Journal 2005 (2)

Dimanche 3 juillet 2005

Dansez, dansez... tant qu'il est encore temps
Samedi 25, gay pride. J'aime bien l'atmosphère de cette fête, mais elle pourrait être plus délurée encore. Croisé Marteen et Nico à sens contraire. Quand le char d'Act Up est passé, j'ai été dire bonjour à Fabien, qui ne m'a pas manifesté beaucoup d'intérêt. S'il m'avait vu, je crois même qu'il m'aurait évité. JC semble aussi avoir pris des distances vis à vis de moi, il ne m'a pas rappelé.
Les années passent, les liens se défont. Je suis partagé entre le fatalisme et l'amertume. J'ai beau me draper dans mon orgueil et me dire tant pis pour eux, je n'arrive pas à m'en foutre.
Le soir même, j'ai lentement déambulé dans le Marais. Je ne pouvais me résoudre à descendre dans un bar, je redoutais trop le confinement, il était minuit, et un peu de fraîcheur nocturne commençait seulement à se répandre sur Paris.
Le lendemain, un mec est venu ici. Moi et mes plans uniforme... quand ça me prend, ça m'avale, ça m'annihile complètement.

En début de semaine, je me suis bloqué le dos je ne sais comment. Peut-être en mettant sens dessus dessous mon studio, alors que je voulais remettre la main sur ces foutues notes de cours de réseau, que je n'ai d'ailleurs pas retrouvées, en prévision du partiel de mercredi.
Ou alors en m'étirant mal, je suis tellement stressé.
Les deux derniers examens de l'année sont derrière moi maintenant, et je ne suis pas très optimiste.

Il y a des moments où je panique à l'idée de retravailler, et des moments où je panique à l'idée de rester sans travail. Je n'ai la paix que lorsque j'arrive à me convaincre que, dans un cas comme dans l'autre, cela n'a, sur le fond, aucune espèce d'importance.

Hier soir, avec Nicole, David et Marteen. La soirée prévue aux Métallos était déserte, et on a fini par siroter de la vodka ici, en parlant cul, adolescence, identité sociale contre identité sexuelle, et en grignottant des raisins secs jusqu'à l'écœurement. Les susceptibilités réciproques avec N. me pèsent. Parfois elles se dissipent, comme hier soir, par le simple effet d'une parole librement échangée, mais sitôt séparés, et nous nous faisons de nouveau porter des chapeaux imaginaires.

Dans un cadre tendre et bucolique...
Un jeune homme attend sagement...
Mais voici son drame

Mercredi dernier, en allant à Maisons-Alfort photocopier des cours de Greg, j'ai constaté qu'il y avait matière à faire des promenades dans cette banlieue sans histoire.
Alors j'y suis retourné traîner ma gueule de bois aujourd'hui. Sorti du métro, j'ai d'abord traversé des quartiers résidentiels, écrasés sous des ondes de lumière étourdissantes, avant de gagner la Marne, ombragée, somnolente, que j'ai suivie sur plusieurs kilomètres.
Des enfants étaient surexcités parce qu'ils avaient aperçu des ragondins. L'un d'eux s'appelait Baptiste (l'un des enfants, pas l'un des ragondins), et je m'entendais régulièrement rappelé à l'ordre : Baptiste, reste ici. Baptiste ne cours pas ! Baptiste ne t'approche pas du bord, voyons.

Mais en arrivant près de la Seine, le paysage se fait post-industriel, et les poussettes s'évanouissent tout à coup.
Il faut passer sous une voie de chemin de fer, écarter quelques fougères.
A la jonction des deux cours d'eau, trône un gigantesque complexe hôtelier chinois en béton armé, incongru, assez hideux.
Des effluves de végétaux en décomposition et de lessive me saisissaient les narines.
Des miasmes d'ombres et de déjections chimiques.

J'ai ensuite remonté jusqu'à la porte de Bercy, en suivant une petite route goudronnée, coincée entre l'autoroute de l'est, assourdissante, et la Seine, paisible, profonde, comploteuse.
J'avais le soleil dans les yeux.
De temps en temps je croisais des cyclistes, le visage impavide vissé sur l'horizon.

Gare de Lyon, Bastille, et hop, retour à la case départ, avec les jambes en compotes, la peau collante, chaude et poussiéreuse.
Près des usines de béton Lafarge, un type édenté, ravagé – que j'ai eu le malheur de regarder une seconde de trop – m'a accosté et lourdement questionné.
Dans le parc de Bercy, un cocker jouait tout seul dans une cascade.

Lundi 11 juillet 2005

The Fall... et une tête inconnue qui dépasse
Et voilà, une semaine de plus, et je n'en garde aucun souvenir.
J'ai dû aller au cinéma, sur les quais de Seine, lundi dernier, voir un film sans intérêt que j'ai oublié aussitôt.

Ah si, hier, avec Ch., écouter The Fall, dans le parc de la Villette : un groupe de la fin des années 70, un peu punk – dans la façon de déclamer, de hululer recto tono, gorge déployée, des diatribes incompréhensibles que l'on imagine pleines d'insultes.
Les années 70, et ses bizarreries.
La disco, le punk, la guerre froide, les cheveux mi-longs, le papier peint psyché. Ma mère en Austin Mini, mon père avec une moustache, et moi avec une cagoule qui gratte, en hiver.
Je n'arrive pas à voir le lien, je ne comprends même pas comment on a pu passer de cette époque à aujourd'hui, par quel sortilège tordu l'enchaînement a pu se faire.

Politiquement, depuis, les choses ont évolué d'une façon qui n'est pas très excitante.
Je pense à Bush, aux récents attentats à Londres et à la crise européenne.
Peut-être était-il plus facile d'avoir un ennemi bien identifié, que l'on pouvait charger de tous les pêchés. Au moins, en tirant à deux sur une grosse couverture, l'un vers l'est, l'autre vers l'ouest, les belliqueux avaient-ils matière à s'invectiver, et les rêveurs pouvaient-ils rêver du jour où c'en serait fini enfin, de tirer sur la couverture.

Pourtant, ce n'est pas tellement le « mondialisme » qui m'inquiète. Le mot, d'ailleurs, ne m'a jamais effrayé, et lorsque je l'ai entendu pour la première fois, à la fin des années 90, je ne pensais même pas qu'on avait pu l'associer à des choses négatives.
Pour moi, tout ce qui tend à faire éclater le vieil habit national est toujours le bienvenu, et je crois que fanatismes religieux et nationalismes restent encore, dans l'Histoire, ce qui a tué le plus de monde.
A tout prendre, je préfère encore les régionalismes aux nationalismes : ils ont quelque chose de moins chimiques, portent moins à conséquences, se dégustent – au pire ils sentent un peu des pieds – et ils sont généralement plus amusants.
Et puis le monde est mondialisé depuis belle lurette. La mondialisation à la mode coloniale était évidemment bien plus commode pour les vieilles nations comme la France. Parler aujourd'hui de mondialisation, pour nous Français, c'est surtout parler de notre sentiment à nous, de nous fondre inexorablement dans une masse, alors qu'il ne s'agit peut-être que de perte d'influence et de la fin de notre impérialisme : l'ouvrier chinois, vietnamien, polonais ou sénégalais a-t-il peur de la mondialisation ? Je n'en suis pas si sûr.
Est-ce que l'Américain moyen a peur de la mondialisation ? Pas sûr non plus.

And the fall of night...
Pourtant, je suis partagé. Si j'ai du mal à digérer le punching-ball qu'une partie de la gauche française a fait de la Constitution Européenne, je suis aussi incapable de faire confiance à Tony Blair, à ses grands sourires, et à ce qui ressemble à une quasi complète inanité de conviction socialiste de sa part.
Sur l'Europe, le traditionnel I want my money back britannique est aussi malsain que les replis nationaux français ou hollandais, et dans les trois cas, j'ai bien peur que ce ne soit que du chauvinisme qui s'exprime, d'autant plus nauséabond qu'il est populaire, le Britannique et le Hollandais disant les choses clairement, là où le Français espère encore convaincre et faire bonne figure, en clamant des convictions sociales et anti-libérales, trois ans à peine après son match présidentiel droite contre extrême-droite.

J'ai honte, tellement honte d'être français parfois – au point que j'ai souvent regretté de ne pas être né dans un pays plus petit et moins puissant. Cela doit tenir un peu de mon père, qui a le même mépris des manières pontifiantes du Français, de son côté donneur de leçon, fier et sans gêne. Il y a quelque chose d'excessif aussi dans ce sentiment de honte, qui renvoie peut-être à mon malaise lorsque je dois m'exprimer en public, lorsque je dois faire bonne figure et que je voudrais rentrer sous terre. Ou à ma propre fierté, à mes accès d'orgueil justement, que je camoufle comme je peux lorsqu'ils surgissent.

En tout cas, ma tristesse aujourd'hui, c'est de constater que l'on se remet à parler beaucoup de nations, alors qu'adolescent, je croyais qu'il en serait – enfin – un peu moins question à l'avenir.
Je trouve déjà les Bush, Poutine et Chirac assez déprimants comme ça, les terroristes assez épouvantables comme ça.

Dans un sens, l'essentiel, finalement, c'est que les pays continuent à dialoguer entre eux, que les peuples essayent de construire des choses entre eux ; mais les peuples sont passifs, et ne font rien par eux-mêmes, ou si peu.
Ils attendent que les hommes politiques s'engagent.
Mais comme ils élisent régulièrement des idiots, quand ce ne sont pas des gens dangereux...

Peut-être le Français prendra-t-il conscience de la faiblesse de sa position actuelle, et, avec sa veulerie coutumière, remballera-t-il discrètement ses beaux costumes et rentrera-t-il sagement dans le rang, en s'abstenant tant et si bien que la construction européenne pourra repartir.
A moins qu'une crise généralisée ne survienne d'ici là et qu'un vent libertaire, social, anticapitaliste, pétri d'idéaux de liberté et de générosité néo-hippie, ne vienne souffler sur toute l'Europe, comme dans les années 60, et nous libérer de tous nos péchés véniels. On entendrait de nouveau parler de paix et d'amour, plutôt que de compétitivité et de coût de la masse salariale. Les jeunes se moqueraient de leur retraite et de leur premier job, et ils joueraient de la guitare à la sortie des lycées. Ou ils remixeraient des vinyls de Ravi Shankar.
Mais ça, 68 et compagnie, c'était pendant les trente glorieuses. On philosophe quand on a les moyens.

Ou alors la planète se réchauffe dramatiquement, le climat se dérègle au point que nos nations souveraines reprennent les économies et les entreprises en main (en même temps que les libertés), rétablissent contrôles et barrières douanières, dans un vent de panique généralisé, pendant que des terroristes toujours plus fous assassineraient les gens d'une manière toujours plus atroce.

Par quel étrange – sordide ? – moyen va-t-on passer dans les années 2020 ?

Lundi 18 juillet 2005

Week-end à Rouen.

Il a fait beau les deux jours.
Ma mère a voulu que je passe dire le bonjour à ses parents, ce qui m'a tout de suite énérvé, le souvenir des derniers Noëls, assez blessants, m'étant revenu en mémoire. Lorsqu'elle me l'a demandé, je me dirigeais vers le jardin en méditant sur la bourgeoisie de Sartre, dont je venais de lire quelques extraits d'un bouquin trouvé par hasard dans la chambre de Sarah – L'âge de raison je crois – et je pestais intérieurement contre la manière qu'ont certains bourgeois de se lancer ainsi dans des combats d'emprunt, de passer des habits qui ne sont pas les leurs juste pour montrer qu'ils sont capables de les porter, et voilà que ma mère me demande d'aller jouer la comédie familiale, et voilà que je me dis que Sartre n'avait pas si tort après tout.
J'ai répondu à ma mère que cela ne leur ferait peut-être même pas plaisir.

Et j'ai été leur dire bonjour quand même, en bon garçon, après avoir déambulé et sué dans les rues de Rouen, sous le soleil de juillet.

C'est vrai qu'ils ont pris un coup de vieux.
Mamie s'interrompt, gênée, incapable de retrouver le nom d'une personne. « Oh zut, je ne me souviens même plus de son nom… zut… le plus jeune de mes fils… ».
Papi avait beaucoup de mal à se déplacer, et je lisais sur son visage toute la peine qu'il avait à fixer les mots que je prononçais.
Un midi, récemment, ils ont pris la voiture pour aller au restaurant. Ils ont dû rentrer en taxi car ils étaient incapables de se souvenir de l'endroit où ils s'étaient garés.
Ils persistent à vouloir passer une semaine à Carteret en août. Quelle folie de prendre la route, vu comme ils sont aujourd'hui.
D'un autre côté, comme dit mon père, the show must go on.
Je ne sais pas trop comment ma mère vit ça ; en tout cas, elle ne le montre pas.

Appelé Fr. sur son portable, laissé un message, pas de réponse.
Ce silence me laisse perplexe. Mais c'est vrai que Fr. a toujours été spécial dans ses rapports avec les autres garçons, réagissant souvent de façon hystérique et imprévisible, plaçant ruptures et psychodrames là où une parole simple et franche dénouerait la relation.

J'ai donc passé le samedi soir seul à la maison, en écoutant des disques en bas, et en regardant de temps à autre le jardin plongé dans la nuit, avec les lumières de la ville dans le lointain.
L'air du jardin, chargé de matières organiques, chargé de choses vivantes, remontait le long de l'escalier et s'introduisait dans la maison.

Je n'avais pas une folle envie de sortir ce soir là, et du reste, mes désirs de sortie sont mesurés ces temps-ci.

Dimanche, fait du vélo dans Mont-Saint-Aignan et en forêt.
J'ai lu ensuite sur la terrasse, en attendant l'heure du train.

Ce soir, vu Sur mes lèvres d'Audiard.
J'adore Emmanuelle Devos – ses intonations, ses mimiques, ses airs placides, ce qu'elle dégage de sensibilité et de drôlerie à la fois, son style bambin et à fleur de peau, très naturel.

Mercredi dernier, c'était mon anniversaire, mais l'événement me laisse maintenant presque aussi froid que du givre.

Ah, et puis vendredi, l'expo de photos de Martin Parr, que j'ai beaucoup aimée aussi : son humour british, ses photos de Brighton où les gens bronzent dans les immondices, ses incursions dans les parties des classes populaires ou chez les conservateurs, sa façon de retranscrire la vie collective des anglais, leurs manières de se côtoyer.
Mais il se dégage aussi de la sensibilité de son travail, pas seulement une sorte de cynisme sociologique.

Nous latins sommes presque incapables de porter un tel regard sur nous-mêmes, inhibés par une trop haute opinion que nous nous faisons de l'esthétique et de l'intelligence.
On se prend trop au sérieux. Mais la vulgarité anglaise peut être terrible.

Samedi 30 juillet 2005

Concert avec Christelle à Paris-Plage
Je me démène avec mes moulins habituels – la solitude, la passivité, le fatalisme – mais ça devient tellement difficile d'avoir à supporter le regard des autres aussi, savoir qu'ils me regardent avancer seul, voûté sous ma vie creuse, avec mes complexes égotistes et mes vieilles lunes.
Je voudrais pouvoir tout balancer, partir vivre seul dans un endroit nouveau, si nouveau que je pourrais me montrer de quoi je suis capable, comme au temps de mes premiers pas sur Paris, si nouveau que je n'aurais ni le temps ni l'envie de me juger.

Soirée à l'atelier hier soir. J'avais du mal avec l'alcool, je vidais chacun de mes verres à moitié bu dans l'évier pour boire de l'eau – c'est peut-être l'effet de cet affreux médicament que je prends depuis un mois, qui m'assomme et me cloue au lit jusqu'à une heure de l'après-midi, jusqu'à ce que la tiède obscurité de l'appartement me devienne insupportable et que je puisse enfin réunir assez de force pour me lever. Je crois que je ne supporterai pas une nouvelle boîte de ce truc.

Je voudrais pouvoir retrouver de la sérénité – j'aimerais tant pouvoir me sentir bien. Oh, matériellement, je ne manque de rien, je suis en bonne santé, ma vie semble suivre son cours plus naturellement qu'une rivière, et autour de moi il n'est que fins divertissements, lieux de beauté, gens égayés, musiques divines et couleurs estivales, milles et une sources de satisfactions et de mystères, bien assez pour moi, jeune homme sans histoire et sans ambition.

Et pourtant j'ai l'impression de traverser un tunnel, où chaque jour je m'enfonce plus profondément.
J'ai l'impression de me tenir dans une posture qui n'est pas naturelle, vis à vis des autres comme vis à vis de ce que j'entreprends, depuis des années.
Et les pierres de l'existence me semblent si lourdes, si lourdes aujourd'hui que je me sens incapable d'en déplacer une seule.

Putain, Puteaux...
Je me suis trimbalé à Puteaux en début de semaine, pour un entretien de recrutement. J'y allais sans la moindre motivation, et ni la société, ni ce qu'elle semblait décider à me proposer ne m'emballait, si bien que le trajet que j'ai suivi à pied depuis les immeubles glaçants de la Défense jusqu'au centre-ville ridiculement coquet et bourgeois de Puteaux m'a semblé relever d'une sorte de marche de l'absurde, d'excursion cosmique, de procession onirique et inconsciente.
Mais ce qui m'a remonté le moral, à l'issue de l'entretien, c'est de sentir que j'avais suscité de l'intérêt, voilà, qu'on en avait conclu que j'étais sérieux, crédible, courageux, qu'on m'avait regardé en face, moi, avec la somme de tout ce que j'avais fait, ou tenté de faire, c'est comme si quelqu'un dans la rue s'était retourné et m'avait pris en considération, que j'étais redevenu soudain un être humain, aussi valable et viable qu'un autre. Ce n'était pas de l'orgueil, mais juste du soulagement, tellement je me renvoie une image de moi déplaisante actuellement.

