Journal 2007

Mardi 2 janvier 2007

La belle vie que voilà
Un nouvel an des plus sinistres, que j'ai passé ici tout seul. Aux douze coups de minuit, j'ai joué un peu de piano, pour m'isoler de l'hystérie générale qui s'est soudain emparée de tout le quartier.
Au troisième étage, particulièrement agités, ils ont hurlé et cogné contre les murs à tout rompre, en souhaitant une bonne année aux habitants d'un immeuble voisin, mais ça a rapidement dérivé en considérations politiques, avant de se terminer en échanges d'insultes.
J'étais un peu grippé de toute façon, et je ne tenais pas particulièrement à sortir – même si je n'avais reçu aucune proposition de sortie.

Je me sentais déçu de tout.
Pas seulement ce soir ; c'est un état qui perdure depuis des mois.
C'est comme si j'avais lâché prise, que je me voyais lentement dériver, et que j'assistais, impuissant, à la lente dégradation de mon rapport au monde et aux autres.
Autour de moi, les gens mènent leur vie, avec laquelle ils ont assez de soucis, et je ne suis pas leur bébé.
Ça, je le sais bien pourtant. Alors pourquoi étais-je déçu malgré tout, puisque je sais bien ce qu'il en est réellement des gens entre eux ? Peut-être à cause de N., qui était passé la veille, et qui ne m'avait montré nulle compassion – juste des fanfaronnades et un mépris à peine voilé vis à vis de ma misérable existence. Il me blessait, mais je ne trouvais rien à répondre, on a juste rigolé, de ceci et de cela, dans la fumée grise de son chichon qui envahissait l'appartement, mais je n'arrivais même pas à articuler le fait que je suffoquais et que je voulais aller au lit. Aussi, lorsque son portable a sonné le lendemain, peu avant les fameux douze coups de minuit, je n'ai même pas eu la force de répondre (en fait c'était M. – ils s'amusaient bien, Dieu sait où).

Depuis, les jours passent sans que je m'en rende compte.
J'aime le moment d'aller au lit, de me plonger dans Proust ou Tchékov. L'immeuble est silencieux, l'air est sain, la nuit hors du temps, c'est comme une pause, comme si le temps n'existait plus que pour moi, l'espace de quelques minutes, que la vie m'accordait un moment de plénitude, à moi, juste à moi, en catimini, parce que tous les autres dorment, et qu'ils ne peuvent pas me disputer cette plénitude pendant qu'ils dorment.

Du coup, j'ai aussi terminé ce réjouissant petit clip, sur une sémillante petite impro-compo, que je mets en ligne sur YouTube pour commencer gaiement l'année. On pourrait appeler ça : "Célibataire", ou : "Oh la belle vie que voilà", ou bien : "Babarella va se coucher", ou bien encore : "Paris Paris", j'hésite.

Lundi 15 janvier 2007

Ma piscine préférée étant fermée pour cause de vidange, je suis monté à celle de la porte des Lilas, jeudi soir dernier.
Une véritable usine : le bassin de cinquante mètres y est divisé en deux, et c'est répartis dans une quinzaine d'étroites lignes d'eau que les nageurs enchaînent leurs longueurs, machinalement, industriellement, comme des poulets en batterie. Au milieu du bassin, j'ai quand même remarqué un groupe de jeunes filles ricanantes qui faisaient le concours de la brasse la plus lente, nageant côte à côte dans la ligne, comme elles se tiennent sans doute aussi dans les escalators, et qui, après chaque longueur, s'arrêtaient pendant cinq minutes pour se raconter des blagues de secrétaires.
L'éclairage était tristounet, et la propreté des cabines un peu douteuse, donc je ne suis pas sûr d'y remettre les pieds.

S. est venue me rendre visite. On s'est raconté nos petites vies. Restau thaï un soir. Marché de Belleville le lendemain. Quelque part, son constat est identique au mien : passé trente ans, difficile de se trouver un copain. La plupart des mecs se sont dépêchés de se caser, sans doute davantage par peur de la solitude que par amour. Si bien que les filles qui ont voulu batifoler, jouer, expérimenter, ou qui s'y sont prises trop tard, paf, elles se retrouvent toutes seules, le bec dans l'eau. Et ce sont les nanas prévoyantes, équilibrées, rangées, lisses ou pleutres, qui sont en couple, qui ont des enfants, et qui les narguent maintenant.

A propos, j'ai vu un mec, hier, près du parc Monceau. Un de ces étalons infatigables qui ont une copine, et qui s'envoient des mecs dès que leur tendre moitié a le dos tourné. Lui, il est de la province, mais son boulot l'oblige à louer un petit appart sur Paris, où il vient passer quelques nuits, de temps à autre. « J'en profite pour m'amuser un peu… » m'avoue-t-il, goguenard. Et évidemment, elle n'est pas au courant de ce qu'il fait avec les mecs.
C'est fou, on a beau savoir que ces choses là existent, on est toujours un peu surpris lorsqu'on tombe dessus. Surtout qu'il ne se gênait pas, dans le feu de l'action, pour établir des comparaisons entre sa copine et moi, entre deux propos cochons. Une vraie caricature. Mais j'ai trouvé que la prestation était à la hauteur de ces rodomontades masculines, si j'ose dire.


A part ça ?
L'expo Meyerowitz : des instantanés dans les rues de New-York, de Saint-Louis, de Princetown, très ancrés dans les années 70 (les lunettes !). De beaux tirages en couleur, flatteurs, une technique efficace. Beaucoup de distance, malgré l'immersion fréquente dans la rue. Son travail est difficile à catégoriser, au carrefour d'influences diverses, on pense à une chose, puis à une autre. Il semble avoir photographié comme on le ferait avec un numérique aujourd'hui, et ses plus beaux clichés n'ont rien de commun entre eux.

A part ça ?

Les températures sont singulièrement clémentes depuis plusieurs jours. Personne pourtant ne semble se réjouir de cette douceur printanière qui fait bourgeonner les arbres en plein janvier, et les journaux, alarmistes, relatent chaque jour de nouvelles aberrations climatiques qui se produisent partout dans le monde actuellement. Il n'y a que les hommes politiques qui évitent le sujet – ce n'est peut-être pas de bon augure. On parle d'un courant marin déréglé dont les effets sur l'atmosphère viendraient s'ajouter à ceux du réchauffement global de la planète. Sur le fond, je me demande si l'homme a vraiment conscience de ce qui est en train de se passer. Je crois d'ailleurs que si le catastrophisme est de mise aujourd'hui, c'est moins à cause de ces perturbations climatiques, qu'il faut sans doute relativiser – pour le moment du moins – que du fait de l'impuissance manifeste dans laquelle se trouve l'homme à prévoir et à expliquer un tel phénomène d'envergure.

S'il n'y avait ces considérations arithmétiques dites du vote "utile", et si les verts français étaient moins décevants, dans leur incapacité à s'entendre entre eux (et pour le coup, à faire quelque chose d'utile), je serais presque tenté de voter vert aux prochaines élections, et je ne serais sans doute pas le seul. Mais je ne crois pas que, ce faisant, je succomberais à ce catastrophisme ambiant – après tout, j'ai déjà voté vert, et j'ai toujours éprouvé de la sympathie pour leurs idées. Il y a d'ailleurs aussi beaucoup de gens à qui la cause écolo donne des boutons ; paradoxalement, plus l'homme est témoin de certaines choses, moins il semble prêt à les accepter, et c'est souvent trop tard qu'il se réveille, et que, penaud, il mesure l'étendue du désastre.

Cela dit, comme toujours, il est difficile de déterminer jusqu'à quel point on est influencé par le contexte, par la loupe grossissante des média, et par le goût malsain pour le spectaculaire. Mais je sais bien que l'obsession d'être manipulé est au moins aussi délétère que la manipulation, surtout parmi ceux qui se piquent de sens critique. Le terme même de manipulation ouvre la porte à des glissades réthoriques aussi malsaines que ce que le terme est censé dénoncer (ils gouvernent le monde, ils nous influencent, ils nous etc, et derrière ce ils, on peut mettre tout ce que l'on veut). En l'occurence, ici, personne ne manipule sciemment le climat.
Aussi, en indécrottable et déséspérant sceptique que je suis, je crois que, face à l'impossibilité de savoir vraiment ce qu'il en est de certaines choses extérieures, parce que celles-ci sont trop complexes, ou qu'elles résistent à notre entendement, nous n'avons pas d'autre choix que de nous en remettre à notre bon sens, à notre intuition, à notre penchant naturel. Et ce n'est pas que du rousseauisme de ma part, je crois vraiment que notre époque est remplie de leurres (pour autant que cela soit une caractéristique de notre époque), essentiellement dialectiques, pas forcément délibérés, mais plutôt nés de l'enchevêtrement des discours, et ce ne seront pas les plus malins qui auront raison, en dernier lieu. Les plus avertis ?

Mardi 30 janvier 1997

Ma piscine
Ma leçon de crawl.
J'ai l'impression d'être une pauvre pomme, maladroite et essoufflée, désespérante. Lui, le maître-nageur, debout sur le bord du bassin, il est sur des charbons ardents, il m'explique les bons gestes à toute vitesse, en s'illustrant de ses bras et de ses jambes, souples comme des anguilles, et son débit est aussi fatigant que les exercices qu'il me fait faire. Au premier cours, sa frénésie m'avait tellement perturbé que je m'étais raidi comme une planche. Ce qui ne m'avait pas empêché de nager, du reste (une planche, ça flotte), mais le cours m'avait anéanti. Au deuxième cours, je savais donc à quoi m'attendre.
Alors, j'espère que je progresse, mais est-ce le cas ? Mystère mystère. C'est que je dois me concentrer sur des tas de trucs à la fois, les coudes, les épaules, le dos, les jambes, la respiration, les mains, les ci, les ça, c'est dur. Heureusement que je suis motivé. Motivé pour quoi d'ailleurs, je ne sais pas, bien nager peut-être, c'est esthétique, une belle nage.
Il m'a fait mettre des palmes, c'était rigolo. Mais j'ai chopé des crampes sous la plante des pieds presque instantanément. Heureusement, c'étaient de petites crampes, que j'ai mâlement ignorées. De toute façon, je ne peux pas en placer une, lorsque je lui raconte que je bois la tasse, il m'écoute à peine, alors mes crampes de fifille...
Mais il n'est pas méchant, ce maître-nageur, et je le préfère au jeunot un peu mollasse qui m'avait donné ma première leçon. C'est que j'aime bien être secoué, moi, finalement.

Et puis j'ai enfin acheté un vélo (je dois être d'humeur sportive ces temps-ci), un vieux vélo de route que j'ai payé pas trop cher sur eBay, et que je suis allé récupérer chez son propriétaire, quelque part dans Vincennes. Les freins déconnaient (pour le prix, il fallait bien qu'il y ait quelque chose qui cloche) donc je lui ai fait faire une révision générale dans un petit magasin de la rue d'Hauteville, où il y a un gros chat gris qui vous regarde, assis sur le comptoir, entre les selles à vélo et les catadioptres. Lorsque je suis revenu chercher l'engin réparé, et que j'ai voulu rentrer à la maison, la circulation, ce vendredi soir, aux abords de la gare de l'est, était tellement apocalyptique, que j'ai mis pied à terre et que j'ai traversé le boulevard de Magenta en tenant mon vélo à la main.

J'ai fait une première ballade dans le bois de Vincennes, puis une seconde le long du canal Saint-Martin.
Je suis ravi, avec la natation, c'est une nouvelle échappatoire à mes mornes perspectives parisiennes qui s'offre à moi.
Mais j'avais sous-estimé les dangers du vélo à Paris. Ma dernière expérience remontait à une promenade bucolique en compagnie de Patrick, sur une bécane de la RATP, un dimanche radieux de juillet.
Le danger est permanent ; si on voit une situation potentiellement dangereuse se former, alors une fois sur deux, le danger surviendra effectivement. Par exemple, ce piéton pressé, là, il s'approche de ma piste cyclable, et il pourrait bien ne pas se retourner pour vérifier qu'il n'arrive pas de vélo… Et oui, il s'engage sur la piste sans regarder, et je dois freiner au dernier moment. De cette inoffensive porte cochère, là, sur le boulevard de Belleville, il pourrait bien surgir une voiture... Et en effet une voiture déboule comme un diable, au moment même où j'arrive… Et cette camionnette, sagement arrêtée au feu rouge, elle pourrait bien démarrer avant même que le feu ne passe au vert, et m'empêcher de traverser la rue à temps. Et oui, elle démarre bien avant que le feu ne passe au vert, et elle m'empêche effectivement de traverser la rue à temps.
Et je ne parle pas des véhicules garés carrément dans la piste cyclable.
Il faut vraiment monter sur un vélo pour se rendre compte de tout ça.
Heureusement, j'ai encore de bons réflexes, en plus de bons freins maintenant, alors à moi la liberté !

A part mes histoires de petite reine, un québécois est venu ici pour un « plan tonte ». Ou comment joindre l'utile à l'agréable. Mais l'accent québécois est tellement bizarre et inattendu que j'ai eu du mal à garder mon sérieux.

Ma dentiste préférée a déclaré que mes dents n'étaient pas trop mauvaises.

Et puis aujourd'hui, au Atac (« – Un prix pour la caisse 3 ! »), j'ai acheté deux litres de lait, alors que je venais d'en acheter deux autres à Monop, et que je n'avais même pas encore terminé la bouteille d'avant.
Du coup, ce soir, je me fais de la purée.

Voilà voilà, c'est passionnant, c'était ma petite vie.

Vendredi 9 février 2007

Le week-end dernier, enhardi et enchanté par ma précédente balade en vélo le long du canal de l'Ourcq, j'ai poussé l'exploration jusqu'à Sevran, sous un ciel azur et diaphane.
Après Pantin, les friches industrielles alternent avec les bretelles autoroutières et les paisibles quartiers résidentiels, lesquels finissent par s'imposer. Eussé-je continué ma route, malgré le soleil déclinant et une certaine fatigue montant dans mes jambes, je crois que j'aurais rapidement pénétré dans une campagne silencieuse.

Je suis rentré par Les Lilas, pensant trouver N. et M. en bleu de travail dans leur logis en devenir, mais je n'y ai vu personne, les volets étaient fermés.
En contrebas, Paris, tel un vaste océan couleur de cendre, baignait dans une brume légère.

Cette semaine, je me suis prêté à deux entretiens de recrutement, l'un dans le quinzième lundi, l'autre à Boulogne jeudi.

Lundi, ce sont deux femmes qui ont joué avec moi les recruteuses de charme pour un tiers client (car dans mon secteur, tout n'est qu'entremises de fortune et placements divers), deux femmes un peu précieuses et sucrées, qui ont fait mine d'entendre mes motivations et mes desseins, mais qui n'avaient manifestement que des euros dans les yeux, pareils aux rubans d'une machine à sous.
Et la bourgeoise de déclarer, moulée dans son pull Zadig et Voltaire, au moment de nous quitter, et alors que je déclarais habiter Belleville : « Aaah, j'adore ce quartier ! »

Jeudi, c'était la SSII classique que j'ai dû affronter, avec son baratin ordinaire sur les « valeurs d'entreprise », toujours nobles, le « chiffre d'affaire », toujours éloquent, et les « références », toujours épatantes. J'ai joué le jeu, comme d'habitude, tout en me demandant comment j'allais me sortir du pétrin où je m'étais laissé entraîner en acceptant pareil entretien. Je rempile ça avec eux lundi prochain, en compagnie, cette fois-ci, d'un « ingénieur d'affaires ».

Voilà comment je vais me présenter à mon prochain entretien
Boulogne-Billancourt
Il faudrait que je vienne avec un slip sur la tête, pour avoir la paix.

Avant le rendez-vous, j'ai pris par la rue de Sèvres, histoire de revoir l'immeuble où j'ai quand même travaillé deux ans. Heureusement que Dirk était là, à l'époque, me suis-je dit.
C'est l'un des anciens clients et voisins, la société P-I, qui a bien géré sa croissance (elle), qui occupe les locaux maintenant. G. doit être vert, mais c'est bien fait pour sa pomme, il n'avait qu'à donner sa confiance à des jeunes gens honnêtes et imaginatifs, comme D. (ou comme moi), plutôt qu'à ce potage de vieux escrocs et de blancs-becs présomptueux, fascinés par le golf, la bourse et entièrement donnés à Microsoft.

Ce soir, à Beaubourg, pour une expo de photographies contemporaines assez hétéroclites, un don de la Caisse des dépôts. Le nombre pléthorique des œuvres et leur installation assez sommaire ne mettaient rien en valeur (ce genre de collection officielle, ça ne peut être que le règne de la singularité), mais il y a quelques bijoux. Les portraits de Valérie Jouve par exemple – photographe que j'ai découverte par la même occasion. Les paysages urbains et industriels de Thierry Girard, de Paul Graham. Des clichés modernistes de Thomas Ruff, dont j'aimerais bien voir un musée parisien programmer une grande rétrospective un jour. Bill Owens, kitch et hilarant. Le pauvre Martin Parr est relégué dans un coin avec quatre petits 20x30, mais bien choisis. Non loin de lui, est accroché un joli Lorca di Corcia, avec son jeu de lumière raffiné. On ose un peu d'engagement politique avec les femmes voilées de Shadi Ghadirian, vraiment saisissantes (la femme-fer-à-repasser, la femme-théière, la femme-balai...). Je crois d'ailleurs qu'indépendamment de la critique fondamentaliste, l'idée fonctionnerait tout autant sans la présence du voile.
Les Becher n'ont droit qu'à un silo à grain, mais leur travail de longue haleine s'intègre assez mal dans une telle collection, pourtant assez proche, dans la thématique industrielle. Les grandes compositions hyperréalistes de Gursky par contre gardent tout leur pouvoir hypnotique, comme celles de l'usine de Volkswagen. Je suis fasciné par sa manière de rendre la complexité des petits motifs, il a vraiment trouvé une formule, une technique bien à lui pour restituer et amplifier les petites formes répétitives, en atténuant délicatement contrastes et couleurs.
Et puis tout un tas de photographes dont j'ai oublié les noms. Il manquait quand même Rineke Dijkstra et Nan Goldin, à l'esthétique sans doute trop éloignée des considérations de développement économique et territorial du mécène, mais je crois que les motivations de l'ensemble des photographes honorés par cette collection y étaient, sur le fond, tout aussi étrangères.

