Nature et découvertes
En cela, impossible de cacher que ma chambre sera le théâtre de découvertes solitaires, d'expériences que je me surprends à tenter sur mon corps,
une fois la porte refermée, sous un bout de couette, guidé par une force surnaturelle qui me pousse, presque sans que j'en prenne conscience,
à rechercher du plaisir à la surface de ce corps en mutation.
Je n'ai alors que peu de mots à ma disposition pour qualifier ce que je fais et ressens.
Et, de fait, tous ces garçons du collège se comprennent très bien entre eux lorsqu'ils parlent de bander. Pourtant, à la différence de verbes
élémentaires comme manger ou dormir, dont le sens leur a été donné par leurs parents, ou par le contexte, des années auparavant,
voici un mot dont ils ont deviné la signification presque par eux-mêmes, face à eux-mêmes, face à leur désir.
A fortiori, pour le mot branler. Lui, il m'évoque quelque chose de tellurique, rien que la sonorité du mot résonne à mes oreilles
comme un gouffre, un ravin, un espace caverneux un peu malsain où il vaudrait mieux ne pas tomber.
C'est d'ailleurs face aux images mentales sur lesquelles je me concentre lorsque je me branle, que je commence à me poser
des questions sur ma future sexualité, vu que je suis un garçon, et que ces images mettent en scène d'autres garçons. A cette époque,
au collège, je ne me sens évidemment pas homosexuel, je constate d'abord que mes fantasmes le sont, comme quand on lit un roman, un journal,
ou que l'on apprend une nouvelle à télévision.
Un peu trop beaux peut-être ?
Un midi, à la cantine, un camarade de classe déclare, sarcastique, que je ne sais sûrement pas ce que l'expression sortir avec une fille
signifie. Je proteste d'un air indigné... sans pouvoir pour autant lui fournir de réponse. Comme il insiste, et que tout le monde me regarde
soudain d'un air goguenard, je me souviens de situations romantiques vues à la télévision, et je déclare, penaud, que sortir avec une fille
consiste à accompagner sa copine au cinéma, au spectacle, ou au restaurant... Paf, je suis tombé dans le piège : un torrent de rires perfides
et de moqueries bruyantes déferle sur toute la table, et j'ai envie de fuir sous terre.
Romantique, je dois donc l'être un peu trop pour ces gens-là. D'autant que dans ma classe, il y a une fille qui s'appelle Sylvie, et que je la regarde de plus en plus souvent. Elle est mignonne, brillante, et j'aime son doux visage. Voilà que les journées passées au fond de ce vieux bahut tout gris deviennent plus belles, plus poétiques, avec en moi ce remue-ménage de grands sentiments pour une fille ! Au point que je finis par me procurer son adresse, et qu'un mercredi après-midi, je me rends à son domicile, le cœur battant, pour glisser une déclaration d'amour dans sa boîte aux lettres. Elle habite chez ses parents une maison avec jardin, au bout d'une impasse, où un chien se met à aboyer furieusement dès mon arrivée, si bien que j'ai l'impression que la terre entière a le regard braqué sur moi au moment où je dépose la lettre. Celle-ci, sans doute assez lyrique, fait quasiment le tour de la classe quelques jours plus tard, et déclenche une nouvelle vague de moqueries, tant de la part des garçons que des filles, et grande est ma mortification. Persiflages qui s'intercalent entre les plaisanteries grivoises habituelles où il n'est question que de bander, de bites, et de nichons...
Quelques mois plus tôt, en CM2, je m'étais pourtant très bien entendu avec Charlotte et Marie-Pierre, auxquelles j'avais déclaré ma
flamme, et qui ne s'en étaient nullement gaussé...
Peut-être parce que ces amourettes appartiennent davantage au terrain de l'enfance qu'à celui, plus rugueux et plus brutal, de l'adolescence.
Pas plus je ne suis transporté par de violents désirs pour ces jeunes filles à l'école primaire, pas plus Sylvie n'est présente dans mes
fantasmes sexuels au collège. Et si certaines filles du collège m'attireront, ce sera toujours une émotion subtile, une rumeur parfumée, venue de très
loin, du temps de l'amour courtois et des cartes du Tendre...
Les garçons, en revanche, me traversent l'esprit d'une façon plus physique, plus immédiate, et moins ambigüe. En cours de sport, je
suis davantage troublé en observant leur entrejambe s'envoler virilement, quand ils font du saut en hauteur, qu'en voyant la poitrine
ou le postérieur des filles rebondir comme du caoutchouc lorsque celles-ci font de la course à pied.
Et, oui, comme je le déteste ce collège, avec ses sombres et minuscules vestiaires où il faut se changer avant le cours de sport, ces
vestiaires dont j'ai une telle
peur et un tel dégoût que je reste en jogging toute la journée, ces affreux vestiaires où règne continuellement une atmosphère moite, âcre et
saturée d'odeurs de transpiration.
Au collège, il faut supporter le contact et le regard des autres, dans les escaliers, dans les couloirs bondés, au moment de changer de salle,
quand il a plu à verse, au printemps, que tout le collège se met à sentir le chien mouillé, ce contact des corps entre eux qui s'étreignent
pour montrer fièrement leur force ou pour donner des coups, pour brimer, humilier, et puis ces cris, ces cris continuels, pour interpeller, railler,
pour exprimer la joie d'avoir marqué un but ou d'avoir appris que Mme Matthieu ne ferait pas cours jeudi, ces cris pour attaquer,
pour se vanter, pour féliciter...
Au collège, on touche encore facilement au corps de l'autre.
On se touche, quelle horreur !