Bon, je suis las de ces agences web, de ces sociétés de services hypocrites, mais si j'arrêtais de faire du développement informatique, ce serait pour quoi aussi ?
J'aimerais rencontrer davantage de monde, parler davantage, m'exprimer davantage.
Mais quoi que j'entreprenne, est-ce que la vanité même de tout travail ne finirait pas par me rattraper, est-ce que les logiques productives, les contraintes commerciales ne finiraient par me faire baisser les bras de nouveau ?
J'ai toujours peur d'être rattrapé par la lassitude.
N'est-ce pas d'ailleurs aussi ce que j'ai redouté dans mes historiettes amoureuses ? Ne plus susciter chez l'autre assez d'intérêt et d'amour, ne plus en ressentir au point que je prends la fuite comme un lâche ?
Je ne manque pas de logique, ça ne sert à rien que je me raisonne ainsi...
Je ne manque pas non plus d'amour à donner. J'en manque tant que j'ai complètement cessé d'en avoir conscience maintenant. Avec l'antidépresseur, j'ai l'impression de faire des rêves érotiques plus intenses que d'ordinaire, des orgies qui s'enchaînent à des rêves où un garçon me serre dans ses bras, toujours sur le point de me déclarer son amour.

Je manque de calme, de calme intérieur, de confiance, c'est terrible de sentir comme les choses deviennent instables et vulnérables avec moi, comme tout se balance dangereusement dès que le vent se lève, dès que les êtres et les choses se mettent à me bousculer, dès qu'on vient m'ausculter, dès qu'on vient braquer un peu trop de lumière sur mes affaires.
Dans ces cas là, je voudrais pouvoir tout ranger, tout nettoyer, tout faire disparaître, pouvoir m'oublier entièrement dans l'autre, lui dire regarde comme tout est net chez moi, je suis vide et creux comme une boîte à chaussures, tu es content ? – je suis incapable de faire le poids, de camper sur ce que je suis, de me contenter de ce que je suis, avec quelqu'un qui campe sur ce qu'il est aussi, et avec lequel viendrait se nouer une vraie relation, imprévisible, courageuse, avec ses hauts et ces bas.
Mon expérience, jusqu'à présent, c'est que j'ai eu du mal à supporter ma nudité, à demeurer ce que je suis avec un garçon, tout simplement ce que je suis, parce que pour moi je ne suis rien, je suis vide, vide comme l'espace entre deux vitres, vide comme une interjection, vide comme une bille de verre – non que je sois sain et pur, mais parce tout me file entre les doigts, parce que rien en moi ne me semble valoir la peine.
J'aimerais que l'amour ne repose sur rien, que nous ne soyons rien dans l'amour même. Qu'il soit pareil à celui que je portais à ces animaux, à ces chats qui vivaient avec nous, avec mes parents autrefois, et qui ont maintenant disparu pour la plupart, et qui n'étaient que des boules de poils affectueuses et individualistes, qui ne demandaient pas grand chose, et auxquelles je ne demandais pas grand chose non plus, et que j'adorais malgré tout. Mais il semble régner dans l'amour humain un ordre supplémentaire, une dimension sidérante, névrotique, inquiétante, quelque chose qui m'affole, m'aspire, qui transfigure toute ma perception du monde, dans une mesure qui dépasse bien celle du quotidien banal d'une vie à deux.
C'est aussi dans ces moments là que j'ai manqué de tempérance, de recul, d'assise, de naturel tout simplement.

Pendant mes cours de chant, j'ai fini par entendre ma propre voix, par entendre quelque chose qui, bien que me paraissant étranger de prime abord, ne sonnait plus comme un filet impersonnel et affreux, non, ce n'était plus l'empreinte désincarnée des mots que j'ânonne depuis l'adolescence, mais une matière tendre et brillante, qui vibrait, qui chantait, qui emplissait l'air, c'était étonnant.
J'aimerais pouvoir ressentir la même jouissance dans la vie, comme celle que me procure le chant lorsque je m'y abandonne, l'extase de la respiration, de l'exclamation sans retenue, quelque chose d'un peu plus naturel que le plan cul calculé que je m'accorde lorsque mon désir sort enfin de sa niche, et mon Dieu, comme je vis dans le manque, dans ce manque, ce besoin que j'ai de parler, de m'exprimer, de la même façon que l'on respire, et plus intensément encore.

Dimanche 31 juillet 2005

Barbecue chez la marraine de Nico, en Seine-et-Marne.

Nico vient me chercher en voiture, où s'impatientent déjà Guigui et David.
Je dois interrompre une coloration au henné, qui de toute façon allait être ratée.

Pierre, Dominch' et compagnie nous rejoigneront après.
Ça parle cinéma, ça roule sur le film gaulois Mondovino – qu'ils ont vu la veille à la Villette.

On s'arrête quelques instants devant le château de Guermantes. Quelques moineaux chantent, l'air est doux.

On arrive à Bussy, on se gare devant le pavillon, on ouvre les volets, on se promène dans les pièces ensommeillées.
Nico compare les odeurs de la maison de sa marraine à de vraies madeleines de Proust, bien sûr.

On déplie les transats, on ouvre les bouteilles de rouge.
Je m'étends sur la pelouse, où planent des odeurs de menthe.

D. s'active au barbecue, pendant que l'on dresse la table sur la terrasse.
Au bout de quelques minutes, il faut tout rentrer précipitamment parce que la pluie commence à tomber.
On dévore les salades et les merguez sur un fond de Scissor Sisters, car Marteen a pu brancher son brand new Ipod sur la chaîne hifi.

Le jardin est maintenant plongé dans la nuit.
Un escargot vient nous rendre visite.

Douce léthargie dans la voiture au retour, un dernier verre au Chat Noir.

Lundi 15 août 2005

Jeudi 4 au soir, JC m'attend à la gare de Grenoble.

Le lendemain matin, on entasse les bagages dans sa voiture, on démarre, à nous les vacances.
Pendant le voyage, il me parle de son boulot, de ses patients, de sa vie de couple vacillante avec C., de ses récents écarts, des interminables travaux dans leur appart.
On s'arrête à Avignon, où l'on traîne au hasard, par un beau soleil.
Avec JC, je peux dire à peu près tout ce qui me passe par la tête – c'est une relation qui n'est pas stressante, il faut juste trouver un compromis sur les choses qu'on se propose de faire ensemble.

On regagne la voiture, on repart.
Je vois défiler les noms évocateurs des autoroutes du sud de la France.

On débarque dans une banlieue pavillonnaire de Montpellier, où l'on est reçu par la famille de Mireille (une amie de JC, sa voisine du temps où ils partageaient une maison en Normandie)

Je m'embête un peu dans leur chambre
(ils nous ont laissée la leur !!)
... alors je fais mon show

Mireille est sympa, mais sa famille est terriblement beauf – quoique fort obligeante.
Les gros chiens se disputent autour de la table, les deux jeunes garçons jouent au jardin, on mange des frites et de la salade, des saucisses et des pilons cuits au barbecue.
« Les pilons cuits, c'est super-bon » proclame la belle-sœur de Mireille. Boulangère, blonde énorme, elle ressemble aux femmes vulgaires des bédés de Cabu ; elle en a toujours une bonne à placer, des ménages qu'elle fait dans le quartier, aux clientes de la boulangerie qui la jalousent.
On fait un tarot ? Non, ils ne retrouvent pas le jeu de tarot. Alors ils évoquent les lotos, ces jeux collectifs méridionaux où l'on vient en famille le dimanche. On se mate un DVD ? Oui, le beau-frère a déjà tiré les rideaux et le voilà installé devant l'immense télévision à cristaux liquides du salon, toutes lumières éteintes, silence plus un bruit.
Je n'en peux plus, je prends une douche et je file m'enfermer dans ma chambre.
Je fais la fofolle avec mon appareil photo, en écoutant Kylie Minogue sur mon MP3.

Samedi matin, on prend la direction de Perpignan.

On arrive à Vernet-les-Bains en milieu d'après-midi.
La location consiste en une pièce principale, avec cuisine équipée, petite salle de bain et chambre à coucher.
Je suis un peu anxieux avant d'arriver, je me demande sur quoi nous allons tomber – même si le chemin de Saint-Saturnin est a priori un endroit calme et sympa.
Les propriétaires qui nous accueillent sont un couple de retraités à demi-sourds, qui font des cures thermales à répétition, qui arrosent leur jardin, figés comme des statues sous un chapeau de paille ou une casquette, et qui vivent reclus dans leur villa le reste du temps, entourés de deux Terre-Neuve grommelant.

Le proprio
Le mobilier est vieillot, le frigo fait un bruit de tous les diables, les papiers peints sont déprimants, les petits tableaux aux murs sont monstrueux, mais il y a une terrasse – où nous pouvons prendre les repas.

Vue depuis la terrasse
JC dort sur le convertible dans la pièce principale, vu qu'il a besoin de la télé pour s'endormir, tandis que je garde la chambre, avec son lit grinçant et sa moquette blanche à gros poils. De la fenêtre, je peux apercevoir l'église du village et tout le massif du Canigou.

On va faire les courses à l'Ecomarché.
JC a ses petites manies alimentaires, j'ai les miennes.

Le soir, on déambule dans les ruelles du village. C'est ambiance de fête, pour cause de championnat du Canigou, avec sardanes, camionnette de la Française des Jeux et animateur ultra-bête à la clef. Et pas un seul petit minet à l'horizon. On se sauve.

Villefranche

Dimanche
Piscine dans une eau bleue turquoise.
Partie d'échec entre deux bains – je joue si peu que je mets trois plombes pour avancer un malheureux pion, JC enrage, mais je le mets mat – enfin, ce sera la seule fois du séjour. Je n'ai même pas le temps de méditer, rôtissant sur ma serviette, tout juste je remarque que le maître-nageur n'est pas le même que les années précédentes.

Un petit bout de Saint-Martin

L'après-midi, on monte à Saint-Martin-du-Canigou.
A Casteil, au retour, on s'achète un litre de jus de raisin des vergers de la montagne, qu'on siffle en dix minutes.
On termine par une promenade à Villefranche, avec ses remparts, ses touristes, ses simili-artisants désœuvrés. Son marbre rose, son gisant de bois, son ambiance médiévale.

Lundi
On décide d'aller à la mer.
En chemin, je suggère de faire un arrêt à Eus, petit village minéral agrippé à une colline grillée par le midi, où la roche et les habitations se mélangent si bien qu'on a peine à les distinguer.

Eus

Ambiance grosses fesses et crème solaire
Arrivée à Canet-Plage, la station balnéaire de Perpignan, moche comme tout. La méditerranée ne bouge pas, ça me trouble à chaque fois, comme si je me retrouvais au bord d'un grand lac, d'un truc complètement artificiel.

Tout le monde s'agglutine au rivage, tout le monde est malpoli.

Le soir, on dîne dans un petit restau catalan du centre de Perpignan (JC étant du genre à choisir la première vilaine brasserie venue, je dois prendre les devants et nous forcer à chercher un peu).
Au moment de regagner la voiture, le temps se couvre brusquement et la pluie se met à tomber.
Retour sur Vernet, dans un crépuscule mystérieux.
Vers minuit, après avoir refermé les deux portes qui séparent le salon de ma chambre (vu que je ne supporte pas le bruit de la télé), j'éteins la lumière, j'ouvre la fenêtre et j'écoute un peu de musique en regardant le ciel.
Les nuages se dissolvent, les étoiles apparaissent.

Mardi
Je fais LA grande randonnée prévue, non sans appréhension, car les prévisions météo restent incertaines – même à 7 heures, lorsque je quitte la maison d'un pas alerte et décidé, dans la fraîcheur du matin pyrénéen.
Mais le beau temps se maintient, tant et si bien que je m'octroie quelques détours en chemin, et je ne rejoins JC sur la place du village que vers 18h, ravi de ma journée, au point que je me demande si je ne suis pas venu à Vernet juste pour ça.
Compte-rendu illustré de la journée
Le soir, il y a une grosse araignée qui m'attend dans la chambre, sur la moquette à poils, je deviens folle – mais malgré mes courbatures, j'arrive à l'expédier ad patres.

Mercredi

Virée en Andorre.
C'est papi qui affectionait ce genre d'excursion – donc bêtement j'ai suggéré l'idée.
Mais au fur et à mesure que la journée avance, on se demande un peu ce qu'on fiche là : la route est longue, les embouteillages à la frontière pénibles, le temps se dégrade, la ville d'Andorre est affreuse et les magasins vendent tous la même bimbeloterie. Il n'y a que l'alcool qui vaille le coup – même les prix des parfums et des cosmétiques ne sont pas intéressants.
On avale un morceau dans un boui-boui (un Francfort-frites !), puis on se paume dans les rayons du magasin Pyrénées.
JC en ressort avec 2 litres de Sanex, un radio-réveil et une housse d'appareil-photo, et moi avec plein d'alcool, de l'huile d'olive et une ampoule de frigo.
Dans mon souvenir, l'ambiance était plus poétique, moins vénale, il y avait moins de monde, moins de pollution, la lumière était plus argentée, l'agitation commerciale ne sautait pas aux yeux.

On aurait mieux fait d'aller à Barcelone.

Vers 19h, alors que nous quittons seulement les faubourgs d'Andorra-la-Viella, des masses de nuages noirs assombrissent le ciel, et en quelques secondes, autour de nous, ce n'est plus qu'éclairs aveuglants, pluie battante, grêle assourdissante et violentes bourrasques. Je vois les sapins ployer, plier, gigoter comme une chevelure sur le bord de la route. Je demande à JC, récalcitrant, de se garer quelques minutes.
Ça se calme un peu, le front orageux nous dépasse.
On traverse le plateau de la Cerdagne, plongé dans la nuit ; la douane volante nous arrête quelques instants ; dans l'habitacle, c'est une alternance de silences opaques, de propos futiles et de radio FM. Puis ce sont les hautes vallées du Conflent, et ses virages dangereux. Sur l'horizon, on aperçoit encore l'orage qui sévit, faisant surgir par intermittence la silhouette fantomatique de la montagne. Tout est plein de mystères, une fois de plus.

Jeudi
La piscine est fermée – problème technique. Déception.
On déjeune tranquillement sur la terrasse, sous un ciel mitigé. On prend le café en feuilletant les magazines, Tetu et compagnie.
En fin d'après-midi, on va se dégourdir les jambes dans les gorges de Carença.

Le sentier fait un passage en corniche impressionnant. Je rase la paroi, je suis pris d'un peu de vertige.

Sur la route du retour, on fait un arrêt aux grottes des Canalettes, mais elles ont déjà fermées.
Je suggère de prendre l'apéro à Fillols, pour changer de Vernet.

Le village est plus modeste – avec sa trentaine de maisonnettes et sa petite mairie – mais la place centrale, le soir, est étonnement animée. Les enfants jouent gaiement au ballon ou font du tricycle, les parents – style néo-bab ou bobos débonnaires – prennent un verre, la mine détendue, le verbe jovial. Tout le monde semble se connaître, tout le monde se mélange, les jeunes et les vieux, avec ou sans accent, les maisons sont grandes ouvertes, on voit tout ce qui s'y passe, les petites filles paradent dans des robes colorées, les petits garçons courent après la balle, un bébé dans son berceau s'attache à JC, la place rayonne de vie, pendant que la petite église sonne les huit heures.

A l'écart, sur un banc publique, une petite fille raconte des secrets à un jeune ado au duvet naissant.
Ça change de Vernet-les-Bains et de ses momies rhumatisantes.

Vendredi
Piscine toujours fermée.

On monte en voiture au col de Jou, d'où l'on grimpe à pinces jusqu'à la tour de Goa.
Au pied de la tour, un lézard exhib se laisse photographier par JC dans toutes ses contorsions.
La lumière est très intense sur cette crête à midi, tout y est bleu.
Déjeuner au Cortal.
L'après-midi, pendant que JC fait la sieste, je prends la voiture et je remonte au col de Jou (la route est étroite, les lacets serrés, et j'ai l'impression de conduire un camion, c'est horrible)
Je continue à pied jusqu'au col du Cavall Mort, d'où je gagne les gorges du Cady par un sentier en sous-bois.
Arrivé au niveau du Cady, je suis censé rencontrer l'itinéraire qui remonte les gorges, mais il semble avoir complètement disparu sous la végétation folle et les éboulis.
Je crois que de nombreux sentiers du Canigou ont ainsi disparu, et ma vieille carte loqueteuse n'est plus à jour.

Au retour, je déambule dans la belle forêt de Marialles, le long du petit canal d'irrigation.
Je tombe sur des plants de framboises, de cassis et de groseilles sauvages. J'avais oublié ma bouteille d'eau, et ces fruits étanchent un peu ma soif.
Je suis de retour vers 19h30.
On reprend l'apéritif à Fillols, où un concert de « jazz manouche » est prévu. On discute avec un couple qui vient d'acheter une petite baraque sur la place – ils aiment l'atmosphère conviviale du village, mais ils se demandent comment sera l'hiver.

Samedi
La séance ménage expédiée, on paye les proprios, et nous voilà filant sur la route de Perpignan.
On décide de faire un arrêt plage au Barcarès.
Décidément, je n'aime pas ces rivages bétonnés de la méditerranée.

Le soir, nous sommes à Montpellier, dans un bar connoté de la place du Marché aux Fleurs, où quelques jeunes homos minaudent en racontant leur dernière soirée.
Restau bio-gay.
Puis à l'hôtel, un petit truc pas cher dans le centre.

