Le retour (2004)

Le Palais de Vernet-les-Bains
La maison blanche, depuis l'hôtel
En août 2004, ma sœur et moi avons passé quelques jours à Vernet.
Séjour agréable, mais l'appartement nous manquait. Et j'ai horreur des hôtels.
Depuis notre chambre, la vue donnait sur l'immeuble blanc, à la silhouette si familière, auquel nous n'avions plus accès.

Nous avons testé un certain nombre de restaurants, tous assez chers et de qualité médiocre, à l'exception du "Cortal", où nos grands-parents nous emmenaient quelques fois.
Nous avons voulu y retourner un midi d'ailleurs. On s'attendait à être accueilli par les disputes de Chantal et de Jean-Claude, les propriétaires. Mais c'est un petit couple de jeunes qui nous a reçu. Ils venaient de racheter le restaurant, Chantal et Jean-Claude ayant pris leur retraite.

la piscine de Vernet-les-Bains
La piscine de Vernet-les-Bains
C'est fou ce que je peux raconter comme choses passionnantes dans mon site, des fois !

Et donc, le matin, piscine évidemment, sous l'œil bienveillant du Canigou.
Le maître-nageur, lui, n'a pas été racheté par un petit couple de jeunes : il est toujours le même depuis la nuit des temps, indétrônable sur sa chaise, entouré d'une cour de femmes avec lesquelles il bavasse sous le soleil du midi.


J'ai regardé les autres nageurs. Je me suis soudain rappelé les scénario érotiques que je me faisais, sur les bords du bassin, derrière un bouquin, lorsque j'étais jeune ado.
Ah, mais Gide connaissait sûrement la piscine de Vernet-les-Bains !

sur la crête de fuilla
Sur la crête de Fuilla
Nous nous sommes un peu promenés avec ma soeur.
Nous avons marché jusqu'à la crête de Fuilla, si aride, où les odeurs de pins se promènent en chaudes et lourdes effluves, entre les buissons de plantes aromatiques. Puis le ciel s'est chargé, il a recouvert tout le massif de montagnes, avant de s'affaisser lentement sur le village, comme pour l'étouffer.
Mais la nuit suivante, le vent s'était levé et avait chassé tous les nuages.


Une autre fois, nous sommes montés aux gorges de Saint-Vincent.
Sarah n'avait pas de bonnes chaussures, et s'est arrêtée à la première chute d'eau.
J'ai galopé jusqu'à la cascade des Anglais.
Nous sommes rentrés par le col de Llavent, la cascade Dietrich et Casteil.

Une maison typique du village
Avec la sister
Sans la sister
Les Gorges de Saint-Vincent
A l'entrée des gorges

Je faisais quelques déambulations solitaires dans le village aussi.
Une fois, sur un banc public, j'ai écrit :

La demie vient de sonner à l'église. Le Cady ronronne, le car des "Courriers Catalans" remonte l'avenue des Pyrénées, les boules de pétanque s'entrechoquent dans le petit parc, le petit parc au dessus de la piscine. Le petit parc en bas de l'immeuble.

Au dessus du Cortal
Au dessus du Cortal
Tout est presque comme avant.
Or ce qui est différent, c'est que mon immeuble d'enfance se tient là, face à moi - j'aperçois même un bout du balcon entre les feuilles d'un grand cèdre - il se tient là, sage et resplendissant sous le soleil déclinant.
Mais je n'y ai pas accès.
De notre chambre d'hôtel ce matin, j'ai aperçu des vieilles gens qui discutaient sur le balcon justement. Ils ont accroché des voilages affreux aux fenêtres, ils laissent les volets presque toujours fermés, ils se calfeutrent, c'est ridicule.

Mais je crois que j'ai compris.
Vernet, c'est l'illusion du retour à la maison d'enfance, aux lieux maternels.
C'est, et ce fut toujours une illusion, même du temps où je disposais encore des clefs de cet appartement.

Il y a une impossibilité fondamentale à retrouver ce qui est perdu.
Ce qui fait souffrir, c'est que nous pouvons exceller à faire renaître les choses du passé, à provoquer des sensations très proches de celles qui nous enchantèrent un jour. C'en est grisant, alors, de retrouver les lieux aimés, les mêmes odeurs, les mêmes bruits, tellement excitant que notre bonheur masque l'impossibilité même qui se trouve à son origine.
C'est une cachotterie bien calculée, un artifice bien rôdé, une traîtrise bien cruelle.

C'est presque comme avant.

Comme si cela pouvait être encore mieux ! Et plus j'y pense, et plus je souffre d'imaginer combien cela pourrait être mieux.
Il manque nécessairement quelque chose.

La vie d'un homme aurait-elle commencé par cet état de perfection, de bonheur suprême, dont nous ne ferions plus que retrouver les échos, les reflets assourdis par la suite ?

Maintenant que j'ai regagné les avenues grises et polluées de la capitale, il m'arrive encore de repenser à mon village de Catalogne, par hasard.
Mais il n'y a plus le moindre espoir de retrouver quoi que ce soit là-bas.
J'y reviendrai peut-être un jour, faire de la randonnée - il me reste encore deux ou trois sentiers à découvrir.
Mais je n'y resterai pas longtemps, je m'ennuie vite.

Jasse
Ah ! rrrroulez jeunesse... sur les hautes prairies du Canigou
Lorsque j'avais 18 ans, je me souviens que l'un de mes fantasmes aurait été d'embrasser mon bien-aimé, en nous laissant débouler sur les hautes prairies du Canigou, sous un ciel d'azur.
Il aurait déjà fallu que j'aie un bien-aimé !
Un autre de mes fantasmes aurait été de pouvoir jouer les Danses de Travers d'Erik Satie sur un piano à queue, monté dans le glacier du Canigou.
Il aurait déjà fallu que je puisse jouer les 5 premières mesures sans me tromper et sans baisser les bras !
Condensés d'idéaux translucides.

Et le temps passe, et la pendule ronronne au salon, et elle nous attend, comme dit Jacques Brel.

Oh et puis après tout, il n'y a rien de vilain à aimer un petit pays de montagnes catalanes...
Mais j'anticipe, j'exagère, je m'impatiente, je surévalue...
Et je me retrouve finalement tout seul, désœuvré, avec juste un stock de belles images entre les mains.
... comme celles que je pris au cours de ma sixième ascension du Canigou, cet été 2004.

Et je vais arrêter de parler de Vernet sur ce site Internet, parce qu'on va vraiment finir par me trouver complètement monomaniaque, et gâteux avant l'heure.

Près du col de Llavent
Près du col de Llavent
Le village se dépeuple lentement, des maisons sont à vendre partout
La tour de Goa
La tour de Goa (je n'arrivais pas à mesurer la lumière, et Sarah s'impatientait)

Alain, le maître-nageur historique
Un inconnu qui regarde la cascade des anglais (y'avait sa maman juste derrière moi)
Notre chambre d'hôtel et sa literie douteuse (j'y ai attrapé des "petites bestioles" !)

Orage en montagne
Les orages sont fréquents dans la région, et parfois spectaculaires
Le Cady
Le Cady, sage dans son grand lit de pierres
Depuis le belvédère
Depuis le belvédère de l'Alzina - on distingue l'immeuble, à gauche