Journal 2006

Jeudi 12 janvier 2006

Impossible de faire les choses à temps. A Beaubourg, je demande un billet pour l'expo Dada : « C'est terminé depuis lundi dernier ! »
Festival Téléramouille, je cours aux Sept Parnassiens pour un film d'Ozon à 16h30 : « Ça commence jeudi prochain !! »

Février 1982, avec Danièle
Expo de Charlotte Perriand. Etonnante petite bonne femme, encore vive à ses derniers jours. Son art est tout pétri d'économie, de simplicité, d'efficacité, un mélange de pragmatisme et d'idéal, de fonctionnalité et d'utopie.
Film sur les Arcs. Me suis rappelé ces vacances aux Arcs quand j'avais 7 ans, avec cette famille inconnue – des amis de Danièle et Dominique. Les premières leçons de ski, l'angoisse de ne pas arriver à s'arrêter, les gamelles lamentables sur le tire-fesse. Mes bâtons de ski étaient tout tordus lorsque je les ai rendus, tellement je les sollicitais pour freiner. Et puis la neige, de la neige partout, jamais vu autant de neige. Ce gros talus, près de ce même immeuble dessiné par Perriand où nous logions, ce gros talus de glace où j'aimais creuser des routes et des réseaux, un peu comme ce que je faisais sur le sable à Vauville. Dans la voiture, à l'aller, sur les routes sinueuses, j'ai vomi sur mon nounours Christopher, il a senti mauvais pendant longtemps.

Dimanche 15 janvier 2006

J'ai peur qu'on me jette, qu'on me mette dehors. Je porte mon d'angoisse, et j'aimerais être aimé. Tout à l'heure, dans le métro, j'ai vu un garçon attirant, je me suis dit : est-ce que je suis attiré, est-ce que je pourrais coucher avec lui ? Je ne ressentais pas d'envie pourtant. Tous les corps des passagers autour de moi me dégoûtaient, sous la lumière blafarde des néons du wagon. Faut-il aimer les autres, même pour baiser ?
Je ne sais plus ce que j'écris.

Jeudi 19 et vendredi 20, marathon recrutement : j'avais trouvé le moyen de caser pas moins de cinq entretiens. Levallois. Père-Lachaise. Porte de Clignancourt (sous la pluie, l'horreur). Courcelles. Des boîtes à web grisâtres, une maison d'édition labyrinthique.

Je crois que je vais choisir C-S. Je les ai revu aujourd'hui. Nathalie me pousse à y entrer, même si l'atmosphère a l'air d'y être un peu spéciale. Si j'y vais, c'est surtout parce que le travail sera différent de ce que j'ai fait jusqu'à présent, que je devrais apprendre des choses. Mais j'appréhende, je n'aime déjà pas leur patron.

Durant la journée, je me suis rappelé le film Brokeback Moutain. Une histoire terrible, qui me touche particulièrement. Je crois que je ne me suis identifié à aucun des deux mecs. Ou peut-être au brun, plus libéré, moins coincé que l'autre... Je me suis identifié à eux deux, à leur couple tout entier. La fin est terrible : cette évocation de l'absence, de la mort, cette nécessité de composer avec sa mémoire, avec les traces d'un passé perdu, d'un amour perdu, trop beau, trop pur, trop parfait - celui d'un être chéri, idéal, au delà de tout.

Mercredi 25 janvier 2006

J'ai peur de cette boîte, CS – j'hésite vraiment à y mettre les pieds.
Ils ne m'ont pas beaucoup regardé, ils ont le teint tout gris, ils m'ont dit d'un ton blasé et suspicieux qu'ils voulaient des gens aimables et réactifs, l'assistante couche avec le patron, et ils négocient au rabais mes prétentions de salaires, sous prétexte que j'aurai des choses à apprendre au début.
Je crois que je préférerais aller bosser chez C.N.E.T finalement, mais il ne m'ont pas rappelé.

Par contre, lundi, je me suis pointé chez Ma. pour leur dire non. Je suis bien gentil de me déplacer pour ça. Juste avant, j'avais une réunion de travail à Uni-Ed. Café avec P. - faisait longtemps qu'on avait pas discuté un peu lui et moi.
Ce soir, concert privé des Nits avec Christelle, à leur label, Atmosphériques. Je leur ai serré la pince, et je suis devenu tout rouge, comme un gamin. Ils sont mieux comme ça, en acoustique, plutôt qu'avec tout leur attirail de concert.

Dimanche 5 février 2006

Commencé à travailler chez CS mercredi dernier. On me fiche la paix et on a l'air de me faire confiance, c'est bien. On verra comment ça ira sur le long terme. Dans la nuit de vendredi à samedi, j'ai rêvé que je suppliais A., un jeune informaticien canadien sympa et débrouillard, de ne pas quitter l'entreprise. Me serais-je déjà amouraché de lui ? Non, je ne crois pas. Il est aussi homo que je suis hétéro de toute façon.
Jeudi soir, chez Nath.
Vendredi soir, un verre chez I. et N., des voisins – qui déménagent bientôt. A propos de déménagement, il est dans l'air que je reprenne l'appart de N. et G., lorsqu'ils auront acheté leur machin aux Lilas. Enfin du neuf, une autre perspective. Et puis la présence invisible, dans les murs, de N. et G. me rassurerait, pauvre enfant que je suis.

Samedi soir, raté le concert du label Alma Noto - complet. Tout le Paris jeune, branché, beau et intello, semblait s'y être donné rendez-vous.
Puis chez N. et G. – soirée « carnet de voyages » - où une espèce de perruche a jacassé toute la soirée sur sa révélation subite pour le dessin, ses carnets, ses voyages en Inde ou au Brésil, ses gommes et ses pinceaux. Quelque part, N. et G. ont trouvé en elle leur propre caricature, moins celle du narcissisme, que celle de ces voyageurs-arty, soucieux de sortir des sentiers battus, mais désespérément aimantés par les mêmes endroits. La bourgeoisie bohême de l'est parisien collectionne ainsi ses croquis, ses anecdotes, ses photos, ses petits papiers et ses souvenirs subtils de pays magnifiques, puis se les montre en sirotant un bon cru, en écoutant Caetano Veloso, dans la fumée grise d'un bon pétard.
Voyez, nous voyageons…
Ma chérie, quelle ouverture d'esprit !
Oui, nos métiers sont débiles, nous grossissons, nous ne sortons plus, mais nous allons loin, et nous voyons de belles choses…
Mais c'est fabuleux ! Mais c'est incroyable ! Nous avons été dans le même bar au Kerala !
Incroyââble…

En parlant de caricatures, ça chauffe avec celles de Mahomet. On croit rêver tellement l'histoire est stupide, tellement elle déchaîne de haine.

Plan cul la semaine dernière. Exceptionnel

Vendredi 10 février 2006

Léger malaise au boulot par moments. Ne vais-je pas m'ennuyer ?
Pourtant, c'est la planque rêvée : pas de marketing à la con, pas de petits chefs infatués, pas de stress continuel, pas (trop) de trivialité informatique. Des tâches nouvelles, une atmosphère multilingue.
Je commence à trouver mes marques, mais je reste sur mes gardes, sage et souriant dans ma réserve.
Ça me fait du bien de retravailler, comme si je me sentais de nouveau appartenir à la société, comme si j'avais retrouvé ma place, comme si la voiture avançait de nouveau, après un trop long temps d'arrêt.

Dimanche dernier : le voisin fou a refait des siennes. Je pressentais quelque chose, à de petits signes anodins. Aux dires de sa mère qui m'avait appelé dimanche, et qui le tenait d'amis à lui, il serait en train de traverser une nouvelle période mystique. Mais son médecin ne sera pas mis au courant avant lundi, donc d'ici là, il faudra faire attention, me prévient-elle avec son accent campagnard.
Et puis vers minuit, je l'entends grimper les escaliers, claquer sa porte. Je me couche, j'espère qu'il va rester tranquille. J'avance dans mes 100 ans de solitude, ma saga du moment. J'éteins la lumière, je jette de temps à autre un œil inquiet vers son appart. Mais au moment de sombrer dans le sommeil, j'entends des voix dans la cour. Je soulève mon rideau : il a ouvert grand sa fenêtre, il a mis la musique assez fort, et il filme les étoiles avec un appareil photo, en faisant de grands gestes incohérents des bras. Il disparaît. Bruit de cataracte dans la cour. Puis il ouvre sa porte. Là, je m'habille, je prends mon courage à deux mains, je traverse le palier, et je m'approche de chez lui. Il se tient debout sur son lit, hirsute, vêtu d'une espèce de chemise de nuit marron. Dès qu'il m'aperçoit, il me fait signe et me propose de danser avec lui. Je lui réponds doucement qu'il est tard, qu'il va prendre froid avec les fenêtres ouvertes. Je lui demande d'où vient ce bruit d'eau qui coule. « C'est la pluie ! » me répond-il, les yeux exorbités. Je remonte chez moi, j'appelle le SAMU, les flics, le centre des urgences psy.
Les pompiers tardent à arriver, les flics attendent sur le pas de son appart, en essayant vainement de discuter avec lui. Il s'en moque, il les tutoie, il leur envoie des petits objets à la figure.
Enfin bref, le numéro habituel : devoir expliquer aux flics la situation, les flics éberlués, les flics qui doivent demander l'autorisation à un supérieur de pénétrer chez le fou, etc, etc. Et enfin, à cinq heures du matin, le calme est de retour, dans l'immeuble et en moi-même, et je peux m'endormir.
Le lendemain soir, j'appelle ses parents, je leur fais un sermon : « C'est à vous de faire quelque chose ! ». Je me rends au commissariat pour savoir si j'ai des moyens de faire pression sur eux, les contraindre à la HDT. L'agent de garde, dans son bureau, est bien gentil, derrière ses petites lunettes, mais il ne m'apprend rien. Pendant que nous discutons, des brigades entrent dans le bureau, déposent des trucs sur le comptoir, en repartent - la vie d'un commissariat parisien un soir de semaine, quoi. Coup de téléphone, l'agent répond :
« - Des bâches à cadavres ? Oui, il doit en rester, elles sont dans la salle des armes. »
Je rentre ici, je ne suis pas plus avancé.

Les jours passent à toute vitesse.

Mercredi, l'homme à la moto est passé. Est-ce parce que sa peau est douce comme du lait et son corps fin comme un roseau que je me dis à chaque fois que les corps sont faits pour s'enlacer, que la peau d'un être humain, chaude et lisse, n'est faite que pour être mise au contact avec la peau d'un autre être humain, et que tout le reste de nos activités terrestres n'est que bagatelles, froides futilités ?

Les jours passent à toute vitesse.

Et puis déjà, c'est jeudi soir. Une bière avec quelques collègues au bistrot du coin.

Thaï Session. J'hésitais à y aller : les mails échangés dans la journée avec Nath. et Guigui avaient été secs, ironiques, inutilement verts, derrière nos plaisanteries habituelles.
J'arrive là bas à reculon, mais l'atmosphère est agréable finalement, et je sirote du Lefort au comptoir, tandis qu'une odeur de citronnelle s'échappe des fourneaux. La Nicole débarque, elle vitupère sur la fille aux carnets de l'autre soir. Puis Nath. parle des problèmes de L., pendant que Liz vaque à droite et à gauche, silencieusement, comme un petit chat. Le repas commence – en même temps que les sujets d'actualité (c'était l'idée de Nath et Guigui : une soirée concept, avec des sujets bien chauds et polémiques) – donc, les caricatures de Mahomet, le CPE, etc.
Nicole attaque d'emblée avec un virulent : « Je ne comprends pas comment on ne peut pas voir que... »
Bon, j'en place une, histoire de me prêter au jeu, je déclare que le problème est quand même lié à la situation au Proche Orient. Exclamation de N., mais pas du tout, c'est la faute à la mondialisation, à la mondialité, à la globalité, à l'instrumentalisation des media, aux nouvelles technologies, à Internet, etc. - bref ses marottes habituelles. Je le titille, il me titille, j'essaie de m'expliquer, un peu maladroitement, surtout que je ne savais pas trop ce que je voulais dire.
Mais à partir de ce moment là, tout n'a plus été que tempêtes et orgueils, de Nico surtout, qui roulait des yeux énormes en vociférant, pendant que les autres se moquaient de lui et de sa manière de s'emporter, de ne plus accorder la moindre attention à ce qu'il y avait dans son assiette.
Ce qui était étonnant, c'était de le voir déstabilisé, piqué au vif, soudain méprisant, me disant que je ne pouvais pas comprendre certaines choses parce que je n'étais qu'un informaticien, allant jusqu'à déclarer qu'il en avait assez de discuter avec des béotiens. Sa vilaine logorrhée butant sur notre bonne humeur et nos haussements d'épaule, la table s'est vidée, il s'est levé lui-même, et on a fini par regarder sagement les photos d'Inde de Benjamin, et je m'en suis rentré ici, à demi bourré.

Rétrospectivement, je suis bien obligé d'en entendre un peu plus, d'aller au delà de la discussion passionnelle avec un ami. C'est que, vis à vis de Nico, depuis plusieurs années, je me sens objetisé, comme si j'étais devenu un sujet de sa cour, et je me demande dans quelle mesure il ne m'a pas justement, pour emprunter un mot de son univers, instrumentalisé. D'ailleurs c'est horrible, mais je crois que je représente de plus en plus un simple métier vis à vis de lui : informaticien - et je suis devenu le sien, à l'occasion. Il y a un truc un peu psychotique chez lui, un rapport excessif au pouvoir et à la manipulation des autres. Or c'est précisément sur les sujets où il est le plus sûr de lui qu'il donne parfois dans la répétition aveugle, la répétition d'une petite leçon de science politique altermondialiste par exemple, et ça m'énerve immédiatement, parce que c'est aussi le moment où il s'attend à être écouté, reconnu, agréé, et moi, petite peste, je ne veux pas lui donner ce plaisir là. D'autant qu'il profite à fond du système même qu'il dénonce, un système où chacun exploite son pouvoir économique, ses réseaux, les avantages de sa situation, pour son propre intérêt, son propre plaisir, sa propre pomme...
En tout cas, la nuit suivante, j'ai fait un rêve: je me retrouvais dans un grand jardin tout fleuri, plein de verdure, devant une belle demeure, une sorte de château ; c'est la fin de l'après-midi, et Nico bavasse sur le perron, il se plaint et se vante à la fois, des divers divertissements de sa vie. Il est sur le point de partir pour Varsovie avec Guigui (ce qui est réellement le cas d'ailleurs), et lorsqu'il apprend que la météo prévoit du beau temps sur Paris, il se lamente à cause de l'argent qu'il pourrait gagner s'il restait plutôt sur la capitale, vu qu'il va faire beau. Bon, c'est un peu bizarre, et je ne comprends pas très bien cette histoire d'argent et de beau temps, mais en sortant de mon rêve, ma première interprétation, c'est qu'il avait encore fait sa pute – à cause de ce propos relatif à l'argent, et à cet étalage. Le château, je l'identifie comme l'appart qu'il est en train d'acheter avec Martine aux Lilas. Tout est vert et fleuri, parce que c'est l'été, et qu'ils prévoient d'emménager l'été prochain. Et moi je reste là comme une conne sur le perron.
Dupé-rond.

J'aimerais ne pas être autant attaché à N., il me fait mal, et régulièrement je me rends compte qu'il y a trop de séduction chez lui, trop de flagorneries et d'épates, et ce n'est que lorsqu'il échange la carte de la séduction contre celle du mépris, comme hier, que je me rends compte que j'ai été abusé. Avec moi, son amitié le dispute au mépris, je m'en rends compte à présent. Guigui aussi, certains jours, devient verte et pimbêche, comme une roturière scandalisée qui devrait tout à son roi. Et tous deux jouent avec les sentiments des autres, et par moments, on se demande qui on est dans l'histoire, si l'on compte vraiment, si leur amitié n'est pas un truc de galerie, de divertissement, magnanimement distillée à un réseau d'amis – le roi et la reine s'amusent, ils s'entourent de galants et de fous.
Je voudrais pouvoir reporter mon affection sur d'autres personnes, n'être pas aussi dépendant d'eux, disposer d'assez de ressources pour avoir du plaisir à les retrouver de temps en temps, comme de simples amis.

Samedi 18 février 2006

Soirée chez une copine de Ch., rue des Ecoles, dans le cinquième. Les fréquentations de Ch., depuis qu'elle est sur Paris, me laissent perplexes des fois. Ce sont des gens d'une classe mi-populaire, mi-bourgeoise, plouco-chics, qui se nourrissent d'extrêmes banalités et se complaisent dans la formation de petits couples sécurisés, où il n'y a rien de subversif, rien de dangereux, rien d'un peu fou, même un petit peu. Il y a un bébé qui dort dans la chambre, alors il ne faut pas mettre la musique trop fort. De toute façon, c'était du Depeche Mode.
Donc j'ai passé la première moitié de la soirée debout contre une fenêtre du salon, à regarder à quoi les gens, dans l'immeuble d'en face, pouvaient bien consacrer leur samedi soir. Et l'autre partie de la soirée dans la cuisine, près de la machine à cocktails, à discutailler avec quelques filles toutes saoules – dont une que j'aurais pu être en train de draguer, mais le seul mec potentiellement gay de la soirée, un prétendu DJ un peu bouboule, fuyait tous mes regards.

Gastro en début de semaine. Couché à 23h deux soirs de suite.
Mercredi soir, le cours de chant hebdomadaire. Mon rapport avec Jeroen s'est modifié. Depuis que je sais qu'il vit en couple avec un type sur Rouen, l'émoustillement a disparu – et peut-être même l'attirance physique. Mais il s'est installé une forme d'intimité silencieuse entre nous, un attachement ténu et délicat, quelque chose qui va au delà du rapport prof-élève. J'aime bien cette étude que nous faisons du style baroque ensemble, de cet esprit excessif, délirant - le baroque, c'est très disco finalement. (et vice et versa)
Puis chez N. et G. Je leur parle de mon voisin fou, ils me parlent de leur notaire. C'est drôle comme avec l'âge nous sommes irrémédiablement rattrapés par un truc attendu, terriblement adulte et ennuyeux, auquel on croyait pourtant pouvoir échapper.
Enfin, sauf moi évidemment. Moi j'échappe à tout, c'est peut-être pour ça que je suis si malheureux.

Jeudi soir, concert de Calexico à la Flèche d'Or, avec Ch. et sa sœur D. J'avais oublié qu'il était craquant comme ça. Avec sa silhouette adolescente, ses grandes mèches brunes qui lui tombaient sur le front, sa voix sensuelle et ses harmonies mélancoliques, il a fait chavirer mon petit cœur.

Hier soir, au Louvre. Parcourir les salles de peinture flamande en écoutant Boards of Canada est une expérience saisissante.
Puis, cinémix à l'auditorium – un documentaire, « Forains », projeté sur un mix de Torgull et de Manu le Malin. La musique était bien – des passages géniaux – mais l'ensemble aurait pu se marier un peu mieux, dirais-je pour faire ma mijaurée.
Le film montre la vie d'une grosse fête foraine, dans le Paris des années 30. Représentation de la misère de l'époque, de la crédulité de l'époque.
Pas de plastique, du bois partout. La calligraphie florale. Les animaux dressés, stupéfiants. Mais les êtres humains, depuis les acrobates jusqu'aux chanteurs, depuis les faux-monstres jusqu'aux clowns, semblent aussi dressés et serviles que leurs animaux.
Comme la foule elle-même d'ailleurs, qui se presse, dense et serrée, sur le cours de Vincennes.
Comme à chaque fois que je tombe sur des images de cette époque, je ne peux m'empêcher de songer à ce qui attend tous ces gens, une poignée d'années plus tard, comme si toute cette pauvreté rieuse ne pouvait accoucher que d'un monstre, bien plus terrifiant qu'une femme à trois jambes ou un train-fantôme grinçant.

Rêvé de mon biterrois adoré. Je me retrouvais dans la cour d'une école, un mélange du collège et du CNAM, et je faisais un crochet pour éviter deux ou trois mecs qui voulaient manifestement me chercher noise, comme autrefois. Je les évite, et je rejoins un coin plus tranquille. Que des mecs. J'entends une voix amicale qui m'appelle. C'est lui, il se tient là devant moi, il me sourit, on se serre la main, je fonds sur place, comme une glace à la vanille, comme une pauvre fille.
Du coup, je lui ai envoyé un mail aujourd'hui, comme ça, pouf, sur ce que j'imagine être son adresse email sur wanadoo, mais peut-être a-t-il un homonyme en France chez wanadoo ?