Dimanche
JC rentre à Grenoble. Je déambule toute la journée dans Montpellier, désertée par ses habitants, sillonnée par des poignées de touristes.
Les petites rues du vieux centre, l'Ecusson, sont très jolies.
La plupart des musées sont fermés, je rentre dans des églises où il n'est question que de Saint-Roch, je m'ennuie un peu, j'appelle F. P. au cas où il serait sur la ville, je tombe sur son répondeur.
Fin d'après-midi, je récupère mes bagages à l'hôtel, alourdis par le linge sale, l'huile d'olive et les apéritifs andorrans, et j'arrive à Paris vers 22h.

Mardi 23 août 2005

Goury
Week-end dans la Hague.
Lieu magnifique, mais la présence de la famille – pourtant si étroitement liée à ces paysages sauvages – m'a été très pénible cette année.
J'ai eu l'impression d'avoir été ligoté, mis en cage. C'était irrespirable, alors que nous nagions tous les cinq en pleine beauté.

Maman, chiante au possible, culpabilisante et auto-culpabilisée, tourmentée par son rôle de mère, obsédée, traquant chez les autres ce qui lui semble déraisonnable ou critiquable.
Papa, sûr de lui, égoïste, étourdi, à l'ouest, donnant raison à maman tant que cela lui permet d'avoir la paix.
Sarah, dont le report affectif sur Chatouille, sa chatte, a maintenant viré au pathologique.
Zoé, la punky, plongée dans une sourde rébellion.
Et tout cette petite famille garde la tête haute, au restau de Goury, ou au Super-U de Beaumont.
Et toute cette petite famille se dispute, ou bien éclate de rire, dans des paysages splendides.
Mais quels sont ces malotrus qui garent leur voiture juste devant la fenêtre d'où nous pourrions contempler le vieux port en dégustant nos fruits de mer ?
Sauf que ces malotrus sont peut-être plus heureux et épanouis que nous.


Après avoir raconté mes vacances, le premier soir, et constatant que la névrose familiale était particulièrement vive cet été, je me suis muré dans le silence.
Depuis quelques années, S. s'est repliée comme une huître sur nos parents, auxquels elle présente son chat le dimanche, comme elle ferait visiter son fiancé, sauf qu'elle n'a plus de petit copain depuis longtemps. Tous les trois ils jouent au scrabble le week-end, et S. raconte sa vie par le menu, de la chasse d'eau aux croquettes de Chatouille, évitant tout ce qui pourrait attester de sa fragilité et de sa souffrance – ses manques profonds, sa solitude, son besoin d'amour, ses désirs d'enfant, que sais-je.

Le nez de Jobourg
Au final, ça crée une relation œdipienne malsaine, explosive, en tout cas pour Zoé, qui balance entre Calvin et Hobbes et Rock and Folk, qui a un corps de femme maintenant, un corps qui palpite sous son tee-shirt vert épinard, sa jupe jaune canari à poix blanc, ses rangers mal lacées et sa coloration brunette, et qui croit que nos parents sont des vieux cons, alors que ce ne sont pas des vieux cons, mais des personnes sensibles et brillantes, mais malades, malades dans leur tête, et qui ne guériront pas, et qui auraient dû s'allonger sur le divan depuis longtemps, à commencer par ma mère, qui est intimement convaincue que c'est papa qui ne va pas bien.
Bien sûr, Z. n'est pas irréprochable dans ses poses exigeantes d'enfant gâtée, mais ses rebuffades apportent souvent l'accent de franchise, la touche de nature, la pointe de fraîcheur qui manquent tant à la cellule familiale, même si c'est une fraîcheur plutôt verte.

Dans cette cristallisation névrotique, je suis incapable de garder la tête hors de l'eau. Si j'avais un copain et un boulot, ma voix serait plus assurée, et je pourrais m'exposer davantage, donner plus de détails sur ma vie, envoyer bouler ma mère lorsqu'elle devient pénible. Ils savent que je n'ai pas de copain, ils doivent se demander si je suis heureux sur Paris, et je n'ai pas le courage de leur dire que non, je ne suis pas heureux.
D'une certaine façon, Sarah se trouve dans la même situation.
Mais je préfère ne rien dire, m'absenter – je bénis les 130 kilomètres qui séparent Rouen de Paris – parce que justement il y a une distance à maintenir, une rupture à conserver.

Vauville
L'amour n'existe plus dans ma famille. Pas en surface. Il coule sous les pierres, sous la roche, sous le sable, dans des canalisations, des galeries souterraines, il coule à gros bouillons et ne sort pas, ou pas pour les bonnes personnes.
Quand ai-je, pour la dernière fois, entendu ma mère exprimer une marque d'affection pour mon père ? Quand mon père m'a-t-il, pour la dernière fois, pris dans ses bras?
Quand mes deux sœurs ont-elles, pour la dernière fois, plaisanté ensemble ?

Tout ce cirque de sous-entendus, de non-dits, de piques et de culpabilités est tellement insupportable que je me remplis de haine, d'une haine noire devant tant d'infantilisme et d'orgueil, et de fausseté.

Parfois j'ai pensé leur dire que je les aimais.
Ne conseille-t-on pas de dire à ses parents qu'on les aime, lorsqu'il est encore temps ?
Ou est-ce encore ma propre culpabilité à l'œuvre, alors que l'amour parental est peut-être justement celui qui m'embarasse et me gêne dans la quête d'un autre amour ?

Je vois déjà les bras de ma mère se tendre et se refermer sur moi, comme les tentacules d'une méduse, me déglutir, me réabsorber, comme si elle n'avait attendu que cet instant : me réapproprier, moi son fils, et consoler ses angoisses de mère.
C'est mon rapport à mon père qui est le plus difficile, parce qu'il existe à peine, on dirait un souffle, un brin d'herbe, un voile de crêpe, une ébauche, un lien fragile qui semble à chaque fois venir de naître, n'avoir jamais vraiment existé, un truc sans consistance, sans mémoire, sans histoire, le même rapport depuis la nuit des temps.
Il n'y a que cette lettre, où il affirme que mon homosexualité ne change rien aux rapports qu'il y a entre nous, et qu'il faut que je sois heureux avant tout – enfin, est-ce ce qu'il écrit vraiment ? je ne me souviens plus très bien. L'une des rares fois où il s'est adressé à moi pleinement, en tout cas.

Bref, un week-end dans la Hague un peu lourd, malgré les ciels bleus et limpides, les rhododendrons et les massifs de bruyère en folie, malgré les grandes plages désertes et les sentiers des douaniers, malgré les mûriers géants, couverts de fruits acides, tièdes et sucrés.
Dans le corail qui me ramenait de Cherbourg à Paris, dimanche soir, il y avait un joli garçon assis dans la rangée opposée, avec une tignasse brune ébouriffée d'ado, un regard vif, et un soupçon de rose sur les pommettes. Lorsque le train s'est ébroué, ses parents, debout sur le quai (de bons faciès de normands) lui ont fait de larges signes de la main, auxquels il a répondu avec un visage ému. Puis il a cherché à joindre des gens sur son portable, avant de finir par s'assoupir, peu après Caen. Nos regards se sont croisés à plusieurs reprises, tout en s'évitant aussi, comme gênés.
Dans le hall de Saint-Lazare, je me suis retourné pour voir où il était. Il arrivait juste. Il me double par la droite. J'ai le cœur qui bat, je suis mort de trouille, je le regarde de biais. Mais ses yeux ne bougent pas, il avance d'un pas ferme et décidé, semble excédé, puis il me dépasse et bifurque brutalement sur la gauche.
J'ai failli ouvrir la bouche, mais depuis ce râteau lamentable que j'ai pris une fois en sortant d'un corail, je suis méfiant.
Son visage m'a obsédé 24 heures durant, maintenant il s'estompe.

La nuit dernière, j'ai rêvé qu'un taureau cherchait à m'embrocher, et tout n'était que ruses, courses, défilades pour lui échapper. J'ai aussi fait ce rêve compliqué où il était question de constructions, d'édifications, de mises en place patientes et délicates : pas à pas j'élaborais quelque chose, mais quoi ? une ville, un paysage, je ne me souviens plus. Il y avait des règles à respecter, à la manière d'un jeu de société, un timing, des contraintes. Je crois que j'arrivais à m'en sortir.
Le rêve avec le taureau est venu peu après, et là je me suis fait avoir à plusieurs reprises.
J'ai fini par comprendre qu'il fallait toujours maintenir un obstacle entre lui et moi, sinon il m'atteignait irrémédiablement.

Hier soir, avec Nico et Marteen, vu le film Eros. Puis un restau thaï dans le 11ème. Blablas sur nos vacances respectives.

Pour les images, voir ces petites notes cotentines.

Mardi 30 août 2005

Aux Buttes Chaumont, les garçons marchent
Ça sent la rentrée. La rue du Temple s'anime.
C'est surtout le matin que je le ressens, il y a une indicible fraîcheur dans l'air, une atmosphère plus légère, plus vivante.
Je n'ai rien fait.
Quelque courses – des cosmétiques avec Marteen samedi, rue de Rennes, avec nos petits sacs, nos ricanements, et nos démarches de reine – , quelques cinés, un roupillon aux Buttes-Chaumont, des bières lentement avalées – comme hier soir, avec 4 étudiants de bonne famille à Saint-Michel.

Quelques CV remaniés, des offres d'emploi épluchées, des réflexions de petite envergure, des angoisses que je dois chasser.

les garçons dorment...
Je nage dans le brouillard.
Où est-il, ce fameux jeu de construction dont je rêve parfois la nuit, et que je mène à bien ?
Mes rêves ne sont pas toujours aussi positifs ; la nuit dernière, je me retrouvais à Préférences. Personne n'avait fait attention à mon retour. Les locaux avaient changé. Dans les toilettes, je réalisais qu'O. et JP. pouvaient me voir, par un gros trou dans la cloison, et je me cachais précipitamment. Mon Dieu, comme je déteste cette boîte, comme elle m'a désespéré, coupé dans mon élan. A croire qu'il était même déplaisant d'y faire pipi.

Beaucoup de boîtes cherchent des développeurs J2E, et je n'ai rien de tel à mettre en avant.
Je lis des annonces étonnantes, des missions à l'étranger, des technologies pointues. Mais ce ne sera pas pour moi, jamais. Trop de nouvelles compétences à acquérir, trop peu d'opportunités. Et je commence vraiment à me lasser d'être en perpétuelle formation.
La difficulté, c'est de se dire que j'y arriverais très bien, que j'ai des capacités, mais voilà, je n'ai pas l'expérience requise, pas la bonne, pas celle-ci, ou bien pas celle-là.
Alors je me drape dans mon orgueil, après tout, tant pis pour eux.
Ensuite, c'est une réflexion métaphysique sur le succès et l'insuccès dans la vie, sur à quel point les choses se jouent de peu, à quel point il faut s'accrocher, dans un système qui ignore les plus faibles, qui les abandonne à leur destin de ratés, quand il ne les anéantit pas.

Un bar ce soir...
Pour finir, et comme il faut bien conclure sur quelque chose, je me dis que je m'en fiche. Tous mes rêves sont balayés, je suis rétrogradé, je vivrai comme un ermite, tout ce que j'aurais pu élaborer, produire, de beau et d'intelligent, tout cela ne sera pas.
Je mangerai des cacahuètes.
Je mange déjà des cacahuètes, comme ce soir, avec une gentille bière blonde, dans un petit bar du port de Bastille.

Je dois en permanence essayer de me stabiliser psychologiquement. J‘ai arrêté l'antidépresseur, de toute façon il ne m'aidait pas, enfin je ne crois pas. Mais je sens en moi ce besoin de parler, de verbaliser cette horreur, ce trop-plein de tristesse, de reprendre mon analyse peut-être, – c'est si bon de pouvoir s'épancher dans un grand silence, d'avoir un temps et un espace à soi – mais la peur de cette intense sensation d'échec, de totale inutilité qui me saisissaient avec Isco., au moment même où j'étais le plus mal, la peur de me confronter de nouveau avec la mort et la frustration, me freinent. Passé le premier moment de soulagement à vider son sac, c'est la quadrature du cercle, le constat que rien ne s'arrange avec le temps. Je sens bien que je pourrais me passer de cette expérience si ma vie me procurait davantage de satisfactions et de plaisirs.

C'est comme si l'on m'amenait de force auprès d'une haute falaise, devant un grand vide cosmique, dans une nuit d'encre, que je m'effondrais en disant que j'allais mourir, et que l'on me regardait avec un silence glacial, un silence qui semblait vouloir me répondre : naturellement.

Dimanche 4 septembre 2005

Jeudi, soirée à l'atelier.
C'était bon, c'était bien, tout le monde était gai, frais, jovial, comme on peut l'être au retour des vacances, que l'été est encore là, et qu'on savoure quelque chose qui a mûri.
Passé un certain degré d'alcoolisation, comme obéissant à une sorte de réflexe darwinien, Nico sort son sac à fantasmes, c'est à dire sa panoplie de perruques kitch.
Et en dix minutes, nous voilà tous affublés d'un affreux machin à poils, enroulés d'horribles froufrous ; on se regarde les uns les autres, on éclate de rire, on échange les panoplies, on se regarde de nouveau, d'un air navré ou moqueur, et puis les discussions reprennent, absurdes : les considérations bourgeoises sur les différences de classe dans les avions, les analyses politiques sur l'Amérique de Bush, les digressions gastronomiques sur les basic sauces de la cuisine asiatique (Lisa, Marteen et Nathalie avaient préparé des tas de choses aux noms imprononçables) et au bout d'un moment, on ne sait même plus de quoi on parle, les bouteilles de rouge sont presque toutes vides, les cendriers débordent de cochonneries et de cadavres de joints, et on a oublié qu'on avait toujours nos sales trucs sur la tête.
C'est le moment que choisissent quelques filles pour disparaître, j'y prête d'abord à peine attention, et puis le lavabo se vide, il y a de l'agitation, on se croirait sur un quai de gare, et en quart de tour, hop, je me retrouve comme une crêpe, la dernière crêpe dans l'assiette, seul avec Nico, qui a les paupières lourdes comme du plomb, un sourire vissé sur le visage, et qui essaye de comprendre ce que je peux bien marmonner dans ma moustache, tandis qu'un doux silence règne dans l'atelier, car le CD s'est arrêté depuis longtemps. Et l'on se sépare, il monte se coucher, tandis que je me laisse descendre le long de la rue Jean-Pierre Timbaud, je regagne mon studio, avec les idées vagues, fumeuses, pas bien définies.

Samedi matin, ma dentiste préférée, la folledingue, m'a trouvé une gingivite – je soupçonnais quelque chose du genre en effet, mon haleine avait empiré ces derniers temps. Elle m'a torturé. « Mmm… c'est bien hémorragique tout ça… » me dit-elle en scalpant mes gencives.

Samedi soir, concert au forum des Images. The Durutti Column – un guitariste mélancolique, une icône solitaire oubliée, un revenant du début des années 80, époque Joy Division, un vieil ado sensible et doué – j'étais content. Précédé d'un groupe français technico-bruitiste absolument nul, j'ai passé mon temps à essayer de me boucher les oreilles, d'une façon qui paraisse naturelle.

Aujourd'hui, promenade dans le XVIe – avec son architecture large et austère, je voulais voir la rue Mallet-Stevens.
Et ce soir, impression de rentrée scolaire : je commence un nouveau boulot demain, un CDD de 6 mois dans une agence du 11ème – pas loin. Comme si j'allais intégrer une nouvelle classe, affronter de nouveaux professeurs et me faire (peut-être) de nouveaux petits camarades. Ai-je bien préparé mon cartable ? Petits carreaux ou carreaux Seyes ? Carnet de correspondance ? Emploi du temps ? Tickets de cantine ? Le radio-réveil, quelle heure ? L'horreur.
Vite, un lexo.

Mercredi 7 septembre 2005

Ces boîtes qui dégraissent et qui recrutent du monde en permanence, c'est louche, et je suis tombé dans le panneau, évidemment.
Ç'aurait été un CDI, je me serais déjà mis la tête dans le four à micro-onde, là, dans leur sombre petite cuisine, à côté de la cafetière, derrière les cartons pleins de câbles et les vieux claviers.

Ils ont 4 clients (des sioux de la vente, mais des dinosaures de l'informatique) qui veulent fusionner leurs vilains systèmes d'e-business en une solution jeune et dynamique, et le chef de projet technique, c'est moi.
Avec le scénario habituel, le pire : des deadlines pas réalistes, des clients exigeants, des contraintes techniques hallucinantes, et pour couronner le tout, une plateforme logicielle faite maison à intégrer absolument sur le projet – le machin lourdingue et sans specs, dont l'inventeur, qui est aussi le directeur technique de la boîte, ressemble à une sorte de gros ouistiti rustaud, vulgaire, gauche, avec une voix criarde et un débit épuisants.
Les projets les plus affreux sur lesquels j'ai travaillé par le passé sont de doux alizés en comparaison.
CDD de 6 mois. Depuis lundi, je fais preuve d'une patience et d'un sang-froid exemplaires.
J'imagine parfois que je jette l'éponge, que je peux encore sortir du cauchemar. Et puis je me reprends, je me dis que j'en ai rien à foutre, que c'est à moi d'imposer le cadre après tout, que s'ils ne sont pas contents, ce sera tant pis pour eux, in the end.
Heureusement, il y a MR, une fille embauchée comme moi sur le projet, qui ne mâche pas ses mots, et avec qui je m'entends bien. Elle a crisé ce matin en réunion. A deux, on pourra se soutenir.