J'ai profité de ma présence à Beaubourg pour faire un détour par la petite expo consacrée à Hergé. Une interview datant des années 60 était projetée sur grand écran. Cet homme possède une manière incroyablement charmeuse de s'exprimer, toute en simplicité, en flegme et en modestie, avec un beau sourire (détail anatomique sans intérêt, ainsi qu'un sourcil droit triangulaire).
Lorsque le reporter lui demande pourquoi, selon lui, tant d'enfants dans le monde ont été séduits par le personnage de Tintin, il répond, fort uniment, que, sans doute, les enfants veulent s'identifier à ce héros. Je ne crois pas être très audacieux en soupçonnant surtout Hergé d'avoir voulu ressembler à Tintin, lui l'ancien scout, lui qui pose la loyauté en première des qualités d'un homme, et qui a fait le vœu d'être un jour en paix avec lui-même. C'est bien là son idéal.
Mais au-delà de cette question un peu psychanalytique, qui n'intéresse qu'un homme maintenant disparu, il reste quand même intact le mystère de l'invention de ce monde-là, de cet univers si riche, captivant, drôle, poétique et coloré, passionnant sous pleins d'aspects, qui a marqué mon imagination d'enfant, comme peu d'autres choses l'ont faites.

Mercredi 14 février 2007

Un peu de dioxine avant les agapes
Petite balade à vélo...
Samedi soir, dîner chez W. et T., en compagnie de N. et G.
Là, dans la chaleur de leur appartement bellevillois, on évoqua des après-soirées merveilleuses, on versa des bourbons somptueux, on diffusa des musiques entraînantes, avant que Will ne revête une longue robe verte olive qui s'avéra lui sier fort bien, et que des plats subtilement aromatisés au gingembre ne soient amenés sur la table. Et puis la digestion du repas a commencé à opérer, comme un mauvais sortilège, la Nicole s'est endormie sur le canapé, pouf, la musique s'est arrêtée, remplacée par des bruits de vaisselle, et chacun est rentré chez soi, muet et courbé sous la fatigue, sans nul autre désir que d'atterir dans un lit, pour s'y éteindre comme un feu mourant.
Le lendemain soir, ce fut à mon tour de recevoir, en l'occurrence P. et T., N. et G. et la Nath. J'ai essayé de m'appliquer sur le service, comme une petite souris industrieuse. Parfois, je fais des efforts, oui.

Le lendemain, expo-photo de Roman Vischniac, témoignage d'un monde disparu, le yiddishland des années 30, d'une misère incroyable. Parfois, l'urgence et le désir de montrer quelque chose amènent la beauté, presque par inadvertance.

Nestor, vous rangerez ça ici
Lundi, deux entretiens au programme. Ça a commencé par une société de services en informatique du huitième arrondissement, spécialisée dans la finance, à la porte de laquelle j'ai été accueilli par un monsieur en complet veston, chapeauté d'une belle kippa bleue et blanche, qui, lorsque je me suis présenté, a déclaré en regardant la secrétaire : « Ah, ça doit être pour Jacob, ça. ». On m'a désigné un fauteuil où patienter, tandis que la secrétaire se mettait à rire du taux d'intérêt ridiculement bas qu'un commercial, la démarchant par téléphone, venait de lui proposer. Parfois, dans la vie, les clichés s'imposent d'eux-mêmes...
Au final, j'ai trouvé la proposition de Jacob guère enthousiasmante (de l'import de fichiers, en gros), surtout qu'il me regardait à peine, et qu'il recouvrait mon CV de petits gribouillis, le malotru, si bien que ce n'est que lorsque j'ai commencé à lui faire comprendre que, tout bien pesé, son projet ne me bottait pas des masses (en substance), qu'il a cessé de m'interroger d'une manière suspicieuse sur mes compétences, qu'il s'est mis à vanter les qualités mirifiques du poste, avant de prendre un air doucereux pour m'expliquer que la finance, c'est très intéressant, vraiment, surtout à mon âge, où l'on commence à se constituer un patrimoine, etc, etc.
Au secours !

Petit café avant l'entretien
Comme j'avais deux heures à tuer avant mon rendez-vous suivant, à Boulogne, j'ai été visiter le musée Jacquemart-André, où je n'étais jamais entré.
Aaaah, la bourgeoisie esthète. Aaaah, la Renaissance italienne. Aaaah, le second Empire. Aaaah, les parquets cirés qui crissent sous les pas nonchalants de l'amateur de peinture. Aaaah, l'atmosphère feutrée des boudoirs et des fumoirs, meublés de fines chinoiseries et de précieux trésors coloniaux. Aaaah, le chuchotement exaspéré des retraités qui n'arrivent pas à faire marcher leur audioguide.

A Boulogne, l'ingénieur d'affaires, alors que je lui disais préférer le secteur des média et de la culture à celui de la finance (je préfère être franc maintenant), m'a répondu :
« - Ah oui ? Nous avons justement conclu un partenariat avec TF1… »
Pitié, laissez moi sortir !

Désespéré, je me suis précipité vers le métro, la ligne 9, celle qui serpente sous le seizième arrondissement à la façon d'un tortillard, en contournant les grandes caves des riches, remplies de caisses de vins millésimés, celle ligne 9 qui me donne la migraine, et j'ai débarqué place Voltaire, où j'ai pris une bière avec P., que je n'avais pas revu depuis longtemps, et qui m'a parlé de cet audit de mauvais augure qu'un vilain monsieur est venu dresser dans les locaux d'UE récemment.

Hier soir, j'ai vu Lolo, de passage sur Paris pour un colloque organisé par l'UFFEJ sur le cinéma et les ados. On a regardé ensemble "Netto", un film allemand sur le thème du rapport père-fils, dans le contexte du Berlin de l'après chute du mur, et de sa sinistrose économique. Pas mal, sincère, poétique, un poil niais peut-être.

Quai de Loire / Quai de Seine
Par contre, "La Vie des Autres", que j'ai vu ce soir, juste après mon cours de chant (j'étais en forme, je suis monté jusqu'au la, bientôt je pourrai jouer la Reine de la Nuit, a plaisanté J.) est excellent. On voit rarement des films aussi efficaces sur tous les plans à la fois : la mise en scène, le scénario, les acteurs, et jusqu'à la musique, de facture classique, mais plutôt belle. Et le réalisateur se pique même d'intercaler quelques gags, dans une atmosphère pesante et dramatique, et il y arrive plutôt finement j'ai trouvé (or, au risque d'émettre un préjugé ridicule, l'humour allemand est-il toujours à la hauteur des saucisses ?). Mieux encore, il parvient à être émouvant, alors que son cinéma est d'une veine froidement réaliste. Quel brio.

Mercredi 28 février 2007

Vendredi soir, dîner chez Nath.
Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas tous retrouvé dans son élégant repaire, avec les débats habituels, les spectacles de Nina, les plats raffinés, le Lefort...
Mais je crois que je fais une indigestion de politique. On dirait que tout le monde tourne en rond en jappant autour de quelque chose qui n'existe pas. On voudrait élever le débat, mais plus on veut l'élever, plus on l'enfonce dans un bourbier de fausses certitudes et de pronostics de tiercé. J'ai l'impression d'entendre des gens tenter de convaincre leurs propres ombres, d'entendre des gens s'illusionner au son de leur propre voix, d'entendre des gens hausser le ton contre leur propre reflet, expliquer la vie à des miroirs, croire essentiels des enjeux et des échéances qui ne les ramèneront qu'à eux-mêmes, au bout du compte, qu'à leur propre vide, à leur propre solitude, à leur propre sentiment d'inaccompli et d'incomplétude.
Il sera élu, elle sera élue, et nous irons tous nous coucher, et nous passerons une nuit sans rêve, et le lendemain matin, en buvant notre café, il nous faudra affronter la même nullité de notre existence, la même que celle d'hier et la même que celle de demain. Comme après une grosse teuf arrosée et bavarde, mais sans l'amusement et les rires d'une soirée. Une fête de croque-morts, un truc triste et gris, comme une foire-à-tout de novembre.
Et avec le recul, on se demandera : mais comment a-t-on pu se passionner pour un tel cirque, prendre au sérieux d'aussi sinistres clowns ?

Qu'est-ce qu'il disait déjà, Flaubert ?
« La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

Samedi, chez Michael. Il m'accompagne sur quelques arias de Haendel. Sans échauffement, c'est un peu une catastrophe. Et me voici braillant, comme une poissonnière, que je suis « sola in pianto, sola in pianto ». Heureusement, certains jours, j'en ai rien à faire, je pourrais imiter un toucan, c'est pas grave.

J'ai la peau grasse.
Je me sens moche.
Alors les histoires de mecs, les plans à deux sous, ce n'est même pas la peine d'y songer.
Je débarque sur des chats pédés. Mais je n'y reste que dix ou quinze secondes, le temps de réaliser que je n'ai nulle envie de faire la cour à un fichier JPEG, que ça me barbe de ne pas avoir les mecs en chair et en os devant moi, là, immédiatement, avec leur vrai sourire et leurs mignons défauts, et de voir si ça vaut le coup ou pas.
Parce que dans la rue, les mecs me font peur, j'ai peur de m'embarquer dans un truc qui ne me plaise pas au final. C'est absurde comme vision de la vie. Après tout, je n'ai qu'à faire le choix de me laisser embarquer par ce qui me plaît, mais voilà, on ne se dégage pas aussi facilement de ses rails névrotiques.
« sola in pianto, sola in pianto ».

J'ai failli rentrer à vélo dans une femme, à part ça.
Ils m'énervent tellement, aussi, à traverser les pistes cyclables sans regarder, que j'attends le dernier moment pour ralentir, généralement dans un grand crissement de frein, histoire de les effrayer (elle en a fait tomber son sac), et je vais finir par m'en manger un.

Dimanche, il a plu par intermittence. Je ne suis sorti que pour poster un courrier, le loyer.

Ce soir, mangé au thaï de la rue de Belleville, avec la Marteen et la Nicole, laquelle était passée récupérer son aspirateur ici juste avant, pour qu'ils puissent se débarrasser de leurs derniers litres de poussières amiantées. On a pu discuter amicalement, respectueusement. Ouf, quel soulagement. Parce que certains soirs, c'est horrible, mais je ne perçois plus que leurs sarcasmes et leur dédain, souvent exacerbés par l'alcool, et je n'arrive plus à le supporter, ça me fait trop mal, ça vient s'ajouter à l'image déjà misérable que j'ai de moi-même, et du coup, certains soirs, je ne me sens pas prêt à affronter ce mépris, comme samedi dernier, où je n'ai pas voulu me déplacer à la Rôtisserie, parce que je redoutais trop leur attitude narquoise.

Et d'où vient-elle, cette manie aussi que nous avons de nous cacher derrière des paravents d'ironie ?
Parce que moi aussi je me comporte comme ça, des fois.
Je voudrais pouvoir changer d'être, tenter autre chose, jouer une autre carte.

Je me sens tellement seul certains jours, seul dans mes ressources. J'ai l'impression de n'avoir aucun autre ressort que moi-même, qu'il me faut tout le temps remettre du charbon dans la machine, pour paraître sympathique et supportable aux autres, et que si j'oublie de le faire, si j'oublie de prendre ma dose de vouloir-vivre, ma dose d'action-réaction, ma dose d'espoir-du-lendemain, alors je suis comme un jouet électrique dont les piles seraient usées, je ne remue les bras que si quelqu'un est là pour les agiter à ma place, mon scepticisme emporte tout, je n'ai rien à dire, rien à ajouter, comme un accusé à la fin de son procès, et je me tiens là, aussi inerte qu'un bibelot, aussi silencieux qu'une quiche, non pas triste, car finalement soulagé d'être en présence d'autres gens, mais je me suis fait porte-manteau, je me suis fait lampe de salon, cache-pot, pied de chaise, commode, pouf, poster, et je me désole dès qu'on vient vers moi et qu'on me demande : « Alors, quoi de neuf ? » et que je crois lire dans les yeux, avant même que j'aie haussé les épaules : « La pauvre fille, elle est encore dans un de ses mauvais jours. »

Bref, une autre carte.

Dimanche 11 mars 2007

Parisiens et 92 (car quoi de plus bête qu'un 75 sinon un 92 ?) s'obstinent à prendre leur bagnole pour aller au bois de Boulogne...
Je critique parfois la faune écervelée que je me tape en entretien, mais à côté du guignol que j'ai vu aujourd'hui, ils sont tous adorables. Une espèce de jeune singe dégingandé en tee-shirt, qui, en guise de bonjour, m'a fait comprendre que s'il daignait me rencontrer, c'était bien parce que je venais de réussir le test technique. Autrement, il ne serait pas là.
Après cette aimable entrée en matière, je pensais qu'il s'enquérrait un peu de mon parcours. Non, il a saisi mon CV du bout de doigts en faisant la moue, et il a maugrée :
« – Vous avez déjà géré des hommes, vous ? ».
Mon astucieuse réponse de normand, savant mélange de oui et de non, n'a guère trompé son monde :
« – Ok, vous n'avez jamais géré des hommes, quoi. Bon, on va se faire une petite mise en situation alors. ».
Sur ce, il m'a invité à imaginer un développeur fraîchement embauché, qui se pointerait un matin après 10 heures, une fois, deux fois, trois fois, malgré les remontrances, qui se calmerait avant la fin de la période d'essai, et qui recommencerait à arriver en retard juste après, allant jusqu'à s'absenter pendant plusieurs semaines avec des arrêts-maladie « signés d'un psy ». Vous êtes chef de projet, vous faîtes quoi ? Sans me laisser décontenancer, j'ai répondu ce que mon bon sens naturel, pragmatique et humaniste, me dictait.
Mais chez eux, c'est simple : ils virent. Bah oui quoi, ils n'ont pas de temps à perdre à jouer les instituteurs avec des équipes aussi nombreuses que les leurs. Et tant pis s'ils se prennent un prud'homme, ajoute-t-il avec désinvolture.
Il a enchaîné avec une deuxième mise en situation : maintenant, imaginez le développeur qui fait une grosse bourde pile au moment des fêtes de Noël, tous les sites plantent, le manque à gagner est énorme, et le PDG vous appelle, furibard, pour avoir le nom du responsable, etc.

Bref. Lorsque cet abruti a eu terminé avec ses mises en situation débiles, il a déclaré : « Ça, c'étaient les choses pas gaies. Maintenant… les choses réjouissantes. Le salaire. Normalement, il n'est pas trop mal. Les avantages sociaux... il n'y en a pas. Z'avez des tickets restau. Quelques réducs sur le catalogue. Et la salle de fitness à l'étage. »

« Le projet maintenant. »
Il se trouve que cette entreprise leader de la vente de matériel hi-tech en ligne a été rachetée par le numéro un de la distribution britannique. Pour gérer le regroupement de leurs services, ils recrutent une tripotée de chefs de projet bilingues, « placés sous ma responsabilité ». Ce qui signifiait pour moi : « bosser avec ce grand con ».
Aussi, lorsqu'il a commencé à me titiller sur le fait que je n'avais pas travaillé au mois de janvier dernier (un trou dans votre CV, me prévient-il, narquois, avant d'ajouter « Enfin, je vous dis ça, je m'en fous, moi ! »), et qu'il a voulu savoir, très intéressé, pour quelle raison j'avais quitté ma précédente boîte, je me suis dit que c'était le moment de lui tirer ma révérence. Avec délicatesse et une pointe de componction dans la voix, j'ai expliqué que le secteur de la distribution ne me convenait sans doute pas, tout bien réfléchi, et que nous pourrions peut-être nous arrêter là. Il a souri, comme s'il s'y attendait, a déclaré que ceci, que cela, le secteur de la distribution, très tendu, en effet, machin, et il m'a raccompagné à la sortie, en me faisant traverser d'immenses open-spaces pleins à craquer de petites fourmis courbées sur leurs machines, au moins deux cents sardines baignant dans leur huile, une ruche studieuse et formatée, menée à la baguette, qui ronronnait dans le cliquetis des claviers. Du coup, j'ai mieux compris l'allure piteuse de l'assistante RH qui m'avait accueilli sans chaleur et qui m'avait fait passer le test technique : un air blasé, un visage fermé à double-tour, un regard de zombie.
Je me suis retrouvé sur l'avenue de la Grande Armée, et j'ai poussé un soupir de soulagement.

Ce genre d'expérience, c'est une piqûre de rappel quant à l'importance du code du travail... et des ressources humaines. Car je doute de l'efficacité de ce genre d'individu, malgré les échelons qu'il a patiemment dû gravir, à force de coups de coude. A moins que ça ne soit un choix délibéré de la direction : pas besoin de DRH, ça coûte trop cher, on se débrouillera, de toute façon, chez nous, c'est marche ou crève.
Pas étonnant qu'on soit confronté à de l'absentéisme avec un management pareil.
Est-ce une fatalité que le secteur de la distribution, comme sans doute celui des BTP, soit géré par des brutes ?

Pour me changer les idées après cette incursion en milieu hostile, j'ai été voir les photos de Bruce Davidson. Time of change, 100e rue. La chambre photographique a un effet embellissant, classicisant, certaines déformations des perspectives sont très naturelles, et le contraste avec la misère des blacks des rues de Harlem n'en est que plus frappant. Davidson aime les gens, ça se sent.
Il pleuvait, mais j'étais content en ressortant. J'avais oublié la boîte à sardines.

Les terrasses sont sorties
les auto aussi
Et puis quoi d'autre ?

Les titres du journal de France 2, samedi soir dernier, étaient particulièrement enrichissants :
- Un éboulement à proximité du tunnel du Mont Blanc
- Chirac inaugure le Salon de l'Agriculture
- Le train des éclopés, un convoi spécialement affrété pour rapatrier les vacanciers blessés aux sports d'hiver
- L'homme-araignée, un escaladeur de gratte-ciels
- Les défilés de prêt-à-porter de luxe, trois marques spécialisées dans le cuir

Voilà donc le complexe état du monde actuel, résumé par la rédaction de France 2, dont le credo journalistique semble être devenu : ne froisser personne, n'évoquer aucun sujet sensible, ne rien analyser, ne rien mettre en perspective, de peur d'être partial et de rouler pour X ou Y. Big CSA veille. Et cette grand-messe du vent est conduite par cette cruche horripilante, la blonde permanentée du week-end, qui sourit continuellement comme dans une pub pour une banque.
Ou comment confondre l'objectivité journalistique avec la neutralité de la communication.
Même les journaux gratuits, distribués le matin dans le métro, semblent plus sérieux.
Connaîtrions-nous la dictature, que France 2 s'autocensurerait avec un zèle remarquable, parlerait des primevères et du clair de lune.