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Pourquoi ai-je renoncé à l'idée d'être heureux avec un garçon ?
C'est comme si je réservais d'avance un mélange de mépris et de peur vis à vis du premier venu. Pourtant, à peine quelques mots échangés, sitôt le contact établi, et ma peur disparaît.
D'une certaine façon, mon psy avait raison de dire que je suis resté dans cette angoisse scolaire de la brimade. Je reste sur mes gardes, tant qu'une parole – même la plus anodine qui soit – n'a pas été échangée avec l'autre. Besoin de me rassurer sur ce que veut l'autre, sur ce que son regard posé sur moi peut cacher.
Et puis au fond, qu'est-ce que je veux vraiment dans la vie ?
En pensant à ça, je vois le cours de la Seine qui traverse lentement Paris, dans la nuit. Je vois de longues rues baignées d'obscurité, des avenues désertes sous les étoiles, et tout est grand, interminable, beau, froid et mystérieux, et je reste seul au milieu de tout ça.

Samedi 25 février 2006

Au boulot, je suis un jour heureux, un jour ronchon. Christ. est sympa avec moi, mais il est sanguin, et il transmet son énervement à tout le monde dans le bureau. Adam n'est pas méchant non plus, mais il est bien trop sûr de lui. Et Ma., l'italien de la R & D, qui opère au bistouri C++ depuis Rome, il n'a pas été très accueillant avec moi durant nos premières conversations téléphoniques.
Du coup, vendredi midi, j'avais un entretien de recrutement avec une petite boîte d'ingénierie web, rue Beaubourg, où je suis arrivé vif et fringant, poussé par le vent du changement et de l'audace. Sauf qu'à mesure que le patron me parlait de ses astuces marketing à la noix pour une chaîne de brasseries parisiennes, de ses belles interfaces de gestion pour Sodhexo, de ses produits innovants – mais secret défense, je ne peux pas vous en dire plus, me fait-il, gna gna gna – pour Bouygues ou pour Renault, je me suis lentement décomposé, je lui ai dit adieu au bout d'une heure, et j'ai rejoint CS à toutes jambes, en me disant que cet intermède horrible m'avait fait du bien quand même, parce que ça m'avait rappelé combien j'avais de la chance d'avoir quitté ce milieu, combien ces petites agences de com, ces petits bureaux d'études techniques, ces petits cabinets d'ingénierie informatique sont vaniteux, vulgaires, futiles et misérables, et je leur souhaite toutes les déconvenues financières possibles.

Mercredi soir, j'avais examen d'anglais, et je n'étais pas du tout content de moi – la sono était mauvaise, les portes grinçaient, je n'ai pas eu le temps de tout faire, et je déteste le CNAM à tout jamais.
Mon biterrois a répondu à mon mail, mais avec un peu de distance, et lorsque je lui ai proposé qu'on se voit samedi en fin d'après-midi, je n'ai plus eu de réponse. Donc je crois qu'il faut tirer un trait.

Il a fallu de nouveau faire interner Y., le voisin schizo, mais cette fois, c'est T., le voisin rangé d'en dessous, qui s'est chargé d'appeler les flics, vu que ça s'est passé jeudi après-midi. J'ai appelé ses parents, ils m'énervent et me font de la peine à la fois.

En parlant de voisinage, Sa. a appelé. Elle était toute déprimée, à cause du bar techno en dessous de chez elle. Et de son boulot, où ils se payent sa tête lorsqu'elle demande un peu d'avancement, après quatre années de corvéable servilité. Dans la famille, ce qui est terrible, c'est que nous sommes fragiles et intègres, et que nous n'avons pas toujours la force ni le désir de lutter, dans une société où c'est le premier qui lâche qui perd.
Je voudrais être accompagné de quelqu'un qui ait cette même honnêteté, et qui me conseille et me soutienne dans les moments difficiles.

Soirée à l'atelier hier, suis rentré dans un piteux état, affreusement mal dormi ensuite. Un gramme de paracétamol est venu à bout de mon mal de crâne aujourd'hui, pauvre chou. J'ai été ridicule toute la soirée, avec ces coiffures et ces toilettes idiotes enroulées tout autour de moi. Pas de petits minets, pas de petits mecs mignons, ou alors ils sont mignons et hétéros. Le frère d'E. est à tomber par terre. Je n'avais plus de voix en rentrant, à force de piailler comme une oie.
N. m'a ignoré toute la soirée, ça m'a tellement énervé que j'ai fini par lui verser de l'eau sur le crâne.

Jeudi 16 mars 2006

Ça se corse à CS : Christian m'est devenu insupportable. Ses colères, sa nervosité, son égoïsme, sa sournoiserie, son amateurisme continuels me minent. Au début je me disais que c'était moi qui n'allais pas, que je devais persévérer et faire des efforts, et puis maintenant je comprends pourquoi M. est parti en Italie.
Toute ma motivation est retombée comme un soufflet à cause de lui, et j'attends la fin de la journée en faisant semblant de travailler. J'avance à pas de fourmi, je regarde les heures s'égrener, j'écoute les grognements qu'il émet de temps en temps, je sursaute aux coups violents qu'il donne sur la table lorsqu'il est contrarié, je m'effare sur le nombre de tics qui le poursuivent, comme ce fameux « en fait », qu'il peut placer 5 fois dans une même phrase, d'autant plus souvent qu'il est mal à l'aise, avec les clients par exemple, ou bien ce « si tu veux », ce « hm hm hm », ou ce « tu vois c'que j'veux dire ? »
Il faudrait les compter dans une journée, c'est invraisemblable.
Bref, je le déteste.
Oh, il n'a pas un mauvais fond, j'avoue, j'avoue. C'est juste un manager catastrophique, doublé d'un informaticien médiocre, un breton blessé, un Napoléon complexé qui veut « prendre le pouvoir » et « licencier tout le monde » comme il l'a dit aujourd'hui en plaisantant à Adam – à propos de ces fameux nouveaux contrats qu'il espère bientôt voir signés. Eh bien mon vieux, tu vas voir comment tu vas prendre le pouvoir, lorsqu'Adam et moi nous ne serons plus là, et que tu te retrouveras tout seul dans ton fourbi.

C'est dommage, parce que je supporte plutôt bien les autres godiches de la boîte, d'aimables godiches, j'aime bien l'autonomie qu'on nous accorde, les pots aux champagne, le bon état d'esprit général, travailler en anglais, tout ça.
Il y a un ou deux étudiants en pharma qui viennent faire de la paperasse certains jours, assez mignons ; je les regarde passer, avec leur air désinvolte, leurs baskets et leur tee-shirt blanc, je deviens toute rouge comme une secrétaire et je me cache derrière un dossier.

A part ça, quoi d'autre ?
Un concert à la maison de la radio – Yann Tiersen et sa troupe, Dominique A (qui fait un peu SM, genre domi…) (domi niqua - c'est sûrement ça, merci Lacan). Un week-end à Rouen, où le jardin - on le sent - se prépare à exploser de couleurs printanières.
Une incursion en solitaire à la soirée Androginy, où la musique était inégale, où j'ai mis 30 minutes à me dégivrer, où je me préoccupais à peine des mecs, qui ne se préoccupaient pas de moi non plus. J'intègre peu à peu l'idée que je suis devenu une vieille bique sans attrait.
Patrick m'écrit de sa Louisiane et je pense à lui. J'aimerais pouvoir m'envoler et le retrouver aux States en un éclair. J'imagine que je passe des vacances là-bas, j'imagine que je fais ma vie là-bas, j'imagine que je m'installe avec un américain, j'imagine ce que c'est que d'être américain, j'imagine, j'imagine, j'imagine. J'imagine que je suis amoureux aussi.
Dans le Corail, l'autre soir (ou était-ce en faisant la queue à Monoprix ?), j'ai compris que je ne tombais plus amoureux, car j'avais trop peur :
1) d'être plaqué
2) d'être en manque, de vivre dans un perpétuel, dans un maladif besoin de l'autre

Samedi 1er avril 2006

Il a des yeux magnifiques, incroyables, des billes immenses, rondes et brunes, des petits bijoux, j'adore ce regard doux, fuyant et languide à la fois. Il a suivi ces trois cours de com avec moi pendant trois samedi de suite, toute la journée, et je ne le reverrai sans doute plus jamais, parce que c'était trois samedi et pas plus. Dans la salle, on avait disposé les tables en U, et je pouvais me pâmer sur son profil délicat autant que je le voulais. J'ai pris mon courage à deux mains et j'ai été lui parler à la pause. Il semblait aussi troublé que moi, sa peau tremblait imperceptiblement sous ses yeux. Mais il m'a parlé de bonne grâce de son boulot à GDF. Il a un accent de banlieusard, mais il soigne son apparence. Et trois tonnes de sensibilité transpirait de son visage, malgré tout ce qu'il faisait pour n'en rien laisser paraître. Il devenait rouge comme une pivoine chaque fois qu'il devait prendre la parole.
Bon, nous n'avons pas été plus loin que ces quelques mots échangés à la pause, malgré tous les fantasmes qui m'ont traversé l'esprit, et il ne s'est pas retourné lorsque nous sommes sortis du CNAM, à 17h, et il est rentré chez lui très vite, comme Andy dans la chanson des Rita Mitsouko, et j'avais un bouquin à retirer à la librairie des Arts-et-Métiers, et donc je ne l'ai pas poursuivi, dans le métro ou ailleurs, je crois que je lui faisais peur de toute façon.

Cours de com très bien d'ailleurs, l'intervenant était excellent - un ethnologue. J'aime les gens qui raisonnent ainsi en terme de cultures et de mythes, qui décryptent tous les discours, décortiquent les images, trouvent du sens dans les choses les plus anodines, les plus bêtes, qui s'attachent aux choses humaines avant tout et montrent que celles-ci sont partout, même là où ne s'attend plus à les trouver - parce qu'on est devenu trop aveuglé par la routine, la technicité, ou les responsabilités du travail.

Promenade rive gauche ensuite, acheter mes petites crèmes à la pharmacie. La lumière était belle, belle, belle, et je me sentais terriblement bien, ému par ce moment de transition fantastique, la soudaine synchronisation de l'homme et de la nature : les citadins sortent de chez eux, déambulent sous le soleil, profitent du renouveau, et les bourgeons, sur les arbres du jardin du Luxembourg, sont énormes et prêts à éclater.


Tension sociale palpable ceci dit. Manifestations contre le CPE, contre ces nouveaux contrats de travail « flexibles ». Comme d'habitude, la droite se saisit du chômage comme prétexte pour séduire, caresser le petit patronat dans le sens de ses seuls intérêts, et Chirac n'en finit pas de se montrer nullissime, et Sarkozy n'en finit pas de racoler. Je n'en peux plus.


Jeudi midi, entretien de recrutement dans une agence web du fin fond du 16ème, dans une rue désespérante, avec rien que des immeubles cossus, massifs, lugubres, et un Franprix pour toute pointe de couleur. Le responsable opérationnel n'était sans doute pas mauvais, il s'exprimait bien en particulier, avec calme, mais il n'était pas très gai, pas très guili-guili. Et il pleuvait lorsque je suis sorti. Ils me proposent un salaire plutôt intéressant. Ils font des sites sur la santé, les jeunes et les bagnoles. Je me donne jusqu'à mardi pour leur donner ma réponse, mais l'idée d'aller chez eux m'angoisse. Ce sera moins sympa qu'à CS, c'est évident. Au travers des vitres de la salle de réunion, je voyais défiler de jeunes développeurs soumis et calibrés, avec le jambon-beurre qu'ils venaient de s'acheter à la boulangerie. Ils se sont assis en silence sur leur chaise de secrétaire et ont lentement mâchouillé leur pitance en surfant sur internet.
C'est triiiste, ils ont l'air si triiiste.

Mais je dois faire le point avec Ca. et Ch.
Parce que l'un des avantages de CS, c'est quand même sa proximité, et j'aime bien l'est parisien, les 10ème, 11ème, 20ème arrondissements. J'y ai toutes mes marques, je rechignerais à quitter ces quartiers, même le temps d'aller bosser ailleurs, je suis devenu très puéril, il me faut un cadre rassurant.
Le midi, on va déjeuner aux Lucioles par exemple, c'est sympa, hein.

Son bureau (il laisse tout traîner par terre depuis une semaine)
D'un autre côté, la situation ne s'améliore guère à CS. Je me retiens de pouffer lorsque Christian pique ses petites crises contre Adam ou contre un fournisseur. Ses « en fait » se bousculent au portillon, ses coups de pieds contre la table s'accélèrent, il se met à trotter en long et en large, menaçant d'exploser.
Ce qui est clair, c'est que je me désintéresse parfaitement de ses projets, et que je n'ai d'yeux que pour l'application de M. Il le voit bien, ça va finir par péter, lorsqu'il me faudra sérieusement travailler sur ses trucs à lui, sur tout son fatras informatique qui me rebute.

J'ai retiré le sujet de mon nouvel examen probatoire à part ça – des histoires de métaheuristiques. Ces mathématiciens, quelle imagination.

Mercredi 5 avril 2006

L'architecture des Maréchaux
Hier, meeting dans un grand hôtel ridicule du dix-septième. Décidement, ce milieu est rempli d'ambitieuses permanentées, de killeuses en tailleur prêtes à tout pour gravir les échelons du pouvoir et gagner toujours plus d'argent. Et ces réunions chichiteuses sont l'occasion de montrer qu'on travaille pour un plus grand labo que le vôtre… et d'étaler un accent anglais épouvantable.
Mais il faisait beau ce matin là, un de ces matins bleus, frais et neufs où rien ne me chagrine, où je suis de bonne humeur.

Tractations difficiles avec CS, difficile de faire comprendre à un manager incontournable que vous ne le supportez pas au point de ne plus pouvoir travailler avec lui. Mais, finaud, j'ai obtenu la garantie que je n'aurai plus d'autres projets avec lui. Du coup, j'ai décliné l'offre de la boîte déprim' du métro Jasmin.
Mais rien ne m'assure qu'ils vont me garder, chez CS.
Tout cela me tracasse un peu.
Un peu seulement.

Vendredi 14 avril 2006

Certains jours, la dureté de ma vie m'apparaît très cruellement.
Il peut ainsi s'écouler toute une journée sans que j'aie prononcé une seule parole douce et aimable, sans qu'il m'ait été témoigné un seul geste d'affection. Il n'y aura eu que la sècheresse redoutable du travail, des discours polis avec des collègues, et des visages indifférents croisés dans la rue ou le métro. Toute la journée.
Et le soir venu, je me prépare un repas tout seul, et je me couche tout seul, et je m'endors tout seul, avec le sentiment de n'avoir, de ma vie, encore rien accompli vraiment.
Quelle force intérieure faut-il pour supporter, pour avoir pu supporter tout cela pendant des semaines, des mois, des années ?

Mercredi 19 avril 2006

Folle soirée à l'atelier
Dirk de passage à Paris.
Très content de revoir Ellen, elle aussi en tournée – elle est vraiment sympa, avec sa crinière blonde et son rire angélique. C'est drôle cette fascination franco-américaine réciproque, cette fascination pour le pays, le cadre de vie, la culture, la langue de l'autre, et tous les rêves qu'on vient greffer dessus.
Mangé l'agneau pascal chez R. et A., dimanche soir, à Ivry, à Vitry, enfin, par là-bas quoi. Ils ont une super maison.
Mon rapport sur les métamachins n'avance pas, je ne ferai plus que ça les deux prochains week-ends.

Me reconnaîtrez-vous dans cette fine équipe ?
Mon humeur est terriblement changeante – un soir j'ai la gorge nouée, l'autre soir, je suis léger et plein d'inspiration. Ce soir j'ai la gorge nouée, comme chaque soir où je me sens contraint, où l'ombre de tous mes devoirs me recouvre, où l'idiote monotonie de mon quotidien me submerge, où j'aurais envie de m'endormir dans les bras de quelqu'un, de cet autre qui n'existe pas. Qui existera peut-être un jour. Ou peut-être jamais.

Dimanche 23 avril 2006

toujours du monde devant la perle
Cours de chant jeudi dernier.
Je chante un aria particulièrement poignant, Stille Amare. Tout entier dans la découverte de la partition, je déchiffre et j'écoute à la fois, concentré comme du granit, mais l'émotion me gagne à mesure que le morceau se déploie, car c'est une voix d'enfant que je perçois, une voix familière, oubliée depuis longtemps – ma petite voix d'enfant. Je me réentendais vraiment, je veux dire, je reconnaissais vraiment le timbre de ma voix, j'avais l'impression de basculer 25 ans en arrière, c'était incroyable. Mon ancien prof avait raison de me dire que je ne m'entendais pas, qu'on ne s'entend pas tout de suite chanter – et le contre-ténor sans doute encore moins que les autres.
Le chant, c'est terrible, il faut avancer sur un fil, sur un équilibre instable, entre tension et relâchement, entre maîtrise et oubli de soi, et ce n'est pas un réflexe facile, un fonctionnement organique sur lequel on pourrait venir s'appuyer, comme par habitude, ce n'est pas une posture logique et délibérée du corps, c'est un état intermédiaire et fragile, à déterminer, à replacer, à retrouver, à tâtons, à rebours, délicat, subjectif, inconscient, quoique évident lorsqu'on a remis la main dessus, qui fait que soudain on se sent en phase avec soi-même, et que ça sonne bien, pendant quelques minutes, après des années passées à prendre des cours et à miauler laborieusement.
C'est très ému que j'ai remonté l'avenue de Clichy pour rentrer, j'avais envie de pleurer.
Mais que ferais-je sans Jeroen ? Je suis encore bourré de tics et de mauvais réflexes, sans lui pour me corriger, rien ne sort.
sans lui pour me corriger... docteur Freud, vite !

Mon petit mémoire sur les métaheuristiques avance à pas de fourmis, comme les algorithmes de colonies de fourmis justement.

Verveine menthe

JC sur Paris. On a été manger un morceau ensemble ce soir, aux anciens Basfroi. Métro Voltaire, il me présente un mec – un petit minou tout frais, à la peau de bébé et au teint de pêche, sourire équin et cheveux fins, dont il est tombé amoureux dernièrement. J'aimerais bien tomber amoureux moi aussi, comme avant, comme pendant mes deux premières années sur Paris, même si je sais bien que c'est un état inquiétant – cette dépendance, ce bouleversement, cette métamorphose tragique du réel.
Cette redescente, ensuite...
Mais si je souffre, est-ce que cela pourrait être pire que la solitude quasi-virginale que je m'inflige depuis des lustres ?
Je crois que je vois ce qui séduit les garçons, chez JC : sa tranquillité, son humour, son équilibre intérieur, son optimisme, sa spontanéité, sa façon de parler cul, à la fois drôle et jamais vraiment vulgaire.
Je n'ai pas ces qualités, en tout cas pas la spontanéité. Avec un mec, même un mec avec lequel il ne se passe rien, je suis d'abord gêné, mauviette, je crois que j'ai un peu peur qu'il ne m'envahisse, ne me blesse, ou bien j'ai peur qu'il m'abandonne. Et j'ai beau tout faire pour n'en rien laisser paraître, pour sourire et questionner aimablement, comme une journaliste polie de France 2, pour être naturel et pas trop chiant, je dégage un truc qui refroidit un tantinet les autres, je crois, par ricochet. Je peux le lire dans leurs yeux, car ils me regardent avec mon propre regard. Parfois, ils sont encore plus coincés que moi, ces nanas raidies, ces bonshommes soucieux, rongés par leur propre psychologie, que je croise au boulot, dans le métro ou n'importe où, et je me dis : ouh là là, elle a l'air encore plus névrosée que moi celle-là, relaxe cocotte.
Il n'y a qu'avec l'alcool que je me dégivre. Là je me fais guimauve, chewing-gum, ressorts, sports et vacances, je me sens bien et ça se voit.

Blue saturday
Passer quelques moments avec JC me fait dire à chaque fois : mais comme je suis cloche, comme je suis compliqué, comme tout est si simple après tout, je n'ai qu'à me laisser aller, faire confiance aux autres, écouter mon désir, sans honte, sans peur et sans reproche.
Puissé-je toujours conserver en moi cette confiance !
Oui, oui.

Lundi 8 mai 2006

J'ai jeté ce poppers pourri qui me faisait mal aux poumons, et me rendait bleu comme un schtroumpf.

Travaillé plusieurs week-end d'affilée sur mon rapport du CNAM, et ces affreux problèmes combinatoires.

Face aux métaheuristiques...
Dentiste samedi midi. Elle s'est offerte un cabinet tout neuf, avec des portes automatiques. Mais elle pétulait moins que d'habitude.
Détartrage.
En sortant, je tombe dans la rue de Rivoli, linéaire, cardinale, océanique.

Envie de faire la fête.

Astrid est partie 3 semaines en Californie. Suis jaloux. Moi aussi j'irai.

Les martinets sont de retour. Ils amènent avec eux la sonorité la plus évocatrice des beaux jours qui soit.
Je repense à ma vieille chambre sous les toits, à Mont-Saint-Aignan, autour de laquelle, au printemps, viennent virevolter les martinets en sifflant.