Et puis ce soir, cours de chant avec un nouveau prof. Près de l'avenue de Clichy, dans un bâtiment étriqué et miteux – il faut traverser une vieille librairie, passer une porte de service, grimper un escalier vermoulu.
Il est néerlandais, c'est tout ce que je sais de lui.
Je frappe à la porte que m'a indiquée le libraire (une hulotte dans un cagibi de partitions d'occasion), ça répond ouiiii ?, j'ouvre, et, oh mon cœur, mon cœur ne t'emballe pas, mon cœur reste tranquille, ce n'est qu'un beau garçon, ce n'était pas prévu au programme, certes. Je lui souris, il me sourit, je me glisse dans la pièce, quelque chose sur son visage semble s'illuminer aussi – où est-ce moi qui rêve ? – on se présente, et voilà c'est parti, j'essaie de chanter, malgré mon trouble, mon envie folle de lui sauter au cou.
Bilan, au bout d'une heure : il est quand même un peu mou, pas très expérimenté, plus cher que GG dans sa cave humide, et il ne peut pas faire cours le samedi.

Pareil, même cruel dilemne que pour le boulot : qu'est-ce que je fais, je rappelle l'autre, avant qu'il ne soit trop tard, qu'il n'ait plus de place le samedi, ou je le garde lui, avec ses yeux bleus à tomber par terre, sa coupe militaire, son accent tééllment hollânté, et ses manières courtoises, fondantes ?
Le pauvre, il n'a pas beaucoup d'élèves, il galère, ça se voit. Assailli par mes sentiments, je n'ai pas osé lui dire que j'hésitais à le revoir.
Peut-être juste une fois de temps en temps, histoire de travailler l'interprétation ?

Si seulement le directeur technique de ma boîte, le singe à lunettes, ça pouvait être lui. Si seulement les projets d'e-commerce pouvaient consister à chanter toute la journée du Haendel en compagnie de jeunes et gentils bataves, à la voix suave et aux bras puissants…

Du coup, ce soir, dans les rayons du Monop, j'étais complètement à l'ouest, et j'ai acheté n'importe quoi.

Jeudi 8 septembre 2005

J'ai rendu mon tablier.
J'avais pris la décision hier soir, juste avant d'aller me coucher. L'idée s'était insinuée en moi comme un grain de folie passager, comme une pensée courte et rêveuse, excitante, mais inoffensive, histoire de rêver une seconde. Et puis l'idée a fait son chemin, elle s'est installée, me mettant sous pression et m'ôtant le sommeil. Ce matin, j'avais la tête lourde, et je savais que je quitterai l'agence le midi même.
Ils ont essayé de me retenir ; MR m'a tiré à une terrasse de café pour discuter. C'était triste, car elle aurait visiblement aimé travailler avec moi, et moi avec elle.

En rentrant ici vers 14h, je me suis mis à pleurer – je portais en moi une telle sensation d'échec, j'avais une telle honte de moi-même, que j'ai appelé l'APEC pour faire le point, me décharger un peu. Il y a quelque chose qui cloche, je crois que je ne supporte plus le milieu de l'informatique, je suis complètement paumé.
Ou alors c'était le mauvais projet, au mauvais moment.
Ou alors ma dépression et mon angoisse sont telles que je suis devenu incapable de m'investir dans quoi que ce soit.

Peut-être aussi que la rencontre avec ce jeune hollandais m'a tout retourné, en me désignant quelque chose de simple, d'humain, quelque chose d'élémentaire qui avait déserté ma vie : le désir soudain, l'affection subite, sincère et inattendue, le plaisir de faire des choses qui partent du cœur, dans le dénouement peut-être, avec l'incertitude de l'avenir peut-être, mais des choses qui me parlent, qui me paraissaient vraies, et fortes en regard du reste.
C'est aussi cela qui m'a amené à me dire, inconsciemment : ce travailleur efficace et effacé qui conçoit des architectures informatiques et qui analyse des flux de données, ce n'est pas moi, pas sur le fond, je peux le faire parce que je conceptualise, sans doute, mais ce n'est pas moi, et je ne sais plus qui je suis, je suis seul, mal, et je me fais honte.

Chez Nath et Ludmil
La tête sur le point d'exploser, je me suis calmé par une promenade sur les quais.
Puis je me suis tapé l'incrust chez Nath et Ludmil - c'était le cours de cuisine thaï, sous la baguette de Lise.
J'avais du mal à suivre les discussions, à me sentir concerné, je me suis consolé avec la soupe à la citronnelle, divine.

Mais de quoi parlent-ils ?
Quelles sont leurs relations ?
Est-ce qu'ils s'aiment ?

Dimanche 18 septembre 2005

Vu Alix, de passage à Paris. Après le cinéma, place d'Aligre, on a remonté les boulevards en discutant.
Alb. est en liberté conditionnelle, et tous les deux, ils n'en peuvent plus de mamma e papà, et de la grand-mère avec sa pasta, et de l'assistante sociale, qui fait les gros yeux, et des juges, et des procédures, et des confusions de peine, et de toute cette petite ville minable qui épie ses Bonnie and Clyde derrière ses fenêtres, qui les voit se promener dans la rue tard le soir, quand ils ont obligation de rentrer avant 22h. Donc Alix est de passage sur Paris pour régler quelques affaires, comme retrouver un malfrat dans les bars de Puteaux, un type qui pourrait produire des faux, ou visiter la CAF, qui a eu vent de son séjour en Italie. La fille, au guichet de la CAF, consulte son ordinateur et lui demande posément : « Donc vous êtes allée en Italie ? ». Et Alix, prise de cours, qui répond tout à trac : « Je ne sais pas. »

RV à l'APEC, où la conseillère a le même regard bleu et vide que mon voisin fou, elle me fait peur. Quelle idée idiote de les avoir appelés aussi, maintenant j'ai des devoirs à rendre : joindre la médiathèque Truc, la bibliothèque Machin, leur proposer un projet, zut.
Et puis il y a le , avec son administration kafkaïenne, ses agréments, ses dossiers de demande de diplôme, ses profs de fac qui se renvoient la balle, d'accord sur tout, utiles en rien.

Séance rempotage
Moi, un coup ça va, un coup ça ne va pas.
Tenté un nouveau psy – elle m'a pris 70 euros la connasse.
Pour le reste, petits musées, petites promenades, un coup de Monop, un coup de puces de Montreuil, une existence passive, sans attrait, sans beauté, sans courage.
L'automne gagne du terrain, il fait frais, les feuilles crissent sous les pas.
C'est difficile de vivre avec ça, de se renvoyer une image aussi rachitique – alors qu'au fond de soi, les idées et les émotions se déploient, grandes et belles, vastes comme des paysages ; je voudrais pouvoir appuyer sur le bouton rouge, stopper la machine, la rattraper, lui grimper dessus, et crier : voyez, moi aussi je... moi aussi je...
Une vie palpitante, à Montréal ou à Berlin, des amants plein les placards, des soirées ahurissantes...
Mais ça continue, j'ai la voiture-balai qui me colle au train, et je me noie lentement dans des pensées sans fond : suis-je à ce point anormal, si insupportable ?
Parfois je me mets à me répugner, comme au collège. Mon corps me dégoûte, ma tête me dégoûte, ma masturbation me dégoûte, tout ce que je prononce me dégoûte.
J'entre dans la salle de bain, je regarde vers la glace, je vois une gargouille, je comprends tout.

Rue de Montreuil
Ça se calme lorsque j'arrive à me convaincre – sur un bout de ciel, sur une peinture, sur quelques phrases lues dans un livre – que je ne suis pas si nul, que même si c'est vrai ça n'a pas beaucoup d'importance, que le monde est plus compliqué que ce que les rues de Paris donnent à voir, plus compliqué que ce que mes proches peuvent faire de leur propre vie, plus compliqué que ce qui se raconte sur internet, que les chemins sont tous différents, et que je ne dois pas m'inquiéter de ce que je n'ai pas encore trouvé dans le monde de quoi apaiser mes craintes, mes désirs, mes besoins d'aimer.
Mais quel effort pour en arriver à cette grande sagesse, oh la la.

Du coup, mes rêves se remplissent de vie et de mort, de noir et de blanc.
Cette nuit je voyais un type escalader une machine justement, un pauvre bougre, il se fourre la tête dans un sac – je sais qu'il va se suicider – et le voilà qui se précipite dans le vide en effet. Je détourne les yeux, épouvanté, et je me sens triste, très triste, parce que je n'aime pas voir la vie se briser, je n'aime tellement pas ça. Même une pauvre plante verte abandonnée sur le trottoir, ça me fait un pincement au coeur. Et je ne parle pas des animaux.
Bref, je regarde de nouveau vers le type, et je le vois qui s'agite sur le sol, non, il n'est pas mort, alors je m'excite, je lève les bras au ciel, il faut appeler les secours. Quel cinéma.
Ces différentes identités, paradoxales, mouvantes, que je porte en moi, c'est compliqué, elles sont vraiment très contrastées, je n'arrive pas à les gérer. Et puis je n'arrive pas à camper sur un je, je me rejette, je me dérobe, je me recherche tout le temps, c'est épuisant.

Vendredi 23 septembre 2005

Récap :

Le pourboire de Nico (mais je ne sais pas où il a été cherché que j'étais fidèle...)
Lundi soir, je n'ai pas rappelé le (faux ?) skinhead en (vraie ?) tenue de CRS – pas la peine de se forcer, hein.
Mercredi, tracasseries au – deux heures de rien du tout.
De 16 à 17, je pousse des cris avec mon jeune Hollandais, autour d'un Petrof – un quart de queue aux basses puissantes.
A 19h, je m'écroule sur le lit, les rêves me recouvrant déjà comme des toiles d'araignée.
Marteen me tire de ma torpeur deux heures plus tard.
Restau chez les ivrognes de la rue des Fontaines.
Ils sont terribles.
Elle, soucieuse, les cheveux dans la bouche, aussi confiante dans sa cuisine que je le suis dans la vie. Lui, ramolo-négligé, disert, petit sourire narquois accroché aux lèvres, il vient nous causer, il oublie le Côtes du Rhône.

Hier, à U.-E., le graphiste n'est pas venu. Brasserie en terrasse avec Pierre. Ciel bleu comme le Pacifique.
La Motte-Picquet : son magasin la Redoute, son Celio, ses petites vieilles à cabas, ses façades moches.

Excursion à la médiathèque Mahler.
Bel immeuble du 8ème. Faut sonner. Tapis rouge. Escalier princier. 1er étage. Une petite souris fripée vous accueille dans le couloir et vous demande poliment ce que vous voulez. Je balbutie. Des murailles de livres, deux tonnes de verve musicologique minutieusement classée, trois tonnes de microsillons pas-le-droit-de-toucher, un étudiant figé à sa table de travail – il est vivant ? – pas une poussière. On n'emprunte rien, on paye pour consulter. Crac, crac, fait le parquet. Au revoir madame.
Pourquoi j'étais venu au fait ?

Je leur ai demandé d'être sensuels !
Hier soir, chez N. et L., pour la Thursday's cooking lesson.
J'arrive avec mon pinard, juste quand tout est déjà prêt, ça me met mal à l'aise – surtout qu'ils sont gentils, faudrait pas que j'abuse. En même temps, voilà, j'avais envie de ne rien faire, juste manger, rigoler. J'étais un peu de mauvais poil quand même (je m'en suis rendu compte après), mais je ne sais pas pourquoi.
Lise, la composée, avait introduit une de ses mauvaises fréquentations, un poupin rose américain hilare, l'air sympa, tendance fashion queen. Après, dans la rue, Nicole – salade crue – me dit que je voulais le sauter, mais non, mais non, c'est pas ça du tout. D'abord, de quoi aurais-je été capable, surtout en ce moment ? Je suis aussi chaude et sexy que le bout de plastique qui emballe les préservatifs.
C'est le côté international qui m'excite, l'introduction d'une étrangeté, d'un horizon différent, qui fait que le langage va peut-être véhiculer plus facilement et plus sincèrement ce que nous sommes, malgré l'inanité relative de ce qui se dit, par dessus les prons et le poulet tandoori.

Dans mon petit lit, juste avant d'éteindre la lumière, et non sans une pointe de jalousie, je m'étonne de ce qui peut amener des gens pareils à se rencontrer, à passer des moments agréables ensemble, à organiser des trucs et des machins, à faire des chaînes, à tisser des relations qui dureront le temps qu'elles dureront, peut-être pas très longtemps, mais peu importe.
Le désir ?
L'affection réciproque ?
Quelle énergie en tout cas.
J'en manque tellement.
Elle me file entre les doigts, elle coule dans le siphon à peine ai-je ouvert le robinet.

La tour Eiffel, les touristes, les pigeons, les poulets, les costumes 3 pièces... ça c'est Paris !
Today, déjeuner près du Trocadéro avec un informaticien binocleux tombé sur mon CV par hasard – pas méchant, sans vanité, assez bavard, mais attentif. Il voulait juste discuter, prendre mon pouls, en prévision d'éventuels projets pour 2006. C'est rare, les informaticiens qui prennent le temps de la rencontre et de l'écoute. Un ancien journaliste, forcément.

On se quitte.
Je descends l'avenue du président Wilson sous un ciel d'azur, crâneuse derrière mes lunettes de soleil, MP3 aux oreilles.
Je franchis la Seine, verte argentée.
Vroum vroum, les voitures déboulent sur le pont de l'Alma, et je m'en fiche complètement, car j'écoute ma compil débile de Sandra.

C'est l'été ?
C'est l'automne ?

Musée d'Orsay, expo sur les Russes.
Les impressionnistes. Sisley.

Je rentre.
Fred m'appelle – il a peut-être du boulot pour moi. Ok, merci bien. Mais sur le fond, ça me laisse indifférent.

Chaque fois que le téléphone sonne, je panique – merde, qu'est-ce c'est encore ?
Et puis ce n'est pas si affreux.
Et lorsque j'ouvre ma boîte aux lettres, quelle épouvantable nouvelle m'attend, tapie dans une enveloppe anodine ? On va me convoquer, on va me sucrer mes allocs, on va me punir, me châtier, c'est sûr, je suis coupable, coupable de ne rien désirer, coupable de ne rien faire, pitié.

Impossible de me décontracter, je me fais des nœuds dans le cou.

Mail de Pat. Toujours cloué à ses rêves de romancier en herbe, sous son karma de drama queen, version poète américain maudit.
Mais je ne me suis pas vexé aujourd'hui. Parfois je m'énerve contre sa folie narcissique, contre son absence de maturité.
C'est que je réclame davantage d'attention, et il me débite ses trucs à la cantonnade.
Mais que ma puérilité tombe, et je reçois sa prose comme elle vient, et je suis touché qu'il continue à me faire confiance, moi l'autiste parisien, quelle chance qu'un étudiant, un ami, à 9000 kilomètres d'ici, ait pensé à moi.

Mes pensées, dans la rue, n'ont pas d'ossature, elles durent une minute, le temps de franchir la passerelle des Arts, elles durent 10 secondes, parce que j'ai aperçu un visage, fugitivement, derrière un pare-brise.
Je repense à ce joli garçon qui se penchait sur des dessins, au musée d'Orsay, vêtu d'une chemise blanche comme la neige, avec un petit sac en bandoulière et des cheveux noirs subtilement ébouriffés, et qui ne s'est pas retourné, quand je me suis retourné.

Je repense à mes aventures avortées.
Dans quelques blogs d'homos, j'entends des mélopées, des jingles de supermarché bien connus : s'engager, avoir peur de s'engager, ne pas s'engager.
Engagez-vous, rengagez-vous.

L'absurdité, c'est que l'autre cherche en nous ce qui lui manque… mais qui nous fait défaut à nous aussi.
Alors que faire ?
Semblant ? Faire semblant d'être bien, de ne pas douter de la vie, ni des autres, de ne pas vivre dans le manque intérieur ?
Quel appât !
Je me ferais griller immédiatement.

Qui peut aller au delà de son propre pré carré, qui arrive à franchir le cercle de sa folie et de sa faiblesse, qui parvient à se soustraire de ce qu'il pointe du doigt, de ce qu'il désigne en permanence chez les autres, et qui n'est qu'un miroir de ce qu'il représente, de ce qu'il abhorre, ou de ce qu'il voudrait être ?

Lundi 3 octobre 2005

Vendredi, je me casse le nez à la BNF pour une expo qui n'a pas encore commencé.
Dehors, il s'est mis à pleuvoir
Jeudi soir, la visite de l'homme à la moto, ici, en ma sainte demeure du Marais, m'a permis de rompre – non pas le pain de l'eucharistie, my gode – mais trois mois de complète abstinence, TROIS mois de jeûne misérable, TROIS mois de chasteté maladive, TROIS mois d'onanisme torché comme disait Léo Ferré.
Quelques instants après l'apothéose (rondement amenée, je mets un 9/10) (l'homme à la moto est un bon élément), un sentiment d'abattement a quand même fondu sur moi, comme le faucon fond sur l'innocente gazelle (comme disait l'émir Ben Kalish Ezab - car le monde est fait de vie et de mort), bref, un sentiment du genre : tout ça pour ça ? Trop fatigant.
Il faut dire qu'avec moi, c'est tout un programme vestimentaire maintenant.
Ou alors je me fais vieux.
Ou alors je suis en convalescence, et le dégoût du sexe sévit toujours en moi : Babar, vous êtes une créature répugnante, et l'amour vous ne ferez point !

La société et les autres m'ont tellement déçu, que les deux grammes de confiance que j'avais encore en mon sex-appeal se sont évanouis, enfuis, pfuitt !, comme le ballon de baudruche qui s'échappe de vos mains et qui part se ratatiner en faisant un bruit ridicule.
L'ai-je assez répété ? Je suis un être déçu et dégoûté, c'est la grande litanie de 2005.

