Journal 2004

Mercredi 4 août 2004

J'ai perdu l'habitude d'écrire au jour le jour, comme je l'ai fait des années durant, dans mon journal en papier.
Chaque fois que je me confiais dans un de mes cahiers (je les cachais sous mon matelas), c'est comme si une personne imaginaire venait lire par dessus mon épaule. Quoique conscient de ma solitude, je trouvais une sorte de soutien moral, inventé, conçu, avec ces pages à petits carreaux nourries d'innocence, et l'idée vague aussi que, peut-être, un jour, on me lirait et on me comprendrait.
Or aujourd'hui, c'est justement l'éventualité d'être lu pour de bon qui me paralyse, comme si j'allais endosser un rôle.
Et puis tout ce narcissisme, tout cet étalage, quelle honte...

Mais dans mes anciens cahiers intimes, je ne me posais pas la question de savoir s'il était narcissique ou non de tenir un journal. Tout au plus, à la fin, lorsque je me décidai à l'abandonner, me suis-je dit que l'entreprise était vaine et que j'avais mieux à faire.
A l'époque, aussi, je voulais me convaincre que j'évoluais, mentalement.
J'étais pourtant immature sur bien des plans ; je vivais chez papa-maman, je ne travaillais pas, j'étais célibataire, j'habitais une ville de province où il ne se passait rien – si bien que les petits événements de la vie pouvaient encore prendre de la dimension, à mes yeux, lorsque je les couchais sur le papier.
Et puis, il y avait la grande inconnue : qu'est-ce que j'allais devenir ?
Alors, bien-sûr, ce n'étais pas une question que je me posais continuellement.
Mais elle était là. Elle était là parce qu'on se la posait pour moi.
J'étais censé faire des études pour trouver du travail, et tout autour de moi les gens s'agitaient, fomentaient des projets, élaboraient des plans, pour obtenir une situation, pour quitter Rouen, pour avoir des enfants, un mari, une maison, un presse-purée, une tondeuse à gazon, que sais-je.
Rien de tout cela ne me concernait, et il ne faut pas s'étonner si, dans mon journal en papier, je n'évoque jamais ma vie future (sauf une fois, en 1994, alors que je commençais à m'intéresser à la musique ; je me vis alors chanteur-compositeur, dans une maison blanche sur les hauteurs de Rouen)

Bref. J'aimerais de nouveau raconter ce qui se passe dans ma vie, mais je suis troublé.

Par exemple, je pourrais raconter la visite récente de Patrick, mon jeune Américain.
(il revient encore me voir dimanche prochain, en remontant de Montpellier, avant de rentrer définitivement aux Etats-Unis). Je pourrais parler de ce que je ressens pour lui, de ce qu'il m'évoque, de ce qui me tracasse aussi – son mutisme, sa passivité, sa mythomanie.

Je pourrais raconter le dépôt de bilan de la boîte où je travaille, son redressement judiciaire annoncé hier, mon espoir d'en être libéré bientôt, et les engueulades inouïes que j'ai avec mon patron – moi pourtant si sage et si discret, mais tellement ulcéré par l'attitude de cet individu sournois, médiocre et calculateur.
Je pourrais ensuite raconter le revigorant voyage à Copenhague avec Nicolas et Guillaume, il y a trois semaines, ou la découverte ébahie de Berlin en solitaire au mois de juin dernier.

Si j'avais tenu un journal depuis un an, j'aurais sans doute aussi évoqué des blessures – les paroles moqueuses de certains de mes amis à mon égard par exemple, et ma tristesse au début de l'hiver dernier, lorsque j'ai passé le nouvel an tout seul, désespéré, sous une montagne de nuages noirs, obligé de reprendre des médicaments – ce que j'avais cessé de faire depuis trois ans.
En même temps, je n'ai pas envie que l'on s'apitoie, ni même que l'on me donne des conseils.
J'ai trop d'orgueil, et je puis je voudrais trouver ma route tout seul.
Et puis ici, dans ce site, ce n'est qu'une moitié de moi qui s'exprime, la moitié verbale (verbeuse !), rationnelle, algébrique – alors qu'il reste l'autre, la face absurde, la face désirante, gauche, imprévisible, la face que je ne connais pas bien, dont je ne peux qu'observer les manifestations, les lubies, les drôleries.
On n'écrit qu'avec une seule main à la fois.

Bref.

Je vais essayer de retrouver le rythme de la confession écrite.
C'est vrai qu'après tout, c'est une forme de rôle, de jeu d'acteur.
Quelque part, j'ai été tellement déçu par ce que j'ai découvert de la société, depuis que je vis à Paris et que je travaille, tellement javellisé par les déceptions amoureuses, et le manque de temps pour m'occuper de ce qui me tient à cœur, que tout a fini par me sembler vain à exprimer.