La passerelle de Saint-Cloud
Bon, vais-je arrêter de râler ?

A part mes entretiens (et j'en enchaîne ! Entre les plans ripous des cabinets de recrutement miteux, genre CDP dans la distribution hi-tech, et les chasseurs de tête poseurs et infatués qui me parlent comme à un ado prépubère), je fais du vélo. Madame la marquise fait du vélo.
Hier, j'ai erré tout l'après-midi dans les rues du Perreux : je voulais retrouver la maison de la cousine de Claire, où j'avais été invité à un barbecue il y a quelques années (c'est que je sais me lancer des défis passionnants, moi). Mais quelle guigne ! J'ai certes vu les roues avant du bus éviter de justesse mon petit phare, tombé dans le caniveau à cause des trois gros nids de poule que je venais de me manger à vive allure. Un petit phare tout neuf à piles, que j'avais acheté la veille – la veille ! – parce qu'on m'avait volé le précédent devant la piscine, où avait traîné une caillera polissonne pendant les dernières vacances scolaires. Hélas les roues arrière du bus sont arrivées, et crouich, droit dessus, en mille morceaux, sous mes propres yeux. Je n'ai pu récupérer que les piles, légèrement aplaties.
Et je n'ai pas retrouvé la maison que je cherchais.

Le Perreux
Je fais de la piscine aussi. L'autre jour, je me suis pris la tête avec une greluche qui obstruait la ligne réservée au crawl / dos crawlé. Le genre de péteuse hystérique qui n'attend que ça, qu'on lui fasse une remarque, ne pouvant ignorer la gêne qu'elle provoque. D'humeur décomplexée ce jour-là, je lui suis rentré exprès dedans, poum. Elle s'est redressée comme un diable, m'a regardé avec des yeux qui cherchaient à me faire peur. Au lieu de m'excuser (ce qu'elle attendait), je lui ai dit qu'elle faisait fuir les nageurs, ce qui était assez exact d'ailleurs, les crawlers étant fatigués d'avoir à la doubler. Elle a levé les yeux au ciel, et elle a repris sa nage de petit chien sur le dos en maugréant que je n'avais qu'à aller dans la ligne réservée aux sportifs. Je n'étais pas désinhibé au point de vouloir faire un scandale. Alors je me suis contenté de lui rentrer dedans une seconde fois, poum, provoquant de nouveau son regard courroucé, et j'ai changé de ligne, en me promettant de la mater la prochaine fois que je la croise dans le bassin.

Le soir du même jour, l'étalon de janvier, celui qui me compare à sa copine restée en province, est venu me rendre visite. Quel nirvana ! Est-ce ma cure de magnésium qui me fait cet effet ? Je crains que tout l'étage n'en ait profité, et le lendemain matin, je rasais les murs de l'escalier en descendant la poubelle.

Lundi 19 mars 2007

La série noire des entretiens laborieux continue.

En sortant de chez l'éditeur de logiciel
Au programme de la semaine dernière : un câblo-opérateur en pleine expansion, dont les bureaux désordonnés fleuraient bon la peinture fraîche, un petit distributeur de CD sur Internet, fier de son savoir-faire technologique, et enfin un éditeur de logiciels de comptabilité, aussi gai qu'une recette principale des impôts.

Je fondais quelque espoir sur le distributeur de musique, d'autant que la proximité de ses locaux, situés dans le quartier, au bout d'une de ces innocentes impasses parisiennes dont la modestie et le calme apparents ne laissent rien présager de la petite ruche industrieuse qui s'y cache, m'aurait épargné ce repoussoir majeur à ma reprise du boulot : le temps de trajet.
Si le petit bureau où j'ai été invité à m'asseoir jouissait d'une vue imprenable sur tout le vingtième arrondissement, et si une lumière grise argentée tombait, magnifique, sur les rues de la capitale ce matin-là, le directeur informatique, lui, s'est avéré malheureusement moins splendide : c'était un de ces rustauds dont la suffisance et l'agressivité ne cachent qu'une peur terrible d'être pris en défaut sur leur propre compétence, et je crois que, depuis Christian, le fameux névropathe de chez C.-S., je suis maintenant rôdé à cette espèce de chimpanzé hautement orgueilleux, pas toujours méchant, mais assez fatigant et d'une inaptitude sociale dramatique, en dépit de la fonction hiérarchique élevée qu'il occupe souvent.
Celui-ci cherchait à me provoquer en minimisant systématiquement la portée de tout ce que j'avais fait dans ma carrière, et il a d'ailleurs spontanément reconnu qu'il avait mené l'entretien d'une façon agressive.
Le mail laconique que j'avais reçu de lui, m'invitant à le contacter pour fixer une date d'entretien, sans le moindre « bonjour », la moindre formule de politesse, ni même une signature officielle, et avec une énorme faute d'orthographe dans l'objet du mail (un sobre « Entretient ») m'avait mis sur mes gardes.
C'est quand même la première fois que j'entends, sur le ton charitable d'une personne qui s'efforce de me trouver quelque qualité :

Pour me changer les idées, je prends mon vélo, et je m'en vais respirer du gazole le long des maréchaux...
« Vous n'êtes pas trop cher... C'est bien, au moins vous êtes à la hauteur de ce que vous prétendez valoir. »
J'ai donc laissé couler l'entretien, en le laissant faire son numéro.
Comme j'avais remarqué qu'il fuyait mon regard, tant lorsqu'il parlait que lorsque je m'exprimais, j'ai cessé à mon tour de le fixer, pour me mettre à contempler, par la fenêtre derrière lui, la fascinante perspective qu'on avait sur les coteaux de Belleville et de Ménilmontant.

Un profond ras-le-bol montait en moi. Le ras-le-bol de devoir continuellement faire la démonstration de mes compétences à des idiots sans âme, le ras-le-bol d'être soupesé, apprécié, évalué par des débiles, dont l'étroitesse de vue et la mesquinerie me donnent la nausée. Je me suis dit, zut, ça suffit, je ne joue plus, vous êtes trop bêtes, tous.
Et j'ai pratiquement cessé de parler, ce qui n'a guère embarassé cette andouille bavarde, laquelle avait entrepris de me donner une leçon de programmation objet.


Dans l'ascenseur, en repartant, j'ai croisé deux jeunes types qui s'en allaient fumer leur cigarette. Nous avons discuté dans la cour. Ils étaient plutôt sympas, eux. Ils m'ont appris que ce guignol venait d'être fraîchement recruté – deux semaines seulement qu'il était là – et que la boîte rencontrait de gros soucis de management depuis plusieurs mois.
J'ai eu envie d'écrire un mail au patron : mais qu'est-ce qui vous a pris d'embaucher un vendeur de tapis pareil ?
Et puis je me suis ravisé, non, lui aussi, le patron, après tout, qu'il aille au diable, s'il ne peut accorder sa confiance qu'à des adjudants complexés, qu'à des contremaîtres en mal de reconnaissance...



Quand j'évoque mon mémoire du CNAM en entretien, je sens bien aussi que certains se crispent, malgré l'attitude circonspecte et dégagée avec laquelle j'essaye d'introduire le sujet.
Il faut dire que j'en parle assez tôt dorénavant, pour éviter de perdre du temps à expliquer que le poste ne me convient finalement pas.
Alors, si ce brillant DSI n'y a rien vu de répréhensible, c'est la responsable RH du câblo-opérateur, curieusement, que j'ai sentie se rigidifier, genre, ne postulez-vous pas chez nous uniquement pour pouvoir terminer vos études ?
C'est un comble. Déjà que la formation professionnelle, en France, est un combat solitaire et permanent, dont les embûches sont parfois posées par l'ANPE elle-même, alors si en plus il faut affronter la méfiance sourcilleuse de DRH inquiets à l'idée d'embaucher un candidat intéressé par ses seuls et propres projets d'avenir... (pour une fois que j'en tiens un)
Comme si l'on postulait à ce genre de presse-citrons pour la cause noble et généreuse qu'ils portaient haut, en l'occurrence le développement d'applications Internet grosses consommatrices de bande passante, afin de justifier la fibre optique qu'ils installent à tour de bras chez les petits ménages parisiens...
Rhaaa, mais c'est beau, ça, en voilà un idéal grandiose, j'en veux, j'en veux encore, mais de grâce, faites-moi entrer dans votre temple de la fibre optique, que je vous concocte des programmes gloutons aux petits oignons, initiez-moi au plaisir du mégabit, je vous ferai goûter celui du PHP. Vos desseins sont si loyaux, vos challenges si époustouflants, vos défis si extraordinaires, que je me pâme, que je me prosterne, que je me fais servante Javascript, à tout jamais soumise à la puissance de votre câble optique ! Fouettez-moi avec, je suis vôtre !

Encore un entretien vendredi, dans un endroit très gai
Bref, si tout le monde pouvait se focaliser sur ce qu'il y a de bon chez les gens, pas sur ce que l'on imagine être dangereux ou délétère chez eux...

Lundi 26 mars 2007

Vu « Les Témoins » de Téchiné.
Quelques passages almodovariens plutôt réussis. Téchiné filme admirablement l'été, je l'associerai toujours aux Roseaux Sauvages, à Ma saison préférée, à l'atmosphère solaire, suave et sensuelle de ces deux films.
Mais j'ai trouvé ces « Témoins » un peu bavards, prétentieux, trop comédie française, au point que je me suis demandé : mais est-ce un parti pris de n'avoir laissé aucune respiration, au spectateur comme aux acteurs ? Ils parlaient tellement vite que j'avais du mal à les suivre. Ou alors je me fais vraiment vieille, je suis déjà une vieille conne, gateuse et ralentie, qui n'entend plus rien à rien.

Le printemps s'annonce
Béart n'est pas mal. Les scènes policières, particulièrement agressives, sont bien vues aussi – c'était important de rappeler l'attitude des pouvoirs publics à l'époque, de souligner la dimension politique de ce qui fera le terreau des mouvements associatifs par la suite. Intéressant aussi d'évoquer la multiplicité des réactions face au sida, ce que cela met en branle chez chacun, depuis l'angoisse d'avoir été contaminé, le déni, la peur de l'autre, jusqu'aux ultimes preuves d'amour, aux quêtes de sens, aux dévouements désintéressés, à des choses éperdues, cacophoniques, où se mêlent l'égotisme et l'humanité. Cette histoire, l'irruption du VIH dans notre société, c'est comme un livre dont on n'aurait parcouru que les premières pages.
Dans la veine élégiaque du témoignage, le témoignage d'une époque surprise par le sida, l'un des meilleurs contributeurs reste quand même Nan Goldin, dont je n'oublierai jamais sa ballad of sexual dependency, à Beaubourg en 2001.

Si je pleurais sur mon lit, lorsque j'y parvenais enfin, je n'avais même pas le soulagement de pleurer, parce que quelqu'un en moi me disait : tu pleures pour ça ? Mais c'est ridicule.
Heureusement que Nath m'a réconforté l'autre soir, j'en avais drôlement besoin. J'avais pourtant l'impression que ce que j'éprouvais était incommunicable.

Je ne sais plus si je dois faire appel à la raison ou à l'intuition. Ma raison me dit de prendre patience, de relativiser, qu'avec le temps, viennent le reflux et le redoux, que rien n'est simple, ni acquis, ni perdu, dans les relations humaines.
Mon intuition, tétanisée par ce qu'elle veut dire, arrive à peine à s'exprimer, à entamer la première phrase.

Parfois, à la faveur d'un souffle de vent, on se rend compte du brouillard d'artifices et de faux-semblants dans lequel on évoluait, de son épaisseur inattendue.
On se croyait lucide, on se croyait conscient, on pensait savoir.
On n'imaginait pas qu'il pût y avoir autant de distance entre la réalité et ses propres perceptions.
Comme d'habitude, je persiste à me leurrer sur les sentiments et les intentions des autres, à les enjoliver. Je me dénigre en permanence, mais je suis également incapable d'accepter que je puisse susciter de la déception ou du désintéressement.
Perdre un ami, est-ce cela ? Est-ce cette sensation là, pourtant, que j'éprouve depuis plusieurs semaines, et que je ne suis pas arrivé à chasser ?
Est-ce une chose révolue, consommée, entérinée, dont je n'ai pas voulu voir les signes, que je me suis obstiné à récuser, et dont je commence seulement à envisager la froide réalité ?
Ou n'est-ce, pour l'heure, qu'une menace, qu'un terme vague et improbable ?


Ces derniers mois, j'avais l'impression de m'enfoncer dans des abîmes où les dernières lumières, mêmes celles que je croyais puissantes et bienveillantes, s'éteignaient une ou une.
Et je n'arrivais pas à le dire.
Et si je prenais mon inspiration pour le faire, un sentiment mêlé d'impuissance, d'orgueil et de fatalité me saisissait à la gorge.

Je me vois vieillir. Chaque année qui passe, j'ai moins de vitalité, moins d'attrait, et le monde chimérique d'amour et de paix dont je rêve, dont j'ai toujours rêvé, en images diaprées et vaporeuses, s'éloigne peu à peu.
Chaque année, je me sens plus vulnérable, plus las, et les mains secourables se font moins nombreuses.
Je voudrais pouvoir écrire que ce monde étouffe les faibles, mais je suis aussitôt interrompu par cette petite voix, ironique, qui me demande au creux de l'oreille : et toi, que fais-tu pour les faibles ?
Non seulement je ne fais rien, mais je crois que ce n'est que le démon de la culpabilité qui me parle ainsi.
Mon Dieu, je trouve mes paroles si insignifiantes et si inertes, que j'en viens à douter du pouvoir libératoire du langage. Ne dit-on pas justement que c'est le signifiant qui nous enchaîne ?
Il faut des actes, des actes, dans une vie.
On ne peut pas disserter éternellement sur le vide.

J'ai l'impression de nager en rond, de naviguer péniblement en dessinant des cercles. Je m'éloigne d'une idée, je m'y laisse porter, avec l'espoir de me diriger vers la vérité, et sans m'en rendre compte, je suis revenu à la case départ.
Alors où est-elle cette vérité ?

Il a fait beau aujourd'hui, j'ai pu sortir le vélo. Je me sentais de meilleure humeur que les jours précédents.
Je voudrais pouvoir repartir de zéro, faire comme si je me réinstallais pour la première fois à Paris, dans un complet anonymat, vêtu de ma plus pure candeur, comme si je retrouvais le regard gai et innocent du provincial nouvellement débarqué de son navire de jeunesse, en quête de joies et d'amitiés. Malgré l'étau de ma timidité, malgré ma peine à exister en société, et malgré mon besoin maladif de m'isoler régulièrement, la perspective de découvrir de nouvelles gens a toujours nourri mon espoir intérieur. Mais j'ai vécu trop de désillusions, de déceptions, jusqu'à en tomber malade d'écoeurement, et ne plus avoir du tout envie de rencontrer des gens.
C'est ça qu'il faut que j'arrive à gommer, que je retrouve confiance, pas seulement en moi, mais dans les autres aussi.

Mardi 27 mars 2007

Des actes, des actes... Ni une, ni deux, sitôt sorti de la piscine ce soir, j'ai filé comme un bolide à la réunion hebdomadaire d'Act Up.
Je voulais faire cette visite depuis très longtemps, par intérêt pour une association qui s'illustre par son recours à l'action, moi qui suis tellement passif et abstrait. On n'aime que ce que l'on n'a pas, hein.
Même si je me déplaçais dans le seul but d'écouter leur petite musique, dynamique et concrète, je me suis quand même demandé, pendant les débats : mais est-ce que je pourrais m'investir là dedans ? Je ne suis même pas séropo. Je n'ai jamais eu une âme de militant. J'ai une peur bleue des manifestations un peu chaudes. Qu'est-ce qu'une mauviette individualiste comme moi viendrait faire dans un truc pareil ?
Je crois que ce qui me plait pourtant dans cette association, c'est autant son formalisme, austère et homogène, que son discours qui, quoique radical et politique, n'en reste pas moins dépourvu de toute ambition politique. Ils dénoncent les choses telles qu'elles sont, sans avoir de compte à rendre. En fait, cette liberté intellectuelle m'attire peut-être plus que la thématique sida. Enfin, je ne sais pas. Je ne sais pas bien ce que je trouve important au fond.

Parmi ceux qui prennent la parole, certains sont drôlement habiles et font manifestement ça au quotidien, d'autres coupent les cheveux en quatre et prennent posture.
En sortant, j'ai échangé quelques mots avec l'un des responsables, dont l'éloquence et la finesse m'avaient fait tendre l'oreille pendant les débats.
C'était étrange de retrouver toute cette sémantique que j'avais connu à SIS il y a maintenant presque neuf ans. A l'époque, les trithérapies, encore assez récentes, commençaient à changer la donne, sinon les états d'esprit.
On m'a refourgué un paquet de prospectus (la lettre mensuelle) à déposer dans un bar du Marais, où le serveur, tiquant sur la quatrième de couv, « Nicolas Sarkozy s'en va, le printemps s'en vient. Ça se fête », les a mis de côté, en attendant l'autorisation du patron, pfff.

Bon. On verra si j'y retourne.

Mardi 10 avril 2007

Week-end du 1er avril, grande randonnée à vélo jusqu'à Saint-Cloud, puis en forêt de Meudon, entre ses arbres vénérables.
Retour par l'observatoire, Clamart, Issy-les-Moulineaux, les maréchaux. Le rodéo s'est conclu par une crevaison nette et précise aux Gobelins.
Flap flap flap flap.

Ville d'Avray, c'est chic
La boîte de CD m'a finalement proposé le poste. J'ai demandé au gros lourdaud un moment de réflexion, le temps de prendre conseil auprès du CNAM. Mais l'enseignant qui doit superviser mon mémoire ne m'aide vraiment pas, c'est terrible. Chaque fois que je lui soumets une mission, il fait une grimace indisposée, comme si je lui parlais de devenir palefrenier. Résultat, le poste m'est passé sous le nez, ce qui n'est pas plus mal, sur le fond, je ne le sentais pas moi-même.
Mais bon, je ne suis pas aidé dans ces histoires de boulot.

A part ça, mon angoisse monte et descend, comme le thermomètre.