New haircut
Et puis je me suis brossé une p'tite coupe de cheveux sympa avec ma nouvelle tondeuse Babyliss-Qui-Glisse, un truc genre GI Joe, histoire de rigoler. Je vais garder ce look paramilitaire un moment, j'aime plutôt bien, et tant pis si ça ne s'inspire pas des coiffures disco-folles du cabinet Vaucouleurs.
Car, comme je le disais l'autre jour à N., je me tonds le dessus du crâne, à défaut de pouvoir faire table rase de ce qu'il y a dedans.

Vendredi soir, appel à l'aide de Nico justement, qui n'en pouvait plus de faire le pied de grue dans son atelier (c'était les portes ouvertes), rendu encore plus perturbé par la présence d'un garçon lent et mutique, B., arrivé là par hasard, et par celle de son beau-frère, lui-même accompagné de ses deux fils, deux petits garçons étonnamment beaux, vifs et discrets (les enfants idéaux, de ceux qui vous réconcilient avec les enfants).
Après un crochet à Sainte-Marthe (chez une styliste et une aromathérapeute complètement givrées), B. et moi sommes rentrés ensemble, paisiblement, sereinement, tels deux moines descendant un calvaire. Il vient de Rouen lui aussi. Nous avons fréquenté le même lycée, et nous avons passé notre enfance à quelques centaines de mètres l'un de l'autre, ses parents habitant sur la colline voisine de Bois-Guillaume.
Il faut croire que les hauts de Rouen ne fabriquent que des autistes.

Samedi, il y avait soirée à l'atelier.
Je crois que je me suis bien amusé, car je ne garde aucun souvenir glauque de mon retour au studio (pas d'envie > pas d'attente > pas de déception). Je crois même que je gloussais tout seul, dans la rue JPT, en me remémorant des détails absurdes.
Les gens habituels.
L. avait ramené une nouvelle mauvaise fréquentation, Christian, un suédois blond platine, à la féminité stupéfiante, avec l'air un peu paumé et un nez en trompette, en fait, un camarade de classe de Kevin, qui était là aussi, tel un ourson rigolard. Lorsque je me suis radiné, ces deux petites midinettes échangeaient je-ne-sais-quels commentaires libidineux dans un coin, avec la bénédiction de Lise. Avaient-ils des vues ?
Un morceau de A-Ha a fédéré tout le monde en tout cas.
Rempli d'un indéfinissable et débile contentement, je me suis mis à sourire bêtement à tout le monde, à tout bout de champ.
Quant aux deux couturières, elles ont fini par s'enfoncer dans la nuit blanche, à la recherche d'un hypothétique club gay, avec trois mots de français pour tout bagage.
Go était là lui aussi, quand même plus classe.
Et puis le reste, comme d'habitude quoi, l'alcool, les propos décousus, la musique à fond, les perruques (lorsque Nico ne contient plus sa pulsion refoulée de modiste, et qu'il craque en se précipitant sur son sac à nippes), les trémoussements semi-automatiques : à la fin on ne sait même plus sur quoi on danse, et on passe les vitesses sans réflechir.

Aujourd'hui, j'ai fait l'effort de me lever à 10 heures pour voir l'éclipse. Lumière fraîche sur la ville.

J'ai envoyé une candidature stupide pour un poste stupide dans une boîte stupide.
J'aurai sans doute une réponse stupide.

Exercice d'expression orale, pendant le premier cours de com de la rentrée : il faut présenter à toute la classe son voisin de table, en mettant en avant ses qualités, un type qu'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, et qui se trouve assis à côté de vous par hasard, et ce après seulement quelques minutes de concertation préalable.
Arrive un charmant duo, un jeune brun, chemise bleu pétrole boutonnée jusqu'au col, et un petit minet châtain clair, chemise bordeaux boutonnée jusqu'au col. Pas très à l'aise, le brun entame son speech : je vous présente machin, qui a étudié ceci, qui aime cela... Voulant louer l'intérêt que son voisin porte au cinéma, le voilà qui déclare : « ...et accessoirement, c'est un cinéphile inverti. » Silence embarrassé dans la salle. Sentant qu'il a dit une bêtise, il enchaîne pourtant comme si de rien n'était, pendant que les pommettes du petit minet, debout à côté, prennent la même teinte que sa chemise.
Un cinéphile inverti en vaut deux.

Lundi 10 octobre 2005

Concert de John Cale, jeudi avec Chr. Pas trop mon genre, j'y allais par curiosité (les Velvet et compagnie).

Week-end à Rouen pour l'anniversaire de maman.
Quel abîme, lorsque j'ouvre la fenêtre de ma chambre et que j'entends le chant des oiseaux du quartier, l'aboiement d'un chien, l'écho lointain d'une mobylette.
Tout me revient en pleine figure, de la primaire au lycée, du collège à la fac, j'en ai la gorge qui se noue, je tombe dans le vide.
L'impression de n'avoir jamais vécu tout ce passé moi-même, que celui-ci m'a été perfusé, transplanté en rêve, tellement il me revient chargé de souvenirs et d'émotions, traversé de lieux, de hauts-faits et de gens, tellement c'en est un roman interminable, insondable, dont les images me saisissent et me hantent sitôt que je l'entrouvre.
Cette vie fantôme me laisse tranquille sur Paris, je vis très bien sans elle, je l'ai donnée à l'oubli, et pourtant lorsque je dois m'y confronter l'espace d'un week-end, je suis bien obligé de constater la marque indélébile du passé en moi.

Un dangereux cerbère chez mes parents
Mais c'est agréable aussi retrouver le domicile familial, de constater que ma sœur a gardé la même vie nocturne, les mêmes amies, qu'on rencontre encore des existences rouennaises gaies et vivantes, futiles et juvéniles, qui descendent dans la rue et qui draguent dans les bars, malgré les solitudes intérieures et les insatisfactions tues, de constater que Rouen ne s'est pas figé dans ma mémoire à jamais, comme une poterie dans un four, mais qu'il subsiste une permanence, un chemin qui descendrait du passé jusqu'ici, jusqu'à moi, jusqu'à mon studio misérable de la rue du Temple, une route, une progression simple et naturelle, et pas un trou noir, un vide intersidéral qui m'isolerait à jamais de mon monde ancien, de mon Atlantide adolescente et fondatrice, chaque jour moins réelle, chaque jour plus onirique.

Le nom du nouveau bar est adapté
Samedi soir, chez S.
Un nouveau bar a ouvert sous ses pieds, à la place du Sissy : une caverne technoïde racoleuse avec des basses surpuissantes qui traversent murs et moquettes aussi facilement que du papier, auxquelles ma sœur ne peut échapper et qui la rendent folle – surtout lorsque la sono démarre à cinq heures du matin pour une after endiablée.
Des amis à elle étaient là : Stéphanie, et un couple - un flic avec une tête de flic (l'isomorphisme de certaines professions...)
Avons bu des bières dans un bar reggae de la rue Beauvoisine. Au comptoir, Stéph. me parle de son style de mec (mec mec), d'identité masculine et pour finir, de ses préjugés homophobes, qu'elle ne présente pas comme tels bien sûr, mais qu'on ne peut pas analyser autrement, in fine. L'effet lénifiant de la bière et mon flegme naturel m'ont retenu de l'assassiner, et je me suis contenté de baragouiner, en remuant des lèvres comme un mollusque.

Dans le train du retour (« Ce train est sans arrêt jusqu'à Paris-Saint-Lazare » chantonnait Mme SNCF sur le quai), j'ai écouté quelques vieilles chansons de U2 (with or without youuu...) en observant, les yeux mi-clos, les autres garçons du wagon, qui écoutaient aussi sûrement des vieilles chansons en s'observant mutuellement, les yeux mi-clos. Roulis, roulis, dans la campagne et la nuit. J'ai commencé à me sentir bien, à m'imaginer à la tête d'un vaisseau spatial filant au travers d'une masse de nuages colorés, de chromatismes voluptueux, d'arcs-en-ciel de plénitude.
La voix rauque du contrôleur annonçant l'arrivée au terminus m'a brutalement ramené à la réalité.

Pour le moment, j'écoute John Lewis, un CD que je passais souvent chez papa et maman, lorsque je profitais du salon en leur absence.

La vie est différente en province. Les jeunes mecs se dévisagent davantage dans la rue, ils arborent des airs moins pimbêches et fuyants qu'à Paris.
C'est en revenant de ces détours en Normandie que je réalise combien ma vie parisienne a peu d'intérêt, combien elle en a foncièrement peu – il y a la Vaucouleurs connection, certes, mais pour le reste ?
Il faudrait que je fasse quelque chose.
Du macramé brodé, du canoë-kayak, des chantiers archéologiques, que sais-je.

En fait, j'ai l'impression d'avoir, plus ou moins inconsciemment, mis ma vie en veilleuse, en stand-by.
J'attends.
J'attends que ça se calme, j'attends d'aller mieux, j'attends le retour du soleil, j'attends le feu vert, j'attends quelque chose en tout cas.
Parfois ça me paraît limpide, et je me demande quand tout cela finira.

Dimanche 16 octobre 2005

Cette petite bique de proprio vend l'appartement, il ne manquait plus que ça. Le bail court jusqu'en juillet heureusement, mais je suis déjà stressé : pas de boulot, pas de logement.
Et puis, est-ce que le matelas rentrera dans la Renault Trafic de location ? Comment vais-je garer la Renault Trafic de location ? Je vais sûrement avoir un accident avec la Renault Trafic de location.
Mais nous n'en sommes pas encore là, chaque catastrophe en son temps.
Du coup, dans une vaine et fébrile tentative d'épuration de mon existence, j'ai d'ores et déjà fichu à la poubelle trois vieilles paires de chaussures trouées, et je compte :
 - jeter dans le square du Temple ces multiples cailloux et galets ramenés de vacances, et disséminés dans le studio
 - vider le dessus de la grande étagère, garnie d'objets profondément inutiles et d'un effet esthétique discutable, comme ces conserves vides de vegetable broth marks & spencer, ces feuilles séchées d'ananas, ou ce stock d'aiguilles de pin
 - déposer dans le gros conteneur blanc, celui à côté de l'église - cultivons la fibre de la solidarité, est-il écrit dessus - mes nombreux pulls rétrécis par de malencontreux lavages
 - mettre en vente le rameur sur ebay (mise à prix : 1 euro ; surtout, condition impérative : que l'acheteur vienne chercher l'affreux objet lui-même)
J'avoue que depuis quelques mois, sans doute guidé par quelque pressentiment, je ramenais des vieilles cassettes sur Rouen.
Lubie délirante inconsciente et associée : je vais me débarasser de tout, me déposséder de tout, me dévêtir de tout, pour me retrouver aussi léger qu'une abeille et pouvoir voleter librement au dessus du monde.

A part ce nouveau facteur d'ulcère, quoi donc, quoi donc ?

Je roupille beaucoup, il faut que j'arrête, car on dort mal le matin : je transpire comme une chaudière, je gèle au moindre orteil découvert, je respire mal.

Vu Br. à la Cité Universitaire : on discute d'abord dans le parc. Il est 19h, le soleil se couche en paix, l'air est doux, le ciel métaphysique, les étudiants vaquent, ou font du jogging. Atmosphère festive à la maison de l'Inde, studieuse à la résidence Heinrich Heine. On descend manger au restaurant, en sous-sol. Réminiscences universitaires : les misérables petites assiettes blanches de crudités, les cuisiniers moustachus, les carafes d'eau croupie, les lumières tristounettes, les grappes d'étudiants aux tables voisines, qui s'exclament sur les frais de scolarité ou les partiels, en mâchant de la mie de pain.
Petite soirée samedi chez N.& M., repas jeudi soir chez N. & L.
Bill Brandt.
Jeroen est rentré au pays (bas) pour tout le mois d'octobre, donc point de hurlements baroques avec lui.

J'ai rêvé :
 - que mamie était devenue tellement gâteuse qu'elle se faisait lire des livres pour enfant
 - que je dessinais à toute vitesse, et étonnamment bien ; je traçais des croquis tordus, un peu à la Bacon - des gens, des animaux - de haut en bas, à la manière d'une imprimante, et je terminais mon rêve en barbouillant une case d'une belle couleur verte
 - que Fabien me prenait dans ses bras, énième songe du genre. Coïncidence curieuse, je l'ai croisé trois jours plus tard à Monop. On a un peu discuté, près des caisses, devant les présentoirs à chewing-gum. On s'est quitté, et je m'en suis rentré tout retourné, content pour la soirée, de cette rencontre inopinée qui est venue nourrir ma sotte et heureuse mélancolie. Mes sentiments pour lui ont quelque chose d'étrange, d'indéfinissable, d'absurde, comme si je cherchais à me dissimuler quelque chose, de peur que cela ne soit vrai, ou au contraire que cela ne soit faux.

Dimanche 23 octobre 2005

La pluie a fait son apparition depuis quelques jours.
La nuit je l'entends tomber, ce qui me procure un sentiment agréable et mystérieux à la fois, surtout lorsque je soulève mon rideau et que je distingue la cour, plongée dans une épaisse obscurité, sous le ciel blafard de Paris.
Lorsque j'émerge vers midi, un peu de moiteur règne dans l'appartement, et je me lève d'un bond, comme piqué par une puce, pour aller ouvrir le rideau, le cœur étreint par un mélange de culpabilité et d'inquiétude face à l'avenir.

Lundi, concert des 22-Pistepirkko. C'était peut-être la quatrième fois que j'allais les voir. J'aime bien leur musique foutraque, leur garage-pop, glam-punk, tantôt planante, tantôt bondissante, leurs airs désinvoltes, mêlés à cette inéluctable raideur nordique, la voix du chanteur, nasillarde et dramatique, sa panoplie de guitares réverbérées et clinquantes…
Entre deux chansons, ils échangent quelques mots en finnois, rustiques, avec les r qui roulent.
Je les trouve beaux, d'une élégance rock seventies un peu surannée, avec un soupçon de naïveté électronique.

Mercredi, entretien avec le DSI de RF, suite à une candidature spontanée. Jusqu'au bout j'ai espéré une proposition concrète, mais on voulait juste me rencontrer. Peut-être une vague mission au 2ème semestre 2006... L'homme était agréable, je lui ai fait des courbettes en le quittant, mais j'étais déçu comme jamais.
Intégrer cette forteresse… c'était trop beau.

Mardi, comme un zombie, j'ai acheté trois cravates aux galeries Lafayette. Je n'en porte jamais, c'est ridicule, je ne sais pas ce qui m'a pris.

Je travaille pour Fred depuis quelques jours, ça m'occupe.
(et ça remboursera à peine les frais de scolarité exorbitants que le m'a soutirés cette année)

Jeudi soir, gastronomie bobo chez N. & L. Les deux N. n'ont pas arrêté de parler. Moi, pique-assiette.

Aujourd'hui, troisième séance dans ce centre de consultation lacanien bizarroïde du 10ème.
La première fois, j'avais été accueilli par une espèce de vieux Bela Lugosi parlant assez mal français (il ne connaissait pas l'expression fleur bleue), dans une petite pièce blanche, clinique, carrelée, avec des jouets d'enfant traînant par terre.
Maintenant, je vois un jeune Italien réjoui, cheveux longs, tiré à quatre épingles, une sorte de chef d'orchestre romantique.
Il y a un effet désangoissant immédiat, mais pour combien de temps ? Je retrouve déjà la même sensation de vanité et d'errance verbale.
Tout ça après cinq ans d'analyse, parfois je me mets à douter de tout.
Dire, et s'entendre dire. C'est presque un forçage, comme de manger le même plat trop souvent mangé – encore des coquillettes. Vous voulez de mes coquillettes, monsieur le chef d'orchestre ?
J'ai une vague idée en tête, mais c'est la seule, alors je dois la dire, et donc je rassemble des mots, j'essaye de construire quelque chose pour pouvoir l'énoncer. Un peu lyrique et composé des fois, mais je m'en sors.
Je me rends compte que mes rêves architectes, ces rêves de projets indéfinissables que je l'élabore patiemment, et que je mène à leur terme, ressemblent un peu à mon discours analytique. Mais c'est la tristesse et la vanité de celui-ci, ou ce qui me paraît tel, qui au final me démoralise.
Pire : lorsqu'il faut supporter en réponse la platitude niaise du psy, la bavure sur la belle peinture.

A la médiathèque, j'ai retrouvé un enregistrement des petits concerts spirituels de Schütz - un duo entre René Jacobs et la voix d'enfant de Sebastian Hennig – très beau.
Et puis le Stabat Mater de Pergolèse.

Dans le métro, les affiches pour le salon gay et lesbien de la porte de Versailles sont systématiquement arrachées ou mutilées.
La RATP avait d'ailleurs rechigné à les placarder, au départ. Elles ne sont pourtant pas bien méchantes.
Dans le même ordre d'idée, sur le terre-plein de la place de la République, jeudi soir, une petite centaine de Juifs en costumes tournaient gaiement sur une espèce de soupe folklorique remixée. La première chose à laquelle j'ai pensée, c'est qu'ils étaient très exposés, et donc en danger. Puis j'ai aperçu des CRS qui surveillaient, et j'ai compris qu'on les protégeait.
Dire qu'on en est encore là, que des Juifs ne peuvent pas faire la fête sans la police, aujourd'hui, à Paris...
Ce n'est pas ça qui va me motiver pour retrouver du travail, et remplir mon devoir vis à vis de cette petite société française minable, mesquine, moisie, pourrie jusqu'à l'os.