Comme si seule la pureté du silence pouvait encore valoir le coup.

Mais c'était peut-être aussi de l'amour-propre.
Car écrire, c'est prendre le risque de se tromper.
Car exprimer les choses que l'on ressent à un moment donné, c'est exprimer des choses que l'on considérera peut-être plus tard comme mineures, ou révélatrices de notre immaturité, ou de notre ancrage dans un âge, dans une époque, dans un état d'esprit que l'on considèrera avoir dépassé.
Mais, à tout prendre, on n'est pas plus malin à trente ans qu'à vingt.
Vraiment pas.
Même si l'on a bel et bien changé entre temps.

C'est la réflexion que je me suis faite, tout à l'heure, en descendant la rue du Temple pour aller chez mon coiffeur ; l'équation de la vieillesse, elle est simple, et elle réside entièrement dans notre tête :
Moins on change, et plus on a la sensation d'être vieux.

Samedi 7 août 2004

Entretien d'embauche à Libé hier, pour un CDD de développeur web.
Comme il reste des doutes quant à la date à laquelle je serai effectivement licencié de Préférences, je ne me fais pas trop d'illusion.
Du reste, je n'ai pas du tout envie de travailler, et je m'imagine volontiers paisible chômeur, vivant d'eau fraîche (l'amour, je n'ose même plus l'espérer), d'eau fraîche et de choses simples.
Du produit de la cueillete par exemple, de la cuillette de ce framboisier qui pousse sur le rebord d'une de mes fenêtres (il est envahi par les fourmis, comme le citronnier, ça m'énerve !)
Au boulot, tout le monde ne parle plus que de ça : du moment où nous serons enfin licenciés, et débarassés de cette boîte débile et de ses patrons incompétents.

Hier soir, chez Nico, dans son atelier – soirée pour l'anniversaire de Guillaume et Dominique.
Pas mal de filles – je mélange toujours leurs prénoms.
Trop bu, pas vu le temps passer.
Discuté avec un mec qui me racontait ses expériences au Burkina-Faso, où il faisait de la prise de son pour un documentaire – chaleur terrassante, visions d'enfants sous-alimentés, pays sans richesse, habitats en bambou dont les toîts sont à refaire après les pluies, groupes éléctrogènes déficients (qui provoquaient des grésillements dans son micro), fêtes rituelles pour chasser les morts, gens très attachants, un poil collants, la même nourriture à tous les repas, l'alcool de mil, etc.
Un petit blondinet est arrivé après minuit – il était rigolo, on n'a pas arrêté d'échanger des propos absurdes lui et moi. Il avait un visage adorable, très mobile, expressif. Mais il ne répondait pas à mes avances grossières (je lui suggérai qu'on fasse l'amour sur une station d'autoroute) – il n'était probablement pas homo de toute façon, pas plus que le copain qui l'accompagnait – et vers qui il revenait régulièrement, ce qui me rendait jaloux ; nous sommes redescendus tous les trois vers République au petit matin. J'étais très triste que nous n'ayons pas fini ensemble, ce blondinet (s'appelle Pierre) et moi ; j'ai rêvé de lui ensuite, rêvé que nous nous rapprochions et que nous nous embrassions enfin.
Ça m'a rappelé certaines soirées de Rouen pas très gay, où mon coeur défaillait pour le premier mec hétéro mignon qui voulait bien discuter avec moi. Et s'il s'avérait en plus sensible, drôle et réservé, alors c'était un véritable drame intérieur qui durait plusieurs jours ensuite.

Dimanche 8 août 2004

Fait très chaud.
J'en ai profité pour essayer de laver ce grand tapis que je piétine 200 fois par jour. En le faisant sécher sur la grille en face de ma fenêtre, de la rouille lui a coulé dessus, et il est encore plus sale qu'avant.

J'ai encore rêvé de Pierre, le garçon de la soirée de vendredi dernier.
Dans mon rêve, je lui envoyais une lettre ridicule où je déclarais ma flamme.
Après coup, je me disais que je m'y prenais vraiment comme un pied, que j'aurais mieux fait de lui proposer simplement d'aller au cinéma, par exemple.
Finalement, il me répondait par une missive sobre et polie, se déclarant désolé, mais il n'était pas vraiment amoureux de moi – en plus cela était contraire à sa religion, le bouddhisme zen, et puis il était assez occupé en général.
Je pense que j'ai rêvé de ça à cause de cet article de John Cage que j'ai lu hier soir – John Cage, féru de culture zen, qui raconte comment, reprenant contact avec son ancien maître en composition, Arnold Schönberg (dont il avait toujours été un peu méprisé), il invite celui-ci à assister à une répétition de sa musique, et s'entend répondre : " – I am not free."
John Cage : " – Can you come a week later ?"
Schönberg : " – No, I am not free, at any time."