Au jardin
Week-end à Rouen.
Promenades en forêt verte, en ville. Il régnait une atmosphère de vacances, l'air était léger.
Le jardin, splendide. Le ciel, radieux.
J'avais l'impression d'être resté sur la note fleurie du joint que ce garçon d'AU avait partagé avec moi dans les locaux de l'association, samedi dernier.
Car juste avant de me jeter dans mon train pour la Normandie, j'avais été faire du mailing à AU. Objectif : se vider la tête, tout en en voyant de nouvelles (des têtes).

tout devient possible, oui, même se pointer chez fauchon, vêtu de rouge, et sanglé de cuir
Aujourd'hui, je me suis encore pointé à la RH, mais j'ai eu du mal à surmonter ma timidité. Et puis ils appelaient péniblement à former des équipes pour aller coller des affiches anti-Sarkozy dans toute la ville, et ça me barbait. L'affiche est bien, mais l'idée d'aller coller me barbait, et je n'étais pas le seul d'ailleurs. J'ai juste dit que j'irai défiler avec eux le 1er mai. Je me demandais vraiment pourquoi j'étais là, même si j'aime bien les écouter, les voir, ils me soulagent de la crétinerie des autres et de l'égoïsme de la société. J'aimerais presque pouvoir être transparent durant ces réunions, pour venir sans me faire remarquer et pouvoir me dire, au moins une fois dans la semaine : ouf, il y a des gens biens en ce bas monde.
Et donc il y avait ce garçon, là, plutôt sympa, avec qui j'ai discuté en scellant des enveloppes samedi dernier, mais que j'ai eu peur de gêner aujourd'hui, car il avait l'air embarrassé lui aussi ; j'espérais qu'il m'inviterait à venir manger avec eux, comme ils le font, je crois, après les réunions, mais il ne l'a pas fait, il m'a juste lancé un « A une prochaine ! », et donc je suis rentré ici déprimé, en me disant que j'étais bon à rien, que j'aurais dû accepter d'aller poser des affiches.

Sur le fond, je crois qu'ils ne sont plus assez nombreux par rapport à leurs ambitions, c'est dommage.
Juridiquement d'ailleurs, ils ont un pépin : pour la première fois l'association en tant que telle pourrait être condamnée, alors que jusqu'à présent, elle avait toujours été épargnée, compte tenu de la spécificité de ses revendications. Les militants y voient, à raison sans doute, un signe des temps.

Et puis il y a ce rendez-vous à l'ANPE vendredi prochain, une convocation qui pue le flicage et la menace, j'espère qu'ils ne vont pas me casser les pieds, je le sens mal.

Du reste, je me sens horriblement mal ce soir, alors que je me trouvais plutôt bien le week-end dernier.
Aujourd'hui, médecin et calmants - je n'ai plus trouvé la force de repousser cette échéance.

Vendredi 20 avril 2007

Dimanche qui vient, on vote.
Tout le monde en parle.
Le menu n'est pourtant pas très appétissant.

ça reste à voir
Passons sur les sempiternels monstres, Le Pen, de Villiers, dont les discours ouvertement xénophobes et sournoisement racistes font froid dans le dos. La gauche d'ailleurs n'est pas en reste dans ce registre, avec l'affreux Schivardi, dont la rhétorique ultranationaliste sent d'autant plus le purin qu'elle est diluée dans un brouet altermondialiste attendu et conventionnel, comparable à la soupe servie par Bové, lequel est entré en campagne comme on s'en va faire un pique-nique, très simplement, avec ses œufs durs et ses rillettes.
Besancenot m'a définitivement déçu : son agressivité vis-à-vis des autres candidats, ceux de gauche en particulier, me l'a rendu complètement antipathique, malgré son clip télévisé de djeuns sur fond de reggae et sa petite bouille juvénile, qui peinent à masquer son arrogance.
Passons aussi sur Sarkozy, de plus en plus clownesque à mesure qu'il escalade les derniers échelons. C'est un vilain pantin plein de grimaces, qui s'auto-articule, qui s'auto-manipule, dans une caricature infinie de lui-même, c'est un disque en boucle, une machine délirante, qui finira à l'HP, mais que son propre parti espère conserver tant que cela lui permettra de faire le plein de voix et de masquer l'impopularité et le bilan discutable de Chirac, dont le départ prochain constitue au moins une bonne nouvelle.
Ségolène est assez robotique dans son style également, mais elle est déjà moins haineuse. Certes, c'est la reine des bourdes, elle connaît mal ses dossiers, je n'écoute même plus ce qu'elle raconte, mais elle aura ma voix. Je compte surtout sur les gens dont elle s'entourera, et sur le fait qu'elle devra probablement composer avec sa gauche, enfin j'espère.
Quant à Bayrou, Il se présente comme le sauveur, Celui que nous attendions tous depuis des siècles, Celui qui va nous guider vers la lumière, car Il nous aime. Son discours huilé comme un moteur de BMW, précis comme une montre suisse, son maquillage de star impeccable, sa critique virulente de Sarkozy, ont tant grignoté à gauche, que les militants du PS font des mines chaque jour plus allongées, à la perspective de se voir de nouveau éjectés dès le premier tour du scrutin. Mais je suis incapable d'oublier le ministre de droite qu'il a été autrefois, ses petites allocutions suffisantes à la télé dans les années 90, bref, je ne lui fais pas confiance. Si c'est pour nommer une clique de libéraux bon teint à l'économie, placer magnanimement quelques fusibles de gauche aux affaires sociales et à la culture, et donner des leçons de finance publique aux média, façon VGE, ce n'est pas la peine.

Du reste, je ne crois pas un instant que des gens puissent voter UDF par utilitarisme, afin d'éviter par exemple un duel Sarkozy - Le Pen, pas plus que je ne crois à l'existence du vote FN en tant que vote protestataire.
Une élection démocratique est un reflet des tendances qui s'expriment au sein de l'opinion publique à un moment donné. Et tout vire à droite. L'extrême-droite fait du chiffre, comme dans d'autres pays européens. Les électeurs de gauche se mettent à voter au centre. Ça gîte sur tribord, et ça me donne le mal de mer.

Il reste les petites : Voynet, Laguiller, Buffet. Avec la Royal, je réalise qu'elles seules m'ont paru à peu près potables dans cette campagne électorale, vu la médiocrité des autres candidats. Buffet, j'ai presque réussi à lui pardonner son non à la constitution européenne de 2005, elle et son dogmatisme PCF débile.
Prions pour que nous ayons une femme à l'Elysée, et pas un de ces petits garçons prétentieux, narcissiques, capricieux et chamailleurs.

Lundi 30 avril 2007

Une affluence inhabituelle dans les bureaux de vote
Bien sûr qu'il y a les chargés de mission peu scrupuleux et les dirigeants aux affaires louches, les notables au bras long et les promoteurs véreux. Mais on avait oublié tous les autres...
Ce jeune ménage aisé, obsédé par sa feuille d'impôt. Ce paisible retraité, mécontent que des immigrés touchent des allocations. Ce vieil artisan bougon, effrayé par tout ce qu'il voit à la télé. Ce gérant débonnaire d'un petit bar-tabac, scandalisé par une justice qu'il juge trop laxiste. Ce garagiste prospère, que les voyous qui s'opposent à la police « au lieu de travailler » révoltent. Cet agriculteur tradi, qui se plaint de l'économie de marché, et qui a toujours voté à droite. Cette femme au foyer d'une banlieue sans histoire, effrayée par les « islamistes turcs » et le mariage homo. Ce militaire en mal d'icônes, fasciné par Jeanne d'Arc, Napoléon, et l'ordre nouveau et salvateur qui resterait à venir. Cet actionnaire multipropriétaire, qui se plaint de ses locataires « mauvais payeurs », mais qui rechigne à régler sa taxe foncière.

Un peuple sourd aux problèmes des autres, dès qu'il s'agit de mettre la main à la poche.
Un peuple qui verse une larme aux obsèques de l'abbé Pierre, mais qui se plaint du développement des squats et des tentes en plein Paris.
Un peuple largement préservé et protégé, mais qui réclame davantage de police et de prisons.
Voilà aujourd'hui que ce peuple conservateur et traditionnel vient docilement se ranger derrière le « changement » et la « rupture » vantés par le candidat Sarkozy sur toutes les ondes, en logorrhées débilitantes.
Mais de quoi parle-t-on ? Un changement par rapport à quoi, par rapport à qui ? Par rapport à ceux-là mêmes que l'on a portés au pouvoir cinq ans auparavant, des gens du même bord, du même parti, de la même clique ?

Il a récolté 30% des suffrages, ce sinistre camelot.
Et j'ai presque de la rage à l'entendre appeler « tout le monde » à voter pour sa pauvre pomme au second tour, « les malades » compris – lui, le seul des trois grands candidats à avoir refusé de rencontrer les associations de malades du sida.
Il est à vomir.
Peut-être ai-je tort de fustiger et de caricaturer ce peuple conservateur et rétrograde, quand c'est lui l'imbécile, lui le responsable, lui qui, par son discours réducteur, sans nuance et sans pitié, divise et déforme la société, jusqu'à lui donner ses reflets les plus hideux.

Il ne fera rien pour les plus démunis et les plus fragiles, il les abandonnera à leur sort, il ne se souciera que de sa propre image. Sa politique et son programme ne s'adressent qu'à ceux qui ont déjà réussi, qu'à ceux qui se débrouillent déjà parfaitement sans ses bons auspices.
Rien d'étonnant alors à ce que les jeunes, qui ont encore tout à construire, soient moins dupes du caquetage de cet arriviste, de ce despote, que les plus vieux, pour lesquels la préservation frileuse du bas de laine et le refuge des valeurs passent avant toute chose.
Mais si ce petit caporal est élu, j'espère qu'il devra affronter une opposition et une mauvaise volonté systématiques, une contestation sociale permanente. Que cette nouvelle aventure d'Iznogoud se refermera une nouvelle fois sur un échec cuisant et ridicule.

Pour qui vont-ils diable se décider ?
Il devient tellement obsédant que j'ai rêvé de lui à plusieurs reprises dernièrement. Il doit cristalliser des peurs chez moi, car plus l'échéance du second tour approche, plus le personnage se dévoile, et plus mon malaise s'accroît. Rien dans son discours n'est là pour dissiper mes craintes, encore accentuées par mon statut actuel de chômeur, donc sur la sellette.

Tellement obsédant, que je commençais à me dire qu'on exagérait, que ces protestations anti-Sarkozy, assez relayées sur Internet, tournaient à la psychose collective.
Et puis j'ai appris que le fanzine gay Illico, qui, dit-on, n'avait pas ménagé ses critiques à son égard, avait reçu avec stupéfaction la semaine dernière un courrier menaçant du ministère de l'Intérieur, s'en prenant au caractère « pornographique » de sa rubrique DVD. Incroyable.
Et puis la Ligue des Droits de l'Homme a pris position contre lui aussi.

A contrario, la Ségolène Royal remonte dans mon estime. La comparaison avec son concurrent ne peut que la flatter, et puis elle tient finalement plutôt bien son rôle, ingrat et difficile : faire le grand écart politique, séduire tous azimuts, résister à la misogynie phallocrate ambiante, et affronter cet orateur rompu aux média et aux techniques de communication.
Quelque part, il fallait peut-être ces 30% pour que les bobos simili-marxistes parisiens comme moi (quoi ? comment ça je ne suis pas du tout marxiste ??) prennent conscience des rapports de force qui existent aujourd'hui en France. On pouvait espérer que cette présidentielle se jouerait enfin à gauche, et elle se jouera une nouvelle fois à droite.

Car les derniers sondages continuent de donner Sarkozy gagnant. C'est comme si les Français voulaient se compromettre avec lui en dépit des signes avant-coureurs, comme s'ils voulaient goûter au baiser du serpent en toute connaissance de cause.
Puissé-je me tromper dans mes analyses et n'avoir succombé qu'à un délire médiatique.

Tous ces débats hexagonaux ne nous empêchent pas de profiter du réchauffement climatique
Du coup, ce lancinant bavardage politique éclipse les derniers événements de ma petite existence, insignifiants comme toujours.
Les déboires avec mon vélo par exemple – crevaison, roue qui part de traviole. Et cette chute impressionnante sur le boulevard de Belleville, l'autre soir, alors que je freinais brutalement pour éviter un autre cycliste : ma roue avant s'est bloquée à cause d'un patin de frein mal fixé, et je suis passé par-dessus le guidon, dessinant avec mes jambes un joli soleil, comme me l'a décrit ensuite le cycliste, revenu sur ses pas. J'ai eu des réflexes d'or pour amortir ma chute avec mes bras. Mais mon vélo a moins bien encaissé le choc, et les réparations m'ont coûté bonbon. Et j'ai peur dès je freine maintenant.

Quoi d'autre ? Le responsable R&D de cette entreprise jeune et dynamique qui n'a finalement pas voulu de moi. « C'est un polytechnicien. Il a dû faire une diplômite » m'a expliqué, désolé, le commercial qui m'accompagnait à l'entretien pour me vendre. Bah, de toute façon, c'était loin, et je n'aimais pas le quartier.

Il y a aussi mon cours du vendredi soir au CNAM, sur l'analyse et la recherche d'images – un sujet pointu, hérissé de concepts mathématiques sophistiqués, mais passionnant. La prof en tout cas le rend passionnant. J'aime les gens qui maîtrisent autant leur domaine que la manière de le présenter. On se sent moins bête en rentrant chez soi.

Pris un verre avec un élégant garçon en chemise blanche qui bosse à SIS.
Hier soir, vu le dernier film de Rivette avec N. et G. – dont je me demandais si je les reverrais un jour, tant ils se sont faits discrets. Avons pris une bière à Bastille en sortant, discouru sur le dix-neuvième siècle. Un violent orage avait nettoyé et rafraîchi les rues de la capitale.

Dimanche 13 mai 2007

Dans mon quartier
Encore des entretiens...
A l'Institut C. entre autre – j'espère que ça va marcher, le poste a l'air intéressant.

Et puis dans cette luxueuse agence d'interim de Neuilly-sur-Seine, où une petite poupée pleine de simagrées, qui ne se sentait plus dans son rôle de professionnelle du recrutement en informatique, m'a interrogé « en profondeur » sur mes expériences. « Je vais vous expliquer comment va se dérouler notre entretien. »
Je voyais bien qu'elle n'y connaissait rien, et que tout ce qui l'excitait, c'était d'aller bosser à Neuilly en tailleur. Et tant pis si elle passe ses journées à essayer de fourguer des boulots pourris. Car pour qu'une entreprise fasse appel à un cabinet de recrutement des Hauts-de-Seine, il faut vraiment que personne n'ait envie d'atterrir chez elle. Après avoir testé mon anglais, elle a disparu pour aller photocopier mes diplômes, et un jeune séminariste en costard est entré dans le bureau, avec une tête de premier de la classe. « J'ai une mission à vous proposer » me dit-il. Le poste est basé à Longjumeau, en dessous de Massy, une filiale de Pixmania, cette fameuse boîte où un recruteur facho et hautain m'avait mis en situation de gérer des collaborateurs qui arriveraient en retard le matin. « Une équipe jeune et dynamique, ouverte sur les nouvelles technologies » croit-il utile d'ajouter. De jeunes cons exploités jusqu'à l'os, oui, le sale plan.

Dans la salle d'attente, les feuilles de chou donnent le ton
J'ai décliné l'offre et je suis parti la tête haute – c'est bon, j'avais fait ma BA de chômeuse.

Il paraît que c'est un coup à Borloo, ça : les agences d'interim peuvent proposer du CDI maintenant. Je comprends mieux pourquoi tant de prestigieux « cabinets de recrutement » se pressent pour laisser des messages sur mon portable depuis quelque temps. Je ne réponds même plus. Ça ne sert à rien. J'en ai assez fait comme ça. Au bout d'un mois, ils vous proposent déjà n'importe quoi, comme être chef de chantier en démolition, ou réaliser une étude d'impact environnemental sur le rejet du tricium, à moi le spécialiste du génie nucléaire que je suis.

Sarkozy a été élu. Il va falloir se taper cette andouille pendant cinq ans, qui va tout saccager dans le pays. Est-ce Dieu possible que nous soyons devenus aussi réactionnaires ?
Ça ressemble à de l'hypnose. L'un des politiciens les plus médiocres du gouvernement précédent est élu président. Pour accéder au pouvoir, nul besoin d'être talentueux, finalement. Il suffit de donner l'impression qu'on sait, et d'user en permanence de la première personne du singulier, sans la moindre hésitation ni le moindre scrupule – en faisant régulièrement des clins d'oeil à l'extrême-droite.

Les flics rodent dans le quartier ; ils sont dix pelotons pour attraper deux casseurs
Du coup, la soirée élection de Nath avait un goût amer. Cela ne nous a pas empêché de boire, au demeurant. T. a posé ses mains sur mes anches pendant quelques secondes, ça m'a complètement érotisé pour 48 heures.
Avec Marteen, nous avons imaginé fonder le comité des lesbiennes libyennes, une unité d'intervention spécialement constituée de fausses femmes de services, adroitement grimées, infiltrées dans l'intendance du Palais de l'Elysée, et bien décidées à empoisonner le nouveau chef de l'Etat.

Avec S. on descend sur Vernet à la mi-juin. J'ai besoin de quitter Paris, besoin de nature, de lumière, de chaleur, de liberté.
RV à l'hôpital Saint-Antoine. C'est là qu'on voit qu'ils n'ont pas un rond. Surtout en psychiatrie. Attendu deux heures, entouré de détresses humaines. J'aurais dû prendre de quoi lire, un bouquin de Foucault par exemple.
Vendredi soir, N. et G. à manger ici. Etat d'esprit incertain – je rigolais, avec un fond de tristesse. Placardage éthylique d'affiches pour leurs portes-ouvertes, dans le quartier. J'ai continué à rigoler tout seul, dans mon lit.

Mercredi 23 mai 2007

Ambiance sonore dans la cour de l'immeuble :


Jeudi 24 mai 2007

7h55, place d'Italie : la France qui se lève tôt réclame son journal gratuit du matin
Il semblerait bien que j'aie décroché le poste de développeur à l'institut C.
Quelle veine ! Je devrais pouvoir en tirer quelque chose pour mon mémoire, et je devrais disposer d'une autonomie suffisante à mon goût. Je devrais aussi quitter cet état végétatif dont je culpabilise sottement depuis plusieurs mois.
Démarrage le 1er juin.