Mardi 25 octobre 2005

A part ça, ma cuisine (dans tous les sens du terme) ne s'est pas arrangée...
Aujourd'hui, je dépose un dossier de demande de logement social.
La petite bonne femme qui me fait asseoir dans son cagibi étroit, à la mairie, est la caricature même d'un certain service public français : elle commence par se plaindre de la personne qui m'avait précédée, oui, le type n'avait pas voulu attendre cinq minutes, et en plus, il n'avait pas de revenu !! Incroyable !! Qu'il revienne lorsqu'il aura des revenus !!
Elle se saisit de mon dossier et l'examine : ah bah, vous au moins vous percevez les ASSEDIC !
Elle m'explique ensuite que l'informatique ne fonctionne plus. Elle prend le combiné, cherche à joindre Mireille, Josiane, Jean-Jacques, puis Raymond, mais personne n'est là. Elle arrive quand même à avoir Monique, à qui elle se plaint de « l'Africain, là, qui n'a pas voulu attendre, et qui n'avait même pas de revenu ! Et pas de relevé d'imposition non plus ! Ah bah c'est sûr : quand on ne déclare pas, on ne reçoit pas sa feuille d'imposition, hein !! Bon, si t'as Jean-Jacques, pour mon problème d'informatique, dis-lui qu'il me rappelle, merci. »
Elle se penche de nouveau sur mon dossier, vérifie soigneusement mes papiers.
Je l'aide à se connecter sur l'intranet, je lui montre l'historique d'Internet Explorer, hop, c'est résolu, ça remarche, miracle. Sans sa petite icône de connexion posée sur le bureau (qui avait bizarrement disparue depuis ce matin), elle était paumée.
Au moment de partir, je lui demande s'il y a des chances que ma demande aboutisse.
Ah vous êtes vraiment très nombreux, soupire-t-elle, les listes d'attente sont longues, très longues, certains attendent depuis 10 ans, 15 ans. Mais si vous retrouvez du travail et que vos revenus augmentaient, surtout faites-le nous savoir…
Je lui fais part de mon étonnement quant au sens de cette logique sociale.
« Eh oui, murmure-t-elle en faisant une petite mine sibylline, contrairement à ce que croient certaines personnes… »

Lorsqu'on a vu ça, on peut aller se recoucher.

Moi non plus
Ce soir, appelé chez Sophie C, qui habite toujours dans le sud. Je cherchais surtout à joindre sa sœur, au cas où elle aurait gardé le contact avec Béné (qui s'est installée à New-York il y a 5 ou 6 ans – peut-être qu'on pourrait se revoir là-bas en novembre).
Coïncidence : Stéphanie se trouvait juste à côté d'elle, ainsi que leur grand frérot, dont j'entendais la voix derrière. Ces deux derniers vivent à Montréal maintenant, ils étaient de passage chez leur sœur.
Ça m'a paru surréaliste, les savoir ainsi tous réunis, en train de préparer des bouillies. Car ils ont tous des tripotées de bambins à surveiller, et d'ailleurs j'ai déjà oublié combien, avec qui, comment ils s'appellent, sont trop nombreux dans cette famille.
Il y avait une espèce de froideur, de distance au téléphone, avec So. comme avec St.
L'arrivée de leurs enfants a dû bouleverser leurs préoccupations – peut-être même qu'une forme de complétude (de complétude !!) s'est installée dans leur existence.
C'est sûr, on peut difficilement m'associer au duo gagnant : réussite professionnelle + épanouissement dans la vie familiale (d'ailleurs elles ne m'ont posé aucune question à ce sujet, bien leur en a pris).
Donc mon intrusion (l'ancien étudiant bizarre qui-n'avait-jamais-de-petite-copine) ne pouvait pas susciter une émotion extraordinaire durant cette belle réunion de famille, j'en conviens.

Pourtant, on reste ce que l'on est - ou plus exactement, celui que l'on a été n'est pas moins important que celui que l'on est.
Or, comme avec Sylvie il y a quelques mois, ce que je remarque (ou est-ce un aveuglement jaloux de ma part), c'est qu'on dirait - à voir le déroulement imperturbable de ces parcours exemplaires et petits-bourgeois - que ce qu'ils ont été, n'a jamais été là que pour préparer ce qu'ils sont aujourd'hui.
Mais qu'en sera-t-il dans vingt ans ?

Peut-être mon trouble vient-il du fait que j'ai été mis en présence, au lycée, à la fac, de personnes avec lesquelles j'ai partagé beaucoup de choses, beaucoup de moments - soirées, complicités, incertitudes, fragilités - malgré des aspirations et des origines très différentes. L'adolescence est une période difficile, et c'est pour ça qu'on s'y fait des amis, j'imagine. Mais en vieillissant, les différences s'accentuent, les intérêts communs divergent, les dépendances s'atténuent, et seule demeure la mémoire du lien affectif.

Mon angoisse, c'est que les C. aient jamais connaissance de mon site : mon journal en ligne (du temps que je les fréquentais) contient des anecdotes dont j'ai une honte folle.
Il renvoie à ma duplicité et à mon immaturité de l'époque, mais aussi à la difficulté que des gens comme moi rencontrent pour construire leur propre identité, dans une société qui, à tous les âges, facilite la vie de ceux qui choisissent les modèles de base, et laisse les autres se débrouiller.
Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'à vingt ans j'aie préféré accepter l'amitié simple et naturelle que ces gens me donnaient, plutôt que d'essayer d'assumer et de vivre mes désirs, autrement plus compliqués et effrayants. Il a en résulté beaucoup de fantasmes inutiles, en particulier vis à vis de leur frangin, fantasmes entretenus par le simple fait qu'il était sympa avec moi.

Ce qui me fascine, c'est que plusieurs de mes amis rouennais vivaient déjà en couple à cette époque. Pourtant, si j'assume mieux certaines choses aujourd'hui, sur la vie de couple en revanche, douze ans plus tard, je n'ai pas beaucoup avancé.
Je me rassure en me disant que cela ne m'intéresse probablement pas. Pourtant, je ne le ressens pas comme du désintérêt, je le vis plutôt sous l'angle de la fascination et de l'inquiétude, sans savoir s'il s'agit de quelque chose d'essentiel pour moi ou non, malgré une constante sensation de manque que je n'arrive pas à définir.

Jeudi 3 novembre 2005

Vendredi.
Temps magnifique, tout est doré.
Dîner chez N & L.
Wontons dans une soupe.
Tout le monde devient progressivement bourré, comme dans une lente réaction chimique.
Au moment de partir, Nathalie apparaît avec sa fille, que notre vacarme a réveillée ; le bambin aux boucles blondes nous regarde, éberluée, interloquée devant nos manières subitement décontractées et nos cris d'adultes alcoolisés.

In the Twingo. On ouvre le toit. Il tombe quelques gouttelettes. On le referme rapidement.
On débarque à l'Open-Café – où sirotent des amis kosovards de Gille, tous de passage en France. Etablissement tellement en vue dans le Marais qu'aucun homo parisien n'y met les pieds, de peur d'être pris pour un touriste ou pour un plouc. Mais après tout, ce n'est ni plus ni moins déprimant que le reste du quartier.

Deux heures, les bars ferment. On monte au Tango avec les kosovards.
Ambiance disco-kitchasse habituelle.
Un des kosovards flirte avec moi, se colle à moi. Je le recherche et l'esquive à la fois.
Il n'est pas mal physiquement, mais ses paroles révèlent une forme de tension, d'insatisfaction, une légère acrimonie qui me gêne un peu.
Il me prend dans ses bras, me soulève du sol, me fait voler au beau milieu de la piste. Je pouffe.
Mais je me sens indécis, à demi-emballé seulement, inquiet par quelque chose que je n'arrive pas à définir, peut-être davantage attiré par l'autre mec en fin de compte, celui qui l'accompagnait, un peu gras, moins canon, mais plus réservé, avec des traits plus doux. Je suis bizarre.
Au moment de partir, Etienne Daho, Mme Adélaïde – les trucs du Tango.

En début de soirée, Nico me laisse un message prophétique sur mon portable, que j'ai oublié chez moi... Voici à peu près comment je l'ai entendu, en rentrant de boîte, la conscience flottante et avinée :

Le lendemain, je suis bien vaseux, et je poursuis le développement de ce site internet que je dois faire pour Fred G., et qui a pris des allures de cauchemar.

Vue de la cuisine
non, ce n'est pas une boutique gay
On passe par Rouen
Dimanche midi, départ pour Etretat avec Dominch. La fameuse, la pulpeuse, la sulfureuse Rêvelyne est partie en vacances et a abandonné à Nico les clefs de sa maison de poupée.
Coincée dans un paquet de bicoques du centre-ville, remplie de bibelots enfantins et de chats persans neurasthéniques qui laissent des flaques jaunes derrière eux dans l'escalier (avec un frigo qui dégage une odeur de macération aillée tellement puissante et insupportable que lorsqu'en pleine nuit, je l'ai ouvert, à la recherche d'une bouteille d'eau, Edith en a perçu l'odeur depuis sa chambre), cette maison qui craque de partout a quelque chose de saisissant.

Quand nous arrivons, la ville est pleine à craquer de nigauds parisiens. Assez beau temps, douceur incroyable. Je croise par hasard Caro (des Emmurés), flanquée de son mec.
Partis vers les falaises au coucher du soleil, nous rentrons par le golf en badinant, dans la nuit normande, à la lueur des étoiles. Et lorsque nous nous extirpons enfin du champs de ronces où nous avons fini par nous empêtrer, nous regagnons en silence le bord de mer, où une pittoresque fête du hareng bat son plein, avec groupes folkloriques, estaminets et graillons populaires à la clef.
Parties de belotte à la maison, pendant que Béhémotte pisse dans le panier en osier des toilettes, sur les tampons de la maîtresse de maison.

L'un des posters au dessus de mon lit
Je dors dans la chambre d'une des filles d'E. - une chambre d'enfant-ado, remplie de peluches rieuses et de posters de boys-band.
La nuit, je fais un rêve sur le collège, puis sur la fac.

a mauvais goût
Le quincailler...
à criquetot...
Lundi, il tombe des cordes. Expédition pour trouver un supermarché ouvert.
Une eau boueuse s'écoule des champs sur les routes. A Criquetot, tout est fermé. On rentre à Etretat, où le 8 à 8 a rouvert entre-temps.
La pluie s'arrête.
Yport
Dominch prépare une ratatouille et un truc aux pommes.
On part marcher sur la plage d'Yport, avec la nuit tombante. Bières dans un boui-boui.
Le soir, à Fécamp, on mange chez I. et F. Là, impossible de ne pas me souvenir de cette soirée chez eux, en mai dernier, lorsque la discussion sur le référendum avait pris un ton si affreux. J'avais envie de rentrer, mais je n'ai rien dit.

Le lendemain, longue promenade sur les falaises, sous un soleil argenté.
Déjeuner gargantuesque au retour.
Le temps fraîchit un peu.
Je lis sur la plage, Nico dessine.

Retour à Paris sous une pluie impitoyable.

Trois jours au vert, quoi.

A part ça, je m'en vais demain à New-York une semaine avec N. et M.
Je nourris mon appréhension habituelle pour les détails pratiques idiots (dormir sur un matelas gonflable, dans un océan de ronflements)... mais je suis tout excité.

Lundi 14 novembre 2005

New York.

La présence d'Ellen a rendu d'autant plus agréable notre séjour qu'elle nous a permis de nous immiscer dans une certaine vie new-yorkaise, où alternent frénésie et nonchalance, grandeur et modestie, un univers plein de contrastes.
Par certains côtés, les New-yorkais que nous avons rencontrés, pris isolément, s'avèrent assez éloignés de l'étalage grandiose que donnent à voir les buildings monumentaux et les avenues sans fin de leur ville, finalement.
Depuis le black mélancolique qui vend d'humbles petites fleurs sur un coin de rue et qui s'évertue à vous saluer en français, jusqu'au manager cultivé, raffiné et fier de sa décoration d'intérieur vintage si réussie, en passant par l'assistant cravaté-bien-payé qui assainit sa conscience en faisant des heures sup dans une charity, tous semblent cependant garder une manière simple et ouverte de s'exprimer, de vous écouter, une façon aimable et naturelle d'établir le contact, si l'on oublie ces quelques petites minettes minaudantes trop bien maquillées pour être honnêtes.
Le New-yorkais est un peu ce à quoi l'on se raccroche, le point de repère, l'unité de mesure, dans une ville trop disproportionnée pour qu'on puisse l'embrasser d'un seul regard.

Ellen
Souvent sec et brusque lorsqu'il s'agit de donner des explications, le New-Yorkais est cependant capable de s'arrêter spontanément pour renseigner un touriste manifestement perdu dans le métro.
Ils s'excuse toujours lorsqu'il bouscule un passant, mais il est insupportable en voiture le samedi après-midi, lorsque Canal Street est embouteillée.

Les buildings ultramodernes frôlent les petits immeubles mal entretenus.
Les magasins les plus chics – Bergdorf Goodman, Tiffany – à côté desquels nos Bon Marché et autres Printemps passent pour des épiceries un peu cheap, sont desservis par un métro vieillot et poussiéreux.
On n'aime plus George Bush, mais les drapeaux américains sont partout.
On regrette cette course perpétuelle vers toujours plus d'argent, mais l'on se pique au jeu.

Quant à la couche de pollution qui plane au dessus de la ville, elle n'empêche nullement la lumière d'être intense et les couleurs d'être éclatantes.

Bref, des contrastes, et c'est très excitant.

Pour mémoire, je note rapidement le contenu de nos journées :

Arrivés vendredi soir, vers 21 heures heure locale. Nous passons le service de l'Immigration sans problème. Taxi.
Nous débouchons des bouteilles de champagne sur le toit de l'immeuble d'Ellen, d'où le panorama sur Lower Manhattan est imprenable. Je suis soufflé.

Dans le quartier d'Ellen
Samedi
Promenade à pied le long de l'East River, puis jusqu'à Manhattan, via le Brooklyn Bridge.
N. et G. s'achètent des sous-vêtements à Century 21.
On passe devant Ground Zero. Difficile de connecter ma perception du lieu avec les images apocalyptiques vues à la télévision.
On monte en métro jusqu'à la 77ème rue, jusqu'au magasin d'Ellen, assez chic – quoique l'origine des produits reste douteuse. On prend un verre à l'arrière de la boutique, impeccable tout autant que le quartier.
Puis on file avec Ellen et deux des vendeurs dans le Meatpacking, boire des bières dans un bar prout et branché, avec feu de cheminée au gaz ; Ellen se voit demander son ID. Puis des hamburgers chez Pops.
Sur beaucoup d'affiches, on voit la photo d'un paquet abandonné sous un banc, accompagné de l'avertissement solennel et citoyen : if you see something, say something – refrain qui devient un interminable sujet de plaisanteries entre nous.

Dimanche
On se lève tôt pour voir passer le Marathon. On traverse d'un bon pas quelques quartiers de Brooklyn.
Ils arrivent, ils arrivent enfin, les chaise-roulantes d'abord. On voit passer le maire, Bloomberg, qui fait de grands signes à la foule depuis sa voiture, exultant, et qui sera d'ailleurs réélu quelques jours plus tard.
A un stand, on aide à distribuer les verres d'eau aux coureurs. Un type tout suant et gluant embrasse Ellen par surprise. Par terre, les gobelets en plastique s'accumulent et sont piétinés par les quelques 37000 coureurs du marathon.
On rentre, on se douche.
On repart pour un autre quartier de Brooklyn, où une amie d'Ellen – Kathie – a organisé un plantureux déjeuner avec quelques copains. Picole incroyable jusqu'au soir. Je suis en forme, je raconte n'importe quoi. Je repars bourré et m'endors comme une masse, tout habillé, devant Desperate Housewives.

Lundi
On retrouve Ronan et Amar à Central Park. Promenade. Les otaries. Les écureuils. Ellen nous emmène ensuite dans les grands magasins, avec portier en livrée dans les ascenseurs pour annoncer les étages.
Un café dans Lafayette Street, où une serveuse française maniérée irrite Nico immédiatement. La température est si douce que nous nous installons dehors.
Pizza sur le pouce dans Noho, quelques courses sur Broadway – au Yellow Rat Bastard par exemple.
On termine au restau Elephant – beaucoup de bruit, on attend longtemps l'arrivée des plats ; les Français sont partout, surtout dans la restauration, évidemment.

Mardi
Je pars seul. Je descends du métro à Wall Street – gardé comme un coffre-fort par des troupes de policiers armés. Je remonte à pied dans Chinatown, Little Italy, j'achète des bananes, je marche au hasard. Je redescends sur Canal.
Dans Prince Street, j'entre dans un deli et me fais faire un sandwich.
Je m'assois quelques instants dans Washington Square. Les arbres jaunissants sont magnifiques, et s'harmonisent étonnamment bien avec la couleur des immeubles et des taxis.
Petit détour dans Greenwich ; j'entre dans un magasin de cosmétiques, j'en ressors un sac à la main, bien sûr.
Je retrouve Nico, Marteen, Ronan et Amar devant l'Empire State Building vers 16h30. Du haut du gratte-ciel, nous regardons le jour tomber et la ville s'illuminer, dans une atmosphère cosmique.
Retour chez Ellen, qui a invité Clarence, l'un de ses vendeurs, à venir manger chez elle. Affairement subit. Bougies, vins rouges, salades préparées par Nico.
N., G. et moi terminons au Coq, petit club du Lower East Side qui ne paye pas de mine, avec gogo dancers sur le comptoir qui se trémoussent (les américains ont l'air très branchés gogo boys). Un mec m'allume, m'embrasse, veut bien rentrer avec moi, puis me jette inexplicablement au moment de partir. Je rentre très triste, d'autant que j'étais venu sans attente particulière, que j'aurais pu me passer de ce jeu de tentation inattendu. Drame intérieur, impossible à communiquer à N. et G. – qui en font un sujet de plaisanterie entre eux.