Je passe en revue les journaux télévisés des années 80, mis en ligne sur le site de l'INA.
L'importance des relations bipolaires me frappe. C'est drôle de voir comme il a été facile d'oublier le poids de cette rivalité est-ouest, de cet affrontement lourd de menaces entre américains et soviétiques, sur fond d'idéologies, d'influences, de sommets sur le désarmement, de petites affaires d'espionnage et de conférences pacifiques, ou glaciales, selon le moment…
La liberté et les droits de l'homme contre l'anti-impérialisme et l'anti-capitalisme, les démocraties contre les dictatures, les belles paroles contre l'anti-tout.
Et puis cette année 1989, pleine de rebondissements et d'espoirs… Même ado, naïf ado dans mon chef-lieu de province, j'étais heureux, j'avais l'impression que le monde venait de desserrer une énorme étreinte, que les temps changeaient en bien, en mieux, c'était grisant, c'était historique. Gorbatchev superstar.

Tout cela me semble bien dépassé maintenant. J'ai une sensation de vide aujourd'hui – il ne reste plus que les Américains, seuls contre tous, avec leur président haï. Et des ricanements, des exclamations, des tirages de cheveux mesquins dans la cour des petits : le bruit des nations, incohérent, frénétique, égoïste.

Chaque peuple se cherche un coupable, le coupable, la cause perfide de tous ses malheurs, l'origine indubitable de tous les dérèglements du monde, ce fourbe qui tire les ficelles à son profit, en sous-main, ce Judas qui corrompt et suce la moelle des honnêtes gens.
Les immigrés, le libéralisme, les media, le communisme, l'Occident, le Coran, la mondialisation, les Juifs, les chinois, Ben Laden, les pays riches, les pays pauvres, et que sais-je encore, on trouve de tout, dans cette boîte de Pandore des repoussoirs.
Je me demande quel petit papier sortira du chapeau, l'heureux élu, la peste du siècle, le signifiant maudit, le croquemitaine fédérateur de toutes les haines, l'ennemi numéro 1, à poursuivre, à anéantir, à exterminer, à abattre comme ces trois ours slovaques qu'on a introduit dernièrement dans les Pyrénées, et qui suscitent la colère des éleveurs de la région parce qu'ils ont boulotté une brebis ; et c'est la jacquerie, des villages entiers descendent dans la rue, aspergent de sang les édifices publics, brûlent le totem en bois des défenseurs de l'animal.
Bête expression de haine, de la part de gens qui, sur le fond, se moquent autant du sort des brebis que de celui des ours.

Je me méfie, je fuis ces hommes qui se regroupent, qui s'organisent autour d'un coupable déjà donné au lynchage, autour d'une cause minable, ces gens qui, hypnotisés, intoxiqués par leur propre angoisse, asphyxiés par leur propre peur de ce qu'ils ne comprennent pas, n'arrivent plus à se contrôler, à se dépêtrer, à s'extirper de leur dialectique en impasse, autrement que par des cris vengeurs, des actes violents.

Moi aussi j'étouffe dans mon angoisse. Mais est-ce que je brandis des fourches pour autant, est-ce que je vote De Villiers pour autant ?

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Soirée à l'atelier vendredi soir. Gueule de bois tout le samedi.

Appel de Delphine, elle monte sur Paris en fin de semaine.

Examen oral du probatoire aujourd'hui. Ils me l'ont donné cette fois-ci, ouf ! J'était fou de joie en sortant, libéré de ce pensum qui me minait depuis plusieurs semaines.
Un ciné sur le canal Saint-Martin pour fêter ça.
Il a pleuvoté presque toute la journée.

Samedi 13 mai 2006

A part ça, je laisse tout germer dans la cuisine
Expo « l'esprit du Nord » à la maison européenne de la photo.
Rineke Dijkstra, Celine van Balen. C'est devenue presque une formule, un poncif hollandais, ce grand portrait de face, équilibré, regard impassible posé sur l'objectif, cette vision glacée, pure, harmonique et mesurée. Mais Dijkstra reste inimitable, je la trouve très forte.

Cette représentation frontale du sujet, cette expression pleine et neutre, ce formalisme qui n'est pas un mensonge pour autant, magnifie à l'excès la plastique adolescente. Du coup, il y a comme une sorte de nostalgie dans ces photographies géantes, et beaucoup de sensibilité. Comme dans le premier recueil de photos de Van Der Koeken, « Nous avons 17 ans » - même si lui est plus poétique, plus doux, plus rêveur, dans le contre-jour et les contrastes pudiques.
Elle m'a fait du bien cette expo, l'espace de quelques instants, elle m'a rendu l'être humain... plus humain justement, rendu de ma naïveté, de mon aménité originelle – procuré un peu de répit dans ces solitudes ténébreuses que je traverse depuis des années, en me rappelant qu'il y a quelque chose de beau dans l'homme, dans ce qu'il peut s'en émaner, lorsqu'on parvient à sortir de sa torpeur, de son glacis d'horreur et de lassitude.

... et je mate le jeune mec qui fait des travaux, juste sous ma fenêtre
J'admire ces démarches photographiques, l'originalité, la spontanéité de ces techniques, de ces manières naturelles d'aborder l'être humain, dégagées des codes et des conventions, toutes très variées et toutes baignant dans un désir identique pourtant : capter, représenter quelque chose de l'homme dans son environnement, à un instant donné. J'admire cette façon d'aller jusqu'au bout de son regard, de son propre regard, si bizarre soit-il, d'enchaîner les photos une à une, patiemment, quand bien même cette démarche ne serait qu'à demi consciente, à demi délibérée.

Vendredi 19 mai 2006

Soirée de printemps des Ateliers de Belleville, samedi dernier, avec Christelle et Delphine. Petits pétards, relents de peintures et trentenaires finissants. Parlé avec un Irlandais éméché, pas désagréable, mais postillonnant beaucoup. Une petite suédoise de Malmö avec une grande bouche. Je portais mon tee-shirt cintré bundeswehr de New-York (il n'y a que moi pour ramener des tee-shirts bundeswehr de New-York)
Vers trois heures, je ne tenais plus debout, je suis rentré.

Semaine pénible ensuite – je me méfie vraiment au boulot maintenant, depuis que la stagiaire russe m'a avoué, sous l'emprise de l'alcool, à un pot de départ, que Ch. et Ca. avaient mis leurs sales truffes dans mon PC en mon absence, et qu'ils avaient dit que c'était n'importe quoi. Je ne sais pas ce qui était n'importe quoi – mes mails peut-être, ou mes notes persos, ou bien ce perfide enregistrement sonore que j'ai fait avec mon appareil photo, à l'insu de Ch. – et alors que celui-ci était au téléphone et qu'il tapait comme un fou sur la table en répétant « en fait, ... en fait, ... en fait », plus détraqué que ses programmes IVRS et que son réseau NT.
Du coup, ce midi, déjeuné au Rush Bar, avec N. et F., et nous avons convenu ensemble que toute cette clique était bien trop sûre d'elle, qu'A. buvait certainement, que l'atmosphère était pourrie, autant que le management, et que cette affaire risquait de mal finir.

Mardi 23 mai 2006

Petit tour à Rouen le week-end dernier.
Dans le corail : des prés vert tendre qui défilent, de gentils cumulus qui galopent sur le ciel bleu, un grand brun ténébreux au regard de braise, assis dans la rangée opposée.
Arrivé samedi soir, je raconte mes turpitudes parisiennes en buvant une bière, sans conviction. Maman m'interviewe. Papa lit dans son canapé. Z. débarque. S. débarque. Zoé monte dans sa chambre. S. parle de son cours d'équitation.
A table.
Au lit.
Je lis une BD, un Palmer.
Chatouille me tire de mon sommeil : dans le noir, elle a aperçu une araignée, qu'elle essaie d'attraper. Moi, horrifié, je soulève le matelas, je fais voler les oreillers, mais je ne la retrouve pas.

Promenade en forêt, pendant que maman prépare le rôti du dimanche.
« De chez Maxicoop » nous dit-elle, une fois à table.
La pluie tombe.
Ils jouent au Scrabble, je répare le vieil Amstrad.
Le soleil brille.
J'enregistre le bruit du vent dans les peupliers.
Il pleut à verse.
Je demande à papa s'il peut me descendre à la gare.
Ombres et lumières sur la campagne, celles qui émergent des déluges, quand le soleil a percé entre les nuages, que le soir tombe, et que tout n'est que jaunes, bleus, gris argent.


La Nicole, chez les vieux fous du restau d'à-côté
Hier soir, vu l'homme à la moto. J'étais chaude comme un four.

Ensuite, avec N. et G., au restau des fontaines, chez les deux alcolos.

Voilà ce que je leur fais, moi, à ces professionnels du pipo informatique
Aujourd'hui, petit entretien à Asnières, avec deux types louches, des truands du B2B, des ripous des marchés publics, des vautours de l'accompagnement stratégique, de l'insourcing de pointe et du copinage institutionnel, avec le complet veston gris souris, la chemise bleue layette, la cravate triste, le sourire Colgate, le ton cajoleur, le verbe endormeur, pour mieux vous entuber en douceur. Ça s'est trop bien passé, où est l'embrouille ? Je ne me vends pas assez cher, c'est ça ?
C'est sûrement ça.
Je m'en fiche de toute façon.
Je dois encore rencontrer le mec avec qui je travaillerais, et on verra bien.

Qu'ils aillent tous au diable.


Samedi 27 mai 2006

L'homme élève des immeubles et des tombes

Juan Colom, à la fondation CB.
Chasseur d'image, amoureux d'un quartier mal famé de Barcelone dans les années 60, chez qui le réalisme social le dispute à l'expression personnelle – un peu voyeuse, presque honteuse. Des chaussures à talons, des petits vieux sans le sou, des morveux qui courent, joyeux, dans les rues, des flaques douteuses.

Suis rentré par le cimetière du Montparnasse.
Je n'étais pas d'humeur mélancolique, je voulais juste échapper au vacarme du samedi après-midi sur les boulevards.
Ce qui m'a paru terrible, cependant, à mesure que j'avançais le long des allées gravillonnées, les mains dans les poches, c'est le souvenir, devoir vivre avec le souvenir.
Jusqu'à ce jour, la seule mort qui m'ait jamais chagriné, c'est la mort de nos animaux, la mort de tous ces chats qui nous ont accompagné, à Rouen, et qui ont fini dans un trou dans le jardin, malades ou écrasés par des voitures. Comme ils me manquent, Calypso, Opale...
Je les avais oubliés.
Mais voilà, ils sont revenus. Ils disparaîtront. Puis ils reviendront...
A quoi ça rime ?

Dimanche 28 mai 2006

Le lycée m'obsède ces jours derniers, est-ce le fait d'avoir rencontré Alix la semaine dernière ?
On déambule dans le 11ème elle et moi, sous la nuit tombante. On atterrit chez le libanais de la rue du Chemin Vert. Elle rechigne devant les crudités du menu, et là elle m'annonce qu'elle est enceinte. Ah oui, effectivement, j'aurais pu m'en rendre compte… La belle-famille italienne n'est toujours pas au courant.
« Ça leur fera les pieds » me dit-elle, petit sourire aux lèvres.

In Sarah's room
Et donc le lycée me revient en mémoire, c'est très palpable soudain.
J'étais éperdument amoureux de ce garçon, Antoine, un ancien ami d'école primaire – un type que j'avais perdu de vue depuis longtemps, et que je croisais parfois dans la cour. Nous n'avions rien à nous dire, nous avions probablement trop changé, l'un par rapport à l'autre, depuis l'école Berthelot. Mais voilà, je ne pensais plus qu'à lui, soudain j'en étais totalement malade – j'écrivais des phrases grandiloquentes dans mon journal sur la mort et sur l'amour, je déclarais que nos existences fusionneraient un jour, bref, j'étais bien atteint. Au début de l'été 91, je lui ai même écrit une petite lettre amicale (mon grand truc !!), à laquelle il répondit poliment, à la rentrée. Evidemment, ce gars là était aussi gay qu'un ficus, et il devint papa quelques années plus tard.
Pour varier les plaisirs, je me suis aussi entiché d'un autre garçon, Florian, assis à ma droite en cours de math – 9 heures par semaine – et dont le coude effleurait le mien de temps à autre (à ma gauche, il y avait Maud, une gothique douce et un peu triste).
Il me fit connaître des vestes magistrales, vestes au pluriel, car une seule ne m'a pas suffi. J'ai été jusqu'à le harceler par téléphone, chez ses parents, un beau dimanche après-midi de mai. Mais comment ai-je pu insister comme ça ? C'était pathétique.

Longtemps je me suis demandé pourquoi je flashais ainsi pour des types que je connaissais à peine, qui me convenaient aussi bien qu'une mouette convient à une tortue.
Avec le recul, je crois que ces garçons me soulageaient de ce sentiment de solitude et d'abandon, mentalement. Je vivais avec eux au quotidien, du matin jusqu'au soir, mais sans qu'ils soient là réellement : facile !
Dans la réalité, je n'étais pas vraiment isolé pourtant, tout un réseau de lycéennes un peu fofolles m'avait accepté en leur sein, et puis des amis de bars, de soirées, en qui j'avais placé ma confiance, que j'appréciais beaucoup, et dont je me souviens avec nostalgie. Mais il y avait beaucoup de filles, oui, c'était un milieu exclusivement hétéro, voilà pourquoi je me sentais seul, au fond de moi, je crois.
Ado, les possibilités d'indépendance, les limites de l'univers, les marges de manœuvre, les routes sont très réduites, très balisées finalement – aller en cours, dormir chez papa-maman, décrocher le bac – mais je m'impliquais beaucoup dans ce que je ressentais, ou faisais.
J'étais une corde tendue.
Surtout, j'avais constamment en face des yeux un panorama inatteignable, des espaces indescriptibles à surmonter, des dimensions sidérantes, une façon très intense de ressentir le présent et d'envisager le futur, et je n'acceptais pas la déception. J'avais une peur métaphysique de l'avenir.
Ce que je trouve amusant aussi, dans mes cahiers, ce sont ces courts passages où j'évoque la présence de mes « désirs charnels », sur un ton mi-amusé, mi-coupable. Je ne me souviens pourtant qu'avec peine de mes images érotiques de l'époque. Soudain, ça me paraît curieux que j'aie pu avoir des fantasmes, sans avoir jamais rien vécu…

Au moins je n'ai pas fini comme eux...
Dans mon adolescence, les incertitudes du lendemain se mêlaient à mes incertitudes sexuelles, sans que j'en aie même conscience.
Mon Dieu, si j'avais pu accepter davantage ces désirs, surmonter mes peurs, oser un peu. La sexualité impose forcément une action, une démarche contingente, mécanique, prosaïque, imprévisible, et il m'est souvent arrivé de me demander, sur le coup, si ça en valait vraiment la peine, finalement, tellement ça me paraît absurde et inutile, au moment où ça commence à s'ébattre, sur le lit froissé. Je me suis forcé un peu. Et puis la sexualité suppose aussi que l'on rencontre le désir de l'autre. C'est ce désir de l'autre qui change toute la donne par rapport à une relation fantasmatique, et puis, en dernière analyse, c'est surtout ça que l'on rencontre et qui est inquiétant – en tout cas, ça qui m'a inquiété, moi, sans que je m'en rende même compte.

« Cela me semble bizarre que l'on puisse envier ce qui constitue aujourd'hui mon présent, même si je reconnais que pour rien au monde je ne voudrais quitter le lycée. Serai-je le même dans 10 ans ? Mon essence aura-t-elle changé ? Non, sans doute. Alors à quoi bon s'interroger sur l'avenir ? Il est certainement plus cruel que mon passé… », voilà ce que je note déjà en 1992.

Le passé ne m'aurait-il pas plutôt servi à éviter d'aller de l'avant, à éviter de prendre des risques, à éviter de vivre mes désirs profonds ?
Ou serais-je devenu trop fatigué pour prendre des risques aujourd'hui ?

Si je vivais en paix avec moi-même, avec mon désir et mes possibilités de jouissance, je n'aurais pas besoin de revenir comme ça en arrière – je me contenterais du présent, qui occupe, préoccupe et divertit bien assez comme cela.
Mais c'est aussi en remettant les pieds dans les traces de mon passé que je peux commencer à comprendre ce que je suis aujourd'hui, et je pense que beaucoup de choses m'ont échappé, comme toujours.

Babarella s'amuse avec ses chiffons
Je ne peux pas parler du futur, ni même en brosser la moindre esquisse, je veux me réserver des surprises.
Ce que j'aime le plus dans l'adolescence, finalement, c'est cette posture face au futur : tout y est vierge, on a quelque chose d'immense face à soi, et tout le monde patauge dans la même baignoire. Il y a des classes sociales, mais les hiérarchies ne sont pas très nettes, surtout dans un lycée comme celui que j'ai fréquenté. Ça se court-circuite encore.

Je ne fonctionne pas dans des rapports de domination-soumission.
Et pourtant je me suis souvent soumis, symboliquement, à des titres divers.
Je me soumets d'autant plus que je doute de moi, et comme je ne fais que ça...

Aurais-je à ce point désiré quitter autrement ma virginité ?

Vendredi 2 juin 2006

Hier, thaï dinner, chez Nath. Six tafioles, trois filles, des won-tons au poulet, du Lefort. Volière autour de la table ronde. Un des frères d'Edith fait irruption en fin de repas, apportant un peu de testostérone.
Rêve entêtant ensuite, où il était là, le grand frère, très beau, et moi en pâmoison, et dans le même temps, simultanément, je visitais un psy, dans le même immeuble que CS., où je déblatérais, volubile, mes petites histoires, en haussant les épaules. Le psy était juif, papiers en hébreux sur son bureau, donc gros mic-mac avec N. et E. évidemment. A la fin de la séance, il me tend un ticket de caisse.
Je me réveille, plutôt bien, plutôt frais, curieusement.

Mardi 6 juin 2006

La première framboise de l'année
Samedi, cours de com, donné par un gentil papi en pantalon beige, chemisette à rayures 3 Suisses et petites baskets, qui a rasé la moquette toute la journée. Il m'a lessivé.

Aujourd'hui, c'était le lundi de Pentecôte, le jour à moitié férié de l'année.
C'était aussi le dernier jour de la période d'essai de Ma. – la deuxième période d'essai que CS n'a pas renouvelée, non un certain soulagement de l'intéressé d'ailleurs, j'espère en tout cas pouvoir m'accorder de la même façon avec ces andouilles, fin juillet, si je ne démissionne pas avant. Bref, Ca. avait cru tout uniment pouvoir prolonger de 10 jours le contrat de Ma., histoire de boucler des dossiers sans doute, mais, fidèle à son style caporal et sans scrupule, la petite cheftaine n'en avait pas averti Gr., si bien qu'un flou a plané toute la matinée quant à savoir si Ma. partirait le soir même ou non.
Une enveloppe pour un cadeau s'est mise à circuler dans les bureaux. Vers midi, ultime correction de tir : il nous quittera bien ce soir. Un nouveau mail péremptoire tombe alors dans toutes les boîtes : rendez-vous à 18h autour d'un verre pour fêter le départ de Ma., ainsi que la signature de trois nouveaux contrats (il paraît que la boîte tire la langue, ça alors)… Mais voilà, ni Ca. ni Gr. n'avaient cru bon demander à Ma. ce qu'il en pensait, de sorte que lorsque celui-ci s'est excusé – ironie du sort, c'était son anniversaire aujourd'hui – et qu'il a disparu en coup de vent, hop, définitivement, clic-clac, vers 17h, elle s'est sentie toute conne, la responsable opérationnelle, et elle a ricané bêtement.
Comme pour mieux s'enfoncer, elle a demandé à Co. d'envoyer à tout le monde une proposition de jeu à l'occasion du mondial de football, un sweepstake à cinq euros, une loterie « pour gagner beaucoup d'argent si vous êtes nombreux à jouer », histoire de ressouder les équipes – incroyable, elle ne recule devant rien.

Mardi 13 juin 2006

Avec Béhemotte
Samedi, je rends visite à Béhemotte – en l'absence de ses maîtres, partis à la gay-pride de Varsovie.
Les clefs, c'est le voisin Pascal qui les a, donc j'entre (pour la première fois) dans sa boutique, en bas de l'immeuble. Il y a des culottes roses fluo collées contre le mur, un éclairage étudié, il discute avec une amie ? une vendeuse ? peu importe, j'observe ses vêtements, ses créations, des habits légers et délicats, tout de noirs, de blancs et de beiges, alignés sur des cintres. Les clefs sont restées chez lui, donc on grimpe ensemble les quatre étages en discutant, et je lui demande : « ... il t'arrive aussi de faire des vêtements pour homme ? »
« - que pour homme. » me répond-il tranquillement.
Je me suis senti très nul, et j'ai répété bêtement :
« - Ah oui, que pour hommes… »


Le petit jardin suspendu que j'aperçois depuis mon poste
A CS, l'atmosphère est toute pourrie. Comme on ne s'occupe pas de moi, je bricole en douce des petits programmes pirates, totalement inutiles, mais qui se jouent du firewall de l'entreprise, hin hin hin, et qui me font rire sous cape.


Longue promenade dans le XXe dimanche.