Jeudi 12 août 2004

Sleeping Patrick...
Patrick, qui était arrivé dimanche soir dernier, a pris le chemin de l'aéroport pour New-York.
Il y retrouvera Diego, un marchand d'art qu'il a rencontré dernièrement, qui veut s'occuper de lui comme un père, et qui va donc l'accueillir dans son palace new-yorkais, où ils rencontreront des tas de célébrités, bien-sûr, car Diego en connaît du monde.
Mais Patrick préférerait rentrer en Louisiane, at home, pour y retrouver tous ses amis à qui il aura tant à raconter, sur son mois passé en France, parmi tous ces damned French people .

C'est un garçon étrange.
Calme, méditatif, plein d'intériorité, il donne la sensation de ne contenir presque aucun désir, et de ne se soucier que de peu de choses. Pourtant, lorsqu'il ouvre la bouche, on réalise que sa pensée est là, claire, ferme, ancrée dans le présent, et qu'il remarque bien des détails, derrière son allure distraite.
Il a des petites anecdotes marrantes parfois, sur ces quinquagénaires dans les bars gay de New-Orleans, par exemple, qui s'approchent irrémédiablement de lui, le draguent, et lui qui se fige comme une statue, - o Lord, why me ? - avec un sourire gêné, sans savoir comment s'en dépêtrer.
Ou sur son incapacité à prononcer un mot de français correctement, comme cet échec catastrophique, lorsque, pénétrant dans une pharmacie de Montpellier pour y trouver de quoi soigner son extinction de voix, il dût en ressortir bredouille, sans avoir pu se faire comprendre de la pharmacienne, n'ayant pu émettre autre chose que des bruits rauques, qu'il produisait la main sur la gorge, pour montrer là où il avait mal.

Il est assez maladroit aussi – la première fois qu'il a pris une douche, j'ai retrouvé la salle de bain inondée comme jamais, et le tapis de bain gorgé d'eau a mis trois jours à sécher.

Ces derniers jours, pendant que j'allais travailler, il sortait et faisait de longues promenades en solitaire.
Je le retrouvais le soir venu, allongé sur mon lit. Il tournait son visage juvénile vers moi, me souriait, et me disait qu'il se sentait bien, "spacy, and relaxed"...
La communication était parfois étrange avec lui : j'ai mis plusieurs heures à me familiariser avec son accent américain du sud, à sa voix basse, mal articulée. Il eut aussi un temps d'adaptation, pour se faire à ma prononciation indéfinissable, à mes intonations pas naturelles, et à mes expressions de franglais idiotes.
Comme cette fois où j'ai dit d'une personne que je la trouvais "a bit special"...
Il a rigolé, et m'a expliqué que special , aux Etats-Unis, faisait plutôt référence aux personnes simples d'esprit, ou à certains handicapés mentaux, et que le mot lui faisait tout de suite penser à ces minibus dans lesquels on les trimbale habituellement, et sur lesquels on voit écrit : SPECIAL.

Il y a comme un vide, là, maintenant, dans mon studio.
J'aime beaucoup ce garçon. Quoiqu'il soit très mignon, je n'ai pas eu un désir physique énorme pour lui ; mais je l'aime beaucoup, il me touche, sans raison, j'aime qu'il soit là - malgré mon individualisme habituel.
J'aime son sourire, j'aime son étrangeté, sa franchise, sa grâce, le fait qu'il ne soit pas français, le fait que son regard soit différent du mien, et différent de tous les gens qui m'entourent au quotidien.

J'espère le revoir un jour. Peut-être à New-Orleans, où il fait ses études.

Pour le moment, j'attends l'arrivée de ma sœur, qui arrive de Rouen.
Nous partons ensemble pour Vernet-les-Bains demain matin.