Chez Katz
send a salami to your boy in the army
Mercredi
On fait faire un double des clefs. Il pleut sur Court Street.
On déjeune chez Katz, deli juif pittoresque, très bon. Promenade dans les environs, un ancien quartier louche en voie de boboïsation. Le ciel est bas et lourd.
On monte chez B & H., grand magasin de photos et de matériel informatique, où tous les vendeurs, cintrés dans un petit costume genre FNAC, portent la kippa, des barbes fournies ou de gros favoris.
On retrouve Ellen dans sa boutique de l'Upper East Side en fin d'après-midi, où une bouteille de vin blanc est ouverte rien que pour nous ; Sam met de la musique, on danse un peu dans l'arrière-boutique, entre les jeans et la bimbeloterie.
On part retrouver R. et A. dans un bar de Soho. Ils sont déjà en train de prendre un verre avec l'ami qui les héberge sur NY. On retourne tous ensemble au Pops, le fast-food du samedi soir. On cherche ensuite un bar, on n'arrive pas à se mettre d'accord, Nico est sûr de lui, il a le téléphone collé aux oreilles, l'atmosphère n'est pas terrible, et je m'enferme dans le mutisme.
On termine au Monster, ambiance rétro un peu poussive. Puis au Club 19, dans Noho, mais l'endroit est mort et éthéré. On rentre se coucher.

Au Moma
Jeudi.
Je me trouve des caleçons pas chers dans le quartier d'affaires (oui c'est passionnant).
Je retrouve N. et G. dans le hall de Grand Central. On déjeune avec David, un ami de N., dans une pizzeria bruyante de businessmen. C'est un américain d'apparence assez typique, poli et consensuel, qui travaille le jour dans un cabinet d'avocats, et qui se consacre aux enfants pauvres du Queens le reste du temps.
L'après-midi, au MoMA. Ses formes pures, ses espaces blancs. Et ses innombrables collections naturellement.
Vers 18h, Nico rentre à Brooklyn, nous laissant G. et moi faire du shopping dans Broadway. Je me trouve un jean, mais je n'arrive pas à me décider pour des baskets.
On s'endort devant Ab Fab - encore plus incompréhensible en VO.

Vendredi
On monte au PS1, une annexe du MoMA installée dans une ancienne école d'art rénovée du Queens. Ambiance suburbaine, lumière extraordinaire. Peter Hujar, Isabelle Huppert.
Fin d'après-midi, je m'en vais sur Christopher Street, je m'aventure un peu dans ses sex-shops.
19h30, je débarque chez Michael, dans son petit appart bourgeois de Prince Street, qu'il a décoré avec un soin extrême, entre kitch et monomanie élégante. N., G., Ellen, Cl., Sam, Ro et A. finissent par arriver. Vins, pizzas, propos décousus.
Une heure du matin, je suis exténué, je débranche et rentre en taxi avec Ellen – qui prend 5 comprimés d'Advil avant d'aller se coucher.

Samedi
Nico dessine sur le toit. On ne quitte l'appart que dans l'après-midi.
Je me suis préparé une petite liste de magasins à écumer. Je remonte Broadway, très encombré. Union Square, le Flat Iron building. Je dépasse la rue où je devais m'arrêter, je fais demi-tour. Le magasin d'uniformes est déjà fermé (17h !!), je suis dépité. Je fais trois courses au Met (le supermarché, pas le musée).
Un dernier verre de vin rouge chez Ellen. N. et G. cherchent vainement leur chargeur de batterie, atmosphère frantic.
Je fais mes adieux par téléphone à Kathie, à qui Ellen m'a marié (quoique l'on ait aussi songé à me glisser subrepticement dans le lit d'un des roommates, Nicholas) (qui n'avait pas l'air trop mal).
20h30, le taxi pour l'aéroport nous attend. Des jordaniens. N. et G. évoquent leur voyage en Jordanie, ça sympathise. On arrive à Kennedy Airport avec la musique arabo-pop à tue-tête.
Décollage à 22h55.
A Roissy, Christine Ockrent attend ses bagages avec nous, et nous sommes aussi fraîches que des vieux légumes secs abandonnés dans une poubelle à la fin d'un marché.
Mais ça m'a fait du bien de quitter l'inanité de ma vie parisienne. D'être avec Nico, Marteen, Ellen. De me remettre à vivre vraiment. C'est incroyable : nous sommes déracinés, et nous nous mettons à vivre.
Je me sens mélancolique maintenant, empli d'un sentiment vague, beau et nostalgique, lié autant à la découverte de New York, qu'à la présence de mes amis, et des gens rencontrés là-bas.

Alors que nous nous en étions soigneusement tenus à l'écart durant notre séjour, l'actualité française que nous découvrons en rentrant à Paris - les violences urbaines, les petites phrases des politiques - me semble incroyablement sotte en comparaison de tout ce que nous venons de voir.
Je m'étonne de ce vase clos, de ce vase socioculturel français, inefficace et fixé à ses fantasmes, à ses dialectiques sans fin, à la rhétorique creuse à pleurer de ses élites précieuses et ridicules, depuis le fascisme primaire de Sarkozy, l'égoïsme bourgeois et frileux de la droite, l'infantilisme et le babillage frénétique des journalistes, la brutalité et la mauvaise foi naturelles de la police, jusqu'à l'idiotie congénitale du parti communiste, en passant par le nationalisme et le racisme sournois d'une partie de la population – un filon poujadiste que tout un segment de la gauche essaye vilement d'exploiter depuis quelques temps.
Tout cela me consterne, et je me demande une nouvelle fois comment un peuple aussi bavard et aussi moralisateur peut agir avec aussi peu d'efficacité sur le terrain du social – lorsqu'on revient des Etats-Unis, un pays certes très libéral et peu enclin à faire des cadeaux, mais où le pragmatisme est de mise, dont le sens pratique et l'esprit d'aventure de sa population lui permettent, peut-être, de dépasser son nationalisme et son racisme, par ailleurs également indiscutables.

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Dimanche 20 novembre 2005

Soleil de novembre
Et voilà : une semaine à Paris, et je me sens déjà flasque, empoté, avec la tête lourde comme une grosse saucisse de Toulouse, lourde comme cette crème forestière du Monoprix République.

Heureusement, il y avait mon Jeroen, mercredi à 16h. Chaque fois que je l'aperçois, je me dis : mais il est scandaleusement beau… Il ouvre le piano, j'ouvre mes partitions. Après quelques vocalises d'entrée, je commence à glapir mes arias baroques. J'oublie alors sa fraîche beauté batave, ou plutôt, sa fraîche beauté batave vient accompagner mes miaulements de chat, comme un contrepoint enchanteur, comme un tapis de merveilles et de bijoux glissé sous mes pieds, et je ressors du cours hypnotisé, médusé, ensorcelé, complètement à l'ouest.
Ce type a sans doute un copain de toute façon. Et puis – c'est sûr – il ratisse backroom sur backroom, il est d'une exigence sexuelle qui me met hors-jeu, dall'inizio, je peux aller me rhabiller.

Ce soir, soirée à l'atelier. Juste avant, ciné au Majestic Bastille, avec Nico et Guigui ( A History of Violence, ou comment chatouiller la violence du spectateur même, et sa jouissance – enfin, je crois que c'était un peu ça, le truc caché).
Puis, dans ce nouveau bar branché de la rue JPT, le supermarché, la supérette, ou un nom de ce genre – enfin bref, plein de monde, des brochettes de nanas finement peinturlurées qui se tortillent sur des espagnolades, en vous décochant des œillades furtives.
Enfin, à l'atelier, où il faisait un froid glacial au début, on a allumé le poêle, et l'atmosphère s'est lentement réchauffée, sous l'œil imperturbable des peintures de Nicole, sur le ton des peccadilles idiotes de Bohême-Belleville, à mesure que les gens partaient et arrivaient, et jusqu'à ce que Nicole veuille absolument ôter la table de jardin, et là ça c'est mis à danser comme dans un petit club improvisé.
Tomo est vraiment sympa. Edith aussi. Le petit poêle s'est arrêté, à court de gaz.
Alexis (dit l'Afghane) avait ramené son dernier copain, un moche-beau plutôt pas mal, plutôt bien même, et j'étais jalouse comme une tique, mais je n'en ai rien laissé paraître naturellement ; oh, je suis bête, des fois, de jalouser les gens comme ça. A la fin, ce garçon a quand même fait circuler son poppers en dansant, drôle d'idée, jamais sans sexe, ai-je déclaré, avant d'en pomper comme un aspirateur.
On s'est quitté sur Etienne de Crécy, et je m'en suis rentré ici en pilotant au radar, à travers les premiers frimas hivernaux.

La dernière tuile : le chauffe-eau a rendu l'âme jeudi midi. Je prie pour que tout se passe bien avec le propriétaire, pour qu'il ne me fasse rien payer, c'est pas le moment.
L. a dormi deux nuits ici. Dois-je taire les pensées qui m'ont envahi ? Je ne devrais pas, c'est la preuve de ma fausseté (ou de ma fausse fausseté ?)

Lundi 28 novembre 2005

Mardi dernier, trois entretiens d'embauche, rien que ça.

D'abord à la Cité de la Musique, où le directeur informatique, sec et fin, la quarantaine juvénile, plutôt sympa et futé, m'avait prévenu qu'il n'aurait aucun poste à me proposer… Non non, juste faire connaissance… Des besoins ponctuels en 2006… Peut-être… S'il a des sous…
Parlons bibliothèques, standards, normes et archives. Oh, c'était intéressant.
Mais mes entretiens de recrutement deviennent des salons de thé, j'apporterai des biscuits la prochaine fois.

Puis dans une société de services déprimante, à Saint-Lazare, où une jeune fille blasée vous demande qui vous êtes (« - Vous êtes ? »), avec qui vous avez rendez-vous (« - Et vous avez rendez-vous avec ? »), vous indique une chaise dans l'entrée, vous tend une feuille de renseignements à remplir, et disparaît aussitôt.
Ambiance fonctionnellement triste, tristement fonctionnelle.
On vous récupère, on vous installe sur un coin de table, on va droit au but, pas de temps à perdre.
« Je vous laisse vous présenter. »
Je fais mon brillant topo habituel. Elle reprend le micro, m'explique le deal : « Ma cliente... machin... truc... Il faut encore que j'envoie votre CV à ma cliente... machin... truc... Je vais vous laisser ma carte... machin... truc... Voilà, à bientôt. »
Clic-clac, je suis dans la rue.
« Sa cliente » avait quand même l'air intéressante, donc j'attends de leurs nouvelles, et on verra bien.

Enfin, à Ivry, où un jeune (et gros) américain qui a monté un site de vente de meubles aux US recherche une machine humaine (genre moi) pour l'aider à faire le même travail ici. Il squatte un petit coin d'une agence multimédia, installée dans une ancienne fabrique joliment réaménagée (important, le lieu de travail). M'a offert un café, tutoyé, mais il ne m'écoutait pas, la mission était trop courte, sa méthodologie trop floue et la phase de conception trop avancée. Surtout, il m'aurait rapidement énervé, et réciproquement.

Mercredi, j'ai récupéré mon sujet d'examen probatoire – une horreur. Je vais passer un mois à ne faire que ça - des histoires de tolérances de panne, l'ennui total.
J'ai croisé mon Laurent par hasard – petite blessure d'âme qui se rouvre, petit regret qui se ravive. Mais ses yeux bruns sont si beaux, si beaux... Et puis il m'écoute parler, c'est gentil ça. Mon petit Lolo, viens dans mes bras, viens faire un calin à Babar.

Jeudi, Thursday's Cooking Lesson, cette semaine avec W. & T.
Alexis s'incruste avec un jeune photographe libanais (une Dominch en homme). On part fumer dans l'atelier. Nico en forme. Trois heures du mat, j'avance sous la neige fondante, frêle silhouette dans les ruelles grises, en écoutant Bola, une musique électronique glaciale qui me réchauffe le cœur.

Vendredi, je continue le développement de Détente-Machin, nouveau site de P.

Week-end à Rouen.
Dans la nuit de samedi à dimanche, je fais des rêves entêtants à propos de mon examen probatoire, je me retourne comme un poulet sur sa broche, sur mon lit d'ado dur comme du bois.
Je me réveille, la conscience agitée, je suis énervé par la couette qui n'arrête pas de sortir de sa housse, j'essaye de penser à autre chose, je me concentre sur Tintin au Tibet, que je venais de relire.
La montagne, la neige, la pureté, l'amitié, l'idéal - un album très beau, traversé par l'angoisse et le doute, une quête absolue dont la vanité n'est mise en défaut qu'à la dernière minute, un miroir de mes propres fascinations.
Très intéressant tout ça, oui, oui, analysons...
Pouf, je m'endors immédiatement.

Anniversaire de Zoé le lendemain. Rayons de soleil et averses alternent. Je ne mets pas un pied dehors, fait trop froid.
Pendant ce temps là, chez moi, on change le chauffe-eau, fini les bassines.

Dans le corail douillet qui me ramène sur Paris, qui traverse la campagne normande plongée dans les ténèbres et l'hiver, je m'endors sur le Bach d'Alexandre Tharaud, sentimental, mais très beau quand même.
Que des belles choses, encore, encore.

Mardi 6 décembre 2005

Les repas arrosés du jeudi soir (Katoon, Edith, Liz)
Ma vie s'écoule comme du sable sur le lit d'un fleuve.
Ma condition d'asocial pathologique se perpétue.
C'est dramatique, vite, un verre de vin rouge.

Je ne me trouve en présence d'êtres humains qu'au Monoprix, au (le samedi maintenant, avec cette bourgeoise en fourrure qui commence son cours sur le groupe professionnel en le comparant au scoutisme), et puis le jeudi soir, chez N.

Je réécoute Come from Heaven, un album d'Alpha terriblement lent, suave et douloureux, qui me rappelle Fred à chaque fois, tout en me renvoyant à une certaine époque.
C'était à la fin 2001, je crois, et cet idiot venait de me jeter.
On se connaissait depuis peu, on avait couché ensemble quelques fois. Si je ne mesurais pas bien ce que je ressentais pour lui, son refus me rendait malheureux – je commençais tout juste à m'attacher.
C'était le temps où j'enchaînais les rencontres internet une à une, courageusement, avec un optimisme remarquable, et des résultats mitigés. Je doutais moins de moi-même et de mon corps qu'aujourd'hui, tout en étant plus naïf sans doute.
Fred n'était pas très malin comme garçon, mais sa trombine juvénile, son corps délicat, sa douceur, sa voix légère, ses incertitudes, ses petits côtés narquois et ingénus me plaisaient.

JC, de passage à Paris, dort chez moi
Un soir, il a été très clair : il m'aimait bien, mais il n'était pas amoureux de moi. Il ne voulait pas me faire de la peine, mais c'était définitif.
Bon, bon, ok.
Ravalant silencieusement mon dépit, je ne pouvais cependant m'empêcher de penser : mais il me connaît si peu ! Voilà pourquoi il ne m'aime pas ! Ah s'il savait qui je suis vraiment...
J'ai mis plusieurs mois avant de l'oublier.
En fait, ses raisons étaient peut-être plus prosaïques. Enfin, sait-on jamais pourquoi les autres ne nous aiment pas ?

Et puis nous sommes allés ensemble à ce concert d'Alpha, avec Goldfrapp en première partie (ou l'inverse).
C'était très beau, des spirales de grands sentiments mélancoliques, d'émotions sucrées, de rêveries hallucinées, debout devant la scène, à ses côtés.
Après le concert, nous avons pris un verre dans un bar de Montmartre - il était gai, moi aussi.
Il m'a proposé de dormir chez lui, tout en me prévenant que ce ne serait que pour une nuit.
Elle fut très douce, passée contre son corps laiteux, fin comme du roseau, imberbe - une perle.
Il n'y avait rien à espérer, mais j'étais trop heureux de pouvoir repasser une nuit avec lui.
Ce n'était pas tant le sexe, ni les sentiments je pense, mais un état intérmédiaire, vague, calme et sensuel, où je me sentais en confiance.

Le lendemain, il faisait gris, il pleuvait, je pouvais voir le ciel gris de Paris par la fenêtre.
Il a mis Brigitte Fontaine, j'ai avalé un petit déjeuner rapide, et il m'a laissé rentrer chez moi tout seul, par le bus, le 96.

Tous ces détails me reviennent nettement.
Quel idiot.
Serais-je encore capable de revivre ce genre d'histoire à deux euros ?
Ça me ferait sortir de ma caverne-martyr, ce serait pas mal. Mais avec le temps je doute complètement de ma capacité à séduire, à séduire celui qui peut me séduire, et puis je ne sais pas si je pourrais de nouveau supporter les petits drames de ce genre.
Où, comment retrouver l'énergie et la confiance, la confiance en moi et dans les autres ?

Dimanche 11 décembre 2005

Sec comme une branche morte
Je suis un gay urbain bien ordinaire. J'aime danser, séduire, batifoler, observer les mecs, faire ma pétasse bécasse, et pourtant les lois sociales – guidées par le profit ou par le plaisir que les autres peuvent miser sur vous – me dépassent et me paralysent.
C'est ce que je tentais d'expliquer à N. tout à l'heure, lorsqu'il m'a retenu au moment de quitter l'atelier.
Il essayait de m'expliquer que ceci, que je suis mignon, que cela, que je peux attirer, que voilà, que je ne crois pas assez en moi, ...et bien sûr que je nage en plein dans cette problématique !
Mais N., c'est un ami, je le connais, il me connaît, c'est facile.
Dans la jungle de la société, c'est autre chose. Chacun va là où son plaisir le guide, peu importe la nature de ce plaisir, et moi je n'ai plus la béquille du travail convenablement assumé, la semelle orthopédique de la quête du plaisir propre, cette forme de compensation, cette vilaine équation : je bosse, donc je peux jouir.