Lundi, je croise Pablo. Il a surgi du passage Meslay, filant droit sans me voir derrière ses lunettes de soleil.
Un revenant. Il quitte la France pour s'installer à Barcelone en freelance. Ça m'a paru tellement naturel comme idée. « Bin oui, qu'est-ce qu'on s'en fiche, de l'opéra de Paris ? » me dit-il en haussant les épaules, avec son accent espagnol.

J'ai attrapé une horrible rhinite, je ne sais pas comment j'ai fait, vu la chaleur.

Dimanche 18 juin 2006

Mercredi, après le cours, Jeroen et moi allons prendre un verre en terrasse, près de la mairie du XVIIe. Il se la joue un peu quand même... Parlant du chef de chœur d'un ensemble vocal auquel il participe : « - ma voix est meilleure que la sienne, et je crois que ça lui pose problème… ».
Mais parfois, il est assez juste, lorsqu'il évoque la difficulté d'enseigner le chant à des jeunes filles de 16 ans par exemcple, à des minettes toutes tremblantes et coincées qui s'identifient à Céline Dion, et qui arrivent accompagnées de leur papa, gorgé d'espoir : « - Elle a fait pleurer toute la famille lorsqu'elle a chanté à table, l'autre soir… ».
Jeroen a horreur de ça, parce que le chant, ça met en jeu des trucs physiques, corporels, et ces Mireille-Sébum ne sont généralement pas encore très à l'aise sur ce chapitre, malgré leurs fringues aguicheuses. Du coup, il préfère que le papa soit là, comme ça, elle ne peuvent pas aller raconter n'importe quoi après, quant aux postures et aux gestes qu'il leur fait exécuter en cours. Moi je crois que la présence du père est justement problématique. M'enfin bon, on s'en fiche un peu, parce qu'en général ces leçons cessent rapidement, pour un prétexte ou pour un autre, et puis de toute façon, ce n'est pas moi qui les donne, ces cours, alors on s'en fiche encore plus.

Le lendemain soir, chez Michael, qui habite sur la place des Abesses un appartement chicos, net et rangé comme une caserne, avec vue arrière sur un paisible jardinet aux murs recouverts de lierre. Première répet, il m'accompagne au piano sur deux arias de Haendel.
Il a aussi joué le début d'un prélude de Rachmaninov, très beau.

Pizzeria rue des Martyrs ensuite, chez des ritals de vrai de vrai, avec bona sera, foot à la télé, les grappes de touristes qui avalent leur pizza dehors, dans la chaleur de juin. On parle un peu sérieusement, en buvant du chianti. M. me demande : tu n'es pas malheureux dans la vie, quand même ? La question me gêne, mais je lui dis la vérité, non, je ne suis pas très heureux. Il me répond qu'il n'aurait pas cru. Quelque part, ça m'a rassuré, de savoir que je ne donne pas l'image d'une personne malheureuse. Je dois cacher mon jeu, et je résiste à la tristesse comme du chiendent. Je me dis aussi que les gens sont un peu naïfs, ou aveugles.


Samedi, dernier cours avec le papi du CNAM. A la pause, le petit mec mignon que j'avais patiemment entrepris m'annonce qu'il va bientôt être papa. J'essaie de prendre une mine réjouie : « - C'est vrai ? Super ! »
Je pionce de 6 à 8. Le téléphone sonne. Je ne réponds pas.

Filé ensuite à la dépendaison de crémaillère de Christelle. Elle quitte sa forêt d'immeubles du treizième pour la minéralité suisse, rejoindre F., après des années d'allers et retours. Ses deux sœurs étaient là ; elles sont sympas, c'était marrant de les revoir.
D. est bavarde comme une pie, avec des anecdotes absurdes comme je les aime. Je n'avais pas revu F. depuis l'époque où elle et Ch. vivaient dans cette bicoque en briques de Sotteville-lès-Rouen, près de la gare de triage.
Sinon, il y a toujours une ou deux filles parmi les amies de Ch. que je trouve d'une plouquerie incroyable, je ne comprends pas comment elle fait, car elle semble très bien s'en accommoder en plus.
Saoulé au champagne, je m'en suis rentré ici d'un pas vif, hop, Tolbiac-Répu à pied et en chemisette, il faisait bon, et j'adore Paris la nuit dans ces conditions.

Vendredi 30 juin 2006

Au boulot, les démissions se suivent.
La boîte de ripoux m'a recontacté, zut, moi qui croyais qu'ils m'avaient oublié. Mais s'ils veulent m'embaucher, je quitte CS, c'est clair.
J'ai surtout envie de prendre des vacances à vrai dire, je rêve de descendre la France en voiture, par étapes, de traverser la Corrèze, le Lot, Toulouse, le Languedoc, suivre la route qui mène aux Pyrénées Orientales.

Encore une nouvelle discussion avec Jeroen l'autre soir, devant une bière à une terrasse. Comme que je lui demandais s'il avait déjà fait du yoga, il en est venu à me parler de sa longue expérience thérapeutique de cinq ans, une sorte de sophrologie collective à base de techniques respiratoires et de verbalisation, conduite par une analyste assez finaude semble-t-il. J'ai bien aimé ses anecdotes : cette fille du groupe qui l'énervait prodigieusement par exemple, qu'il détestait même, parce qu'elle voulait toujours donner l'apparence de se porter comme un charme, toujours à jouer la nana détendue, cool et épanouie ; il s'est retenu pendant des mois et des mois, et puis il a craqué, il a asséné des poings violents contre le sol, devant tout le monde, en éructant tout le mal qu'il pensait d'elle ; quand il a eu complètement craché son venin, bien verbalisé comme il faut, la psy s'est tournée vers l'intéressée pour lui demander si elle avait aimé la réaction de J. Là, son apparence de bien-être s'est fissurée, elle s'est décomposée comme un fruit en été, et a bredouillé que non, elle n'avait pas du tout aimé.
Ce qui est fascinant, c'est qu'ils ont ensuite appris qu'elle avait toujours été malheureuse en amour, et qu'elle était toujours sortie avec des mecs qui la battaient…
La violence de ses partenaires s'était donc retrouvée chez J., qui avait joué un rôle, celui du compagnon violent, à son propre insu. Une forme collective d'inconscience s'était révélée.

La famille Groseille d'en face (dont j'entends la belle-mère hurler en continu après les gosses) a planté une nouvelle variété de géraniums
J'avais déjà remarqué chez J. cette espèce de tranquillité d'âme face à l'autre, ce mélange de retenue et d'absence totale de gêne que je note parfois chez les personnes passées sur une forme de grill thérapeutique. Mais j'avais déjà remarqué aussi son intransigeance excessive – un excès dont je ne suis pas sûr qu'il ait bien conscience.

Sinon, détail absurde, avant-hier, un de ses amis l'attendait à la Fourche, un chanteur pro comme lui, qui nous raconte, tout fier, qu'il vient de décrocher un rôle de Tolomeo. Discours de tata-chanteuses dans le métro :
- (le mec, au sujet du dernier Berlioz à Bastille) Paraît que c'est pas terrible. On dit que van Dam ferait mieux d'arrêter.
- (J., sur un ton méditatif) José van Dam… Incroyable… Mais il a quel âge maintenant ?
- Je sais pas… 350 ans ?

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L'année de l'égalité ? je me trouve d'abord un copain et on en reparle
Dans le même ordre d'idée, samedi c'était la gay-pride, où j'ai rapidement perdu N. et G., qui m'accompagnaient au début. J'avais été visiter leur « acquisition » aux Lilas juste avant ; il y a des travaux à prévoir, indubitablement, mais ça peut devenir sympa – la façade arrière surtout, parce que côté rue c'est un peu moche.
A la gay-pride, j'aperçois toujours Fabien, c'est inouï, il est toujours le seul que je remarque. Il portait une moustache bizarre cette année, ce qui m'a immédiatement freiné dans mon élan, et puis surtout, à la réflexion, j'allais me faire du mal – oui, pourquoi se précipiter gaiement tout contre un mur ? Oh il n'aurait sans doute pas été méchant, mais je me serais accroché à lui comme à une bouée, je l'aurais saoulé comme un crampon, et je n'aime pas ça.
A part ça, que des mecs beaux et mignons... J'avais oublié que les homos pouvaient être aussi séduisants. Certes, sésuisant ne veut pas dire accessible.
Et puis la gay-pride, c'est toujours un peu foutraque, avec le drapeau corse fièrement brandi à la suite du char de l'UMP, les gay retraités (5 personnes) devant l'exotique Beth Averim, la grosse machinerie commerciale "Pink TV" juste derrière la camionnette CGT - juxtapositions bizarres qui m'amusent toujours.

Samedi 31 juin 2006

De retour des soldes
Petites courses cet après-midi. Je voulais juste me dégoter un shampoing à la pharmacie bon marché du 6ème, mais le soleil et la bonne humeur m'ont poussé jusque dans les magasins de la rue de Rennes. Objectif : trouver de quoi se chausser. C'était les soldes, les soldes où m'attendaient diaboliquement un jean moche et un tee-shirt informe, ainsi qu'une paire de Puma rouges, celle convoitée depuis des années, et puis soudain, quel calme partout dans la ville, un vrai miracle... On se serait cru un 15 août. C'est que les matchs de la coupe du monde de football avaient commencé à sévir à la télé, et avaient avalé tous les crétins possibles, slurp, si bien qu'il ne restait plus dans les rues qu'une poignée de touristes russes et japonais, le nez en l'air, et quelques gays intellos, irréductibles réfractaires au ballon rond, mais ravis d'avoir les magasins de baskets pour eux tous seuls.

Lundi 17 juillet 2006

Je ne peux plus les supporter au boulot, vraiment. Le retour de M. ne m'enchante pas du tout, et d'ailleurs il a essayé de mettre les points sur les i ce matin, en me prenant entre quatre yeux, avec un : « La priorité pour toi, ça doit être moi. »
Il y a quelques semaines déjà, il avait voulu me serrer les boulons : « C'est moi qui décide des choix techniques ici. »
Alors que je suis si discret, si mesuré, si accommodant… me faire pincer les fesses ainsi, comme un subalterne récalcitrant, comme un vilain comploteur...
Très bien. Estomaqué, j'ai ravalé mon amour-propre froissé, en me promettant de prendre ma revanche.
Et comme le reste de la journée a été affreux, je suis désespéré.
Démissionner ? Il faut que j'appelle les ASSEDIC, mais je crois que je n'aurai droit à rien.

Il y a bien eu cette proposition de CDD à la Cité de la Musique, mais j'ai refusé à cause du mémoire du CNAM, sur les conseils de ce prof, là, M. Machin, qui en est sûrement un peu, au demeurant.

Un Ricard, un vrai...
Surtout, le besoin de vacances se fait sentir.


Anniversaire à la maison, chez papa et maman. Escapade en vélo sur les hauts de Rouen, dans des rues désertes, écrasées par un grand soleil.
Bizarrement, j'avais envie de rester, de rester là-bas, en Normandie, à faire de la musique et des promenades, je me suis surpris à rêver de la lénifiante existence rouennaise, cette vie sans frénésie, sans histoire et sans avenir – dans cette ville aux cents clochers, inerte, avec ses bars à bière, ses festivals à deux sous, ses foires-à-tout, ses saltimbanques de pacotille, ses teufeurs niaiseux, ses dimanche mortels, toute cette touchante mesquinerie de province qui a marqué mon adolescence.
Et cette verdure, grasse et généreuse... Sur tous les horizons on n'apercevait que du vert, du vert azur, du vert argent, du vert d'été, épais et mûr, des lisières de forêts, des champs éclatants, des faubourgs débordant de buissons et de jardins feuillus, sages et gais, derrière leur clôture.

Daddy sort la tondeuse
Curieusement, j'ai beaucoup songé aux chats aussi, à tous nos chats disparus, à Opale en particulier, dont l'absence semble encore rôder à la maison (ici, à Paris, la voisine du dessus a abandonné son chat chez elle, et il n'y vient personne pendant des jours, ce qui m'inquiète régulièrement, et je m'affole à l'idée qu'elle ait pu vraiment l'abandonner ; alors je me raisonne, je me dis qu'il doit passer des gens en mon absence).
Il y a cette idée de l'abandon en moi, cette anxiété.
Je me sens me replier, je veux me replier, j'ai du mal à supporter ma vie actuellement.


La chevelure dorée du mec de devant
Je n'ai besoin que d'amour, sur le fond, je le sais pourtant.
Je crois que je vivrais assez bien, sur la grise capitale, avec un garçon, avec mon copain, mon compagnon. Et un logement un peu plus grand, bien sûr.


J'ai trouvé que maman avait vieilli, physiquement, je crois que ça m'a fait peur aussi.

Rendu mélancolique par la lecture d'une nouvelle de Savinio où il était question du pays des âmes, je me suis endormi hier soir avec la conscience très nette de la fugacité de la vie, j'avais l'impression d'être déjà mort, et j'ai repensé à ce que je faisais de ma vie, et ce que j'en fais m'a semblé si vain, tellement vain, tellement futile... Je me suis senti responsable de cette situation.

Mais que faire, où aller ?

Je voudrais partir avec quelqu'un, être bien avec quelqu'un.
Je voudrais m'en aller, fuir toute cette horreur.

Mercredi 26 juillet 2006

Week-end à Venise.
Décollage de Paris Beauvais, petit aéroport picard sans climatisation, remplis d'enfants turbulents et d'individus malpolis.
Venise est une ville vraiment très belle, malgré son côté troisième âge. Comme je m'attendais à un pressoir à touristes, j'ai été ravi de découvrir des quartiers déserts et rutilants de soleil, des façades douces et sages, rouges et jaunes, grises et ocres, et de grandes étendues de mer turquoise, balayées par le vent.
Temps splendide. Nous avons bien profité de la plage du Lido, à deux pas de l'appartement de Sébastien, notre hôte.

Vendredi soir, donc, G. et N. atterrissent à l'aéroport international Marco Polo, tandis que je débarque, ahuri, dans la bicoque des low-cost, une espèce d'abribus en béton à 30 bornes de Venise.
Nous nous retrouvons à la gare routière, et nous nous jetons dans le premier vaporetto pour le Lido.
Descente du grand canal dans la nuit, dans le ronron du bateau, dont je crois encore sentir le roulis. Tous les soucis du boulot ont disparu d'un seul coup, hop, la vie est belle.

Sébastien nous attend à l'embarcadère avec son vélo.
Pizzeria tous les quatre.
S. est un garçon qui s'attache vite, vite attachant aussi, et tout troublé par sa dernière idylle avec un jeune noble italien rencontré en ville quelques jours auparavant – un garçon jaloux et compliqué que nous ne verrons jamais, et dont il parle sans s'arrêter, à la manière d'un ado de 16 ans. Comme Gille, S. fait partie de ces jeunes qui, très tôt, ont navigué de pays en pays, de poste en poste – dans la diplomatie, l'éducation ou la recherche – ces agents secrets qui ne se sentent bien qu'à l'international, ces managers apatrides qui me fascinent par leur aisance à vivre sans s'installer, avec un sens du relationnel et de l'équilibre et que je ne suis même pas capable d'avoir dans mon propre pays. C'est la pensée qui m'a traversée, alors que nous badinions gaiement autour de nos pizzas.
Il y a toujours deux niveaux de pensée en moi : celle en surface, prête à rire, à jouer, dans l'improvisation et le hasard, et l'autre, plus grave, plus composée, que je tais comme un secret, mais qui ne s'en écoule pas moins, pareille à une rivière souterraine.
Bref, nous finissons notre vin blanc, un cru local plutôt pas mal d'ailleurs, et nous atterrissons dans un bar de plage - un kiosque à bibine, des blanches de bois posées à même le sable, quelques fauteuils gonflables, un DJ derrière ses tréteaux, des diapos projetées sur grand écran - où dansent déjà des mecs mâteurs, des nanas ficelées dans du Dolce et Gabbana, et un drag-queen aussi féminin que Jacques Chirac. La nuit est tombée, nous buvons des bières, boum-boum.
Cramoisis, nous allons prendre un bain de minuit, moment sublime sous les étoiles du Sud, même si Martine se fait rapidement piquer par Dieu sait quoi.
L'eau est encore meilleure qu'en Sicile, quoique un peu plus salée peut-être.
Le mec en tee-shirt jaune qui nous scotchait depuis plusieurs minutes se décide à venir nous causer, alors que nous nous rhabillons. En revenant vers le club, je tombe dans ses bras, tiens donc, et nous nous embrassons furtivement, mais je m'éloigne de lui, je ne suis pas très emballé.
Dodo.
Le lendemain, longue promenade dans Venise, de sistere en sistere, depuis les Giardini jusqu'au Gheto. Nous nous arrêtons dans une gargote tenue par deux mâles en tee-shirts marins, un couple de latins virils, cultivant une subtile ambiguïté. Grappa, re-grappa.
S. nous laisse les clefs de son appart, et court vers la ferrovia, rejoindre son bien-aimé de Padoue. Nous continuons à errer tous les trois jusqu'à la Fonte Nuova.
Petit détour à Murano, d'où Venise paraît plus antique, plus anachronique que jamais, flottant dans des halos d'une clarté éblouissante.
C'est ce à quoi j'ai été le plus sensible finalement : toutes ces ambiances aquatiques, ces harmonies marines, ces jeux d'eau et de lumière, cette mer toujours présente, inoffensive, ni mâle ni femelle, mais rafraîchissante, rassérénante, indispensable... Un univers déconnecté du reste du monde.

Retour au Lido, retour à la plage, retour à la mer.
Retour à l'embarcadère, retour au vaporetto.
La nuit est tombée, et nous traversons la place San Marco, que je voulais quand même voir une fois.
Nous dînons dans un restau à touristes ridicule, à deux pas du Rialto, tenu par un régiment de jeunes chinoises dressées comme des petits chevaux, mais la faim nous tenaille, et les restaus ferment tôt.
Passons.
Enfin, dans un bar animé, nous commandons cet apéritif bizarre dont les vénitiens semblent friands, une boisson orange fluo au goût orange fluo, que nous allons siroter le long du canal, en rêvassant et en traînant des pieds.

Fatigué, je veux rentrer me coucher, mais une discussion s'engage avec deux jeunes Belges, le frère et la sœur, blonds comme des bières blondes, échappés des entraves parentales. L'alcool et l'épuisement s'ajoutant l'un à l'autre, la discussion fait du surplace – une comparaison entre Belges et Français si je me souviens bien, le Belge remarquant d'ailleurs que « les Français ont tendance à penser tout haut, ce dont ils pourraient généralement se passer », ce qui n'est pas mal vu – en tout cas je suis rapidement passé en mode veille, sauf que lorsque je me mets à réclamer les clefs de l'appartement, Martine me répond que oui, on y va, on y va, et comme au bout d'une heure, nous n'avons toujours pas décollé, je craque, et je les quitte brutalement, comme une comtesse scandalisée.
Rentré seul au Lido, je marche lentement le long des rues paresseuses du bord de mer, dans l'air épais, mes petits radis meurtris par les tongs, en ruminant des pensées amères.
Je les attends devant la maison. Les voilà.
Dodo.
Le lendemain, réveil tranquille, bain de midi inévitable.
Le sable est brûlant, la lumière aveuglante. Dans la mer, flottent des algues, pareilles à des nouilles, et quelques sachets en cellophane que l'on prend d'abord pour des méduses. Un Tadzio moderne s'agite sous les douches. Des grosses dames vont se changer dans les cabines en bois bleues et blanches. Des mecs bien foutus grignotent des antipasti autour d'un kiosque, au son de chansons italiennes horripilantes.


Longue déambulation dans le Dorsoduro l'après-midi. Quel labyrinthe ! Et quelle chaleur !! Prenons un verre sur une grande place à demi-déserte, que Nicole a cherché en pestant pendant une heure.
17h, je les quitte, je prends le vaporetto pour la piazzale Roma, où m'attend le car pour l'aéroport, dans un grand nuage de gazole, dans les clameurs des touristes qui se poussent pour grimper les premiers.
22h00, j'atterris à Beauvais. Dans le car pour Paris, derrière la vitre, je vois la campagne picarde qui défile, plongée dans la nuit, et quelques larmes irrépressibles me montent aux yeux - comme cela m'arrive parfois au retour de voyage - des larmes de rage parce qu'au fond je ne voulais pas rentrer en France.

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Lundi 31 juillet 2006

Au bureau, ça se précise, nous nous dirigeons vers la fin, vers la phase terminale, que je gère tout en finesse, avec un gant de velours, même si ça aurait plutôt mérité un gant de boxe.