Jeudi 19 août 2004

Je viens donc de passer, avec ma sœur, cinq jours à Vernet, dans ce charmant lénifiant petit village des Pyrénées-Orientales que je connais par cœur.
Depuis le balcon de notre chambre d'hôtel, on avait vue sur notre ancien immeuble.
Les nouveaux occupants de l'appartement - une vieille fille, prof d'allemand à la retraite, et des amis à elle sans doute - passent leur journée caleufeutrés dans l'ombre, car je ne les ai vu ouvrir presque aucun rideau.
Je les maudis !
Cette vue sur l'immeuble et sur une partie de la montagne, constituait d'ailleurs à peu près le seul bénéfice de l'hôtel, en plus de son calme ; car à part ça, les traversins n'avaient pas de draps, le sol de la salle de bain collait sous les pieds, et Sarah a trouvé de vieilles serviettes hygiéniques usagées au fond d'un tiroir. Les autres pensionnaires se sont avérés être une colonie d'handicapés mentaux - qui passaient leur temps à grogner devant la télé, dans la salle commune.
Autant dire que nous ne restions pas souvent à l'hôtel.

J'ai traversé des séries de crises intérieures – des crises qui finissaient par disparaître, à force de me raisonner, un peu comme se dissolvent les nuages dans le ciel – les nuages qui n'ont cessé d'aller et venir, poussés par un vent inhabituellement fort.
Je n'arrivais pas à me faire à l'idée que je ne pourrais pas revenir dans l'appartement.
Pourtant, je suis bien obligé d'admettre que – quand bien même je l'aurais pu, quand bien même mes grands-parents en seraient encore propriétaires – une autre frustration m'aurait gagné. Cette nostalgie, elle est sans fin, car je sais que ces lieux représentent l'une des maisons de mon enfance – la maison blanche comme je l'appelais étant petit – et qu'il est illusoire de s'imaginer qu'on peut y revenir.

Heureusement que Sarah était là avec moi, sans ça, j'aurais sûrement plongé dans un gouffre.
Mieux vaut ne pas rester seul avec ces pensées là.

Moi et le canigou, tous deux dans les nuages
Pour le reste, l'emploi du temps ne différait guère de ce qu'il était, du temps où nous venions avec nos grands-parents. Piscine le matin, promenade l'après-midi.
A la piscine, je me suis rappelé les émois très forts que j'y avais ressentis, à l'âge de quinze ou seize ans. Il y venait un garçon qui me plaisait beaucoup – mon cœur se mettait à battre la chamade dès que je le voyais arriver, franchir le petit pédiluve avec sa serviette sous le bras. Bien sûr, il ne s'est jamais rien passé – qu'aurait-il pu se passer de toute façon ? je serais mort de trouille avant qu'il m'ait seulement adressé la parole – mais je ne pouvais m'empêcher de le regarder – tout mon être était tendu, concentré autour de cette personne (il y en eu plusieurs d'ailleurs, en fonction des années) et c'était comme si toute mon existence ne trovait plus sens qu'au travers de ce garçon, qui nageait dans l'eau bleue.

... et le point de vue inverse
Mais assez de niaiseries... et parlons de choses viriles !
C'est que dimanche, à 7 heures du matin, je me suis élancé vers le Canigou, d'un pas mâle et décidé. Cinq heures et demi plus tard, j'étais au sommet – exténué, ébloui, affamé, hébété, mais heureux.
Suis rentré vers sept heures, j'ai pris mon temps – du coup, Sarah avait laissé des messages sur mon portable, et lorsque j'ai réussi à la joindre, depuis le col de Jou, elle était en larmes – ne comprenant pas pourquoi je n'étais toujours pas rentré.

J'ai trouvé le massif très sec cette année – certains étangs du pla de Cady avait même quasiment disparu, et plusieurs sources étaient taries.
Le sentier – celui qui passe par le refuge de Bonaigua – s'est beaucoup détérioré – je pense qu'il n'est plus entretenu – pierres et plantes l'ont envahi petit à petit.
Entre la Porteile d'Adalt et Bonaigua, alors que je tâchais de trouver mon chemin dans des éboulis qui avait emporté le sentier, je sentis comme un présence. Je relevai la tête et aperçus à trente mètres devant moi un isard, qui me fixait sans gentillesse, en faisant un drôle de bruit – une sorte de sifflement que j'entendais depuis plusieurs secondes déjà, mais que j'avais d'abord attribué à un oiseau.
Je pense que les isards se regroupent dans cette partie du massif car il n'y passe presque jamais personne – sauf les quelques allumés comme moi, qui veulent atteindre le Canigou rapidement depuis Vernet.

