Interlude
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Mais revenons un peu en arrière.
Juillet 1992.
Déjeuner chez les grands-parents, pour fêter mes 18 ans et mon bac.
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Chacun y va de son couplet.
Sauf ma sœur et moi, muets comme des carpes, comme d'habitude. -
Septembre 1992.
C'est la rentrée.
Les feuillent mortes envahissent les trottoirs. -
Aux réunions de famille, on me demande ce que je fais depuis que j'ai mon bac, quelle filière j'ai choisie, si ça me plaît.
Je raconte laconiquement ma rentrée en prépa HEC, comment c'est difficile, comment il faut travailler dur, etc.
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J'obtiens mon permis de conduire.
Pour le fanatique de routes, d'autoroutes et de panneaux de signalisation que j'étais plus tôt dans mon enfance, ce n'est pas rien...
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Mais à l'époque, ce qui compte surtout, c'est que je puisse aller voir mes copains en empruntant la voiture de ma mère.
Vive la liberté ! -
En rentrant de soirée, je fais des détours par les rues de Rouen et de sa banlieue, en pensant aux garçons dont je suis épris, et en me demandant s'ils m'aiment eux aussi.
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Je me laisse envahir par des sentiments nocturnes, en roulant doucement dans les ruelles désertes.
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Je lis beaucoup cette année.
La classe prépa m'impose son rythme frénétique. -
Sarah, Daniel, Élise, Catherine, Isabelle, papi, Sylvie, Stéphane, mamie... et mes mains ; Zoé regarde peut-être la télé, tandis que maman turbine à la cuisine L'hiver arrive.
On fête Noël en famille. -
De temps en temps, avec Alix, on s'en va bavarder en pleine nuit, sur le belvédère de Mont-Saint-Aignan, ou de Bonsecours.
On grelotte dans sa vieille 404 ou dans ma Fiat Panda. -
En classe, je m'assois au dernier rang.
J'entends régulièrement parler des écoles de commerce : HEC, EDHEC, ESCP... Ces temples auxquels nous sommes promis.
J'imagine des bâtiments somptueux, modernes, peuplés de gens très doués et très sérieux.
Je commence à m'ennuyer, dans mon vieux lycée, où les horizons se ferment petit à petit pour moi. -
Le printemps s'annonce, dans le jardin.
Et je sèche la plupart des cours. -
Je retrouve Alix à la Lycorne, où l'on se donne bonne conscience en révisant nos leçons, entre deux parties de cartes.
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Non, les années robe de chambre ne sont pas tout à fait finies...
Et dans ma robe de chambre, si je n'arrive pas à apprendre par cœur la balance du commerce extérieur des Etats-Unis depuis les accords de Bretton-Woods, j'arrive très bien à jouer à des jeux vidéo sur ordinateur.
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Au passage, pour mes entretiens de concours HEC, ma mère m'achète une veste.
Je ne crois pas l'avoir mise plus de trois fois. -
Mais voici que l'été arrive, et avec la Fiat Panda, je file sur Rennes retrouver Laurence.
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On descend tous les deux en vacances à Vernet !
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Septembre 1993.
Je me réoriente en DEUG de sciences, un peu curieux, un peu inquiet. -
Me voilà estampillé par l'Université de Rouen.
Fini l'esprit prépa !
Bonjour l'ambiance préfas ! -
Le campus se trouve sur les hauts plateaux de Mont-Saint-Aignan, où l'on respire la joie de vivre.
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Et même les bâtiments les plus récents de la fac de science sont sinistres comme un linceul.
Heureusement que je retrouve Alix sur le banc des amphis surpeuplés !