Week-end en Bretagne, mariage de L. et D.
J'y allais sans grand entrain, car je savais que derrière l'anti-formalisme légendaire et fanatique de ce couple (les vélos bizarroïdes, la robe de mariée rose à poix verts, etc.) il y aurait une difficulté de communicationf, quelque part. Pas seulement parce que la majorité parlera allemand, et moi non – à mon grand damne – mais parce qu'il y aura du donné-à-voir, du spectaculaire.
Et puis finalement, j'ai trouvé ça sympa, parce que chacun faisait ce qu'il voulait, parlait avec qui il voulait, parce qu'il y avait beaucoup d'espace, assez pour s'éloigner du groupe et y revenir, entre deux discussions, sur ce grand terrain loué pour l'occasion, au beau milieu des champs de Côte d'Armor, entre pintades, cochons et poneys, parce qu'il y avait beaucoup de champagne sans doute aussi, et puis parce que l'ambiance était sympa, tout bonnement, malgré les averses intermittentes et les grosses araignées qui galopent sur la chemise, sous le chêne, alors qu'on est en train de mastiquer son morceau de cochon cuit pendant six heures dans le four à pain là-bas.

Véro et Anne
Il y avait des amies de L. que je n'avais pas revues depuis longtemps, voire que je n'avais encore jamais rencontrées, mais qui me connaissaient, par le récit que leur fit L. de nos ascensions pyrénéennes, jadis.

Les familles respectives de D. et L. s'étaient déplacées pour l'événement bien sûr, et c'était intéressant, que de voir oncles, tantes, cousins et cousines... ça donne une autre perspective sur les mariés.


Samedi midi, la tante de L. m'attend donc à la gare de Rennes. Nous filons dans sa voiture, direction Trégueux, près de Saint-Brieuc, pour le mariage en mairie et les discours du maire, un maire brave et bavard, intarissable, avec des lieux communs sur la démocratie, la famille et l'union entre les peuples.
Sorti d'église, après les grains de riz, on se sépare : rendez-vous au gîte rural de Carhalo, près de Broons, à quarante-cinq bornes de là. Je m'incruste dans la voiture d'un couple (avec une blonde marrante) qui, à peine parti, veut s'arrêter dans un troquet boire une bière.

« Breton, maître chez toi » peut-on lire sur des affiches collées à la sauvage, le long de la quatre-voies.
Il pleuvote. Les champs et les hangars à cochons défilent.
Ensuite, la fête. J'essaye de me rendre utile, je sers le champagne, entre deux potins avec Julien (de Magnitude) qui m'a vraiment fait rigoler, Céline, Anne, ou Veit - que je n'ai pas reconnu au début, j'avais totalement oublié son visage. Le frère de L. est là aussi, avec ses enfants. Je crois que je ne l'avais pas revu depuis l'école primaire, et pourtant son visage m'a semblé bizarrement familier lorsqu'il a surgi, comme celui du père de D. bien-sûr, qui ressemble tellement à son fils.
Je flashe sur un certain Thomas, avant de réaliser qu'il s'agit du copain de Céline.

Il y a de la musique maintenant, un groupe s'est mis à jouer sous la grande tente, mais j'ai déjà trop bu pour pouvoir me concentrer sur quoi que ce soit. Je sors. Je rentre. Tiens, on a déjà poussé les tables. Des gens dansent.

Dormi dans un affreux hôtel des alentours. Réveil avec mal aux cheveux, dans le vacarme de la patronne, qui s'active comme une furie, et qui a mis en boucle sa compil préférée de Julien Clerc. Soudain, c'est la messe. Les énormes cloches du village couvrent tous les bruits maintenant (Julien Clerc compris).


Un indigène du village
Midi, je craque, je me lève, je prends une douche, puis un café au comptoir, je fuis la patronne et ses grosses blagues, je traverse la place du village, où caquettent quelques péquenots qui viennent de sortir de l'église, et je redescends au gîte, en suivant la départementale.
Là, je retrouve les mêmes gens que la veille, mais plus calmes, comme assagis, sauf les enfants peut-être, qui gigotent encore autour de la balançoire. C'est vraiment la période enfants, cette période de la vie.
Je fais un peu de vélo-tandem couché avec D., non sans quelque appréhension pendant les premiers mètres.

Une amie de L. me ramène en voiture sur Rennes, d'où part mon train pour Paris, vers 20h (coïncidence, alors que je patiente mollement dans la gare, surgit Alexandre - ce garçon étrange avec qui j'étais sorti plusieurs fois au Full Metal - et qui revenait lui aussi d'un mariage breton, dans la famille de son copain) (son copain qu'il me présente, - je te présente machin, - salut, - salut)

Comme j'avais du temps à perdre avant le départ de mon TGV, j'ai longé la rue de la Chalotais, histoire de revoir l'appart familial de L., maintenant vendu, donné à une autre histoire. J'ai mangé un morceau, déambulé dans les ruelles commerçantes désertes, dans un état second, sans plus savoir à quelle époque je vivais, quel jour on était, quelle saison, quel mois, c'était surréaliste de se retrouver soudain dans cette ville.
J'ai bouquiné au Thabor, en luttant contre le sommeil.


Je crois que j'aurais pu me passer de ce petit détour par Rennes finalement, un peu trop mélancolique. Il m'a renvoyé à une époque lointaine, celle où je comptais pour quelqu'un, où j'avais confiance en quelqu'un, L., et cela donnait à la ville de Rennes un aura de mystère, de noblesse. Adolescents, nous vivions dans un monde plein de mystères, le monde futur, le monde de l'autre, et j'étais fasciné par l'existence de L., telle que je pouvais me l'imaginer depuis Rouen, au travers des épanchements de nos longues lettres.

Aujourd'hui, c'est le bonheur de L. et de D. que l'on fête. Je ne crois pas être jaloux, ils le méritent bien, après 10 ans de vie commune et d'efforts partagés. Mais j'en ai eu le vertige, de revoir tous ces visages d'un seul coup, tous ces lieux, toutes ces vies, tous ces couples, tous ces couples avec enfants maintenant, toutes ces vies pas comme la mienne.
Ma vie, ma vie si incomplète, si silencieuse, si monotone à côté, si vide, si dénuée d'amour et de structure, si anormale, si bancale, et depuis si longtemps, depuis le début peut-être.
A Rennes, en longeant la voie ferrée, dans l'éclairage poétique de la fin de journée, j'en suis même arrivé à me dire que seul un miracle pourrait me sauver maintenant.

Mercredi 16 août 2006

Cauchemar à Roissy.
Jeudi soir, alcoolisés, Nicole, Guigui et moi chantons à tue-tête des tubes des années 80 débiles, et puis d'un coup, comme j'évoque notre voyage à NY en novembre dernier, nous décidons d'aller rendre visite à David, dans sa demeure américaine, là bas, à Ann Arbor, Michigan. Evidemment, grâce aux billets pas chers de la Nicole, qui ne travaille à Air France que pour ça d'ailleurs – pour voler à l'œil… du moins, tant qu'il reste des places dans l'avion.
Vendredi après-midi, donc, malgré ma gueule de bois, je m'achète en vitesse un nouveau mobile, j'expédie mon RV à l'ANPE avec une cruche qui se la joue pro RH, qui veut déjà m'inscrire à des tas de mailing-lists pour des boulots tartes (mais fichez moi la paix !!), j'achète deux bouteilles de Campari pour David, je range un peu mon appart, je consulte les prix des vols Detroit - New Orleans, just in case, et puis je vais me coucher à deux heures du matin, excité et fatigué à la fois.

Le lendemain, lever à 7h du mat, pour être à 8h place de l'opéra. J'y arrive, fraîche, gai et stressé à la fois, comme avant chaque grand voyage. Il pleuvote. J'aperçois N. et G. qui traversent la rue Auber, et nous grimpons toutes les trois dans le Roissybus – because le RER il ne marche pas très bien ces temps-ci, et on n'en peut plus des miasmes humains. Des grappes de japonais sont là aussi, avec leurs tas de valises. Arrivés au terminal 2 E, à l'enregistrement, on est vite mis au parfum : « Ah, le vol est déjà bien rempli, vous savez… »
Gloups, mauvaise nouvelle, mais bon, on fait le pied de grue quand même, pendant que nos passeports sont contrôlés une fois, deux fois, trois fois, quatre fois – car la psychose terroriste bat son plein, avec les derniers attentats déjoués en Angleterre. Au bout d'une demi-heure, le chef d'embarquement nous explique que non, il n'y a vraiment plus de place en cabine, et les business sont full naturellement, mais nous avons peut-être encore une chance d'obtenir des jump seats, ces espèces de strapontins inconfortables accordés sur la seule bonne grâce du commandant de bord. Le mec passe donc des coups de fil, s'affaire partout à la fois, c'est la cohue ce matin. Mais après un moment, les écrans d'ordinateur sont formels : non, il n'y aura pas non plus de jump seat pour le cabinet Vaucouleurs. Devant notre dépit, le chef d'enregistrement propose d'essayer de nous faire passer sur le vol suivant, d'une autre compagnie, s'il y arrive. Revenez vers 11h, nous dit-il. On se pointe donc à la cafét, pour boire un café à 2 euros 50, et regarder le défilé des familles black, sur leur trente-et-un, qui rentrent au pays, à Ouagadougou, Djibouti, Yaoundé.
Je bouquine un peu, mais je commence à avoir froid, entre le manque de sommeil et les Lexomils avalés bêtement.

11h, on se radine à l'enregistrement. Ah, cette fois, ça semble de meilleur augure, ils nous filent des cartes d'embarquement, quoique que le vol soit tout aussi plein que le précédent, nous prévient-on…
Bon, maintenant, il s'agit de passer la sécurité. Tout le monde doit enlever ses chaussures, mettre des petits sacs plastiques bleus aux pieds. Fouille corporelle, interdiction de prendre des liquides avec soi en cabine – bouteilles, dentifrice, jusqu'aux crèmes de soin, tout doit disparaître en soute. Re-pied de grue. Plein de bruit, plein de monde partout. Les contrôles franchis, il nous faut maintenant gagner la salle d'embarquement, située dans une lointaine annexe de l'aéroport, en plein milieu des pistes, et pour cela emprunter un bus. Donc, bus. Arrivés dans l'annexe, nous nous dirigeons vers la porte E83, et là, grosse foule, une meute de red necks du Michigan qui regagnent leurs pénates avec des petites tours Eiffel dans leurs sacs. Mi-figue, mi-raisins, ne sachant toujours pas à quoi nous en tenir, nous les regardons embarquer petit à petit, dans l'espoir que les derniers retardataires rateront leur correspondance et que nous prendrons leur place.
Mais non, voici les derniers voyageurs qui arrivent en courant, essoufflés.
Entre-temps, nous avons appris que le vol d'AF, celui que nous devions prendre à 10h20, en fait, il est parti avec des places libres…

Il est maintenant 14h, on a faim, on en a vraiment raz le bol.
Par la fenêtre, je regarde le Boeing de la Northwest qui manœuvre pour se dégager du terminal.
Pas de voyage aux States pour nous…
On ricane bêtement, comme d'habitude, mais on est dégoûté.

Sauf qu'il reste encore à s'échapper de cette espèce de prison, où rien n'est prévu pour ramener des passagers au terminal principal. Il nous faut donc dénicher du personnel, dans ces grands locaux qui se sont soudain vidés, après le départ des vols pour Mexico et Detroit.
Au bout d'une vingtaine de minutes, un minibus arrive enfin, nous embarque, et nous zigzaguons sur le tarmac, sous le ciel gris, en compagnie d'une famille américaine, en waiting list elle aussi, et qui a été déboutée comme nous.
Voilà, le minibus se gare.
Misère, nous voilà remis dans une file d'attente, une file de voyageurs fraîchement arrivés de Genève, de Madrid et de je ne sais où, qui arrivent en caquetant, ravis de leurs vacances, et avec lesquels il faut refaire la queue pour passer la douane, et ressortir, comme des cons.
Voilà, bonjour monsieur, passeport, machin.
Et nos bagages ?
Oui, nos bagages, avec nos précieuses bouteilles d'alcool à l'intérieur… La bouteille de champagne, les bouteilles de Campari… En miettes ?

On appelle des ascenseurs, on descend des escalators, on franchit des portes coulissantes, pour enfin trouver le tapis 33, le tapis des malchanceux.

Le tapis est vide évidemment, à part une pauvre petite valise abandonnée qui tourne indéfiniment. On nous dit d'attendre, donc on attend, on commence à avoir l'habitude. Nicole passe des coups de fils frénétiquement, cherche un plan B, tient absolument à s'incruster quelque part pour ce long week-end du 15 août. Mais tout le monde est déjà parti. Ou alors le temps est dégueu, comme partout en France.

Bon, le tapis s'est arrêté de tourner, et nos sacs à dos n'ont toujours pas réapparu.
Au comptoir bagages, nous tombons sur deux personnes débordées, qui gèrent un staff lointain et injoignable et des clients dépités à la recherche de leur bien. Car il y a les bagages perdus du « Lomé », ceux du « Cincinnati », qui sont malheureusement « repartis au QSE », et puis il y a la précieuse valise de ce monsieur important, là, un fâcheux qui s'échauffe, qui menace d'écrire à la direction, parce que, dans la zone dont il est responsable, aux USA, ça ne se passerait jamais comme ça, et bla-bla-bla. Et ça téléphone, ça téléphone...
Un type dort sur un fauteuil, rêvant à ses valises sans doute, en rade quelque part dans une lointaine galerie de Roissy.
J'écoute ce qui se raconte, il paraît qu'une partie du terminal a été évacuée tout à l'heure, qu'un bagage suspect a été détruit.
Au bout d'une heure, on nous annonce que nos affaires viennent d'être acheminées, et j'aperçois en effet mon sac à dos rouge qui avance sur le tapis, l'air coquin, comme s'il s'était fait la belle et qu'on l'avait rattrapé. Des flics se pointent et demandent aux gens du service bagage s'ils n'auraient pas par hasard les affaires d'un monsieur trucmuche, fraîchement débarqué de Damas - un terroriste sans doute.

Nous retraversons tous les couloirs, nous doublons tous ces gens qui ont de vrais billets pour de vraies destinations. Nicole s'en grille une dehors.
Et puis nous nous dirigeons vers la gare de RER, où nous attend un direct – une chance – et nous nous affaissons sur la banquette, épuisés comme après un véritable voyage transatlantique. Finalement, à 17h30, je suis dans les rayons du Monoprix République, à m'acheter un peu de piquette pour noyer mon chagrin, pour oublier ce voyage raté, j'étais tellement content à l'idée de repartir aux Etats-Unis…

Mardi 22 août 2006

Week-end à Gruchy.

Temps mitigé, incertain, océanique. Les papiers qu'on laisse traîner dans le gîte se ramollissent avec l'humidité. A 10 heures du soir, l'air est frais, et il faut se couvrir, quel que soit le temps.

Je me suis fait tout plein de réflexions dans le train, sur le poids du passé, la difficulté à aller de l'avant. Ainsi, je ne suis pas le seul à me caler dans mes souvenirs : mes parents ont découvert la Hague au début des années 80. Ils ont essayé plusieurs gîtes ruraux, celui du hameau Thiébot, de Saint-Germain-des-Vaux, de la Roche, avant de se fixer à Gruchy, où ils viennent chaque été depuis 1983. Je crois qu'ils ne pourraient plus se passer de cet endroit aujourd'hui.
Et même, depuis quelques années, c'est comme si quelque chose s'était figé, que la belle époque était derrière nous, l'époque où toute la famille était réunie, où des chats comme Calypso, Iris, ou Opale étaient encore de ce monde et nous accompagnaient encore en vacances. Je suspecte mes parents de nourrir un peu ce regret, cette nostalgie, quoiqu'ils n'en disent rien.

Ce qui a bien changé en revanche, par rapport à autrefois, c'est que mes parents se lèvent tôt le matin, et moi beaucoup plus tard.
S. a changé elle aussi. Elle s'est refermée, je la sens plus loin de moi aujourd'hui, ça m'attriste un peu. Malgré son appart dans le centre de Rouen, c'est comme si elle vivait de nouveau avec papa et maman maintenant, tellement elle s'est recalée sur eux ; comme si elle avait réintégré le cocon familial, comme une enfant. Elle n'a plus d'attention que pour son chat, dont la moindre absence l'inquiète, à qui elle parle en permanence, comme à son bébé. Je ne sais pas si elle prendra un jour conscience de cette immaturité affective, de cet espèce de magnétisme maternel en miroir que je fuis autant que je peux.

Papa a dit qu'il rêvait beaucoup à Gruchy. Moi aussi. Dans la voiture, dimanche en fin d'après-midi, alors que nous faisions le tour du cap de la Hague, je luttais contre le sommeil. Des images informes, des ébauches de rêves absurdes surgissaient en moi à peine je fermais les yeux.

L'odeur des ronces et des fougères, rincées par les averses, l'odeur des bouses de vache, qui se dissolvent sur le macadam.

Anniversaire de papa. « Tu as l'âge que j'avais lorsque tu es né » me dit-il.

Il y a toujours la Presse de la Manche, le canard du coin, avec ses concours de vache, sa journée fruits de mer à Portbail, au succès « toujours grandissant », ses stands de poterie à St Sauveur le Vicomte, son salon des antiquaires à Barfleur, et son élection de Miss Normandie à Valognes – avec la participation de Mme de Fontenay, attention.

Dimanche midi, moules-frites à la guinguette d'Omonville-la-Rogue, sur le port. Le ciel s'est éclairci, soudain tout s'illumine de bleus intenses.
Derrière notre table, il y a une famille de petites gens qui déjeunent, et une voix de femme qui s'exclame : « Nos hommes, lorsqu'on les nourrit avec du poisson à midi, à trois heures ils ont faim ! »

Promenade depuis la hanse des Moulinets jusqu'au nez de Jobourg. Petite pluie sur la route au retour.

Je suis rentré lundi, par le Cherbourg-Paris de 16h47. Cherbourg sous la pluie, c'est pire que mortel. Avant de prendre mon train, j'ai flâné au musée. Il y avait une expo d'un dessinateur de BD, un certain Juillard, et puis les inévitables toiles de Millet, évidemment.

En fait, j'aime bien cette région, mais j'y suis rapidement mal à l'aise. C'est la présence de mes parents qui me rappelle trop de souvenirs, je n'arrive pas à dépasser cela.
Je dois supporter trop de réminiscences, des trucs complètement absurdes d'ailleurs, comme ce théorème de Cauchy qui m'est revenu en tête dimanche matin – une lointaine réminiscence de mes études scientifiques.

Encore que Cauchy – Gruchy, il y a comme une proximité phonétique, c'est peut-être pour ça.
L'été 1992, c'est le dernier été où j'ai fait la totalité du séjour avec mes parents : 3 semaines, 3 semaines dans ce hameau isolé au bout du monde. Les années suivantes, j'abrégeais, et je rentrais à Rouen rapidement, en voiture ou en train.
Trois semaines, un véritable cauchemar. Au bout de deux jours je n'en pouvais déjà plus. Comme j'entrais en prépa HEC (une brillante idée), j'avais une liste de lecture à digérer : Platon, Bergson, Diderot, François Jacob, des trucs du genre. Je somnolais sur la plage, avec Phèdre entre les mains. Dans le vent, dans les grains de sable, sous les gros nuages menaçants.
Qu'est-ce que j'ai pu perdre mon temps dans les années 90, c'est incroyable.
Dire qu'il m'a fallu tout ce temps pour arriver au point où j'en suis, c'est-à-dire pas très loin.

Parfois je me dis : c'est comme si quelqu'un en moi ne se satisfaisait pas de sa condition, ne se contentait pas de ce dont se satisfont les autres gens, et réclamait davantage. Je ne sais pas bien quoi d'ailleurs. Mais comme je suis une mauviette, ma passivité me traîne en arrière, et je reste malheureux, au point que j'ai l'impression d'avoir encore moins que les autres, sentimentalement surtout. Bouh, comme c'est triste, comme je suis à plaindre.


Samedi 9 septembre 2006

Pas grand chose.

Dimanche dernier, j'ai vu JC et son copain B. à la Guinguette Pirate, où officiaient des DJs survoltés, d'un obscur petit label électro.
Corps alanguis sur les transats, visages blasés et bronzés, bavardages légers en petit coin, bref, des attitudes assez parisiennes, qui m'ont tout à fait convenu, parce que c'était tranquille et en plein air, et je n'avais nul besoin de plus, en ce dimanche de pré-rentrée.
Enfin, moi, la rentrée, vu que je ne fais rien...

Hier soir, chez Iannis et Laetitia, qui avaient mijoté quelque chose d'excellent, du veau au bacon je crois, avec une purée de carottes épatante. +herbe, +picole.
Les débats politiques sont allés bon train du coup.
Mais franchement, comme c'est épuisant, cette tendance autour de moi, à vouloir démontrer qu'on n'est victime d'aucune manipulation.
Zut, si on a des convictions politiques, des vraies, alors, qu'on se les garde pour les élections et puis voilà. Pas la peine de pinailler des heures. On est socialiste, on va voter socialiste, point.
Car les plus malheureux dans cette histoire, finalement, c'est nous, la classe intellectuelle de gauche, qui ne se retrouve dans aucun des deux candidats, par trop populistes, nous – cette élite qui, plutôt que de s'avouer qu'elle ne se reconnaît ni en Sarko ni en Ségo, tente de démontrer que c'est la France d'en bas qui est manipulée. Victime des stratagèmes, des média, des idées courtes.
Ce n'est sans doute pas faux, mais il n'y a rien de nouveau sous le soleil non plus.