Je suis fier d'avoir renouvelé cette ascension, et content d'avoir parcouru de nouveau cette montagne si belle – mais mon regard était comme filtré, comme teinté d'ombres grises.
Etait-ce la tristesse liée à la perte de l'appartement qui continuait à me troubler ?
Etait-ce les gros nuages, envahissant le ciel peu après mon arrivée au sommet, qui éteignaient les couleurs de l'herbe et des sapins, teintaient tous les paysages de gris ?
Qu'est-ce qui me donnait cet absurde vague-à-l'âme, alors que je me sentais par ailleurs si grisé par la montagne ?
Etait-ce le fait que depuis ma dernière ascension du Canigou, huit années se sont écoulées, et que – même si je ne suis plus vierge (seulement catin) – même si je vis maintenant sur Paris, avec un métier, même si certaines inquiétudes ont disparu – rien ne s'est embrasé dans ma vie comme je l'aurais voulu ?

Au cours d'une des nuits passées à l'hôtel, j'ai rêvé que j'embrassais Fabien, un garçon avec qui je suis sorti pendant quelques jours en 2001, et que j'ai remercié – ne me sentant pas amoureux.
Curieusement, je rêve de lui de temps en temps, depuis plus d'un an. Aujourd'hui, malgré l'entrain que je montre lorsque nous nous croisons par hasard, il m'évite un peu, et je ne suis pas sûr qu'il voudrait encore de moi.
Dans mon rêve, je suis obligé de le forcer à m'embrasser, car il ne semble pas comprendre.

Peut-être suis-je amoureux ? Ou l'étais-je sans le voir ?
C'est peut-être cela qui me tracasse : aujourd'hui, je ne sais toujours pas :
 – ce qu'est l'amour
 – ou alors, je le sais d'instinct, mais je ne sais pas que je suis amoureux

Suis-je à ce point infantile ?

Suis-je à ce point infantile pour me poser des questions pareilles ?

Ce qui est sûr, c'est que cette tristesse à me sentir à la fois victime et coupable, dans les quelques situations amoureuses réelles que j'ai vécues, cette sensation d'étouffement sitôt qu'une personne s'attache à moi, et ce malaise, cette impression d'impuissance devant mon égoïsme et mes angoisses, sont plus sérieux que des nostalgies au sujet d'un appartement tout blanc, perdu dans les montagnes.

On m'a dit que je me posais trop de questions. C'est sûrement vrai. Mais je crois que je m'en pose parce que je me sens seul, et que j'ai besoin de me rassurer – un peu comme lorsque, enfant, je me mettais à parler à voix haute, lorsque j'avais peur et que j'étais tout seul.

Mardi 24 août 2004

Sur la plage de Vauville
De retour de la Hague, où j'ai passé trois jours avec mes parents et mes sœurs, dans le gîte rural habituel.
Vent, falaises, mer argentée, sentiers des douaniers, prés remplis de vaches, lectures solitaires, bains dans l'océan, sable dans les cheveux, feu dans la cheminée, etc.

Ma mère me rend quand même rapidement nerveux – sitôt que mon lot d'histoires est épuisé.
Autant mes rapports avec elle se sont assez bien normalisés depuis quelques années, autant ses rapports avec Zoé sont vraiment devenus catastrophiques – pires que les miens, au même âge.
Certes, la voix de Zoé prend vite un ton agressif et tranchant, et, certes, elle se conduit d'une façon assez méprisante (au supermarché, elle force ma mère à lui acheter un truc alcoolisé genre Get 27 ; rentrée à la maison, elle y goûte, déclare que c'est trop fort, range mal la bouteille au frigo ; ma mère ouvre celui-ci quelques minutes plus tard, la bouteille dégringole et explose – ma mère fait un reproche à Zoé, qui s'énerve et déclare que c'est la bouteille qui a glissé ; autre anecdote : Zoé prend un bain ; soudain, bruit de cataracte dans la cuisine – de l'eau coule du plafond ; la salle de bain étant juste au dessus de la cuisine, on se demande ce que Zoé fabrique ; ma mère appelle Zoé, qui prend la mouche immédiatement : "J'ai rien fait !")

Poseur, à Goury
Mais je crois qu'elle ne comprend pas que le comportement de sa fille adolescente est une réaction contre l'ambivalence tyrannique qui règne à la maison, où ma mère a toujours été à la fois le maître et l'esclave.
Elle se plaint de nos erreurs, mais ne nous laisse pas les réparer, nous estimant incapables de le faire.
Elle voudrait que nous reconnaissions nos torts, mais ne parle jamais des siens.
Elle voudrait que l'on parte, mais elle voudrait que l'on reste aussi.
Et pour finir, elle n'a jamais accordé la moindre importance à mon père ; elle se contente de le tourner en dérision. Ce dont mon père ne se vexe nullement, d'ailleurs, car il échappe ainsi à certaines corvées, et conserve une forme d'indépendance.
Pourtant, en dépit de sérieux accrocs dans les années 80, leur couple tient – et tiendra probablement jusqu'au bout – de toute façon, mes parents ont sans doute trop besoin l'un de l'autre – ils en ont conscience, et s'offusqueraient que l'on pointe du doigt leur union, ou le fonctionnement de leur petite maisonnée.
De plus, ils ont eu assez d'intelligence pour dépasser le côté petit-bourgeois de leurs familles respectives.