9h30, dans un bar de la rue des Petits-Champs
Avant d'apprendre la bonne nouvelle, j'ai passé d'autres entretiens, dont un à huit heures du matin, dans une petite société de téléphonie informatique de la Butte-aux-Cailles : une entreprise familiale, masculine, conformiste, prudente, vieillotte, installée dans ce qui ressemblait à un ancien atelier. Les murs étaient verdâtres, l'éclairage blafard, le mobilier militaire, on se serait cru dans un cabinet d'assurances des années 70 – et je me suis rappelé le bureau où travaillait papa du temps de sa propre entreprise familiale, avant que celle-ci ne disparaisse, et que ne commence la traversée du désert pour mes parents.
Avant de retrouver I., avec qui je devais déjeuner, j'ai été à la BNF voir l'expo Atget. Je comprends maintenant pourquoi on le cite régulièrement comme influence majeure pour de nombreux photographes. Il a capté ce qu'il a trouvé autour de lui, et il s'en est délibérément servi, à ses propres fins. Il exprime donc toute l'ambivalence du travail photographique, à la croisée d'exigences issue d'un certain marché, de contraintes liées à une certaine condition sociale, et de tendances plus subjectives, plus personnelles et esthétiques.
Pour autant, ce serait un vilain procès que de vouloir limiter la portée de son oeuvre en la réduisant à un banal travail documentaire. On documente toujours l'époque dans laquelle on vit, et c'est une absurdité que de vouloir opposer un statut d'artiste à un métier, à une condition de production : il s'agit de notions différentes, nullement incompatibles.

Lundi 28 mai 2007

Au Limonaire
Concert de Bertrand Belin au Limonaire, avec Christelle.
Cet échalas à la voix sensuelle, aux mélodies surprenantes et aux textes mystérieux, a sorti JP Nataf et Bastien Lallemand de son chapeau. C'était très réussi, impossible de ne pas tomber sous le charme.

Après le concert, Christelle et moi reprenons un verre. Quittons le bar au moment où BB remonte de sa loge. Nous marchons dans la rue. Nous nous disons que quand même, c'est drôlement bête de partir à ce moment là. Nous faisons demi-tour. Nous nous chamaillons pour savoir qui rentre en premier, parce que ça fait cloche de quitter un petit bar pour y revenir trente secondes après.
Il papote avec ses copains au fond de la salle. Ch. engage la conversation avec deux touristes suisses de passage à Paris, gentillets. Ça s'éternise. BB est maintenant seul au comptoir, la salle s'est vidée. Il s'ennuie, il joue avec son portable. Au moment où je m'apprête à me lever pour aller lui parler, il sort du bar. J'enrage.
Aujourd'hui, c'est lundi de pentecôte, il pleut, et il ne me reste plus que ses chansons mystérieuses.

Mardi 5 juin 2007

Au Chéri
Samedi soir, après ma piscine nocturne, je retrouve Marteen à Belleville.
On bouffe des frites et des hamburgers sur un banc du boulevard de la Villette, entre des papiers gras et des canettes vides.
Puis on monte au Chéri, rejoindre Nico, Tomas, Dominch et son Jules (un guignol un peu fatigant), et un ami de ce dernier, dont la tête me disait quelque chose, et que j'ai fini par reconnaître comme étant le petit copain d'Elise, ce matin, devant mon café, en repensant à la soirée.

Donc hier soir, après la fermeture du bar, on s'incruste chez Rosie, une fille des ateliers de la Nicole, une prof d'arts plastiques, qui vit seule au 6ème étage d'un immeuble chic et moderne, pas loin du Chéri. On pénètre dans son appartement, on fait des commentaires, on s'extasie sur le chat. On s'installe sur la terrasse, on jacasse, on ricane. Marteen n'arrête pas d'imiter Tori Amos, qu'elle vient de voir en concert. On siffle la vodka, le whisky, le jus d'orange bio. Les joints tournent autour de la table en teck, comme des suhis sur le tapis d'un restau japonais.

Chez Rosie
Au bout d'une heure ou deux, il commence à faire frisquette, avec ce petit vent nocturne qui s'est levé, alors on quitte les chaises du balcon pour le confortable canapé en cuir rouge du salon. La Nicole, dont le discours est devenu totalement incohérent, s'agite soudain, se lève, nous agrippe par le bras, entreprend de jouer au tennis avec un gros pilon en bois, au beau milieu du salon rempli d'objets fragiles et délicats.
Notre hôte, R., est un mélange de Joan Bez et de Cher, en plus ramassé, genre Bjork. Quand on lui dit ça, elle a du mal à contenir son choc, elle passe sa main dans sa coloration brune, et dit d'un ton lent et étudié : « Mais Bjork, c'est une fille du nord... »
Sa patience, jusque là remarquable, est mise à mal, et elle finit par nous mettre dehors, à quatre heures du matin. Au moment de partir, Tomas, Marteen et moi on s'inspecte dans la glace de l'entrée, en minaudant, tandis que la Nicole cherche son sac dans l'appartement.

Aux Lilas
Aujourd'hui, repas aux Lilas, avec à peu près les mêmes individus que la veille.
C'est pas mal, ce qu'ils ont fait, côté cour surtout.

Me suis affalé sur l'herbe des Buttes-Chaumont, avant de rentrer ici, vers 19h.

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Deuxième journée à l'institut C.
Fatigant.
Mais Dieu merci, mon responsable est plutôt compétent. Fin, cultivé, malin, réfléchi. Ça me rassure : à force de me plaindre de la médiocrité des informaticiens que je rencontrais, j'avais fini par me demander si je n'étais devenu totalement insubordonnable et inapte à la vie professionnelle.
Ma mission n'est pas facile cela dit : je dois assimiler tout un vocabulaire, comprendre tout un système – à cheval sur la clinique et la recherche – analyser rapidement un environnement complexe, bâti sur des systèmes d'information hétérogènes, plus ou moins bien bricolés. Absorbé par la compréhension des concepts médicaux et biologiques, soucieux de me montrer sérieux et concentré à ma tâche, intimidé par mes nouveaux collègues, pas franchement efféminés, j'en oublie vite la dimension morbide des situations humaines qui sont à l'origine même de l'Institut. Ce n'est que lorsque je traverse l'hôpital et que je croise des patients – dont les visages graves et silencieux portent l'inquiétude, l'abattement, ou la douleur – que je suis remis en face d'une certaine réalité. Le patient est à la fois l'élément central et l'élément occulté dans ces environnements. C'est le contexte médico-scientifique qui veut ça, c'est incontournable, c'est sans doute même structurel. Mais le rire de l'anatomo-pathologiste, à la réunion de ce matin, je l'entends encore, ça m'a un peu glacé, je ne sais pas pourquoi.

Jeudi 14 juin 2007

Le bureau de mon collègue, dans la petite pièce que nous occupons à deux (il est mignon, mais mon gaydar me dit de laisser tomber)
Parfois, j'ai l'impression de vivre un rêve, tellement ce boulot correspond à ce dont j'avais besoin. Par rapport à mes compétences, par rapport aux exigences de mon mémoire, par rapport au cadre de vie, par rapport à un certain esprit général – non commercial, désintéressé. Je suis passé d'un extrême à l'autre. C'est très mystérieux.

Et samedi qui vient, je descends à Vernet pour une semaine.

Samedi 30 juin 2007

Samedi 16, Sarah et moi prenons le TGV de 7h24 pour Montpellier. Déjeunons quelque part dans le quartier de l'Ecusson. Il fait beau, il fait chaud, ça fait des mois que j'attends ça.

En milieu d'après-midi, nous reprenons le train pour Perpignan, changeons à Villefranche, où nous prenons un verre, avant de grimper dans un car pour Vernet-les-Bains.

Ma charmante chambrette
J'y avais loué un deux pièces, au rez-de-chaussée d'un grand pavillon de la rive gauche du Cady, près du parc du casino, un coin paisible.
Du reste, il n'y avait pas grand-monde dans le village, et la piscine n'était fréquentée que par quelques adolescents désoeuvrés.
Nous n'avons pas vu les propriétaires de la semaine. C'est un cousin de la famille qui est venu nous donner les clefs, le premier jour.
La déco était particulièrement hideuse (collection de baromètres, papiers peints marronnasses, armoires rustiques), la propreté des oreillers assez douteuse, mais nous pouvions aller et venir à notre guise dans le jardin, si bien que nous étions toujours dehors, en compagnie de quelques chats curieux qui nous rendaient chaque jour visite, car la maison jouxtait un refuge de trois cents petits félins, du matou éclopé, au siamois borgne, en passant par la petite femelle en mal d'affection et le chaton joueur.

Dans les gorges du Cady
Notre table de jardin
Le programme de la semaine fut des plus simples : promenades et piscine. Je n'avais pas fait certaines randonnées depuis bien longtemps (Peña, Goa, crête de Fuilla jusqu'à la Citerne de Vauban, gorges de Cady), en plus de ma fameuse ascension du Canigou, via le refuge de Balatg et le col des Cortalets.

Lundi, il n'a pas fait très beau
Cette ascension métaphysique, la septième à mon palmarès, fut parfaitement réussie, du reste, et marquée par des événements tout à fait remarquables :
- j'avais omis d'emporter un couvre-chef, grave erreur, vu le peu de cheveux que j'ai sur le crâne
- j'ai fait caca dans la montagne
- il faisait glagla au sommet (un peu de neige sur certains versants)
- il y avait cette créature troublante que j'ai croisée, assise sur un rocher, alors que j'entamais ma descente du noble sommet, peu après le passage vertigineux de la cheminée. La voix grêle de sa mère résonnait contre les parois de la montagne :
« Antoine ! »
« Antoine !! »

L'étrange piton de la cheminée (le phallus, signifiant originel ?)
C'était un adonis ténébreux, à la beauté virile encore en gestation, toute en promesses, mais déjà insolente, dont le regard à la fois effarouché et sauvage dégageait un parfum touchant d'innocence équivoque, et me renvoyait à mes propres émois, lorsque j'avais son âge.
Cette petite pute ne m'a même pas répondu lorsque je lui ai dit bonjour.
Il est flou, mais j'ai quand même réussi à l'avoir
Plus tard, je l'ai laissé me dépasser, sous l'ombrage des pins vénérables du col Vert. Il galopait comme un cabri, trop heureux de voir conclure cette pénible randonnée que ses cons de parents lui avaient imposée, randonnée dont la rudesse l'avait forcé à abdiquer en chemin, et à demeurer assis sur ce rocher où je l'avais initialement croisé. Il m'a pris l'envie folle de le photographier, malgré la présence rapprochée de ses parents, qui trottaient quelques dizaines de mètres derrière moi, avec leurs gros sacs à dos et leurs bâtons de marche (avaient-ils remarqué qu'un affreux satyre en bermudas poursuivait leur fils chéri ?), et je me suis mis à sa course, éperdument, mais en vain, car il disparaissait au bout de chaque lacet que faisait le sentier, comme s'il se sentait pourchassé. J'imaginais que je prenais ma voix la plus efféminée et la plus scandalisée pour hurler à mon tour, dans les ravins et les précipices :
« Antoine ! Antoine !! Mais attends-moi voyons !! »

Au refuge de Marialles, ils sont tous montés dans une grosse cylindrée immatriculée dans les Yvelines. Sa maman est hyper-protectrice et dominante, son papa effacé et réfugié dans son boulot, tandis que lui ne rêve que de liberté et d'amour. Je suis resté comme deux ronds de flanc à regarder s'éloigner en cahotant leur voiture sur la petite route en terre, dans un paysage majestueux de montagnes fières et inaccessibles.
Bah, ce n'était sans doute qu'une allumeuse, une petite conne de versaillaise.
Pour me consoler, j'ai engagé la conversation avec un autre jeune homme, plus sociable et amène, qui randonnait seul avec son chien, un bâtard prénommé Pilou (je parle du chien). Comme moi, il était parti de Vernet le matin même. Arrivé au refuge de Bonaigua, il avait franchi le col Ségalès, et s'apprêtait à gagner la cabane de la Llipodère, où il entendait passer la nuit. Craignant de l'importuner, j'ai déclaré avec naturel que j'allais faire une petite pause maintenant, l'abandonnant à sa marche, après seulement une minute de discussion. Parfois, je me conduis ainsi : je prends enfin une initiative intéressante, j'aborde quelqu'un, et puis, de peur d'en faire trop, je casse mon coup, comme ça, tout seul, pouf, comme cette Conne de Brigitte Fontaine.

Le soir, enfin, de retour à la maison, anéanti par mon trekking masochiste (plus de quarante kilomètres à suer sur des sentiers caillouteux, quand même), je ne pouvais plus mettre un pied devant l'autre. Etendu sur mon lit, fiévreux, les jambes démolies, j'ai perçu alors la distance qu'il y avait entre mon corps et moi. Je veux dire, je sentais que mon corps m'avait obéi, à moi et à mon amour insensé pour cette montagne, qu'il avait été fort et résistant, malgré l'épreuve que je lui avais infligée, que j'aurais pu hériter d'un autre corps qui ne m'aurait pas permis de faire la moitié de cette grande aventure, et j'ai ressenti la chance que j'avais, d'avoir hérité de cet organisme, qui me paraissait à la fois mien, et étranger.
Mais trêve de philosophies.

Le dernier jour, ma sœur et moi prenons le car pour Perpignan.
Nous traversons lentement les petits villages du Roussillon – Vinça, Ille-sur-Têt, Millas. C'est samedi midi, et le car se remplit de la jeunesse locale. Les jeunes filles sentent l'eau de toilette, les jeunes garçons ont les cheveux propres. Ils se rendent à la ville, à Perpignan, dont ils vont sillonner les rues commerçantes. Ils se connaissent tous, au moins de vue. Certains sortiront peut-être dans les bars, le soir venu.

A la gare de Perpignan, le TGV nous attend. Sarah ira jusqu'à Paris, moi je descends à Narbonne.
Narbonne, c'est mignonnet, mais un peu plouc sur les bords, surtout avec les mariages et les voitures qui klaxonnent autour de la cathédrale.

17h45. Mon Teoz a destination de Toulouse entre en gare. Je file dans le Languedoc, dans le Lauragais, dans les contre-jours éblouissants de juin. Il n'y a pas grand-monde dans le wagon, une étudiante est pendue à son portable et raconte à une copine le déroulement de ses partiels, l'organisation de ses futures vacances, entre Poitiers et Bordeaux.

Toulouse, quel plaisir que de retrouver cette ville, découverte il y a une dizaine d'années à l'occasion de mes trajets sabbatiques entre la Normandie et les Pyrénées.
Est-ce la célèbre couleur de ses façades, est-ce la présence rassurante de la Garonne, lourde d'alluvions, au débit lent et reposant, est-ce la modestie tarabiscotée et délicate de son architecture, est-ce la nature gaie, civile et souriante de ses habitants, qui me rendent chaque fois cette ville aimable au point d'envisager même d'y venir vivre un jour ?

Sur le pont Neuf
Claire et son copain, partis à un mariage, m'avaient laissé les clefs de leur appart.
Je voulais sortir samedi soir, rejoindre un mec du net peut-être, mais impossible de trouver un café Internet après minuit ; il faut dire que je m'étais attardé dans un restaurant indien, où je m'étais enfilé une demi-bouteille de Cahors.
Je suis revenu tranquillement vers le quartier de Saint-Cyprien. Un festival de musique espagnole se tenait sur une grande pelouse, près du cours Dillon.
Les coups de soleil de Vernet faisaient peler mon crâne méchamment, et je ne vois pas comment j'aurais pu faire la moindre pêche de toute façon, avec une tête de brebis galeuse pareille. Si Claire venait à découvrir quelque petit bout de peau desquamé sur son canapé, je lui répondrais qu'il s'agit des restes de mon croissant du dimanche, car j'avais remarqué comme une ressemblance.

Les vendeurs de kebabs et de pizzas sont omniprésents dans le centre ville. Remarque, c'est toujours mieux que les sushi bars et les Starbucks Coffee. Au restau, je lisais justement un article dans le Monde, à propos de l'évolution de la sociologie urbaine de Toulouse, qui vire vers un certain bo-bo depuis quelques années, politiquement peu favorable à la droite. Mais qu'est-ce que le bo-bo finalement ? Plus on emploie ce terme, moins son sens se précise, je trouve.

Dimanche soir, Claire, son copain, et les parents de ce dernier (de passage) sont arrivés. Le copain de Cl. est d'une beauté chimique, hormonale, organique, à moins que ce ne soit mon séjour monastique à Vernet-les-Bains qui m'ait rendu les hommes soudain moins indésirables. Avant de m'endormir sur le canapé, alangui par le Porto dont Cl. avait rempli continûment mon verre, je me surprends à lui imaginer des perversions affolantes.

Cl. et son beau-père
En pénétrant dans leur appartement, dimanche soir, Cl. tend les bras vers son fiston de trois ans, qu'elle retrouve après trois jours d'absence. Ils se mettent à hurler de concert, toute gorge déployée, avec des voix stridentes, hystériques et absolument épouvantables. On sent que c'est une blague entre eux, et ça les fait rigoler. Ils recommencent à hurler ensemble, une fois, deux fois, dix fois. Tout le monde se tait, et sourit aimablement, les oreilles martyrisées.
A l'apéro, sur la terrasse, ce petit monstre casse deux verres coup sur coup. Les discussions deviennent surréalistes. La mère du copain de Cl. m'explique qu'elle et son mari descendent à Cadaquès, car il y a une place de parking juste à côté de l'hôtel où ils ont réservé. Demain, ils amèneront leur petit-fils au centre commercial Carrefour, simplement pour promener le petit. Je dois me retenir d'éclater de rire lorsque je constate que la belle-mère est restée assise sur un gros morceau de formage de brebis, à demi mâchouillé par le petit monstre de trois ans.
Le beau-papa marmotte tout seul dans son coin quelque chose à propos de dressage d'enfant.
Après m'avoir raconté comment les nanas se disputent à son cours de gym, Cl. me parle d'une boîte un peu spéciale de Toulouse, le Shanghai. Elle me raconte comment une nuit elle s'est retrouvée dans la partie gay de ce club foutraque, dans les sous-sols...
« - Dans les, tu sais... dans les... les... les show-rooms ? »
« - Ah, les back-rooms ? »
« - C'est ça, dans les back-rooms ! »

Le cady, à Casteil
Cl. est fascinante, déroutante. Je comprends pourquoi elle s'est attachée à son mec, malgré l'occupation professionnelle prenante de ce dernier à l'hôpital, et son absence totale d'implication domestique, même la plus modeste qui soit – un peu comme papa. Je veux dire, même si Cl. ressemble à une petite bourgeoise futile, moqueuse et chipie, elle est autre, aussi, et je pense qu'elle s'attache aux gens pour ce qu'ils sont, pour ce qu'ils lui font. Ce n'est pas la première fois qu'elle a un copain issu d'un milieu social éloigné du sien. Elle se rit des convenances et des gênes, se moque éperdument de plaire ou de ne pas plaire à son entourage, elle porte en elle une forme de folie, d'indépendance, d'humour très personnel, un truc baroque, exubérant et ouvert sur la vie qui me plaît, et derrière son mode de vie bourgeois, puéril et ses minauderies de vieille adolescente, je la trouve finalement plus provocante et délurée que les nombreux punks que j'ai croisés dans les rues de Toulouse, accompagnés de leurs chiens efflanqués à la queue basse. Je me suis rappelé pourquoi j'appréciais déjà Cl., du temps que nous faisions la fête ensemble à Rouen.