B. et JC.
Alors, quelque part, c'est vrai que c'est agaçant, ces faux débats médiatiques, étouffés par la méfiance et l'orgueil de chacun, cette absence de pertinence, de sagacité, cette absence de propos aussi subjectifs et engagés qu'affranchis de la peur de se tromper, ou d'être trompé.

Je suis tombé sur des vieilles interviews de Françoise Giroud l'autre jour. Quelle lionne, surtout lorsqu'elle cesse de sourire et qu'elle se met à ressembler à une institutrice sévère, mais une lionne au discours juste et équilibré, le discours de celle qui en sait un peu plus sur le discours que les autres précisement, consciente de la place qu'elle y occupe. Je ne sais pas si ses bouquins sont à la hauteur de sa parole, mais j'aime bien sa manière de s'exprimer en public, élégante, convaincue et détendue (elle me rappelle mamie, dans l'élocution). Et puis il y a ses prises de position bien sûr, son honnêteté intellectuelle, sa pensée très en alerte - surtout dans les années 60 et 70, peut-être moins après - qui tranchent avec son indéfectible look de bourgeoise.
En tout cas, certaines émissions de l'ORTF que j'ai visionnées sur le site de l'INA m'ont paru presque plus intéressantes, plus pertinentes que ce qui est servi aujourd'hui à la télé, c'est étonnant.
Ou inquiétant.


Jeudi soir, chez Nath.
Lundi soir, le dernier Ken Loach, un peu trop violent pour moi, mais très bien par ailleurs. M'étonne pas que les Britanniques ignorent l'œuvre de ce cinéaste, trop doctrinaire, trop redresseur de tort pour eux. A contrario, et pour les mêmes raisons, il n'y a rien d'étonnant à ce que certains Français l'apprécient.
Mercredi soir, cours de chant.

Y'a de la rentrée dans l'air
Découvert un nouvel album d'Ulrich Schnauss, que j'adore. Sa musique m'évoque des espaces pleins d'étoiles, des paysages cosmiques et voluptueux.


J'ai fais une série de rêves oppressants, dans la perspective de mon départ de la rue du Temple. Il se pourrait en effet que je reprenne l'appart de N. et G. (je croise les doigts, touche du bois, fais des vœux). Du coup, je rêve des rideaux rouges (maintenant oranges-crasses) que j'ai installés ici lorsque je suis arrivé en août 2000. Je rêve de la maison de mes parents, du temps de leur emménagement, quand j'avais un an.

Un rêve érotique aussi : toutes les manœuvres que nous organisons dans le but de récupérer l'appart de la rue Vaucouleurs, tous les plans que N. et G. élaborent pour s'installer à temps dans leur résidence des Lilas, le récit de leurs travaux, des avances et des retards accumulés par leur entrepreneur, tout cela prenait la forme d'un plan cul dans mon rêve. Je veux dire, c'était comme une gigantesque partouze, en continu. Oh, il n'y avait pas de protagonistes ou de situations bien définies – aussi loin que je m'en souvienne en tout cas – il n'y avait que ce rapport signifiant, qui se déroulait comme un ruban dans ma tête : la jouissance / le désir. On met des choses en place dans sa vie, on suit son désir, et on en jouit. Mais cette jouissance n'est pas dite comme telle, elle ne se manifeste pas comme elle le fait dans la sexualité, corporellement. Et puis elle est discontinue, fragmentée : elle ne se ressent qu'à mesure que l'on avance ses pièces, à mesure que l'on construit sa vie, brique après brique, dans un grand tableau, une vaste fresque. Pour autant que l'on ait de quoi jouir de sa vie, naturellement.
Au sortir de ce rêve, ça me paraissait très limpide, cette histoire. Evidemment, maintenant, raconté ainsi, ça paraît un peu tordu.

A propos d'horreur... (le masque ayurvédique de Nath)
Et puis un rêve affreux cette nuit. Je suis assis dans le salon chez mes parents, près du téléphone. La pièce est sommairement meublée, comme à la suite d'un emménagement, et faiblement éclairée – à la lueur d'une petite ampoule, ou d'une simple bougie peut-être. L'angoisse m'envahissait chaque fois que je songeais aux ténèbres qui nous entouraient. Il était évident que si je devais m'y aventurer, je serais aussitôt aspiré, happé, haché menu par je-ne-sais-quoi, charcuté comme un poulet. Bref, une angoisse infantile très intense, liée au noir, et au fait de se retrouver seul dans le noir, tellement intense qu'à peine j'y songeais, à peine je me réveillais, paralysé d'horreur.

Ces ténèbres représentaient certainement de nombreuses choses pour moi. La mort, déjà. Le psy dirait la castration, j'imagine. Moi je dis : la mort.
Ou plutôt, ce qui m'entrave et m'effraie dans la vie aujourd'hui, je dois pouvoir le ramener à cette angoisse, il y a comme un cheminement, un sentier oublié qui m'y ramène.
Enfin, je suppose.
J'ai du mal à croire que l'homme ait de multiples sources d'horrification, je suis plutôt tenté de penser qu'il en nourrit une ou deux, bien bonnes, originelles, dont tout le reste de ses tourments découle.

Dimanche 24 septembre 2006

Les chats ne travaillent pas, et ils ont bien raison
Je me rends à des entretiens de recrutement pour soulager ma conscience, mais je m'y invente surtout des désirs que je n'ai pas. Ou des désirs qui ne durent guère : au bout de cinq minutes déjà je suis en train d'élaborer un élégant et courtois pipeau pour réchapper de ce traquenard dans lequel je me suis moi-même fourré, parce que je ne sais pas dire non.
Du coup je fais des « oui », je lance des « ah », je prends des airs impressionnés lorsqu'on m'annonce des chiffres épatants.

Jeudi, j'avais rendez-vous avec une société qui pond des sites internet pour le secteur des assurances, et son monde vénal de courtiers grouillants. « Pour les plus gros comptes » me précise d'emblée le chef de projet que je rencontre dans une salle de réunion un peu en désordre, à moitié en chantier, comme on en trouve dans ces PME qui se sont mises des stratégies en tête et qui enflent subitement, comme des gros zizis, et qui rachètent tous les locaux qu'elles peuvent aux alentours. Ces PME qui gonflent et puis qui se ratatinent…

Le 17ème ? No way
En tout cas, je déteste le 17ème arrondissement, ses quartiers chics particulièrement, et je trouve le monde des assureurs assommant. Telle est la réflexion fine et élaborée que je me suis faite pendant l'entretien, tandis que le type me baratinait, diagrammes et schémas fonctionnels à l'appui.
Il n'était pas foncièrement méchant, le gaillard, à dire vrai, mais les assurances ne me passionnent pas. C'est depuis cette expérience à Brest, à l'automne 2002, quand j'avais été catapulté seul en mission dix jours durant dans une sombre filiale d'un gros cabinet d'assurance, en banlieue brestoise, le long de la voie rapide, à deux pas de l'hôtel Ibis, là, dans un vaste bâtiment, froid et fonctionnel comme un aéroport, où un manager teigneux et méchant faisait souffrir un pauvre développeur d'une quarantaine d'années, que j'étais censé épauler et guider dans la mise au point d'un intranet comptable, un projet triste à mourir.

Bon.
Vendredi, il s'agissait d'une société de services, fière de ses « 20 ans d'expérience » et de toutes sortes d'autres choses. La chargée de recrutement, à la fin de l'entretien, a voulu que je rencontre un chef de projet technique. Elle en a pioché un au hasard dans les bureaux, un petit gars frais et dispos, aimable et sérieux, en chemise bleu-pacifique, dont le visage portait l'assurance des jeunes ingénieurs consciencieux, de ceux qui ont les pieds sur terre et qui ne doutent de rien, en tout cas pas d'eux-mêmes. J'ai donc fait mon numéro comme j'ai pu, en me frottant à ses mollets en ronronnant, comme un gentil petit chat, alors que je m'en fichais pas mal, de sa technique web.

Surtout, il faisait chaud, mon pantalon me grattait, et la cravate m'étranglait.

Au parc Monceau
C'est donc soulagé que j'ai quitté leur immeuble hausmannien du 9ème arrondissement, chic et moderne, en espérant qu'ils m'oublieraient.
Et puis à la station Strasbourg St Denis, au détour d'un couloir, je suis tombé sur un garçon qui ressemblait singulièrement à cet ingénieur que je venais de quitter : même physique du sud, brun et mat, même silhouette juvénile, fine et concentrée. Sauf que lui jouait du violon, avec la coupelle de piécettes à ses pieds.
Emporté par le flot des voyageurs pressés qui galopent dans les couloirs du métro, je n'ai pas eu le temps de me retourner pour lui donner un petit quelque chose (un bisou ?), histoire de soulager ma conscience de con de chômeur d'informaticien dégoûté, ravi d'entendre s'exprimer un peu de sensibilité dans un monde de brutes… et puis, enfin, zut, je ne sais plus trop où je veux en venir avec tout ça, tout ça qui n'est pas très intéressant de toute façon.
Sinon que voilà, ça me barbe, ces histoires de boulot, d'informatique, d'argent, encore et toujours !
Je me sens inutile à la société, et à quiconque. A jamais puéril. Si encore j'étais femme au foyer, amoureuse et dévouée...

Je regarde la nuit lentement tomber, le cœur étreint par une tendre mélancolie que je n'arrive pas à chasser
Le bail de l'appart Vaucouleurs est signé, c'est cool, je devrais y emménager début novembre.
Quoi d'autre ? Oh, une nouvelle horrible : maman s'est perforée le tympan gauche avec un coton-tige à Gruchy. Heureusement, il paraît que les tissus se reforment, et elle m'a dit qu'elle commençait à réentendre de l'oreille. L'idée que ma mère puisse tomber malade ou être handicapée m'est insupportable.
Sinon, il y avait soirée chez Astr. et Erw. hier soir. J'ai passé mon temps à réflechir sur la manière dont je referais la déco de leur appartement.
De courtes promenades dans Paris.
Des siestes pesantes et repues, après mon déjeuner de 17 heures : je m'affale sur le matelas, incapable de demeurer assis plus longtemps, et je m'assoupis avec un nounours dans les bras, Christopher ou Babar. Et une musique paisible en fond, le dernier album de Kate Bush par exemple, celui avec les chants d'oiseaux, dont j'aime bien les chansons languides.

Cela fait longtemps que je ne suis pas sorti en boîte, mais je crois que je commence à en avoir envie de nouveau. L'autre soir, avec N. et G., on était presque sur le point d'aller au Tango, mais on s'est rabattu sur les neuf billards...

Un verre avec Jeroen
Il faut juste que j'arrive à mobiliser assez d'énergie, assez de volonté, vers une heure du matin, pour m'extirper de la douceur de mon studio, de ma tanière chaude et rassurante, pour me projeter dans la nuit, dans la nuit parisienne, avec ses taxis qui roulent à toute vitesse, ses silhouettes mystérieuses qui rasent les murs, ses fous qui parlent tous seuls, ses touristes qui cherchent des taxis, ses poubelles renversées, ses SDF coincés dans les renfoncements les plus exigüs, les plus incongrus. Et puis avec ses gens comme moi, qui avancent d'un pas décidé, qui se jettent un regard furtif, qui se croisent, et qui disparaissent comme par enchantement.

Lundi 2 octobre 2006

L'autre jour, deux femmes d'une quarantaine d'années ont sonné ici. Elles voulaient partager une parole de Dieu avec moi. Mais avant même que je n'ouvre la bouche pour les houspiller, les voilà qui ajoutent : « Et, la question de la création du monde, vous... vous êtes au courant ? »
Par hasard, il se trouve en effet que j'étais tombé sur une émission de télé quelques jours auparavant, donc j'étais au courant de ce débat créationnisme contre darwinisme, une controverse surréaliste qui ferait des ravages actuellement aux Etats-Unis. Je leur ai répondu que j'étais très surpris qu'on vienne sonner chez moi pour me poser une pareille question. Comme il ne se dégageait de leurs visages nulle méchanceté, mais juste une aimable, une douce, une profonde sottise, je me suis contenu, je me suis excusé, et je leur ai souhaité bon vent.
L'obscurantisme frappe à ma porte, c'est incroyable. Il faut vraiment que des gens soient très inquiets de ce qui se passe sur terre aujourd'hui pour qu'ils arrivent à faire vivre en eux une telle vision du monde. La dénégation, comme processus de régression. Bon, ce n'est pas nouveau. Mais quand même. Où est le refoulé dans l'histoire ? La terre se réchauffe, les eaux montent, et bientôt Noé va arriver, c'est ça ? Ou bien s'agit-il encore de ces terroristes arabo-musulmans-sino-indiens qui vont tous nous envahir et briser nos icônes ?

J'ai mangé avec Dirk et un copain à lui, une sorte d'associé, près des Buttes-Chaumont l'autre soir. J'en ai profité pour déverser toute ma bile concernant CS - CS où je continue d'ailleurs à m'introduire incognito, en pleine nuit, grâce à une back-door que j'ai réussi à agrandir, pour ma plus grande joie de hacker en herbe. Je lis les comptes-rendus de réunion, et je ris sous cape, en fomentant des plans machiavéliques que je ne mettrai jamais en œuvre.

Surmontant ma gêne, j'ai réussi à choper la voisine du dessus à propos de son chat. Elle m'a dit qu'elle réintégrerait son appartement d'ici quelques semaines. Ouf ! Je respire ! Pas comme son petit copain d'ailleurs, lequel est asthmatique, d'où ce pauvre chat abandonné pendant des mois dans un appartement vide.

Nicole et moi attendons qu'on nous ouvre
Le week-end dernier, j'ai bu chez N. Je ne me souviens pas de grand-chose, sinon qu'il y a eu de vains débats de science-potards, avec Cyrille et des amis à lui. Cyr. mettait des photos de JC Gaudin en fond d'écran, ce qui était assez drôle. Ils ont fini par tous partir. Alors N. et moi sommes montés dans le vingtième chez un type qui fêtait son anniversaire. Nous avons erré dans les escaliers déserts d'un immeuble inconnu. Mais point d'anniversaire. Alors nous sommes redescendus dans un squat – la Générale – où nous avons certes remis la main sur celui qui fêtait son anniversaire, mais où les squatters, succombant à un instinct de propriété déplorable, nous ont fort mal reçu, et nous ont tous mis dehors. Scandale. Et puis la bouteille de vodka avait fui dans mon sac.
Ça a papoté longtemps dans la rue, mais je ne me décidais pas à rentrer.

Aujourd'hui, petites courses sous une fine pluie d'automne.
Le préavis est enfin déposé pour mon logement rue du Temple. Avis aux amateurs ! Un studio de 25 m2 sera à louer début novembre, encore tout plein de mes fragrances.
Ça me fait drôle, penser que je vais quitter ce studio, où j'ai vécu plus de six ans quand même. Comme si j'étais déjà nostalgique.
Mais je sais que serai mieux là haut, chez les prolos.

Jeudi 12 octobre 2006

Rouen
A Rouen pour l'anniversaire de Maman.
Lundi après-midi, j'ai pris un café à la Lycorne, tenu par l'inébranlable Mireille, qui vieillit à peine, et se souvient encore de mon prénom. Nous continuons à nous vouvoyer, fidèles à un rapport fait de distance et de respectueuse civilité.
Le soir, j'ai mangé chez S. C'était un lundi maussade d'octobre, et j'avais froid. Ma sœur m'a raconté une histoire affreuse qui lui est arrivée cet été – le suicide d'un mec qu'elle venait de larguer. J'étais atterré. Mon Dieu, des années qu'elle est seule ; un jour elle veut essayer, mais rapidement ça ne marche pas, alors elle renonce, et voilà, le drame survient. Elle a pu rencontrer la famille du mec, mais elle s'est effondrée aux funérailles, écrasée par ce que je suppose être un violent sentiment de culpabilité, ainsi qu'une impression d'absurdité et de gâchis complet. C'est injuste, et je crois sans peine qu'elle a traversé une passe horrible.
Peut-être que cela lui servira cependant. Je veux dire, que peut-il nous arriver de pire, à nous, rejetons rongés par la culpabilité, que cela ? Tout du moins, si elle parvient à dépasser cette épreuve – et heureusement qu'elle voit G.

Les jouets anciens de papa, les cours d'anglais de maman
Du coup, en l'écoutant, je m'interrogeais sur l'amour. Quel amour ? L'amour, est-ce que cela existe seulement en soi ? Parfois je me dis qu'il faut quelque chose d'autre pour qu'il survienne – une situation difficile, une détresse, un manque, un abandon, une perte, comme si on n'avait pas le choix. C'est ce que je disais à ma sœur : comment pouvons-nous aimer les autres, si l'amour indéfectible de nos parents nous lie entre nous, jusque dans la honte et la culpabilité ?

La nuit suivante, j'ai fait un cauchemar. Des gendarmes étaient éparpillés dans une cour. Une silhouette a surgi. Je sentais qu'il s'agissait d'une personne dangereuse, qui allait tuer d'autres gens. Il fallait donc l'abattre – car c'était lui ou nous. Vite. J'ai vu le canon d'une arme le pointer, et il y a eu une grosse détonation. Quelqu'un d'autre avait observé la scène, un homme qui semblait aussi horrifié que moi. Alors je lui ai donné ma main, pour le tranquilliser. Il l'a prise, l'a mise dans sa bouche, et j'ai senti ses dents se refermer doucement sur mes doigts.
C'était comme si j'avais mis ma main dans un squelette. Je sentais l'os.
Je me suis réveillé en sursaut.

Les jeunes filles d'aujourd'hui...
(je voulais prendre des garçons évidemment, mais c'est tout ce qui s'est présenté)
L'interprétation est trop difficile, trop multiple. Cet homme qui observe la situation pourrait être ma sœur, car il était aussi ému que je l'étais, ce lundi soir (mais pourquoi un homme ?). Cet individu dangereux pourrait représenter ce pauvre garçon qui s'était suicidé (en écoutant le récit de ma sœur, une pensée délirante m'avait traversé l'esprit, à savoir que ce mec aurait pu tuer quelqu'un dans sa jeunesse, un acte gardé secret dont il aurait tiré culpabilité et masochisme morbides). Les gendarmes renvoient à l'un de mes fantasmes érotiques bien sûr, ainsi qu'à une forme (idéale) de justice et de protection. Les dents, l'os, matières minérales, symbolisent ce que nous devenons tous, notre devenir en général. Mais ils pourraient représenter aussi la structure, l'aspect caché des choses.
L'atmosphère générale était identique en tout cas à celle du récit de ma sœur : un sentiment de désolation et d'horreur devant la mort brutale de l'autre.

J'ai des idées vraiment sombres actuellement…

En gare de Rouen
Mardi, mangé avec Fr. Je l'ai traîné à la brasserie du Dieppe, qui est devenue un truc cher et prout à la suite d'un changement de propriétaire – je m'en suis rendu compte lorsque j'ai commandé un « Francfort-Frites » et que la serveuse, serrée dans son petit costume, m'a répondu doucement, presque avec pitié : « - Un quoi ?? ».
Mais passons sur ces détails futiles.

J'avais du mal à être enjoué. Pas seulement à cause de ce que S. m'avait raconté la veille. Pourtant c'était chouette de revoir F., qui m'a donné des nouvelles des anciens objecteurs de la fac. Je me suis imaginé sa vie à lui, avec son copain, son chien, son boulot dans les écoles. Je n'étais ni dans le jugement, ni dans le regret, j'étais juste un peu ailleurs. Je me serais senti ailleurs avec n'importe qui de toute façon.


Lumière du matin
Solaris passait à la télé hier soir.
L. m'avait emmené le voir une fois, mais j'avais totalement oublié l'histoire. Même cette idée d'un océan-conscience, pourtant édifiante, je l'avais oubliée. C'est un film lent, inquiétant et beau. Tarkovski présente l'amour comme d'essence humaine, et, finalement, comme ce qui amadouera le non-humain, et le sauvera. Si le questionnement moral et l'angoisse mystiques sont omniprésents, le sentiment religieux en tant que tel est écarté, presque hors-sujet. Il n'est pas fait référence à Dieu, il n'est question que de conscience – et c'est tout aussi bien.

Il y a un prélude poignant de Bach, des visions bucoliques d'un étang, des gros plans d'une toile de Brueghel, représentations à la fois de l'ancien monde, de la beauté du monde terrestre, de sa permanence par delà les siècles, et de l'inscription de l'homme dans cet ordre terrestre.
« Nous avons perdu le sens de la cosmologie » dit l'un des acteurs à un moment donné.

J'aime bien me laisser bercer par de telles méditations, surtout actuellement.