Par contre, ils ne voient pas que grandir avec eux ne favorise ni l'indépendance, ni la maturation affective... deux choses dont ils n'ont pourtant jamais manqué par eux-mêmes : ils ont vécu moult expériences, ont les idées larges, aucun dogme, et ont toujours été farouchement individualistes, dans leurs pensées comme dans leurs actes.

Normal, donc, qu'il y ait des tensions, des portes qui claquent, et, en ce qui me concerne, du soulagement lorsque je prends finalement mon train pour rentrer sur Paris.

A part ça, j'ai dit non à Libé, aujourd'hui, non sans scrupules (j'en ai rêvé la nuit – j'ai même rêvé que la DRH se rendait directement chez moi, à Rouen). Mais je ne ferai pas le cadeau de démissionner à ma boîte actuelle. Je l'avais déjà fait, précédemment, avec Magnitude.
Pas de cadeau pour les patrons !

Vendredi 27 août 2004

Viens d'aller voir Just a Kiss de Ken Loach, dans un ciné de la rive gauche.
L'acteur principal, pakistanais, est drôlement mignon.
Ken Loach est non seulement un bon metteur en scène, mais il a un don pour exprimer d'une façon simple et naturelle la tragédie, l'intensité, l'emphase des rapports entre les êtres.
Curieusement, il part d'une idée sociologique élémentaire – une inégalité, un conflit de classes, de cultures, etc – et il débouche sur l'évocation, la peinture poignante et sincère de ce qu'il y a au fond des êtres.
C'est un cinéma vraiment très humain.

Je suis revenu chez moi, en déambulant dans les petites rues de Paris, où l'on respire encore un brin d'été, mais où l'on entend déjà la frénésie proche de la rentrée. Le retour au travail, les nuits qui tombent plus tôt, les couleurs d'automne.
Un peu de vague-à-l'âme. Je croisais beaucoup de touristes, aux voix joyeuses, aux propos futiles, plongés dans le décorum du quartier Saint-Michel. Puis, dans le Marais, je croisais des types, des gays, fuyants, excités, minaudant, occupés à lorgner ou à bavasser.
J'hésitais à m'arrêter dans un bar pour boire une bière. Indécis, je ne savais pas si j'avais vraiment envie de voir du monde, je me demandais si j'aurais eu assez de bonne humeur pour discuter avec quelqu'un. Je me demandais si j'aurais eu envie de coucher avec quelqu'un aussi – si l'occasion s'était présentée. Ce qui est sûr, c'est que je n'aurais pas supporté longtemps que l'on me regarde, que l'on m'observe, que l'on me colle de trop. Et puis j'avais peur de paraître trop morose, de faire fuir, de ne pas plaire en somme.
Alors je ne me suis pas arrêté, j'ai continué jusque chez moi, en me faisant des reproches, en me disant que si je voulais vivre un peu d'amour avec quelqu'un, il faudrait peut-être que je me décide à fréquenter quelques lieux régulièrement.
Mais cela me paraît insurmontable, je suis trop solitaire, pas assez volontaire, et les échecs me rendent trop tristes. Personne ne me ferait confiance.

En m'arrêtant sur le Pont-Neuf, l'espace de quelques secondes, j'ai eu envie de sauter dans la Seine. Je n'ai pourtant pas souvent des idées suicidaires. Mais je me disais qu'après tout, qu'est-ce qu'il me reste à attendre de la vie, si je dois toujours vivre comme un ermite ?
Ca sert à quoi ? J'avais l'impression que la Seine, noire d'encre, qui coulait lentement sous mes pieds, n'était qu'un mur, le mur inamovible d'une impasse, et que personne ne m'aurait retenu si j'avais sauté. Je n'aurais finalement pas été plus seul dans la mort, que dans ces rues où déambulaient ces touristes aux yeux pétillants. Il y fait juste tout noir, complètement noir, dans la mort.