J'ai l'impression de ne plus exister. Je ne fonctionne plus que par représentation. Représentation de moi sur un CV (force productive potentielle, vendue à un certain prix), représentation de moi sur internet (bloggeuse narcissique au verbe dépressif - ou dépréciatif ?), représentation de moi au (futur ingénieur plein d'espoir, à placer dans quelque hiérarchie intermédiaire), représentation de moi dans une soirée (vieux garçon élusif, qui se réchauffe avec l'alcool).

Je ne saisis plus rien, je ne profite plus de rien, en tout cas plus de personne.
Tout à l'heure, en enfilant la clef dans la serrure de mon studio tout chaud, en rentrant chez moi, je me suis demandé ce que je pourrais bien apporter à un garçon.
Rien. Même ça, enfiler, rien.
C'est que je commence à la connaître, la joyeuse économie du plaisir chez les gays !

Mais rien. Je ne peux rien assumer pour eux. Rien apporter à leur attente. Je ne peux que les écouter, et eux ne peuvent que m'écouter dans une insupportable dialectique en impasse, en miroir, triste à mourir.
Faire des choses, se consacrer à des choses.
S'occuper, pour remplir ce grand manque universel, tenter de couvrir cette béance dans notre rapport à l'autre. Du yoga, comme Marteen, de l'escalade, comme Dominch, de la peinture, comme Nico.
Mais dès qu'on appartient à un cercle, dès qu'on se place sur un réseau – de pairs, d'amis – si petit soit-il, je crois que c'est déjà plus facile.
Mais les réseaux me font horreur aujourd'hui - en tout cas les groupes.
Et je ne sais pas bien approcher l'individu, je me méfie de lui. Et lorsque je suis en confiance, je ne peux pas le combler, ça me gêne, je me dis : il va partir.
Reflet de ma propre impuissance à être comblé probablement.

Alors que faire ? Si je suis incapable de répondre aux besoins de l'individu, comme à ceux du collectif, que me reste-t-il à faire ?
J'étouffe autant de la solitude.

Vendredi 16 décembre 2005

Beuârk
Mon mémoire n'avance pas beaucoup, le sujet me barbe au delà de tout.
Et les cadeaux de Noël ne sont toujours pas achetés.
D. a passé 2 nuits ici.

Quand il ne fait pas froid, il pleut.
Quand il fait beau, je dors.

Salon de recrutement ingénieur au CNIT.
Les recruteurs : une poignée de cadres hautains et mielleux protégés derrière leur stand. Les recrutés : des troupeaux de pingouins qui tirent la langue. On est loin des salons de 1999 ou de 2000, avec les rôles inversés.
En mobilisant ma meilleure volonté, j'ai cependant réussi à activer quelques muscles du visage, à esquisser un semblant de sourire, et à faire mon numéro à 4 boîtes au total - dont aucune ne m'intéressait vraiment.

Quelques rêves absurdes, mi-érotiques, mi-angoissés.
Par exemple, je croise un couple de mecs, dont un qui m'attire particulièrement. Ils sont en couple, donc je ne m'incruste pas - je suis un garçon bien élevé.
Ils s'en vont, ils rentrent chez eux gentiment, mais je les vois choper un autre mec au passage. Quelle cloche, j'aurais dû tenter quelque chose en fait. A quatre, ce serait super, voilà ce que je me dis.
Mon subconscient étant sans doute trop dégoûté, je me retrouve quand même chez eux, pouf.
Le mec que j'aime bien gagne sa chambre et s'étend sur le lit.
Il faut que je fasse diversion, que j'occupe son copain – que je m'en vais trouver au salon.
Je lui mets une cassette vidéo (la ruse !!), un film d'horreur qui s'appelle Autoroute.
Ça commence par un long travelling avant, le macadam défile sur l'écran. Le visage du copain s'anime, il déchiffre les grands panneaux bleus et verts sur le bas côté, il veut connaître le numéro de l'autoroute. Il crie à son copain, qui est toujours allongé dans sa chambre : c'est l'autoroute 163 !! J'en déduis qu'ils ont fait une sorte de road-movie aux Etats-Unis tous les deux, et qu'il est tout content de reconnaître l'endroit.
Mais la voiture accélère, elle déboîte sur la file de gauche, elle double tout le monde à une allure folle. La musique se fait menaçante, quelque chose va se passer. Soudain, un feu tricolore surgit sur la droite, et passe au rouge. Quelle horreur !
La voiture pile… et arrive à freiner. Soulagement général. Quelques mètres plus loin, le feu est passé au vert pour les voitures qui arrivent d'une voie adjacente.
Nous l'avons échappé belle.
Ce terrible film d'épouvante épouvantable ayant visiblement captivé l'attention du copain, j'en profite pour m'éclipser et rejoindre le mec que j'aime bien dans sa chambre. Je m'allonge direct sur lui, il sourit, il fait quelques manières pour la forme, on s'embrasse, etc.

Interprétation : les routes, les panneaux, les feux de signalisation : trucs d'enfance. Obsession associée : ne pas s'éloigner de la voie, respecter le code de la route. Le code. Mais finalement, je suis bien obligé de constater que j'arrive à mes fins par des voies détournées.

Autre rêve : le centre de consultation psy où je me rends chaque vendredi. Tout y est transformé. Mon psy n'arrête pas de parler, il fait de la pub pour je ne sais plus quoi. Le centre ressemble à une secte, ce ne sont que des charlatans. Décision prise dans le rêve : je n'y remets plus les pieds.
En fait, c'est vrai que ça me saoulait d'y aller aujourd'hui. Mais je n'ai pas dit que je n'y remettrai plus les pieds.
De toute façon, il faut que je parle, sinon je crois que je meurs.

Mercredi 28 décembre 2005

Mon vieux quartier, ma vieille rue
La date butoir pour rendre mon petit mémoire sur les dispositifs à tolérance de panne approche. J'ai le nez plongé dans une littérature indigeste et fastidieuse - des thèses denses comme du plomb, d'ambitieux articles de recherche, des romans abstraits sur le concept asynchrone - et j'ai l'impression de devoir ranger le plus rapidement possible des tas de diablotins et de ressorts récalcitrants dans une boîte, sans avoir pu tout digérer. Vite, refermons-la.
C'est la perspective d'être bientôt débarrassé de ce pensum qui me fait avancer.
En parlant de digestion, Noël est passé très vite, avec sœurs et parents le 24 au soir, et une visite de courtoisie aux grands-parents le 25 (ils sont très diminués).

Avec maman et S., on s'est remémoré la SHUR, Ilius, le temps où je prenais des leçons d'équitation. Des détails insignifiants me sont revenus - l'interdiction de crier ou de faire des mouvements brusques autour des chevaux, la présence d'une glace dans le manège, la sensation de montonie et de la répétition liée aux tours de manège. Souvenirs mi-fascinants, mi-terrifiants – le milieu hippique, ces grosses bêtes puissantes et passives, mais peureuses, leur harnachement, leur dressage, le saut d'obstacle, l'angoisse de la chute, le protocole, l'odeur du crottin, du cuir, l'impression d'avoir été une sorte de petit soldat. On commande à un animal, on est commandé par un moniteur. Mon moniteur, Jean-Pierre, une espèce de Popeye rugissant, pas très séduisant, et plus sec qu'un caillou. J'étais un bon petit soldat que ça faisait chier d'être là, à me dandiner une heure durant sur une selle dans le froid, parce qu'on m'y avait contraint et que c'était dur, mais je crois que j'en retirais une forme de plaisir, lié à l'action, à l'étrangeté d'un truc rituel, à la présence d'animaux et à la proximité de la nature, à la liberté qui m'était conférée dans l'enceinte du centre, à la connaissance d'un code partagé au sein d'une communauté.

A part ça, je suis seul sur Paris, je crois que tout le monde est parti.
Il neige un peu.
Besoin hystérique qu'on me laisse tranquille, mais pour le moment, on me laisse à peu près tranquille.
J'ai peur des messages sur mon répondeur, peur lorsque j'ouvre ma boîte aux lettres, qu'une quelconque administration me cherche des noises.

Samedi 31 décembre 2005

Bouillasse in Paris
Rêvé que je perdais mes deux couronnes, à force de manger trop de chocolat. Je veux traiter ça au plus vite, mais impossible de retrouver ma dentiste préférée dans les pages jaunes.

Rêvé aussi que j'allais prendre une douche au lycée Corneille. J'entends un bruit de cataracte, toutes les salles de bain sont occupées, c'est normal, c'est le soir, et les internes font leurs ablutions. Je finis par tomber sur une grande pièce avec plusieurs lavabos ultra-chics, libres. Sur un lit dans un coin, quelques filles bavassent. Je ne me laisse pas décontenancer, je m'avance vers un lavabo et j'ouvre ma trousse de toilette. L'une des filles me demande ce que je fais.
« - Ah, je suis dans une chambre ? » fais-je d'une voix idiote.
« - Bin oui. ». C'est Virginie qui parle, la fille de M., que je ne n'ai pourtant pas revue depuis au moins 20 ans. Elle me demande où j'habite maintenant. Je lui réponds rue du Temple, près de Répu.
« Ouais, nulle part, quoi... » m'assène-t-elle. Il y a une fille blonde avec elle, j'ai l'impression de la connaître, ou de l'avoir connue.

Si mineur, et mon cœur, en langueur, se leurre
Récemment encore j'ai rêvé que - mon bail terminé - j'avais trouvé refuge dans un misérable petit réduit, au milieu de la cour, à l'emplacement des poubelles. Je repensais au bon vieux temps où j'habitais le deuxième étage, à la chance que j'avais... avant.

Rêvé que j'oubliais de rendre mon mémoire, que je perdais mon écharpe noire, que je revenais à Vernet avec mes grands-parents, que je montrais à papi un immeuble dont une partie des étages avait été rasée.

Je ne vais pas analyser tout ça, mais je crois que c'est un peu le marc de mes angoisses diurnes. Et puis le matin je dors mal, il y a tout le temps du bruit quelque part, et le voisin qui escalade déjà pour la centième fois de la journée l'escalier si sonore, et un marteau qui s'acharne dans l'immeuble d'en face, et le ronron des machines à tisser de l'atelier clandestin derrière mon mur. Je m'enfourne la tête sous de gros oreillers, mais je me mets à avoir trop chaud.
Il est question de quelque chose que l'on m'enlève, que l'on m'ôte, et l'idée d'un échec associé.

Flocons et vent glacé dans le cou
La nuit dernière, rêve d'un autre genre : Marteen et moi allons décerner les Machines à Laver Awards (qu'est-ce que c'est, je ne sais pas), le tout sur une chanson horripilante d'Alain Chamfort. On a nos petites fiches en main. Et puis ça se termine subitement à Zürich, où je pars à la recherche de je ne sais plus quoi, le temps perdu sans doute.

« Libération » se laisse aller à un bilan plus sombre que de l'encre noire. Du succès inattendu de l'exposition Mélancolie du Grand Palais aux désastres des mandats chi-chi, du référendum sur la Constitution Européenne aux petites blessures d'amour-propre façon J.O. 2012, des banlieues en folie au monstrueux Sarkozy, tout y passe, ça fait mouche, et c'est glaçant.
Mais je m'en vais surfer sur le Guardian ou sur le New York Times, et les nouvelles ne se démarquent pas de ce qu'elles étaient hier. Same time tomorrow, comme dit Laurie Anderson. La presse anglo-saxonne, imperturbable, droite comme un i, me rassure.
Le catastrophisme est pourtant de mise en France en ce nouvel an 2006, et l'atmosphère n'est pas très gaie – encore que j'ai du mal à la distinguer des miasmes de ma propre dépression. Les Français noient leur chagrin dans ce champagne dont ils sont si fiers.

Dimanche 8 janvier 2006

L'auteur et sa théière
Le mémoire est rendu, reste la soutenance. Mais déjà je me sens soulagé, ce détail scolaire ridicule me pesait sur la conscience. Et j'ai enfin reçu mon diplôme du DEST, le produit de deux années de dignes efforts à aller se traîner sur des bancs d'école plusieurs soirs par semaine - en des compagnies pas toujours follement émoustillantes.

La semaine dernière, mécontent que tout le monde se soit évadé pour le nouvel an, je m'apprêtais à passer la soirée dans la morne tiédeur de mon studio, aussi seul et désolé qu'un ermite, à manger des pâtes au saumon en comptant les derniers vrais amis qui me restaient, quand j'ai été invité par As. et Er. – qui avaient organisé une modeste dînette, de quoi m'éviter de sombrer dans un désespoir abyssal. L'air fut piquant cette nuit là, et j'étais de bonne humeur lorsque je suis redescendu vers trois heures du matin, par la rue de Belleville, pleine de gens anodins qui s'en rentraient aussi chez eux, frileux, satisfaits et grisés par le vin.

« … there is a light that never goes out… » me miaule Morrissey à l'oreille. J'avais oublié cette chanson, c'est drôle comme la musique des Smiths s'harmonise avec un âge, avec un état d'esprit, une innocence dramatique et sucrée que je suis content de retrouver. Mais malgré la condescendance de ce mot – innocence – ça me parle autant qu'avant. C'est simplement que le travail, les adultes, les contrats passés avec la société, m'ont désillusionné, comme si le fait de s'être prêté aux jeux de cette société salissait irrémédiablement les mains.


Je vais arrêter ce journal, qui n'en a jamais vraiment été un de toute façon. Je dois regarder la réalité en face, je n'arrive plus à ignorer la présence des lecteurs, et plusieurs fois je me suis retenu de dire ce que je pensais de personnes proches.
A un moment donné, et non sans un certain paradoxe, j'avais même cru que mon site pourrait m'aider à faire quelques rencontres, plus subtiles que celles de Citegay, avant de me rendre à la raison.
Pire, il m'arrive de supposer que ce sont ces mêmes regards extérieurs qui me paralysent et entretiennent mon espèce d'insupportable léthargie actuelle - même si j'aurais du mal à expliquer en quoi.
Le malin plaisir que je prenais à styliser mes complaintes s'est émoussé, le désert de ma vie me fait honte et je ne peux plus supporter que mon mal-être, mes angoisses morbides ou infantiles, ma solitude affective, se filtrent ainsi en des petites piges douces-amères et appliquées, lorsque j'en souffre autant et que je voudrais tellement en être libéré.
Pour autant, je ne crois pas aux beautés intérieures, aux quatre vérités intimes, que l'on garderait par devers-soi, comme dans un grand manteau d'hermine, j'aime bien la ramener parfois, et peut-être est-ce dans ma nature que de mélanger pudeur maladive et étalage excentrique. En fait, je crois que ma peur des inconnus et mon constant manque de confiance en moi me maintiennent dans les pénombres et la réserve depuis l'adolescence, et je n'ai vraiment avancé dans la vie que lorsque je suis parvenu à briser cette glace névrotique affreuse.
En tout cas, je veux arrêter ce monologue absurde, mais peut-être que je mettrai à jour quelques rubriques de temps en temps.

Dimanche 15 janvier 2006

Juste avant l'examen
Je reçois des mails de gens qui ont pris l'habitude de venir ici, et qui m'écrivent des mots doux depuis que j'ai déclaré que ce serait la dernière séance (comme Bowie en 73, comme le rappelle Julien).

Vous êtes sympas, tous, mais bon.. je vais pas vous raconter tous les jours que j'ai des chauds et froids dans mon lit et que la DRH de la boîte Truc-Muche est une idiote. Que j'ai vu un garçon dans la rue qui ne m'a pas regardé, que j'écoute Bach et Madonna, et que le me sort par les yeux.
D'ailleurs, il m'est arrivé un truc très triste vendredi dernier : un échec à mon examen probatoire, contre toute attente - une blessure narcissique folle, un traumatisme démesuré, j'avais envie de vomir, de hurler sur tous les doigts toits mon insondable désarroi, que je suis victime d'une épouvantable injustice, victime d'un monstre que mes airs posés et mes manières délicates ont dû ulcérer, comme il arrive parfois, et que même si la terre entière m'écoutait, ça ne suffirait pas à épancher toute l'étendue de mon amertume et de ma peine.

Juste avant Charlotte Perriand
Mais bon, une fois franchi le mur des lamentations, une fois mes chaudes larmes séchées et l'amère potion digérée, dans dix jours (il me faudra bien ça), j'en reviendrai déjà à mes petites promenades solitaires et tristounettes, à mes gueules de bois, à mes retours en Normandie misérabilistes, à mes photographies de poubelles et de rues en perspective, tandis que je ne parlerai toujours pas de mon ami X, et de ses périodes fébriles, ou de mon ami Y, qui n'est peut-être même plus mon ami d'ailleurs, parce qu'il est trop plein de duplicité et d'orgueil, ni de Z, qui n'est pas méchant mais complètement maboul. Ni de ***, qui ne m'aime pas tellement sur le fond, sur le vrai fond, je le sens. Mais elle est tellement caractérielle aussi.
Or, ce serait de ça dont il serait intéressant de parler, hein, mais si je le faisais, ça viendrait tôt ou tard à leurs oreilles, et je n'aime pas blesser les gens (et ce n'est pas dans un journal intime que l'on va dire du bien de ses amis - même si on les aime, ou alors une fois par mois, parce qu'ils nous ont rendu un fier service)
Les relations d'amitié, fortes ou légères, c'est plein de choses délicates à manier, ça évolue, c'est indéterminé, fragile, ça porte l'empreinte de ce que nous sommes à un moment donné, et ça ne concerne pas les autres, en tout cas pas au moment où on les vit.

Bref, je vais faire autre chose, parce que j'ai quand même envie de m'exprimer aujourd'hui, malgré mon manque d'inspiration, peut-être parce que je me sens assez seul finalement. Je ferai ça autrement, ou je publierai tout plus tard, je n'en sais rien encore, et puis, et puis je vais me coucher.