Retour à Paris lundi soir, sous une pluie battante, pour constater que l'avocat que Marteen était censé avoir arrosé en mon absence était au supplice, qu'une madame pigeon avait saccagé mes plus beaux framboisiers pour y faire son nid et y pondre deux œufs blancs, et qu'une odeur nauséabonde planait dans tout l'appartement, à cause de la poubelle que j'avais oublié de sortir, poubelle de laquelle des dizaines de mouches, aux tailles variées, se sont échappées pour m'accueillir en virevoltant.

Jeudi 12 juillet 2007

Mon petit Belzébuth
Me voci investi d'une fonction maternelle.
Dimanche dernier, Nath m'a emmené chez des amis à elle, aux confins de la Seine-et-Marne, chercher un petit félin tout noir.
Pas facile de séparer un chaton de sa mère, surtout lorsqu'on le voit jouer gaiement avec sa petite sœur dans un grand jardin.
Il a mis quelque temps à s'habituer à son nouvel environnement parisien, et j'ai dû user de mille précautions pour l'approcher. Mais on se fait des câlins maintenant. Il est très bavard.
C'est un peu perturbant pour moi aussi, moi qui suis habitué à vivre seul. Un chat en appartement, ça reste une présence très forte. Mais il est adorable.

Vendredi 20 juillet 2007

Mon père en action au jardin
Le week-end dernier, je suis passé à Rouen en coup de vent. Mon anniversaire me barbe maintenant. Les anniversaires me barbent en général de toute façon.

Mais chez Nath, c'était sympa, l'autre soir.

Je suis cancer, et je travaille dans la lutte contre le cancer, amusant.



Ma dernière création pianistique : Prélude par monts et par vaux

Certains soirs, en sortant du turbin, je me sens très bien. Oui. Comme ce soir : le ciel était bleu, l'air était sain, la lumière était belle.
Tout ça grâce aux antidépresseurs ? Ce serait dommage.
Peut-être. Peut-être pas.

Mon chat en action dans l'appartement
J'ai l'impression de vivre une situation privilégiée. Travailler avec des gens agréables et compétents, prendre le temps de bien faire les choses, évoluer dans un milieu neuf et intéressant, ne pas se sentir étouffé, comprimé, à suer comme un poulet dans sa cocotte. C'est objectivement nouveau pour moi.
J'avais toujours connu des environnements concurrencés, sous pression, ou bien des boîtes mal gérées, gâchant ses ressources. Parfois les deux.
Je me surprends à penser à un avenir neuf et différent, à l'après soutenance de mon mémoire, à des horizons dégagés, mieux désirés et assumés.

Je vois un psy, près de la place de la Nation. C'est un psychiatre. C'est lui qui me prescrit mon petit traitement actuel. Il est plutôt gentil. La première fois que je l'ai vu, je me suis dit : bon, il n'a pas l'air très malin, mais il est brave. C'est difficile de parler à un psychiatre après plusieurs années d'analyse. On doit réentonner des chansons archi-connues. On doit l'entendre établir de lui-même des associations connues par cœur (la peur du bruit / l'intérêt pour la musique par exemple), sur un ton doucereux. On doit supporter de voir les choses placées sur le terrain médical, alors qu'on ne croyait qu'aux nobles signifiants, aux incontournables symboles, aux structures édifiantes, aux relations subtiles, à toutes ces choses incroyables qui nous avaient échappées, et qui d'un coup s'étaient éclairées, comme des évidences absolues.

...près de mon travail
Maisons...
La structure. Les souvenirs.
Mais je n'ai plus envie d'analyser mon discours. Je le connais trop. C'est un palais des glaces, une musique dodécaphonique, une figure fractale, une lamentation sans fin, un épais pull de laine que je tricote et détricote à loisir, comme une Pénélope patiente et consciencieuse.
Cette fois-ci, je dois me limiter à l'essentiel, et m'y tenir :
La peur des autres. L'inhibition. La fuite dans la maladie, dans ceci, dans cela.
Les autres sont méchants, ils me veulent du mal.
Non, ils ne sont pas si méchants, ils ne me veulent pas tant de mal.
Si, ils sont vraiment méchants, ils me veulent vraiment du mal.
Non, etc.

Il faudrait que je me lance éperdument dans des actions prenantes, jouissives et merveilleuses.

Mercredi 8 août 2007

Enfin l'été !
En ces temps de grande indigence sexuelle, un bref interlude libertin ne peut pas faire de mal.
Il était grand, il était beau, il habitait derrière le Père-Lachaise.
Je suis en coloc avec deux copines me dit-il, encore revêtu de son uniforme de garde mobile, et alors que je suis nu comme un ver dans sa baignoire, occupé à mes ablutions post-coïtum, dans une salle de bain remplie de produits de beauté. « Elles sont là ??? », fais-je avec horreur, le pommeau de douche à la main.
Non, rassure-toi, elles sont parties à un pique-nique, me dit-il en souriant.

Ah, ouf, tu m'as fait peur dis donc.

Pique.
Nique.

Villeneuve-Saint-Georges
Il m'offre un verre, on discute un peu.
Joli, poli, racé, chanteur lyrique, violoncelliste, parle bien, pas débile...
Bref, il n'est pas pour moi, ce n'est même pas la peine d'essayer.

Le stade de Paray
Le lendemain, grande randonnée à vélo. J'avais oublié d'emporter mon compteur éléctronique, mais j'ai dû faire au moins 70 bornes.

Suivant un itinéraire déjà connu, j'ai d'abord longé la Seine, en passant par ces terrains vagues que j'aime beaucoup, à la lisière de Villeneuve et Choisy. J'ai dépassé l'écluse d'Ablon, et je suis arrivé à Athis-Mons, dont les quartiers résidentiels ont eu raison de mon sens de l'orientation.

Ablon-sur-Seine
Ma bouteille d'eau était vide, ma soif s'accusait, mon portefeuille était resté à la maison, le soleil dardait sur moi ses rayons sans pitié.
Mais à Paray-Vieille-Poste, ma route a croisé un stade de sport, où de jeunes blacks jouaient au foot. Stade = robinet, une équation qui vous sauve un homme en territoire péri-urbain, par forte chaleur.
J'ai repris ma monture, en me mouchant avec un reste de kleenex qui se dépiotait dans ma poche – car je quitte un vilain rhume.

J'ai traversé un champ agricole cahin-caha, sur un sentier cabossé, laissant derrière moi une espèce de vieux satyre qui me regardait bizarrement, assis sur sa bicyclette, en bas de son immeuble.
J'ai débouché sur une route départementale, que j'ai suivie sur plusieurs kilomètres, avec le soleil dans la figure.

C'est à dessein que je contournais ainsi l'aéroport d'Orly, serrant d'aussi près que je pouvais la zone interdite, afin d'admirer les avions au décollage.
J'ai fini par dénicher le meilleur point de vue à la sortie de Wissous, un patelin ridicule qui semblait fait de ses seules implantations commerciales et de ses bureaux, tous absolument déserts en ce dimanche d'août, et de son cimetière, auprès duquel plusieurs spotteurs monomaniques, armés de gros téléobjectifs et d'escabeaux en aluminium, étaient déjà postés, à l'affût des Airbus et autres gros Boeings rugissants.
Par vent d'ouest, les avions décollent en effet de cette piste – alors qu'ils atterissent sur la piste opposée, côté Seine.
Et par vent d'est, c'est l'inverse, ah, tout cela est d'une grande logique.

Quand il fut 20 heures passées, je me suis dit qu'il était temps de rentrer quand même, après ces lubies d'ado attardé.
La Nationale 7 est un cauchemar pour le cycliste, je défie un vél'lib de s'y aventurer.
Et Thiais est une ville monstrueuse.
Villejuif, Porte d'Italie, Place d'Italie, Bastille, hop, fissa, et sans anabolisant.

Je portais des sandales qui mettaient éhontément à jour mes doigts de pied, mais le hâle qui recouvrait mes jolis radis en fin de parcours, que j'avais d'abord attribué au soleil généreux de cette longue promenade, n'était qu'un voile de crasse.

Mardi 28 août 2007

Je consacre beaucoup de temps à mes développements informatiques, à l'I.C. Tellement, que je ne sais plus si j'oeuvre pour moi, pour le CNAM, ou pour l'Institut. Cet ambitieux XSLT-driven object relationnal mapper que j'élabore depuis trois semaines mobilise mon énergie et mes facultés, et j'y songeais encore ce soir, tout en me noyant dans les lignes d'eau de la piscine Pailleron, pleine à craquer, coincé entre une spécialiste de la brasse escargot, un requin du crawl couvert de tatouages, et un timbré de la nage papillon.

Vaines choses.
Saines choses ?

Soudain, je me lance des défis, je reprends goût à quelque chose. Curieux, ce qui peut motiver comme ça, ce qui peut susciter le désir.

Au boulot, il y a une jeune fille, une prestataire en régie, qui m'énerve un peu, une sorte de rongeur à cheveux fillasses, une grenouille à lunettes de 25 balais, qui s'y croit un peu, enfin, elle est contente d'elle, quoi. C'est léger, mais je le sens. Et je n'aime pas ce qu'elle fait. Il me semble qu'elle produit continuellement un tas de spaghettis, à partir d'autres tas de spaghettis. Elle consacre sa vie à préparer des spaghettis trop cuits, sans consistance, sans cohérence, sans élégance. Elle n'encapsule rien, n'abstrait rien, elle gesticule dans une bouillabaisse informatique dont elle est fière.
J'imagine son petit intérieur: un deux pièces insignifiant dans le 15ème arrondissement, près du métro Lourmel par exemple, avec des voilages aux fenêtres, une grosse télévision, un CD de Pierre Bachelet ou de Lynda Lemay, des litres de détergent dans un placard, et un aspirateur LG.

Il est très mignon, lui aussi
Il y a un autre prestataire en régie aussi, de la même boîte qu'elle. Il est franchement mignon lui par contre, malgré un vague embonpoint (qui ne présage rien de bon pour son avenir). Il débute, il est timide, il évite mon regard. Mais il est craquant comme des craquottes, et je me retiens de lui sauter dessus. Elle vient le voir de temps en temps, je suis sûr qu'elle le materne, ça me rendrait dingue d'apprendre qu'ils sortent ensemble.
Cet après-midi, j'ai été la voir pour un truc, elle m'a toisé avec hauteur – « Tu sais, c'est rare les sites avec deux bases de données... » m'a-t-elle dit fraîchement, en me fixant de ses yeux de crapaud. J'ai eu envie d'être désagréable, de lui sortir mon pedigree, mais j'ai sobrement tourné les talons, ce n'était pas la peine de s'énerver pour des bagatelles pareilles.

Il y a aussi ce spécialiste de Perl, dans le bureau d'à-côté, un individu calme, affable et passionné. Son implication personnelle et professionnelle sont étroitement liées, et il dispose de beaucoup d'autonomie, car il travaille sur des projets ambitieux, souvent complexes. Il se rend à des congrès, il possède plein de bouquins spécialisés, il est cultivé. Je suis content de l'avoir rencontré, il me casse un peu les pieds avec son Perl à tout va, mais j'aime son approche, intelligente et raffinée, et son implication, dans un domaine qui ne trouvait plus vraiment grâce à mes yeux, mais que je reconsidère depuis que je travaille à l'IC.

Sinon, la semaine dernière, j'ai été dans la Hague, voir mes parents.
Atmosphère humide, je suis rentré aussitôt.
Ce matin, alors que je filais à vélo sur le boulevard Richard-Lenoir, comme un bolide, j'ai croisé papa. J'ai freiné brutalement, on s'est dit bonjour en rigolant.
C'était bizarre de tomber sur un visage aussi familier, un matin d'été, comme ça, en allant au boulot. Ça m'a fait plaisir. Il monte régulièrement sur Paris, mesurer des appartements, contrôler le plomb dans les peintures. Des allers-et-retours fatigants, mal payés, mais il n'a pas le choix – la dernière étape avant la retraite.

J'ai beaucoup d'admiration pour lui, pour ce qu'il est, pour son humanité, son intelligence et son humilité.
C'est en quittant le cocon familial que j'ai mieux pris conscience de qui sont mes parents, de ce qu'ils ont d'étonnants, d'uniques, d'incroyables, et de ce qu'ils m'ont apporté.
Je n'ai jamais rencontré des gens semblables par la suite.

Lundi 10 septembre 2007

Première page de résultats pour le mot supprimer dans Google Image
Impuissants à mettre en lumière l'absurdité de l'actualité politique actuelle, incapables également de prendre de la hauteur avec les lieux communs débités sur l'évolution du monde contemporain, de nombreux journalistes en France combinent ce qui se fait de pire dans leur métier : une obséquiosité servile vis-à-vis du pouvoir, une soumission lancinante aux sondages (pas facile de critiquer un dirigeant devant des millions de téléspectateurs, juste après avoir rappelé sa côte de popularité, en effet), la répétition aveugle des épouvantails à la mode (comme celui de la « mondialisation », concept-raccourci dont l'emploi permet commodément d'éviter d'énoncer la complexité du monde, voire de masquer l'ignorance que l'on en a, et d'affoler encore davantage les gens) et un patriotisme ridicule – qui culmine souvent dans le domaine sportif, domaine par définition où rien n'est joué d'avance, et où l'humilité devrait toujours être de mise.
Comme à demi-conscient de ce manque de pertinence, le journaliste français est aussi le premier à dénoncer le « coup médiatique » et l'instrumentalisation dont il peut être la victime, tout en prenant soin de ne pas prêter personnellement le flanc à la critique.

Les pires restent certainement les grands canards locaux – Ouest France, Nice Matin, Paris Normandie, à la botte de leurs propriétaires puissants – ainsi que tous ces hebdomadaires traditionnels dont les titres à sensation s'affichent, pas bégueules, à la devanture des kiosques : L'Express, Le Nouvel Obs, Le Point, torchons dont la médiocrité m'effare.
Leurs éditorialistes s'efforcent d'afficher un point de vue objectif, averti et contrasté, et tous pourtant resservent le même brouet, fadasse, consensuel, chauvin, assaisonné d'anecdotique, de faits divers et de petites citations insipides d'hommes politiques.

Du coup, il faut souvent se plonger dans la lecture des journaux étrangers pour trouver un éclairage un peu plus intéressant sur l'état du monde. En cela, Internet est une vraie bouffée d'air pur, heureusement qu'il est là, lui.

Et c'est qui qui ramassera les crottes de Sarko ?
Pourtant, on aimerait comprendre...
Je n'y connais rien en finances publiques, et je ne suis pas économiste, mais je n'ai jamais autant éprouvé cette pénible sensation que les dirigeants de mon pays se moquaient de moi. Au moins, tant que Chirac – que je détestais pourtant déjà bien – ronronnait paresseusement sur son trône élyséen, avions-nous la paix, et pouvions-nous rêver au jour béni que serait celui de sa disparition de la vie publique, sauf bien sûr quand son ministre de l'Intérieur, trublion, déboulait avec fracas sous les flashs des reporters en débitant des prêches aux effets calculés, mauvais présage de ce qu'il y a toujours pire que le pire.

Alors, qu'il soit difficile de gouverner, économiquement, socialement, en France, dans un contexte marqué par des contraintes, des incertitudes et des peurs de toutes natures, je n'en doute pas une seconde, mais pourquoi devrions-nous subir la fébrile agitation médiatique de ce M. Sarkozy, son bavardage de comédie au moindre fait divers, ses déclarations sur « le renforcement du suivi des malades sexuels », ou sur le « rôle et la responsabilité des banques dans le bon fonctionnement des marchés de crédit » – autant de gesticulations oratoires qui ne cachent qu'une grande misère d'action, de l'inconscience et pas une once de sincérité ?

Cet homme est l'antithèse de ce qu'il énonce.
Conservateur, il s'est empressé de soulager fiscalement les milieux les plus favorisés, il a pondu une loi répressive particulièrement inutile, et il a rendu un peu plus difficile le droit de grève.
« Ensemble, tout est possible. ». Un slogan à l'image des promesses du personnage : ambigu, flatteur, magnétiseur, démagogue. Attrape-nigaud. Je ne peux plus supporter cette contradiction permanente entre l'apparence et la réalité. Et je ne suis guère étonné d'apprendre que Sarkozy a fait de la PNL, car on nage en pleine PNL : maquiller la réalité avec un discours de circonstance, le répéter tant, et tant, que le contours des problèmes nous devient vague, que nous n'arrivons plus à accommoder sur eux. On se saoule, on s'oublie, on s'aveugle, on se laisse hypnotiser par les propos insidieux d'un marchand de tapis qui s'est invité chez soi, et qui, parce qu'il semble avoir deviné le cours de nos pensées, grand démiurge, grand sorcier, nous fait croire qu'il détient les clefs de notre succès.

Vous n'avez pas un radis, vous vivez dans un taudis, mais soudain vous avez l'impression d'évoluer dans un palace, et soudain vous vous figurez que celui-ci sera encore plus beau demain.
Alors que cet escroc est en train de vous rire à la figure, jour après jour, et que tout porte à croire que vous serez encore plus pauvre demain.