Du coup, je réécoute l'album Disintegration des Cure. Non que je veuille à tout prix me désespérer !
Je crois que je ne l'avais pas réécouté depuis le lycée. Cet album fut tellement associé à mes délires passionnés pour Antoine, à ces promenades, seul avec ma cohorte de sentiments mélancoliques, sur le macadam gris de Rouen, en pensant et en repensant à lui, en rêvant d'un futur heureux – que je n'avais jamais vraiment osé l'exhiber, l'extraire de ce passé qui s'enfonce dans ma mémoire comme dans un puit.
J'ai entendu Robert Smith dire quelque chose d'intelligent au sujet de sa musique, à savoir qu'elle n'était pas sinistre ou lugubre, mais plutôt... plutôt... mais plutôt quoi ?
Quelque chose où il était question de grâce, je crois.
J'ai oublié. Pfff.... faut vraiment que j'aille me coucher.

Mercredi 1er septembre 2004

Rue de Bretagne, ce soir
Période de l'année très agréable. Il fait la même température partout – dehors, dedans, pas trop chaud, pas besoin de manteau.

J'attends mon licenciement, qui devrait arriver dans le courant du mois. Je serai enfin libéré de ce patron idiot.
Cette boîte m'a profondément écœuré du travail – alors que j'étais si motivé en y entrant – et je n'aspire plus qu'à disposer de temps libre, pour faire de la musique et des promenades dans Paris.
Dire que cet imbécile de patron m'a demandé, en avril dernier, de prendre des congés parce qu'il n'avait rien à me faire faire. Dire qu'il a éclaté une fois en réunion, parce que je le titillais sur son management pourri : "... mais j'en ai rien à foutre de ce que tu penses, Baptiste !". Il ne supporte pas l'idée qu'il doit me licencier, il estime que j'aurais dû démissionner, et il a tellement attendu qu'il a fini par déposer le bilan.
Quelle cloche.
Alors que ça fait deux ans qu'il accumule les dettes.
Du coup, il cherche des coupables, suspecte ses salariés de mauvaise volonté, de calculs en tout genre.
Et boum. C'est bien fait, je rie sous cape toute la journée, derrière mon écran.

Hier soir, chez Nico – pour tenter de réparer un truc sur son PC. Guillaume était descendu dans le sud, chez ses parents, faire son coming-out – expliquer à ses vieux, dans leur petit village du pays gardois, qu'il s'était trouvé "une bonne-euh paille", comme ils disent là-bas, et que cette bonne paille, c'était Nico.
N. qui, à table, me parle de ses problèmes de thyroïde comme un ministre en campagne – c'est à dire qu'on n'arrive pas à en placer une, et il est encore plus sûr de son affaire, ce qu'il a, de son mal, de ses dérèglements – que le diable en personne.
Me garde bien de lui faire la remarque, car il serait capable de me jeter par la fenêtre (comme il fait avec les cafards de son appart, d'ailleurs – qui pullulent en été – ainsi j'ai voulu me servir un verre d'eau dans la cuisine, j'ai poussé un cri en en voyant trois qui se promenaient entre la plaquette de beurre et les assiettes, alors je me suis dirigé vers l'évier de la salle de bain, et j'ai repoussé un cri, car il y avait toute une colonie de bébés cafard qui rampaient dans la douche).
Ensuite, N. me parle des déjections excessivement odorantes du chat de la concierge portugaise – qui s'accumulent devant son atelier de peinture, s'infiltrent dans les interstices du pavé de la cour, et qui lui rendent la vie impossible, surtout lorsqu'il pleut et que des relents nauséabonds s'élèvent du sol pour venir empester toute la cour.
Bien que d'ordinaire très rusé, N. est capté parfois par sa folie, qui se concentre, comme ça, sur certaines choses, et l'on n'ose rien répondre, de peur de le vexer.
On a fini devant une bière au chat noir.

Vendredi 10 septembre 2004

Le week-end dernier fut affreux, tellement affreux qu'il n'y a rien à en dire.
Impossible de faire quoi que ce soit en musique, impossible de parler à quiconque, impossible de dormir, impossible d'écrire ou de lire.
Il faisait chaud, et je me trouvais moche.

Il y eut un pique-nique aux buttes Chaumont, avec Pierre, Dominique, et des amis à elle, je me suis radiné avec un misérable sandwich et une salade mexicaine en conserve – mesquinerie égoïste qui fut tout de suite pointé du doigt : tiens, voilà Baptiste qui débarque avec son sandwich, ah ah ah !
Ah ah ah.

