.

Ilius, le cheval de maman, est mort pendant l'été.

Et quelques mois plus tôt, ce sont nos deux chattes, Iris et Calypso – que j'ai vu naître en 1983 – qui se sont éteintes à quelques mois d'intervalle.

1999, c'est aussi une année de renoncement.

Avant d'entrer en formation, j'ai déposé un dossier pour toucher le RMI (dont une bonne partie file droit dans les poches de mon psychanalyste).
Je me suis aussi inscrit à l'ANPE, où aucun poste proposé ne me convient.

Quelques mois plus tôt, à l'issue d'un long processus de recrutement à la SNCF en vue de devenir conducteur de train (recrutement dont je me désiste d'ailleurs au dernier moment, comme je l'avais fait pour la FNAC), un psychologue me déclare apte à conduire des trains, mais il se demande quand même pourquoi diable j'ai toujours besoin de me mettre sur des rails, selon son expression, si c'est pour vouloir en sortir quelque temps après.
Armé de ces précieux enseignements sur ma propre psychologie, je fais maintenant de grands sourires aux recruteurs, auxquels je raconte, en substance, et avant même qu'ils aient le temps d'en douter, que grâce à cette fameuse formation d'analyste-programmeur que je suis en train de terminer, je vais pouvoir « m'insérer » sur le marché du travail, et que c'en est fini de mes louvoiements, de mes atermoiements, faites-moi confiance, prenez-moi en stage dans votre entreprise et vous ne serez pas déçu.

Pourtant, il y a comme un fond d'amertume en moi. La musique seule m'intéresse vraiment. Mais je n'ai aucune expérience de musicien, je n'ai pas le niveau pour devenir prof de musique, et je ne bénéficie d'aucun piston nulle part. Donc je n'ai pas vraiment le choix, je dois aller jusqu'au bout de cette formation si je veux voler de mes propres ailes au plus vite.