Natation

Pour les élèves de CE1 et de CE2 de l'école Berthelot, le jeudi, c'est le jour de la piscine. Vers 14h, un bus nous attend pour nous emmener à la piscine de Mont-Saint-Aignan, où des cours de natation nous sont dispensés. Nous revenons peu avant 16h30, juste à temps pour attraper notre cartable et rentrer chez nous – ce qui constitue certainement le seul moment agréable de ce terrible jeudi après-midi.

Nous nous changeons dans les vestiaires réservés aux groupes : la salle de gauche pour les garçons, accompagnés de M. Staelen, l'instituteur du CE1, et la salle de droite pour les filles, accompagnées de Mme Périgne, l'institutrice du CE2.
Comme nous, M. Staelen passe un maillot de bain, et nous accompagne jusqu'aux douches, où il veille à ce que nous ne fassions point les imbéciles. « On ne court pas ! » Il rugit facilement, pas seulement parce qu'il se trouve en effet toujours deux ou trois garçons agités pour vouloir courir partout, mais aussi parce qu'il est homme à apprécier l'exercice de l'autorité. Quant à Mme Périgne, plus frêle et plus âgée, elle reste habillée. On la retrouve dans les gradins, d'où elle nous regarde nager en silence.

Au premier cours, nous sommes séparés en groupes de niveau, et, craintif, je me place spontanément dans le plus faible. Ma monitrice s'appelle Catherine. Heureusement qu'elle est gentille.
Car je vous avoue nourrir une peur terrible du grand bassin, où je n'ai pas pied. Cette angoisse des profondeurs aquatiques de la piscine de Mont-Saint-Aignan – une angoisse de plus dans mon système névrotique déjà bien développé – est telle que je continuerai plus tard à faire des cauchemars de ces lieux, où, l'été avec ma mère, j'aimais pourtant bien me rendre.

Le centre sportif de Mont-Saint-Aignan (la piscine est à droite)
Au bout de quelques mois passés à barboter dans le petit bain, il faut pourtant bien y pénétrer, dans ce grand bassin si redouté ! Quelle horreur. L'un après l'autre, près du bord, avec des ceintures flottantes, nous nous agitons frénétiquement en tentant de suivre la perche immergée tenue par notre monitrice. Je crois que j'offre un spectacle particulièrement pitoyable. Quelquefois, épuisé par les efforts inefficaces que je fais pour garder la tête hors de l'eau, je m'accroche à la perche, que la monitrice me demande alors de relâcher.
« Tends bien les bras et les jambes ! »
Un cauchemar je vous dis.

Nul doute que si, trente plus tard, je me rends chaque semaine à la piscine, de mon plein gré, c'est en partie par revanche contre ce passé peu glorieux.

Je terminerai cette évocation nautique par une petite anecdote. Un jour d'hiver, en nous déshabillant dans le vestiaire, des garçons de la classe remarquent que notre camarade Paul porte des sortes de collants, sans doute pour se protéger du froid. Un torrent d'hilarité moqueuse déferle aussitôt sur le pauvre garçon, tumulte auquel je me joins d'ailleurs, honte à moi, mais qui est vite recouvert par les vociférations abominables de M. Staelen, qui nous ordonne aussitôt de nous taire, et qui entre dans une colère mémorable. Devenus muets, figés de terreur, nous voyons notre instituteur rôder d'un bout à l'autre de la pièce, le visage rouge et convulsé, les narines fumantes comme celles d'un dragon, un regard de braise passant tout à tour sur chacun d'entre nous : « Mais qu'est-ce qui m'a fait cette bande de petits cons qui se moque d'un camarade ?? »
Le simple fait qu'il emploie un gros mot, chose inhabituelle pour cet homme qui ne jure jamais qu'à la manière du capitaine Haddock, nous saisit d'horreur.
Peu après, alors que nous marchons en silence vers le car – un silence de pénitence –, je ne peux m'empêcher de demander discrètement à Paul pourquoi il porte des collants. Je ne reçois qu'un coup rageur sur l'épaule en guise de réponse.

Il s'en passe des choses à la piscine de Mont-Saint-Aignan !