Non que je sois en quête de sens – malgré toute l'attention que je porte aux symboles – mais des questions viennent à moi, spontanément. Parce que mon désespoir et mon vieillissement font de la place en moi pour ce genre de réflexions. Parce que je me sens seul. Parce que je suis lassé du simplisme des choses que je perçois ici ou là. Ce que je lis dans les journaux, par exemple, me semble si éloigné de ce que je ressens. Ce que la société attend de moi est si éloigné de ce que j'attends de la vie. Je dois jongler avec des ordres différents. Oh, comme tout le monde, me dira-t-on, sauf que je n'ai pas – je n'ai plus – la faculté de dissoudre mes peines dans le plaisir, dans l'univers leurrant et satisfaisant du cul. Pas aujourd'hui en tout cas. Je me trouve désespérément moche, dégoûtant, et attirant pour personne. C'est pourtant sans doute ce dont j'ai le plus besoin, éteindre mon désir – ou le nourrir.

Hier, lorsque Jeroen m'a demandé de me regarder dans la glace (pour me montrer que ma mâchoire bouge de trop lorsque je vocalise), je suis resté terrifié : mais quelle horreur, comment puis-je attirer quelqu'un, avec cette allure chétive, cette peau grasse, ces cernes et cet air con ?

A part ça, les visites de l'appart se succèdent, vivement que ça soit fini.

Je fais des promenades nocturnes.

Comme celle de la nuit blanche, le week-end dernier. Monsieur Tout-le-monde était de sortie. On se promène avec son plan, son plan et sa liste de commentaires bidons sur les installations, on ne sait pas où aller, on arrive, il faut faire la queue, on passe son chemin, et on rentre se coucher sans rien avoir vu.

Samedi 14 octobre 2006

Avant-hier, chez Olga, pour fêter l'arrivée de la grande David. C'était sympa de le revoir. Moi j'avais l'impression d'être une pièce rapportée. Ce qui ne m'a pas empêché de boire. Lorsqu'on commence à douter de son entourage, à tort ou à raison, il n'y a que ça à faire de toute façon. Leur siffler du vin, au moins, ils servent à quelque chose.


Hier, au Pulp, tout seul. Bien au début, le DJ a rapidement épuisé son stock de galettes, et c'est devenu pénible. Les brochettes de goudous, sur les sofas, certaines sont tellement masculines, que je me dis : « Mmm… pas mal le mec ! » et puis je dois déchanter, ce n'est pas un mec.

Infatigable ?
Aujourd'hui, un gentil skin est venu me rendre visite. Gentil, c'est à dire que c'était d'abord un style. Mais ils sont raides et tendus comme des arcs, physiquement, les skins. Pas du genre à faire des pointes en tutu.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas couché avec un mec ; en revenant de chez Nicolas tout à l'heure, avec mon pinard dans mon sac en plastique jaune, je me suis dit que nous en avons tous besoin, parce que – même lorsque la prestation est ratée, ou pas formid – nous recevons au moins notre dose d'altérité, en nous abandonnant.

Ce soir, je me suis brûlé la langue avec une crêpe au jambon, et je crois que je ne vais pas me coucher trop tard.

Jeudi 26 octobre 2006

Au Baron
Lundi soir, avec Nicole, Marteen et David, on s'est aventuré dans un club du 8ème arrondissement, le Baron, avec belle moquette rouge et gros videurs à l'entrée. Un copain de Nico y chantait des compos au piano.
Ambiance jeune, mais clean et select : la clientèle sirotait avec componction des cocktails autour de petites tables basses, dans une lumière tamisée. Les filles, bien habillées et sûres d'elles, chuchotaient à l'oreille de mecs blasés et stylés.
Un habile mélange de prépa HEC et de branchitude.
Et donc nous voilà, les prolotes de l'est parisien, qui débarquons, en faisant des yeux écarquillés, et en se demandant si nous avions vraiment le droit d'être là.
Un type est monté sur scène, et s'est mis à chanter comme une casserole.
Je buvais ma Heineken tranquillement, dans mon coin. Le copain de Nico est arrivé et a pris le relais au piano. A mesure qu'il jouait, cependant, des gens ont fait irruption au bar, en grand nombre, et le bruit ambiant a augmenté, augmenté, si bien qu'à peine le récital terminé (pas mal d'ailleurs, une espèce de soul-blues plutôt reposante), on a entendu des tubes de rock gonflants sortir des enceintes à tue-tête, tout le monde s'est rué sur la piste de danse, comme le premier jour des soldes chez Vuitton, des bouteilles de champagne ont surgi des tables, des filles se sont mises à trébucher dans les sofas tellement elles gesticulaient, un mec hurlait « Les ..a…o ! Les ..a…o ! », c'était l'hystérie générale, en l'espace de 10 minutes. David et moi on s'est regardé, et on s'est demandé ce que le mec pouvait bien dire. Moi j'entendais « Les cathos ! Les cathos ! » mais lorsqu'on a vu surgir un énorme gâteau au chocolat recouvert de bougies scintillantes, on a compris qu'il disait : « Les cadeaux ! Les cadeaux ! ».
Bon, bref, la fille a soufflé toutes ses bougies, super, et puis les tubes de rock versaillais ont repris de plus belle (parfois entrecoupés d'un soupçon de Madonna, comme une bouffée d'oxygène), laissant la chic-frénésie s'emparer de nouveau de la piste de danse : cheveux soyeux virevoltants, chemisiers Cacharel chatoyants, tee-shirts Joy Division merveilleusement repassés, boucles d'oreilles Cartier épurées, polos branchés en jersey, paillettes discrètes sur les pommettes, et débardeurs Agnès B moulés autour de petits seins de bourgeoises, durs et remplis d'insouciance.
En fait, il paraît que c'était l'anniversaire du producteur de Daft Punk. Ou de Air, je ne sais plus.
Marteen et Nicole ont été danser quelques minutes, histoire de se prouver qu'elles peuvent faire ça n'importe où. Et puis on en a eu marre, alors on est rentré. On a descendu les Champs-Élysées, on a suivi les quais. Dans la voiture, quelqu'un a demandé « – Mais quand est-ce que ces gens-là travaillent ? », et quelqu'un d'autre a répondu : « Ces gens-là ne travaillent pas. »
Sur quoi on a roulé en silence jusqu'au boulevard de Sébastopol, avec ses papiers gras et ses sacs en plastique, jusque chez nous, quoi.

Dernier snackis-purée dans mon studio de la rue du Temple
Le lendemain, à l'OPA, à Bastille – c'était le concert de George le Grec. Autre ambiance : blousons en cuir, bonne bière et gros rires. Ça parlait grattes. Sauf la Nicole, qui parlait de son chantier aux Lilas, qui part à vau-l'eau. Antoine, le patron de CS, a surgi et m'a dit bonjour, je ne m'attendais évidemment pas à le trouver là. J'ai aussi aperçu un petit mec mignon, perdu au milieu de tous ces rockers-indé-hétéros, mais il est reparti avec un copain.


Samedi, soirée à l'atelier. J'étais plutôt de bonne humeur, pour une fois. Certains jours, cependant, je me sens mal, mais mal, je m'imagine me suicidant. Je me précipite du haut d'un immeuble. Je me jette sous un métro. Je plonge dans la Seine. Enfin, enfin plus rien.
Et puis l'instant d'après, tout va bien, je ris, je m'entends raconter n'importe quoi.


Les cartons commencent à s'accumuler dans mon studio.

Je suis tombé sur cet ustensile dont je suis incapable de retrouver la fonction
Du haut de l'étagère, j'exhume des objets variés, coincés sous une couche de poussière : un fer à repasser quasi neuf, un passe pour l'Arena de Barcelone, un service à sushi, offert pour mon départ de Magnitude, quelques cailloux, un tube desséché de Frameto, une carte postale de New York, une cassette de Denez Pregent (j'ai écouté ça moi ?)
A l'étage d'en dessous, je retrouve des livres aux titres fabuleux, dont j'avais oublié l'existence : une introduction à la lecture de Heidegger, une édition ancienne de Critique et Vérité de Barthes, Structures syntaxiques de Chomsky.
Dans un tiroir, je retrouve un marteau, des punaises, des préservatifs (2 tailles), un compte rendu d'activité de la ligne Azur (la ligne téléphonique à l'écoute des gays), des chargeurs de téléphone portable, un bulletin de notes du lycée, un pot de colle Gedicoustic (absorbant phonique), et puis ce livre : « Back-rooms : microgéographie sexographique de deux back-rooms parisiennes », ouvrage que Pierre m'avait légué peu de temps après mon arrivée sur Paris, pour une raison qui m'échappe un peu d'ailleurs. Une invitation à parfaire mon éducation sexuelle peut-être (je le lui restituerai en échange de ce livre de J. Gracq qu'il ne m'a jamais rendu).

Vendredi 10 novembre 2006

Me voici donc installé dans ma nouvelle demeure.

Bye bye, rue du Temple
Mercredi 1er novembre, nous avons descendu les affaires de N. et G. pour les entreposer dans l'atelier : des cartons, des vieux meubles, toute une bimbeloterie infernale à entasser sous le regard impassible des peintures de la Nicole. Avec la camionnette du CE, nous avons ensuite transféré mon propre souk de la rue du Temple à la rue Vaucouleurs.
J'ai l'impression d'avoir avalé des kilos de poussière.

Le lendemain, je me suis détruit la main droite à récurer la cuisine et la salle de bain comme une furie, juste avant de faire l'état des lieux avec la vieille bique de l'agence immobilière (pareille aux grosses secrétaires des bédés de Cabu), dans ce studio où je suis resté plus de six ans, et que je quitte sans grand regret.
Pour le moment, N. et G. dorment chez R. et A., en attendant l'indéfinissable terme de leurs travaux aux Lilas.

Tout aurait pu rouler comme sur des roulettes si Béhemotte n'était pas tombé du haut du quatrième étage, deux jours avant le déménagement, et s'il n'avait pas rendu son dernier soupir à la clinique vétérinaire quelques heures plus tard.
Ça nous a tous pris de cours, trop préoccupés que nous étions par les préparatifs du déménagement.
Il a toujours aimé se poster sur le rebord des fenêtres, au mépris du danger. La curiosité est souvent fatale aux chats.

Bienvenue rue de Vaucouleurs (où reste encore une touche de N. et G., accrochée aux murs)
Pour N. et G., c'était davantage qu'un chat en tout cas, et je crois que leurs cinq années de vie commune dans cet appartement de Belleville restent aussi associées à la présence de ce petit compagnon.
Nous croyons aimer les lieux, certains endroits, mais en réalité c'est toute la vie passée dans ces lieux que nous aimons, et que nous regrettons, lorsque le moment est venu de partir.
La mort de Béhemotte m'attriste beaucoup, lorsque j'y pense soudain. Nous nous reconnaissions mutuellement, lui et moi.
Je crois qu'il faut distinguer deux choses cependant : il y a notre inconscient, qui ne connaît que le manque et l'absence, ici et maintenant, mais qui ignore la mort, et il y a notre conscience, qui la connaît, la mort, dans la mesure où elle peut lui donner le sens d'une éternelle disparition, d'une dissolution absolue. Je n'ai pas vécu suffisamment en compagnie de Béhémotte pour manquer vraiment de sa présence aujourd'hui, mais je suis triste de savoir qu'il ne sera plus jamais là, et qu'il ne connaîtra pas la paisible retraite dans les jardins des Lilas que ces bons maîtres espéraient lui offrir. On espère le bien pour un autre être, par amour, et cela ne sera pas, ne se fera pas, et c'est ça qui est douloureux aussi.

L'immeuble en vis-à-vis, comme une grande télé à plusieurs chaînes simultanées
Dans l'entourage, des gens ont suggéré que N. et G. adoptent aussitôt un nouveau chat. Ces gens n'ont généralement jamais aimé un animal de leur vie, et ne comprennent pas que dès l'instant où l'on ne considère pas son animal comme un objet, il n'y a aucun espoir pour que celui-ci soit remplaçable. La mort d'un être aimé, animal ou humain, laisse une cicatrice.
Il faudrait que je dise à N. et G. qu'ils ont offert une belle vie à ce chat, et que c'est important d'avoir fait cela.
Mais nous évitons le sujet maintenant, il faut oublier, passer à autre chose.


A part ça, que dire, sinon que je m'acclimate à mon nouveau cadre de vie. Surtout aux bruits, qui sont différents de ceux de la rue du Temple. Les matins sont frais, car l'isolation n'est pas la qualité première des lieux.
Du coup, je dors mieux, au chaud sous mes strates de couvertures.
Je suis plutôt content, j'ai l'impression de respirer, presque de recommencer une nouvelle vie.

Donc, en résumé, les plus :
- la lumière, la discrétion du vis-à-vis
- l'espace, la structure en trois pièces, équilibrée
- le quartier, plus sympa que celui de la rue du Temple et de la rue de Bretagne (où je ne voyais ouvrir que des nouveaux sushi bars, ridicules, où les primeurs étaient chères et pas bonnes, et les bouchers des voleurs)
- la cuisson au gaz, la taille du frigo (encore encombré par la vingtaine de petits pots de sauces thaï de Marteen)
- les oiseaux, que j'entends chanter parfois

certaines perspectives sont moins poétiques
Les moins :
- la salle de bain, pas pratique et à refaire
- les locataires au dessus de la chambre, trop hyperactifs à mon goût
- le bruit exaspérant du frigo, qui se met en route environ deux fois par jour, cinq ou six heures durant (suivant en cela le rythme des marées)
- le loyer évidemment (le proprio est peut-être sous curatelle, il l'a bel et bien réévalué, alors il va y avoir droit, au devis du plombier)
La cuisine est collante de crasse (Marteen a toujours fait semblant de nettoyer), mais j'en viens à bout.

Ellen et Thibault sont passés jeudi. On a rendu visite ensemble à Nath et Sandrine, qui exposaient au salon des artistes de Bastille, le long du port – où elles se pelaient depuis plusieurs jours à guetter l'improbable chaland. On a tous mangé au Zéphyr ensuite, un grand restau du vingtième arrondissement, soigné, classique et cher. Je ne sais plus ce que j'y ai avalé, mais j'y ai bien bu, clairement.

J'ai récupéré du courrier chez la nouvelle locataire de la rue du Temple. Une jeunette, encore provinciale, encore aimable. Elle m'a tendu les enveloppes sur le pas de la porte. Derrière elle, j'ai aperçu ses parents, courbés, bricolant dans un grand capharnaüm. Ils ont repeint le mur de la cuisine en rouge, posé des étagères, repeint le mur de droite en rose, redressé la grande armoire, bref, ils ont fait ce que je n'ai jamais eu envie de faire dans ce studio.

Mercredi 29 novembre 2006

Ambiance deluxe
Voilà plus de deux semaines maintenant que je travaille pour une micro-boîte (un garçon plus une fille), qui venait de se séparer de son développeur. Tous actionnaires.
Bien que le poste n'ait rien de prometteur (la société ne décolle pas, depuis sa création en février dernier), je me suis vendu au rabais (mon salaire de 2002 !), et j'ai même proposé de travailler avec eux en portage (pour leur éviter des tracasseries administratives). Il n'y a pas le moindre avantage évidemment, sinon la proximité… et la fontaine à eau, gratuite, merci Seigneur.
Je travaille donc sur un bureau d'étudiant – où je parviens tout juste à glisser mes jambes – dans le bourdonnement permanent des rotatives d'une imprimerie, à l'étage juste en dessous. Le matin, il faut s'efforcer d'arriver avant 9h30, m'a-t-on rapidement fait comprendre. Le midi, ils vont s'acheter des surgelés au Franprix, qu'ils reviennent becqueter religieusement autour de la table basse.
Ouh là, pour une micro-entreprise, c'est pas la franche rigolade !
Mais lorsque j'ai suggéré au mec, qui a une mentalité de premier de la classe, de me faire des bons de commande d'une semaine, là il a quitté sa belle contenance : quoi, une semaine, ça veut dire que tu penses déjà à t'en aller, mais ça ne me plaît pas du tout, on avait dit un mois, et il s'est emporté comme un petit garçon contrarié. Il n'en démordait pas, c'était hallucinant. J'avais beau lui répéter que je ne pensais pas m'en aller pour autant, qu'avec un contrat de travail ordinaire, je pourrais démissionner au bout de trois jours, il était furieux. Du coup je l'étais aussi.
La fille, M., plus sympa et conciliante, est intervenue, et on a convenu de faire des bons de commande de 15 jours.
Depuis, je le vois à l'œuvre : il tente péniblement de se dépêtrer de ses projets vendus à perte, il se fait mener en bateau par les clients difficiles, il répond aux appels d'offre à tour de bras, il ristourne les devis, au péril de la rentabilité.
De mon côté, j'ai perdu toute confiance, je fais mon boulot en tirant la tronche, et j'attends encore quelques jours pour leur annoncer mon départ. Je ne suis même pas sûr qu'ils aient de quoi me payer.
Par moments, je me demande comment je me débrouille pour me retrouver dans des galères pareilles, professionnellement.

Dans le même ordre d'idée, il y a une dizaine de jours, j'ai déjeuné avec M., de CS. Elle est marrante comme fille, derrière sa réserve, je l'aime bien. Mais voilà, elle se fait littéralement exploiter par CS. Je ne l'avais jamais vue aussi épuisée. Consciencieuse, sérieuse, diplômée, elle se tape des semaines de cinquante, soixante heures ; elle pousse le zèle jusqu'à travailler pendant ses dimanches, ses RTT ; elle encadre les AJE ; tout le monde lui refile du boulot. Et son salaire est l'un des plus ridicules de la boîte. Il a fallu qu'elle menace de démissionner à son tour, pour que soudain les choses se débloquent. Et encore, ils lui ont accordé le minimum. Je n'en revenais pas.

C'est fascinant comme ce sont toujours les mêmes qui se font avoir : ceux qui ne disent rien, qui exécutent.
Mais je pars d'un principe : rira bien qui rira le dernier.


Ce nouveau boulot occulte dans ma mémoire les premiers jours de novembre. Que s'est-il donc passé ?
J'ai rencontré un garçon, tiens. Un étudiant. Mignon, sympa, rangé. J'ai peur de l'avoir un peu brusqué, de l'avoir entraîné dans quelque chose qu'il ne désirait peut-être pas tant (mon lit). Mais il se laissait entraîner. Trop, même.

Le week-end dernier, j'étais à Rouen. Zoé a réussi à incruster son copain à table. Un type marrant, un peu bizarre.
Dans le train, je lisais la Steppe de Tchékhov, en écoutant Sigur rós .

Belles lumières dans le parc de Belleville.

Et c'est tout ?

Je croyais pourtant avoir conçu des pensées subtiles depuis deux semaines, avoir nourri des considérations lumineuses sur la vie et le monde, avoir eu des inspirations épatantes, m'être fait des commentaires piquants, des songeries brillantes, mais rien ne me revient ce soir, il n'y a que l'odeur de la côtelette que j'ai grillé qui plane dans l'appartement, et mes neurones fatigués, broyés par toute la frustration de la journée.

Mercredi 6 décembre 2006

Je suis absolument ravi d'avoir découvert cette grande piscine, vers les Buttes-Chaumont. On n'y croise que des sportifs et des maîtres-nageurs, l'ambiance y est tranquille, et puis je satisfais ainsi cette folle envie de nager qui m'a pris ces jours derniers, malgré ma nullité totale en la matière, et j'en retire un bien fou. Et puis il y a toujours quelque chose d'un peu érotique dans les piscines, même si, sans mes lunettes, je ne distingue pas grand-chose.

Samedi soir, j'avais organisé une petite fête ici. J'étais en train de ranger des factures, et je me demandais si une seule personne viendrait seulement, lorsque Nath et Sandrine ont débarqué avec une bouteille de pinard. Elles sont sympas ces filles. Et puis d'autres gens ont fait irruption, au goutte à goutte, Will et Thierry, Dominch, Pierre et Tomas, etc. La concierge aussi, en robe de chambre verte, pas contente du tout. Elle m'accusait de l'avoir réveillée, dans une longue litanie où il était question de sa migraine et de la police qu'elle allait appeler si ça continuait. La Nicole et la Marteen ont dormi ici ensuite.