Mais plus encore que par ses promesses de réduction d'impôt, d'un ridicule consommé, je suis particulièrement dégoûté par le sort que ce crétin a réservé aux questions internationales – domaine dont il se sert comme du reste, c'est-à-dire sans la moindre largeur de vue, sans le moindre sérieux, et uniquement en fonction du profit personnel qu'il peut escompter retirer. Et ne parlons pas de l'écologie, la dernière roue du carrosse, comme il fallait s'y attendre.

Qu'il y a-t-il donc à espérer d'un homme à ce point cynique, à ce point obsédé par ses propres intérêts ?

Bref, pour en revenir au journalisme, la désaffection du Français vis-à-vis de sa presse écrite est à la mesure de la médiocrité de ses media, les chaînes de télévision particulièrement, et je trouve dommage que les dernières feuilles de choux hexagonales encore potables pâtissent de ce déclin – comme Le Monde, encore que Colombani n'ait été qu'une vulgaire couille molle durant les élections présidentielles – Libé, malgré son côté prépubère, et dont les jours sont, je le crains, comptés maintenant, et Le Canard Enchaîné, l'indispensable fouille-merde.

Je trouve le cours des choses très décevant en France aujourd'hui.
Or je crois que beaucoup de gens ont élu Krasozy avec l'espoir précisément qu'il ferait dissiper ce climat pesant, nuisible à tous points de vue. Hélas, je constate, sans surprise, que cette atmosphère nourrie de frustrations et d'angoisses collectives perdure lamentablement, tant est grand l'écart entre l'attente de ces gens, leurs inquiétudes et leurs soucis quotidiens, et la perfidie de ce petit Napoléon cravaté, la vanité de ce coq narcissique et sans scrupule, qui étale sa poule et sa bedaine répugnantes sur le ponton de bateaux de milliardaires.

Rhô...
Le Pen au second tour des élections de 2002, Chirac au dessert, la victoire du non au référendum européen de 2005, Sarkozy président en 2007, il y a comme un entêtement dans les choix les plus conservateurs, dans les postures les plus immobiles. C'est bien connu, la menace vient toujours de dehors, alors fermons les fenêtres, fermons les écoutilles, et ne bougeons plus.
Mais bon, je crois que d'autres pays européens subissent à peu près la même sclérose, à des degrés divers, ce dont profitent d'ailleurs les mouvements nationalistes, qui continuent malheureusement à prendre de l'ampleur, du nord à l'est. Quelques pays latins sont cependant parvenus à se débarrasser de leurs boulets conservateurs, Aznar, Berlusconi, mais les politiques progressistes lancées par les gouvernements qui leur ont succédé, mesures en faveur des minorités par exemple, cachent mal l'influence prépondérante de l'Eglise catholique sur des pays au fond (baptismal) encore très réactionnaire. Quant à la Angela Merkel, elle est clairement moins conne que Sarkozy, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit beaucoup plus gentille que Fillon.

La Nicole et la Martine, avec qui je discutais de ces sujets polémiques l'autre soir, ont beau dire que tout cela n'est que le fait des « interactions » entre le politique et le collectif, du 11 septembre et de George Bush, moi je me sens de moins en moins à l'aise en Europe.
Si j'en crois l'Histoire, il faut se méfier de notre continent, plus que des autres.
Mais bon, pour le coup, là, c'est moi qui m'affole tout seul.

Dimanche 16 septembre 2007

Dans les toilettes, il y a ce numéro de Têtu de mars 2007 qui traîne. Je l'avais acheté à cause du bellâtre en couverture, un ténébreux au regard de braise avec des lèvres pulpeuses. Or c'est justement ce numéro où le directeur de la rédac, Doustaly, pas très inspiré sur ce coup là, se prend à rêver dans son édito : il assure avec aplomb que, Sarko ou Ségo, peu importe le vainqueur des élections du joli mois de mai, « on » a gagné. « On », c'est-à-dire, nous, les pédés. Oui, explique-t-il, car même Sarko se serait déclaré en faveur d'une union civile entre homos, à défaut d'approuver leur mariage.
Cet édito a fait un foin pas possible, tout le milieu associatif est monté au créneau pour rappeler que Sarkozy a boudé les séropositifs pendant sa campagne, qu'il s'entoure d'homophobes notoires, et puis franchement, comment peut-on prendre au sérieux les promesses nuptiales gay-friendly d'un type qui a choisi Pasqua comme témoin pour son premier mariage ? Bref, le directeur de la rédac s'en est pris plein la figure. D'ailleurs, depuis, il n'a que des emmerdes avec ses salariés, très remontés contre lui.
Encore un qui a tout compris. Ou qui fait semblant de n'avoir rien compris.

Là-dessus, Pierre Bergé, généreux Pierre Bergé, admirable Pierre Bergé – à qui il faudra un jour qu' « on » élève une statue, un monument, un Panthéon, tellement il aura dépensé pour « nous », nous les tapettes hystériques parisiennes qui passons notre temps à nous crêper le chignon, à peine reconnaissantes – a remis des jetons dans le pot, tant le magazine se porte mal, financièrement parlant, malgré les propos rassurants officiels. C'est qu'il s'agit de ne pas effaroucher les annonceurs.

Et c'est là où je voulais en venir. Le milieu gay traverse une grande crise. Tout le monde sait ça depuis longtemps, sans doute, certainement, mais Dieu, qu'on me pardonne, les nouvelles du monde mettent du temps à parvenir jusqu'à mon appartement ouvrier des hauteurs de Belleville.

Certes, j'avais bien remarqué, et regretté, la fermeture du « Scorp », la boîte à coiffeuses où je descendais parfois, le samedi soir, il y a encore trois ou quatre ans.
J'avais aussi entendu dire que Pink TV, c'était fini. Que le salon Rainbow Attitude n'était plus. Je n'étais pas abonné au premier, et je n'ai jamais mis les pieds au second, mais bon, il faut remarquer ces choses là, ça dénote.

Rosée sur l'herbe à chat
Or, pas plus tard qu'hier, j'apprends la fin définitive d'E-llico, dont a eu raison la menace d'interdiction administrative du printemps dernier. Bon, E-llico, ce n'était pas « Connaissance des Arts », pas plus que « Siegesäule », mais ce fanzine à zéro centime contribuait à donner un peu de lien à une communauté parisienne distendue. Quand on s'emmerdait ferme, tout seul dans son coin de bar du Marais, on pouvait toujours faire semblant de le feuilleter, du bout des doigts.
Et qu'est-ce que j'apprends encore, hier ? La boutique IEM de la rue Saint-Maur ferme à son tour. Alors, oui, je le concède bien volontiers, IEM, c'est clean et cher, un truc de bourgeoise libidineuse et méchante, mais bon, un établissement gay en plein Belleville, fallait le faire, et puis, c'était un peu notre commerce de proximité à nous. « J'aime mon quartier. ». Descendre acheter son gel à cul en bas de chez soi, à deux pas de sa boucherie halal, de son épicerie cacher et de son restau chinois, c'était sympa, et exotique.

Du coup, tout s'éclaire dans ma tête.
Tout s'éclaire sur les sombres heures que nous traversons.
Quoiqu'il soit hardi de mettre sur le même plan cette vulgaire sphère commerciale gay et l'honorable lutte contre le sida, je me rendais bien compte, déjà, aux réunions hebdomadaires d'Act Up, où je me rendais encore, au printemps dernier (que d'événements, en ce printemps dernier !), qu'ils tiraient la langue, tous ces militants, tant était grande la désaffection dans leurs rangs.

Mon herbe à chat à moi : du persil
Bref, « on » traverse une crise. « On » s'approvisionne sur Internet. « On » ne s'implique plus. « On » n'ose plus.
Mon Dieu, qu'on m'arrête immédiatement, je suis en train de tomber dans cette affreuse litanie nostalgique et gaucho-réactionnaire que je déteste. En plus, je ne peux même pas dire que moi j'ai vécu les années 80, ces belles années du Palace, où l'on était folle comme dans un film d'Almodovar, où l'on savait faire la fête, mais où l'on savait aussi se serrer les coudes avec humanité, où l'on accompagnait au cimetière, sous la pluie, la dernière copine-camarade, fauchée par le virus, tombée dans la fine fleur de l'âge, après une longue et épouvantable agonie. Moi, à l'époque, pendant ces fameuses années 80, je suais d'angoisse sur les bancs d'un collège pourri de province, j'avais des boutons d'acné plein la figure, j'étais complètement coincé, con comme un manche, et si l'on m'avait raconté tout ça, les folles soirées sous coc, les premières gay-pride, les premiers zaps, les sex-parties et les sarcomes de Kaposi, je n'aurais rien compris, et je me serais évanoui d'horreur. Aujourd'hui, j'ai peut-être encore un peu d'acné sur la figure, mais je suis capable d'aller acheter un Têtu dans une librairie du Marais, oh, quel remarquable courage.

Bref, c'est la crise.
D'aucuns y voient le signe de l'individualisme roi. L'esprit Sarkozy, ne serait-ce pas cela, entend-on dire parfois, l'apologie de l'égoïsme et la consécration du chacun pour soi ? La mort de l'Etat-providence, l'enterrement de l'idéal solidaire, etc.
Je crois que c'est surtout l'avènement de la connerie, mais bon, moi, je dis ça, je dis rien.

C'est vrai que c'est triste, cette affaire : tout autour de moi, les copines ne sont plus préoccupées que par leur appartement, qu'elles viennent d'acheter à prix d'or, ou aux travaux qu'elles envisagent gaiement d'y faire, quand ce n'est pas le dernier dégât des eaux qui les y contraint, elles parlent crédits juteux et impôts atroces, elles parlent de s'installer en province, du calme que l'on y retrouve enfin, ou alors elles parlent de Berlin et de Madrid, où la vie serait plus rose pour les homos, ce dont je ne doute guère, au demeurant. Elles parlent de leurs voyages à l'étranger, du Viêt-Nam ou de la Croatie. Elles parlent du dernier épisode de la série machin, déjà disponible en DVD. Elles parlent de leur boulot, elles se tuent à la tâche, elles en veulent, bon courage. Certaines feraient cependant une petite dépression, mais chut. D'autres, lassées du yoga, se mettraient à jouer au golf, d'autres encore mangeraient des sushis au petit déjeuner, et d'autres enfin seraient redevenues hétérotes.
Mais bon, là, je fais ma crise de trentenaire.

Mon conseiller et moi, nous nous tenons informés
Pour en revenir à la crise du milieu gay, je ne crois pas être très audacieux en disant qu'elle révèle d'abord une crise de confiance. On dépense moins parce qu'on a peur, parce que l'époque nous inquiète. Dans les journaux, il est question de relancer la consommation. On ne consommerait pas assez. Mais comment consommer lorsqu'on s'est lourdement endetté pour acheter une maison, au prix faramineux du marché actuel ? Comment consommer lorsque les perspectives d'avenir, en terme de protection sociale, en terme d'écologie, sont aussi sinistres ?
L'état morose de la sphère commerciale gay, fréquentée par un milieu de classes moyennes, urbaines, informées, et outillées, est préoccupant, parce que si ça ne va pas chez les gays, c'est que ça ne va vraiment pas du tout.
Mais bon, encore une fois, moi, je dis ça, je dis rien, hein.

Ma seule joie, finalement, ce serait de voir cet homme politique descendu en flèche dans les sondages, et de voir tout le secteur immobilier et financier se dégonfler à sa suite comme une baudruche. Puérile satisfaction, me dira-t-on, mais lorsqu'on est arrivé sur le marché du travail il y a sept ans, rempli d'espoir et de bonne volonté, et qu'on s'est rapidement retrouvé ballotté dans un secteur concurrencé, impitoyable, mené par des gestionnaires peu scrupuleux et totalement indifférent à votre personne, pour lesquels le syndicalisme est un concept préhistorique, lorsqu'on s'est pris la tête avec un petit patron mesquin, qui essaie de vous contraindre à prendre des congés parce qu'il ne peut plus vous payer, lorsque seule l'ambition semble avoir été récompensée autour de vous, lorsque les gens ne s'intéressent qu'aux placements financiers, au foncier, à la plus-value... et aux carreaux de faïence de la salle de bain, dont vous vous moquez comme d'une guigne, cette année 2007 est agaçante.
Si je peux écrire cela, c'est précisément parce que depuis le mois de juin dernier, je travaille dans un cadre nouveau, un cadre qui me paraît plus humain et plus honnête que les précédents, un cadre avec moins de pression, où j'ai davantage envie de m'investir et de travailler, du coup.

Mon conseiller ne s'en laisse pas conter
Vous avez des principes, vous avez des idées, vous avez des envies, et vous êtes témoin de l'élection de ce petit arriviste, c'est insupportable. Un vulgaire spécialiste du droit immobilier, sacré président de la république, pas foutu d'aligner trois mots d'anglais, et qui se pique de donner des leçons de finance à ses alter ego européens. Un apprenti-sorcier de la pire espèce, qui répète en se gargarisant ce que ses conseillers fachos lui soufflent à l'oreille. Le dernier type que j'embaucherais pour ma propre entreprise. Le packaging le plus moderne autour de la chose la plus conservatrice. Un concentré de bêtise et d'ambition.
Comme pour George Bush, on espère que sonnera un jour l'heure des comptes, que viendra l'heure du bilan. On espère qu'il y aura une justice, non pas une justice réelle, de jure, rendue par des hommes, mais une justice de fait, pareille à la morale conclusive d'un conte édifiant. « Il était une fois un petit garçon impatient qui voulait à tout prix devenir roi... »
Le pire des châtiments, pour un tel homme, resterait encore la grande opprobre des temps modernes, à savoir la publication de sondages ravageurs, puisque c'est de ceux-ci dont il se repaît. Il a fait sa thèse de science politique sur le référundum de 1969, je ne serais pas étonné qu'il y ait chez cet individu une obsession du déni de confiance, une angoisse de ne plus être aimé par son public.
J'attends ce jour avec impatience.

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A part ça, la nuit dernière, j'ai fait un rêve incroyable – preuve que tous ces délires de politique intérieure commencent à me faire travailler sérieusement du chapeau.
Je suis donc à Venise, et, debout sur un embarcadère, j'attends avec François Hollande l'arrivée des participants à une quelconque réunion de travail. Il me dit : « Tiens, le bateau qui s'approche, là, n'est-ce pas Ségolène qui arrive ? ». C'est la fin de journée, et la lumière décline, mais j'arrive à reconnaître en effet, debout sur un vaporetto, la silhouette de son ex-compagne, et sa coiffure, qui danse dans le vent marin. Je lui réponds, oui, c'est bien elle. « Est-elle seule ou accompagnée ? » me demande-t-il alors. Je regarde, et je la vois seule. « Elle est seule. »
Là-dessus, nous tombons d'accord, François et moi, sur le fait qu'il y a de l'honorabilité à être seul, et que décidemment, nous, gens de gauche, c'est une épreuve que le destin nous impose de traverser, cette solitude, et nous nous devons de le faire humblement, enfin, un truc dans ce goût là.

Je ne me souviens pas de l'arrivée de Ségolène Royal.

Mardi 25 septembre 2007

Il y a des journées laborieuses.

Ça c'est paris
Ça commence par la voix de Raffarin, qui vous prend au réveil sur France Inter. Vous devez supporter, encore transi de sommeil, ses leçons de morale débilitantes, entrecoupées d'une insupportable publicité pour une retraite complémentaire. On se lève péniblement le matin pour aller bosser, et on s'entend rappeler qu'on aura une retraite pourrie à la fin de sa vie.
Bref, ensuite, vous vous versez du jus d'orange sur les pieds, et dans vos Smacks.
Au boulot, tout le monde est de mauvais poil, et personne ne vous dit bonjour.

Le midi, ce jeune médecin oncologue, que vous apercevez tous les jours à la cantine, que vous ne connaissez pas, mais dont vous êtes follement amoureuse, vous fait un petit sourire en coin, et vous, tétanisée, vous restez figée comme une potiche avec votre plateau repas entre les mains, et vous n'êtes même pas fichue de lui répondre.

L'après-midi, il pleut, et vous êtes improductive.

Le soir, vous sortez du bureau, vous apercevez votre reflet dans une vitrine, et vous vous trouvez particulièrement hideuse.
Vous gagnez votre bouche de métro habituelle. Vous goutez d'abord à la poussière de la ligne 7, à vous donner des migraines, puis au sirocco de la ligne 11, sale et collant.
Des petits poèmes sont placardés parfois dans les wagons, en haut des rames, quelques centimètres carrés de prose à deux sous, perdus dans un univers de pubs pour les magasins Surcouf et les baskets Nike. Et ce soir, c'était... une tâche.

Une tâche

« Un homme se voit assignée une tâche.
En trois minutes, elle est réalisée.
Si peu de temps, ça devait être facile.
Qu'est-ce que c'était ? Vivre et mourir. »

Voilà.
Et après vous allez vous coucher, tout seul, ou avec votre chat.

Dimanche 14 octobre 2007

La semaine dernière, mangé aux Lilas, chez la Nicole et la Marteen.
Ils ont adopté un adorable petit balai-brosse à poils longs.

Samedi, passé une journée à Rouen, pour les anniversaires habituels du mois d'octobre.
A Saint-Lazare, une cohue d'enfer. Je n'ai pas pu acheter mon billet tellement il y avait de monde, et les contrôleurs m'ont aligné dans le train, ce qui m'a fait enrager.
Dimanche, il y avait une grande manifestation dans le bois de Vincennes contre le cancer du sein, à laquelle participait l'Institut, et à laquelle je me suis senti bêtement obligé de me rendre – bêtement, car nous étions finalement assez peu de l'Institut, et il n'y avait même pas ce médecin que je reluque à la cantine, et que je me voyais déjà précipiter virilement dans quelque fourré.
Affreux de se lever un dimanche matin, moi la grande marmotte, mais le bois de Vincennes, paré de ses couleurs automnales, plongé dans une brume fraîche et tonique, était particulièrement beau à voir, ce qui a largement compensé l'effort de devoir courir cinq kilomètres d'affilée, entouré de 7000 personnes, 7000 boudins transpirants en jogging gris et tee-shirt rose, « Ensemble, on est plus fortes », le genre de truc de masse qui me fait horreur.
Mais j'ai gagné, outre quelques courbatures, la satisfaction de savoir que je peux encore faire ça.

Moi là dedans ?
Une semaine de boulot intense ensuite.

Mercredi soir, avec Jeroen. « Les Muses » ayant fermé, on se voit maintenant à la Cité des Arts, là même où je prenais déjà des cours il y a quatre ans, avec ce prof de conservatoire. Quatre ans déjà.

Vendredi soir, avons mangé chez Dong Huong, avant de finir dans une soirée, dans le quartier, chez un copain de la Nicole, un musicos bien propre sur lui, le mec qui a filmé des grands groupes de rock, qui a tourné des clips pour des vedettes, qui a même joué dans un groupe très à la page. Un de ces innombrables gratte-guitares qui évoluent à la périphérie du show-biz, de ces gourous arty et intellectuel qui se prennent très au sérieux, et qui prennent très au sérieux le rock, ses stars, et la noblesse de ses mythes. Posters de Joy Division au mur, une ambiance de vieux Inrocks jaunis, malgré l'absence de poussière sur les enceintes haute fidélité. Un petit mec est arrivé, tout frais, on aurait dit Morissey à 15 ans, accompagné d'un comparse à lunettes aux cheveux bouclés, pas plus âgé. Axel B., ce sex-symbol des années 80, était là, débarqué de son raffiot de nuit, bouffi, méconnaissable, à rouler des pelles à une fille contre un mur. La musique était insupportable. Nous avons été jouer aux fléchettes dans la chambre.
Une vue extraordinaire sur tout Paris, grande étendue grise frigorifiée sous la bruine d'octobre.

Hier soir, après ma piscine, c'était soirée chez W. et T., pour leurs quinze ans de mariage. Je suis arrivé tout timide, tel un chiot maltraité, et je suis parti me réfugier dans la cuisine.
Un peu de champagne, et voilà que toutes ces brochettes de tatas se mettent à gazouiller, à minauder en chœur, moi la première. Certaines parlent de Nathalie Dessaye et de Cecilia Bartoli d'un air entendu, en levant les yeux au ciel.
« – Bartoli ? Mais on ne l'entend pas, on ne l'en-tend pas !! »
« – Sauf lorsqu'elle a un micro. »
« – Bon, Chonchon, on va rentrer s'il te plaît. »
Je me sentais particulièrement idiote ce soir là, ce que n'a pas manqué de faire remarquer la Nicole, la Nicole qui s'en revenait du match de rugby qu'elle avait été regarder sur une tivi quelque part dans Belleville, poussée par son anglophobie primaire, sans doute, comme des millions de français.

Contrairement à ce que la photo pourrait laisser croire, c'était Marteen la grognasse ce soir là, aux Lilas
Mais il est une heure du matin, et déjà le lavabo se vide.
Les garçons s'éclipsent, et j'ai l'impression d'être la petite marchande d'allumettes, qui distribue des flyers pour les ateliers de Ménilmontant du week-end prochain, en débitant tout un tas de fadaises sur le cabinet Vaucouleurs.
Les couples se sont reformés, les blousons sont enfilés, les bises claquent. Ah, d'accord, untel il est avec untel, en fait. Les chaussettes dépareillées ont retrouvé leur moitié, les tiroirs sont soudain rangés, hop. En deux coups de cuillère à pot, je suis la dernière célibataire assise sur une chaise, le dernier pissenlit, avec la Marteen et la Nicole, la Nicole qui n'arrive pas à décoller.

L'atelier Vaucouleurs lors des Portes Ouvertes de Ménilmontant (travaux de la Nicole, de Kader, de Cyrille R. et de Marie T.)

Dimanche 28 octobre 2007

Je suis content d'avoir retrouvé par hasard le DVD de ce documentaire contemplatif, Tours du monde, tours du ciel.
Il avait été diffusé sur la Sept au début des années 90. Son brillant propos technique, ethnographique et philosophique sur le rapport de l'homme au ciel, vu à travers l'histoire, sur une musique grandiloquente de Delerue, m'avaient particulièrement fasciné. J'avais été frappé par l'éloquence particulière des intervenants, Pierre Lena, Michel Serres, leur sens de la pédagogie, la pertinence de leurs remarques.

Et donc hier après-midi, juste après en avoir visionné un épisode, je m'offre une petite sieste, en me laissant aller à mes propres et obscures réflexions sur la béance infinie du ciel, que nous révèle la présence des étoiles, et que je mettais en rapport avec la béance telle que la décrit Simone Weil, dont le détachement désespéré et absolu accompagne mes trajets en métro ces temps derniers.
Rien de tel pour s'endormir, quoi. C'est que sa pesanteur et sa grâce constituent une dialectique plus élégante que celle qui oppose le pur à l'impur. Certains passages sont très beaux, le style est étonnant ; mais elle m'agace un peu avec ses délires christiques. L'attitude gênée de l'Eglise catholique à son égard, après sa conversion, témoigne d'ailleurs de son illusion, de son paradoxe intérieur : elle n'avait aucune raison d'épouser la moindre religion, surtout celle-ci, la plus grande pourvoyeuse de mirages.

Ça me fait penser que j'ai horreur du prosélytisme, en voilà une chose pesante et dénuée de grâce. Mon collègue de bureau, cet informaticien fanatique, certes fort intelligent, mais qui chante les louanges de Perl à tout bout de champ, il donne vraiment dans le prosélytisme par exemple. D'ailleurs, je ne suis pas étonné que Larry Wall, l'inventeur du langage Perl, soit complètement bigot, au point d'avoir fourré dans son langage des instructions comme « bless ».

Ses griffes laissent cependant quelques traces
Montserrat est très mignone...
Est-ce que je fais de la publicité pour quoi que ce soit, moi ?
Je laisse les gens venir, ils finissent toujours par me vendre leur salade de toute façon.

Enfin, bref, hier après-midi, je me fais une petite sieste.
Je dois dire que N. et M. m'avaient invité à dîner la veille.
Il y avait W. et T., et Michael P. avec sa mère. Cette dernière, sous perfusion, tirait un petit caddie médical éléctronique derrière elle, on n'a pas osé demander ce que c'était. Silences gênés, petits propos de bon aloi à l'apéritif.

Mais l'atmosphère s'est assez vite détendue.
Bla bla bla.
M. et sa mère détestent Woody Allen, qu'en bons américains ils trouvent totalement faux et caricatural. Curieusement, avec ses lunettes, je trouvais justement que M. ressemblait un peu à Woody Allen, mais je me suis bien gardé de faire la remarque. Un truc entre Woody Allen et Elton John.
Il met les pieds dans le plat, il me demande pourquoi je suis toujours seul.
Je lui réponds que je suis un peu spécial.

Minuit, et voici que Marteen se réveille subitement, sous l'effet de quelque mystérieuse opération hormonale en relation avec sa digestion, ou suite à l'inhalation passive et répétée du joint de la Nicole (qui terrasse d'ailleurs Thierry, lequel s'écroule sur le canapé, blanc comme un linge), et là voilà qui entame son show, qui sort ses fausses robes Courrege, etc. Là-dessus, le coloc brésilien débarque, une tapette assez lipidique, qui, à la vue de toute cette petite assemblée en goguette, branche illico sa samba et échange trois pas de danse avec Marteen, qu'il se met en tête de maquiller ensuite.
Michael et sa mère demandent un taxi, je ne sais pas s'il faut y voir la conséquence de tout cela.

Je rentre vers trois heures du matin, bien alcoolisé. Je laisse glisser mon vélo sur la colline de Ménilmontant, dans l'air frais et piquant.
Et là, au métro Couronnes, un type à Vélib est renversé. Choc, petit fracas, je vois un corps rouler sur le macadam. Je lâche un « Oh ! », je me précipite, je fais mon infirmière, j'analyse froidement la situation, je compose le 112, j'explique posément la situation, je renseigne les gens dans le bus qui est coincé à cause de la camionnette du mec qui a renversé le cycliste, qui bloque la circulation, et dont je relève l'immatriculation, parce que le conducteur en question est assez agité, et fait des histoires avec les badauds qui l'ont réprimandé. Je hausse la voix, je roule des épaules pour le calmer. Je discute avec le cycliste, qui s'est relevé, sonné mais conscient, qui saigne un peu du front et qui a mal aux vertèbres. Les pompiers arrivent, je le laisse en bonnes mains.
Finalement, bourré, je suis très efficace moi.

A part ça, l'autre soir, l'homme à la moto est venu me faire une petite visite. Son corps est très beau, c'est une illumination à chaque fois. Depuis combien de temps n'avais-je pas eu un plan ? Je ne cherche pas, je n'ai pas envie. Lui, il est venu ici parce qu'il voulait venir, et lui, ça ne me dérange pas. D'ailleurs, en parlant de venir, j'ai quand même simulé la jouissance – la première fois que je fais ça. Mais je n'avais pas envie de pédaler jusqu'en haut de la montagne cette fois-là.

Samedi 1er décembre 2007

Boulevard Saint-Michel - la grève des transports provoque de grands embouteillages, qui gênent la progression des fourgons de crs, venus surveiller la sorbonne. ça c'est paris !
Les années passent, et leur attitude change à mon égard.
Ils me voient rappliquer, et ils pensent : ah tiens, le voilà, lui. Il est un peu grave, quand même.
Un peu brave.
Ils se disent : la pauvre fille.

Enfin, elle vit sa vie, hein. Tant pis pour elle, après tout, elle l'a choisie, sa vie.

Mais peut-être qu'on ne se dit rien de cela.
Peut-être qu'on ne se dit rien du tout.
J'arrive, coucou, salut, ça va depuis la dernière fois ? Et puis on ne me voit plus. C'est la vie.
C'est comme ça pour tout le monde.
On vous voit.
Et puis on ne vous voit plus.
Ce n'est pas grave.
Vous arrivez.
Vous repartez.
Pourquoi gémir ?
Vous naissez.
Vous mourrez.
Que n'ai-je encore compris cela de la vie ?
Qu'ai-je ainsi à chercher des poux dans la tête des autres ?
Je suis conne ou quoi ?

Et puis d'où elle vient cette manie de toujours se plaindre aussi ? La vie, elle est dure pour tout le monde, la vie, ce n'est du flan pour personne.
Merde quoi, elle ne voit pas qu'elle a une chance extraordinaire, de vivre là où elle est, avec autant de confort et autant d'avantages ? On n'a pas le droit de pleurnicher comme ça, à sa place, à son âge.
Si elle est seule, c'est son choix après tout.
Le jour où elle comprendra...
Elle pourrait avoir tout le monde à ses pieds, en plus, une chance incroyable. Elle claque des doigts, elle se dégote un mari, c'est sûr. Un chieur – elle n'a jamais été capable de trouver autre chose – mais un mari quand même.
Je ne sais pas, elle devrait changer de psy. Ou de médoc.
Plutôt que d'adopter un chat.
Et puis si elle était un peu moins chiante, aussi, des fois.
Y'en a marre des curés, ras-le-bol des vieilles filles comme elle.

Toujours à se faire désirer, à jouer les traînées.
Elle n'appelle jamais, faut toujours qu'on le fasse pour elle, d'abord.
Si on ne prenait pas le bigophone pour la sortir de son caveau, personne ne le ferait, et là elle verrait ce que c'est que la solitude, tiens.
Oh, et puis elle n'a qu'à se faire des copines sur le net.
Ou aller se faire tirer à la piscine.
Quand est-ce qu'elle sera un peu généreuse ?

Enfin bon.
Je persifle, mais je pense qu'on ne se dit même pas vraiment tout ça.
Vous seriez déjà quelque chose, pour être tout cela à la fois.
Non, non, vous n'êtes qu'un nom, un prénom, une série de lettres anodines. Là bas, dans un registre d'état-civil, dans le fichier des contribuables.
Mais voici que vos amis soudain vous observent, soudain vous regardent, de leur aimable regard, et vous voilà tiré de votre poussière, de votre contingence vulgaire, vous voilà quittant l'oubli et le silence, vous voilà renaître enfin, vous voilà bénie, l'espace d'un répit, l'espace d'un précieux instant, l'espace d'un rayon de soleil, vous voilà redevenir ce qu'au fond vous avez toujours été, dans l'attente d'une révélation : une petite crétine soupolaite et maladive, pleine de défauts et de manières, qui sent l'ail, le vieux prout et le renfermé, mais qu'on invite encore, par solidarité, et à qui l'on assure : « tu es très désirée, ma chérie, ce soir » en croyant apater l'hystérique freudienne.

A quoi bon se désoler, un jour, vous ne serez plus rien, plus rien du tout.

Mercredi 19 décembre 2007

Pont-Marie - je sors de mon cours de chant, l'air est glacial
Chez Guerlain, sur les Champs-Elysées, j'attends, mal à l'aise, debout sur le parquet verni, qu'on veuille bien s'occuper de ma pomme. Mais ce sont vers des couples bon chic bon genre, arrivés après moi, que les vendeuses se dirigent en minaudant. Je prends la porte au bout de dix minutes, ravalant mon humiliation, les mains vides, mais la tête haute.

Kadafi a passé toute la semaine à la maison, fouillant dans les placards sans demander la permission, vidant les bouteilles, rotant à table. Sarkozy, empressé comme un petit caniche, a donné le change en brandissant des contrats militaro-industriels. Magnifique ! Dassault est content. Caviar !

Dans Le Monde, à l'approche de Noël, il y a ce sempiternel article sur les classes aisées, leur mode de vie baroque, leurs caprices, leurs folies. Frétard écrit : « On a le sentiment que l'histoire est en ce moment même en train d'effectuer un grand bond en arrière. Un "revival" de Louis XIV et de Catherine II de Russie. (…). Les affaires reprennent exactement là où le communisme les avait brutalement interrompues. Jusqu'à la révolution d'Octobre, Cartier, Clicquot, Bréguet, Baccarat, étaient les fournisseurs attitrés des tsars et des grands-ducs. »

A part ça, il est beaucoup question de pouvoir d'achat. L'expression, plus politiquement correcte que le mot "pauvreté", et moins has been, est sur toutes les lèvres. La pauvreté n'est pas un concept moderne. Mais qu'est-ce que c'est que ces pisse-froids qui parlent de pauvreté ?? Dans la rue de la Banque, par 0°C, des gens installent des campements, des tentes, ils manifestent pour réclamer des vrais logements. On finit par les écouter, et puis on les chasse avec du sucre candi.
« Qu'ils ne recommencent pas ! » prévient la Boutin, en mère supérieure.

Dehors, la lumière est belle. Mais je n'ai pas envie de photographier. Je ne sais pas pourquoi. La flemme de sortir mon appareil peut-être, pour faire toujours les mêmes clichés.
L'air est glacial, et je me presse de terminer mes achats de Noël, je me presse de rentrer à la maison.

Mercredi soir, devant le Coxx, une meute d'individus rogues et plus très frais, cheveux courts et petit bouc, se pressent avec des bières à la main.
Un peu plus loin, rue des Archives, ce n'est que le vent froid qui souffle le long des trottoirs assombris, entre les appartements charmants, cossus et bien chauffés du Marais.

En Belgique, les idées d'extrême-droite ont fait leur chemin. A force de les entendre, les Flamands réclameraient presque leur indépendance, sans même se demander si cela leur servirait à quelque chose. Il faut supposer que le contentieux wallon-flamand est un sujet trop complexe pour mes petites causeries tragico-politiques, qu'il y a des explications historiques subtiles à cet antagonisme, mais vu de loin, c'est vraiment simple et sinistre.

A Lisbonne, les représentants des pays de l'Union Européenne ont signé un traité, celui là même qui avait été rejeté par voie référendaire. Les Portugais, comme par reconnaissance pour l'aide dont ils ont bénéficié depuis la CEE, avaient déployé un grand faste pour l'occasion. Mais tous ces ministres, souriants, bons enfants, me semblent un peu naïfs aujourd'hui.
Ils jouent avec l'une des choses les plus précieuses qui soit aujourd'hui en Europe.
Je trouve ces ministres naïfs, moins à cause de leur indélicatesse antidémocratique, que par leur entêtement à vouloir ignorer la montée des nationalismes au sein de ces mêmes peuples qu'ils représentent.
Ou alors c'est une fuite en avant, par peur... Un sourire de façade, destiné à masquer ce qu'ils ne peuvent ignorer. Les gens ont peur de toute façon.
Moi le premier ! De cette béance étonnante que l'avenir nous présente.
Mais c'est précisement la peur qui nourrit la peur, qui elle-même nourrit la xénophobie.
Sur France-Inter, hier matin, une auditrice déclarait d'une voix pincée et d'un ton monocorde que ces mêmes associations qui aident les mal-logés veulent également accueillir tous les étrangers sans le sou. Moralité : laissez-les donc dans le froid, et fermez la fenêtre.
Un autre auditeur s'est emporté comme un dément contre l'Union Européenne, le nazisme, l'ultra-libéralisme, sans s'arrêter, une soupe de raccourcis, toute une littérature d'extrême-gauche mal digérée qui ressortait furieusement, comme un gros dégueuli. Tellement toqué que l'animateur a dû lui couper le micro.
Les extrêmistes soufflent sur les braises de cette peur. Quel autre rôle les extrêmistes ont-ils jamais joué d'ailleurs ?

Dans un couloir de métro, cet après-midi, un petit attroupement. J'ai aperçu les jambes d'une femme, étendue à terre. Un évanouissement peut-être. Terrassée par l'hystérie capitaliste du Noël occidental.

Au chapitre de l'insolite, Sarkozy s'affiche à Walt Disney avec Carla Bruni. C'est tellement ridicule que les média en sont presque gênés, alors que ça leur est clairement destiné.
Le mois prochain, je pense qu'il menace de se suicider du toît de l'Elysée, pour attirer encore l'attention.

Hier, soirée chez E. et B, dans le quartier. J'avais amené Ch. Des gens plutôt sympas. Dans ces soirées hétérotes, je finis toujours pas me me faire des petits films, à succomber à des pâmoisons infantiles, que je raconte à Marteen en rigolant. Mais qu'est-ce qu'il est beau, Untel, regarde !
Or, Marteen a justement remarqué que Machin vient de sortir des toilettes... avec Bidule à sa suite.
Quoi ? Dans une soirée 100% hétérote ?? Qu'est-ce que deux hétéros peuvent fabriquer ensemble dans des toilettes pendant une soirée ?? Un TP de chimie ?? Ou alors c'est qu'ils ne sont pas hétéros. Mais s'ils ne le sont pas, Scherlock Holmes, dîtes-moi, comment interprétez-vous le fait qu'Untel leur ait souri si mystérieusement à leur arrivée ?? Vous avez dit bizare ??
Enfin, qu'est-ce que ça peut faire, puisque ni l'un ni l'autre ne me regarde ?
Alors je bois, et puis j'ai mal aux cheveux.