Le lendemain, Laetitia, une amie de N., nous a introduit à la Ferme du Bonheur, une sorte de grange des temps modernes, traversée par les quatre vents, au beau milieu d'un terrain vague, coincée entre une autoroute, des HLM et les bâtiments de la fac de Nanterre, déserts en ce dimanche frileux de décembre. Pour y accéder, il a fallu longer des caravanes, suivre un sentier envahi par la végétation. Derrière des arbustes, on distinguait aussi un petit chapiteau de cirque.
Le maître des lieux, un grand type avec une casquette et un foulard de voyou, nous a accueilli très chaleureusement. A l'intérieur patientaient déjà une vingtaine de personnes, assises en silence sur des chaises d'écolier, autour d'un petit clavecin en contreplaqué. Nous nous sommes installés à l'arrière, sur des bottes de foin. Le claveciniste a commencé son programme – des transcriptions de Bach. Juste au dessus de sa tête était suspendue une grande cage à oiseaux où deux tourterelles, serrées amoureusement l'une contre l'autre, nous contemplaient avec bonté. Elles ont rapidement cessé de roucouler, pour se mettre à écouter la musique elles aussi. Deux énormes dog allemands cherchaient à se frayer un passage entre les chaises avec un air indolent, tandis que des chatons jouaient avec des brindilles et des feuilles mortes. Un feu crépitait dans une cheminée.
Un thé à la menthe nous a été offert. Je pouvais entendre l'autoroute ronronner dans le lointain.
Des oies se sont mises à protester pendant quelques instants, tandis que les mélodies de Bach s'entrecroisaient, se démultipliaient, et que le contrepoint se densifiait. La Nicole a sorti sa peinture. Dans le toit, derrière les bâches faisant office de murs, je pouvais apercevoir la silhouette de paons majestueux, qui sautaient de poutre en poutre.
La nuit tombait lentement, l'atmosphère a rosi, puis a bleui. Puis il n'y a plus eu que la lumière grise et médiévale des lampions multicolores, suspendus en l'air. Le froid s'est fait incisif, on s'est emmitouflé dans nos manteaux, dans les couvertures qui nous avaient été distribuées.

Une assemblée de vieux fous à un concert de fous
Après le concert, nous sommes allés goûter de la soupe aux légumes, celle qui avait cuit dans le feu, servie avec des tartines de fromage fondu. Les gens parlaient doucement entre eux. Je suis sorti pour aller faire pipi, et, à la seule lumière de la pleine lune, j'ai serpenté entre les gravats et les plantes folles, pour rapidement me perdre entre des cabanons de bois, tous pleins d'ombres et de silence. Soudain, j'ai senti une présence. Je me suis retourné. Quatre ou cinq chèvres, debout dans une étable, regardaient fixement en ma direction. Je ne pouvais distinguer que leurs silhouettes qui se détachaient, telles des ombres chinoises, sur le faible éclat des réverbères de la rue. Je suis revenu vers la grange. Dans l'assistance, j'ai remarqué un petit mec à lunettes, portant un air timide, avec une drôle de bouche, fine et large, si large, que je me demandais s'il essayait de me sourire ou si c'était son air habituel. J'avais envie de lui adresser la parole, mais je ne savais pas quoi lui dire.
La pièce s'est vidée, les gens sont rentrés chez eux. Je me suis installé dans la cheminée, où j'ai ranimé mes petits doigts de pieds frigorifiés, tout en écoutant le maître des lieux discourir sur sa ferme, sur les pièces de théâtre qui y furent jouées jadis, sur les tracas que lui causaient les communistes de la mairie de Nanterre (forcément, tout démuni, poète et excentrique que l'on soit, organiser des concerts de musique baroque, c'est suspect…), sur une obligation de mise aux normes de sécurité qui l'obligerait à fermer les portes durant plusieurs mois.
C'est un drôle de type, précieux et rustique à la fois, lunatique, sans doute insupportable à vivre. Il dort dans un grand lit à même la pièce, un lit de reine, traversée par les courants d'air et toute l'humidité de Nanterre.
Il a parlé de chevaux, de l'époque où il en avait. Puis il a disparu dans le noir pour aller nourrir ses deux gros chiens. Un âne attendait tristement dans un coin de la cour.

Nous l'avons finalement quitté, lui ainsi qu'un type étrange, un autiste ou un trisomique, je ne sais pas, qui nous avait servi la soupe en marmottant, et qui devait vivre là lui aussi, dans une des roulottes.
Nous avons de nouveau longé les bâtiments de la fac, avant d'atteindre la gare de RER. Nous avons laissé derrière nous ce petit havre d'humanité, intemporel, pauvre et digne, encerclé par un urbanisme glacial, l'urbanisme de la modernité, de la technique, des produits de la richesse économique, laids et futiles.

Samedi 9 décembre 2006

Vers midi, la San Paio (la gardienne) tambourine contre la porte de Pascal, Pascal qui habite sur le même palier que moi, et qui tient la petite boutique de vêtements pour homme qui donne sur la rue : « Il y a oune fouite dans votre magasing ! »
Je me réveille à peine, et je laisse mes pensées vagabonder : « Aurait-t-il tant gelé cette nuit ? »

Il est 14 heures, j'accueille la sœur du propriétaire de l'appart, qui vient faire l'état des lieux. Un mois après mon emménagement, certes, mais ici, rien n'est tout à fait normal. Elle jette un œil rapide à la peinture écaillée, dégueulasse, et déclare sans embage : « Bon, elle n'est pas trop mal cette peinture… »
Je recadre un peu les choses.
Ok, elle est usagée, convient-elle.
Où est le compteur d'eau maintenant ? Car l'état des lieux fait figurer un relevé des compteurs d'eau. Nous regardons sous l'évier, rien. J'ouvre la porte du couloir, voir s'il n'y est pas placé. Non, il n'y est pas, mais je tombe nez à nez avec Pascal, qui est en train de faire le tour des appartements pour prévenir qu'il va couper l'eau, car la colonne d'évacuation des eaux usagées est bouchée, et toutes les selles de l'immeuble s'écoulent dans son arrière-boutique, au travers de son WC, qui déborde comme une casserole de lait, et que donc, il n'a pas le choix, il doit couper l'eau, en attendant l'arrivée du plombier, qui ne passera pas avant lundi, car le syndic est fermé évidemment, vu que nous sommes samedi… Donc il faut faire des provisions d'eau.
Et dire que j'ai déjà passé une semaine sans douche à cause des travaux de la salle de bain…

J'expédie la sœur du proprio, qui enfile son petit bonnet beige, et qui disparaît dans l'escalier, elle et son fichu état des lieux, et qui me souhaite bon courage avec la coupure d'eau.

Je descends voir l'état de l'arrière-boutique de P. Je tombe sur Liz, debout à l'entrée, qui tient entre ses mains une liste de numéros d'urgence, de ces publicités horripilantes que l'on trouve dans les boîtes aux lettres. Pascal est au téléphone avec les assurances. Le lino de son magasin est recouvert de litière pour chat, grise et gorgée d'eau. Une bonne âme est en train d'essorer Dieu sait quoi dans les WC. J'aperçois une grosse crotte, qui gît sous une chaise. La chatte de Pascal s'approche et nous jette un œil étonné, avec l'air de se demander ce que nous sommes en train de fabriquer avec sa litière. La San Paio apparaît à son tour, grommelante, comme à son habitude ; elle râle contre tous ces gens qui jettent des layettes pour bébé dans les toilettes, et contre son mal de crâne, qui la poursuit depuis ce matin.
Sur la pointe des chaussures, non sans dégoût, je pénètre dans la boutique, et j'aide Pascal à passer des coups de fil – mais les plombiers, la Lyonnaise des eaux, la mairie de Paris, les égouts, et même les pompiers, nous répondent qu' « ils ne font pas ce genre d'intervention ». Nous leur demandons conseil, mais nous sommes renvoyés vers des numéros en cul-de-sac, des répondeurs, des bureaux fermés. Assez symbolique d'une société qui rechigne à s'occuper de la merde de ses honorables citoyens.
L'odeur est nauséabonde en tout cas.
Finalement, je déniche le mot magique : curage. Et là, c'est une flopée de numéros de téléphone d'artisans spécialisés qui s'affiche, avec leurs camionnettes de dégorgement et leurs tuyaux à haute pression… 1200 euros l'intervention d'urgence en week-end quand même... Mais c'est le prix de la libération, le prix de la grande vidange ! Pour avoir longtemps visité un psy, je sais le prix de ce genre d'opération.
Entre-temps, j'avais acheté 5 litres d'eau de source à Attac en prévision.

Vers 18 heures, alors que je me réchauffe des pommes de terre surgelées à la poêle, un certain remue-ménage monte de la cour. Je passe ma tête par la fenêtre. Une camionnette est garée sous le porche, des voisins discutent entre eux, Pascal trottine entre la cave et son magasin.
Je vais à la salle de bain, mais je m'en éloigne rapidement, car un gros bourdonnement secoue soudain tout l'immeuble.
Je descends. Je m'enquiers des dernières évolutions de la maladie. « C'est débouché » m'annonce Pascal, sur le ton d'un papa qui dirait : « Elle a accouché ».
J'entends la présidente des copropriétaires s'emporter contre l'ancien syndic, celui qu'ils viennent de lâcher, et qui n'a jamais rien fait. Comme si un syndic faisait quelque chose !
Quant à la gardienne, debout devant sa loge aux côtés de son salazariste de mari, elle n'en peut plus de se plaindre.

Samedi 23 décembre 2006

L'autre soir, pris un verre chez W. et T. Partis à Londres, ils avaient laissé leur appart à N. et G. Charmant et amical lorsque je suis arrivé, N. m'a traité de tous les noms dans l'escalier, lorsque je les ai quittés.
L., D. et M. ont fait étape ici, avant de prendre le train de nuit pour Berlin.
Comme d'habitude, L. m'a dit que j'avais l'air fatigué. Sa copine A. S. est passée, pour discourir sans interruption de son boulot, d'une façon un peu théâtrale, comme si elle occupait le devant d'une scène. Je ne me rappelais pas qu'elle était aussi bizarre et narcissique. Je l'avais rencontrée pour la première fois en 93, lors d'un bref passage à Rennes ; j'entends encore sa manière assurée et dégagée de parler du Bloomsburry group.
Quant à Mereth, 3 ans et demi, elle est pleine de vie, et elle observe les gens et les choses avec un regard dénué d'inquiétude, rempli de curiosité. Jeudi, au moment de se quitter, elle me pose cette question incongrue, un peu embarrassante : « - Et tu as un enfant, toi ? »

A propos de famille, j'augure mal de ce Noël.
S. a appelé tout à l'heure pour me prévenir que mamie, dont la maladie nerveuse a encore progressé, maladie qui lui ôte lentement toutes ses facultés, a été hospitalisée pour un problème d'incontinence. C'est maman qui dû se résoudre à appeler l'hôpital. Evidemment, mamie ronchonne pour en ressortir au plus vite, et elle refuse même de passer des examens… alors qu'elle appelle régulièrement maman au secours, le matin, par téléphone, dès qu'elle ne sent pas bien. Du coup, maman est épuisée par les soins et l'attention continuelle qu'elle doit consacrer à ses parents, dont elle supporte de plus en plus difficilement l'amnésie, la déraison, la lente déchéance.

Quant aux relations entre maman et Z., elles se seraient encore détériorées. Je n'en avais pas pris conscience lorsque Z. m'a rendu visite ici par surprise, le week-end dernier. Ma sœur et moi n'avions alors parlé que de ce groupe de rock californien dont elle avait rencontré le batteur la veille, et de sa formation en art appliqué qu'elle a entamé en début d'année, mais qui a cessé de la motiver. Tout au plus avait-elle évoqué la « situation tendue à la maison », sans insister, pudiquement.
S. m'a pourtant appris que maman, un soir où elle avait encore bu, s'est emportée violemment contre Z. au point de lui déclarer qu'elle la détestait lorsqu'elle se conduisait « comme ça » – c'est-à-dire avec cette manière brutale et désinvolte caractéristique du comportement de Z. vis-à-vis de maman. De son côté, Z., 19 ans, ne supporte plus d'être prise pour un bébé, et se cherche des horizons plus gais et plus stimulants que les précoccupations gériatriques de la famille.

Ce soir, j'ai été sur doctissimo, sur les forums consacrés aux relations mère-fille, parents-ado, mais je n'y suis pas resté longtemps : c'est partout pareil, partout les mêmes problèmes familiaux, avec la même culpabilité en leitmotiv.

Entretenant son double discours habituel, maman aurait déclaré, au cours d'une autre soirée de boisson, qu'elle ne méritait pas, elle-même, de cadeaux de Noël cette année. Façon de reconnaître : j'ai dit une chose horrible à ma fille, donc je ne suis pas digne de recevoir… etc.
Mais maman a toujours endossé ce double rôle, celui de la victime et celui du bourreau, et elle n'arrive pas à sortir de cette logique perverse qui la conduirait presque à se comporter de telle manière qu'on puisse lui reprocher effectivement quelque chose, tout en faisant tout pour se montrer dévouée, aimante et exemplaire, dans son rôle de mère, ou de fille. C'est une forme insidieuse de sadisme, qu'on ne remarque pas de prime abord, mais qui rend le quotidien insupportable avec elle à la longue.
Rien d'étonnant alors à ce que Z., adolescente étourdie et insouciante, sans recul, se braque à l'excès, dans une attitude d'opposition et de méfiance systématique – attitude que je reconnais bien, puisque ce fut aussi, jadis, mon propre comportement à la maison.

Quant à papa, il se garde bien de dire quoi que ce soit, mais il est probablement fatigué des lamentations de maman et de la morgue de Z.

Quelque part, je me dis que maman est restée une petite fille, attentionnée, mais secrètement déçue, une petite fille qui aurait peut-être voulu qu'on lui accorde plus de considération, alors qu'on lui demandait juste de veiller sur I, dans sa jeunesse. Ce n'est qu'après s'être mariée et avoir conçu son premier enfant qu'elle est devenue libre, et grande elle aussi, comme ses aînés. Enfin ça, c'est mon analyse a posteriori.

Rouen, ville de boutiquiers, de vieillards et de curés...
En tout cas, lorsque des gens n'arrivent pas à vivre ensemble, il faudrait qu'ils se séparent, qu'ils laissent les choses se décanter, dans l'espace et dans le temps, avant de pouvoir se rabibocher, et c'est d'ailleurs bien ce qui motiva mon départ de la maison. Jamais je ne pourrais revivre avec mes parents, l'extrême prévenance de maman m'étoufferait aussitôt. A bien y songer, cet empressement ressemblerait presque à une réclamation, à une demande existentielle : laissez moi jouir encore de mon rôle passé de petite maman – alors que soi-même, la progéniture, on jouit de peu de choses, alors qu'on s'abstient, qu'on est complexé et culpabilisé, qu'on a ni enfant, ni mari – un psy tout au plus –, qu'on est juste ado, ou ado attardé, sans repère et sans la moindre confiance en soi, et qu'on est fatigué de cette culpabilité morbide.
Les complexes paternels se règlent au dehors, sur les champs de bataille, dans des luttes pour l'exercice du pouvoir absolument ridicules – ambitions dont j'ai, du reste, et Dieu merci, été largement préservé. Mais les complexes maternels se jouent dans le confinement de la maison, porte close, insidieusement, là où, au privilège de la puissance domestique, s'ajoute l'enjeu de l'amour et de l'attention.
Encore qu'en ce qui concerne maman, je me demande s'il s'agit vraiment d'instinct maternel, ou bien juste d'une sorte d'habitude de vie qui lui éviterait de faire face à ses problèmes personnels.
Mais celle qui aurait le plus gagné à voir un psy est aussi celle qui s'oppose le plus au divan – n'avait-elle pas déclaré un jour à table : « – Moi ? Je n'ai pas besoin d'un psy, moi... »

Bon, il est difficile de savoir jusqu'où l'on peut aller dans le jugement que l'on porte sur son entourage et sa famille, sans commencer à se forger une sorte d'alibi...

Cela dit, lorsqu'on aime sa mère, mais que sa mère est objectivement chiante, alors on vit dans l'ambivalence, avec des sentiments toujours partagés, toujours équivoques, au dessus d'une couche de reproches et d'amertumes qu'on a renoncé à exprimer directement, parce que toutes les tentatives pour le faire ne se sont soldées que par des cris, des pleurs, des couteaux tirés, des phrases assassines – et ma mère fut violente avec moi, physiquement, et jusque tard, et je ne lui pardonnerai jamais cette violence – surtout de la part d'une personne qui a toujours vitupéré contre la violence masculine, celle des « bonshommes » comme elle dit avec mépris.
J'ai surtout apprécié ma mère lorsqu'elle a vaqué à ses propres distractions, à ses propres centres d'intérêt, lorsqu'elle s'est consacrée à des choses autres, tournées vers l'extérieur – l'équitation par exemple, la civilisation britannique, ou l'histoire de l'art. Ou ses amis. Ça a toujours été un soulagement que de la voir s'occuper de ses affaires, toujours une gêne que de sentir son regard posé sur moi, à analyser chacun de mes gestes, surtout à mesure que j'ai vieilli et que j'ai commencé à sentir la présence de ce regard.


Bref, ce qui est sûr, c'est qu'il faudrait que ma sœur puisse vivre ailleurs qu'au domicile familial, ce qu'elle souhaite bien sûr, mais, sans revenu, et vu la situation financière de nos parents, ça ne risque pas d'évoluer de sitôt. A moins qu'elle ne se trouve un petit boulot. Elle s'est déjà trouvée un petit copain, peut-être que ça marche ensemble…

Jeudi 28 décembre 2006

Ouf, fini.

Fin d'après-midi, je m'étends sur mon lit, je ferme les yeux quelques instants...
Rien à dire de ce réveillon. Sinon que maman a souhaité que nous trois, les trois petits enfants modèle, nous allions rendre visite à nos grands-parents. Effectivement, je ne l'aurai pas fait sans ça, et, comme l'a déclaré S. ensuite, nous avions, en quittant l'appartement, le contentement de ceux qui ont fait « une bonne action » - dans l'esprit de ces choses que l'on s'impose par devoir. Maman avait tellement évoqué leur décrépitude que nous étions presque soulagés de constater qu'ils pouvaient encore s'exprimer, et qu'ils se souvenaient encore de nos prénoms.
Alors c'est vrai que lorsque nous sommes arrivés, papi faisait une tête tellement ahurie, ses trois cheveux hérissés sur le crâne, qu'on a eu un peu peur. Ils regardaient la télé avec le volume à tue-tête, eux jadis paisibles lecteurs. Mamie, recroquevillée dans son fauteuil, avait le visage émacié, une petite voix aigue de vieille que je ne lui reconnaissais pas ; elle nous a posé trois fois la même question à quelques minutes d'intervalle, sans écouter ni pouvoir entendre les réponses, tout en fixant Zoé d'un regard gris perle qui semblait dire : « Qui est-ce ? ».
Autour de moi, j'ai pu constater, presque incrédule, que rien dans l'appartement n'avait bougé d'un poil. Surtout, ça sentait drôlement le renfermé. Avec la lumière déclinante, et ce ciel bouché de décembre, tout était devenu gris dans le salon, jusqu'au moment où I. s'est levée pour allumer une lampe. Parfois, ils nous posaient des questions étranges : « Avez-vous été danser ? ». Papi, un peu plus gai que mamie, répétait à l'envi : « Vous êtes chouettes ! Vous êtes chouettes ! »
Et lucides : « Nous ne sommes que de vieilles choses », « Vous êtes jeunes, vous êtes beaux », avant de conclure par un : « C'est ça, allez vous amuser, allez profiter de la vie… ».
Je crois que ces paroles cachaient surtout de la tristesse et de la nostalgie.
J'ai ressenti un peu de peine au moment où papi m'a dit au revoir, parce qu'il m'a ouvert grand ses bras, comme il le faisait autrefois. Dans cette famille où l'amour se tapit derrière des paroles de bon aloi et des actions faites par devoir, il faut ces petits gestes pour, peut-être, distinguer des sentiments plus profonds.

Je rouvre les yeux, et il fait déjà nuit...
Pour le reste...
J'ai fait deux petits plans cul. Bel effort. Un jeune mec ici, et deux autres à la Défense. Mes trucs fétiche-machin en étonneraient plus d'un, mais ils me permettent de surmonter la perte totale de confiance dans mon corps.
L'un des deux mecs dégageait une odeur assez forte – un vrai tue-l'amour, mais j'ai essayé de faire comme si de rien n'était.
Est-ce cette même perte de confiance qui me pousse à me rendre régulièrement à la piscine, malgré les rhumes que j'y attrape ? J'ai même été jusqu'à prendre un cours de natation hier. Il le fallait bien : tout petit, ma peur de l'eau était telle que je n'ai jamais su nager convenablement, et qu'au milieu d'un bassin, j'ai toujours ressemblé à un petit chiot angoissé, aussi vite essoufflé qu'une mamie en maillot de bain, aussi rapide qu'une bouée de sauvetage. Evidemment, j'ai choisi le maître nageur le moins sexy, mais je n'y voyais goutte sans mes lunettes. Ça m'a fait un bien fou. J'aime cette idée de l'exercice corporel, ça me rappelle un peu mes leçons de chant, par tatonnements, par conseils et corrections, comme si je parlais à mon corps, que je le découvrais et le maîtrisais petit à petit.
Je crois que j'ai besoin, actuellement, de me fixer ce genre de petit défi. Ça compense mon absence totale de motivation pour trouver du travail : désespéré d'avance, j'ai l'impression qu'où j'aille, je me ferais avoir, et que je ne côtoierais, au mieux, que des casse-pieds, au pire, que des monstres.