Et puis dimanche soir, vers neuf heures, après avoir mariné toute la journée, assis sur ma chaise de bureau à trier des photos sur mon PC, j'ai poussé un : "J'en peux plus, il faut que je sorte."
Et je suis sorti en effet, sorti respirer du gasoil sur le boulevard qui mène jusqu'à Bastille, avec en tête une mélodie mélancolique de Laurie Anderson, sur trois notes.
Arrivé au petit port, à Bastille, je n'ai pas réussi à m'asseoir, trop mal à l'aise, j'ai juste regardé les gens sur leurs bateaux, qui terminaient de dîner, penchés sur leur assiette, ou qui regardaient la télé.
Et j'ai regardé les couples aussi, allongés sur le gazon, qui s'embrassaient.
Et les groupes de gens aussi, sur le gazon aussi, qui se découpaient des tranches de saucisson et qui buvaient de la bière dans des canettes.
J'ai respiré de nouveau du gasoil en traversant la place de la Bastille, scintillante de ses lumières jaunes et rouges dans cette belle nuit de fin d'été, et je suis rentré par la rue Amelot, presque incapable de penser.

La semaine s'est mieux passé, cela dit :
Lundi soir, j'ai vu Pierre, on a pris un verre dans un bar du Marais – hors de prix, tables bondées, serveurs agités et blasés, touristes archi-mous et encombrants, gays futiles et reluqueurs.
Mardi soir, été trouver des CD vierges dans le XIIème – passionnant – puis pris un verre au Popins, ce que je ne fais jamais, mais pour une fois il n'y avait personne, donc je suis rentré dans le bar, c'est logique.
Mercredi, j'ai établi mon agenda pour l'année (car les cours au CNAM vont reprendre).
Puis le soir, suis descendu à pied jusqu'au théâtre de la Ville, trouvé porte close, pensant qu'ils fermaient à 20h.
Jeudi soir, rebelotte, suis arrivé avant 19h cette fois-ci, mais tous les abonnements étaient déjà complets.
Ensuite, dans le XIIIe, comme j'étais en avance pour le psy, j'ai pris un verre, lu les pages littéraires de Libé. Il n'était question que d'un auteur sud-américain traumatisé par la maladie mortelle qui va le ronger (et qui le rongea en effet, et le tua bien), et d'un auteur français rendu inconsolable par la longue agonie, puis la mort de sa fille en bas âge, incapable de trouver l'oubli ou le soulagement, des années plus tard, même dans des errances à l'autre bout du monde.
Le psy m'a dit : "Ce qui est sûr, c'est qu'il est trop tôt pour conclure."

Ce midi, j'ai amené Pierre et son collègue (un repas d'affaire, car j'interviendrai peut-être sur leur site) chez ces vieux fous du restau de la rue des Fontaines du Temple.
Ils sont toujours pareils, dans leur cantine à la bonne franquette.
Lui, il transpirait à grosse goutte, sur sa couperose, désœuvré derrière le bar. Elle, débordée, a fini par surgir, par remonter comme un diable de la cuisine, au bout d'un quart d'heure, des tas de plats en main, ahurie, fébrile, essoufflée, mais souriante, s'excusant et se plaignant à la fois.
"Normalement, c'était fermé ce midi..."
"Il n'y a plus rien à manger, on savait pas qu'il y aurait du monde aujourd'hui.".
"C'était quoi votre commande déjà ? Deux salades mozzarella, c'est ça ?".
Avant de faire tomber un cendrier dans l'escalier. Et de paniquer parce que de nouveaux clients ont pénétré dans son restaurant.

Ensuite, au boulot, j'ai regardé des clips du groupe Franz-Ferdinand sur internet – n'ayant rien de mieux, ni d'autre, à faire.

Et ce soir, j'ai déversé sur Patrick tout mon mal-être, dans un mail pompeux et confus, où j'encense Yourcenar et son style magnifique et frigide à la fois, avant de m'excuser pour être aussi bavard sur mes angoisses au sujet de la mort, et sur mon incapacité chronique à faire confiance aux autres.

A l'heure qu'il est, je bois un nescafé.

Mercredi 15 septembre 2004

To Rococo Rot
Concert des To Rococo Rot , au centre Pompidou ce soir.
Trois jeunes allemands de la scène éléctro, l'un à la batterie, l'autre à la basse électrique, et le dernier, au milieu, un bonnet rouge vissé sur la tête, devant une table recouverte de machines compliquées.
Une musique précise, soignée, se développant, se construisant lentement, mais vivante et pleine de détails. Ni violente, ni sucrée, mais doucement mélodique, ou bien doucement bruyante. Très réussi, dans le style.
Kraftwerk, à côté, c'est des grosses Kartoffel.

On était tous assis, mais j'avais envie de danser.
Ca m'a rappelé l'atmosphère des ciné-mixes de la Cinémathèque, ces projections de films muets du début du siècle, accompagnés en live par des groupes éléctro. Ceux que j'avais vus l'année dernière – avec le groupe Alpha en particulier – m'avaient subjugué.
C'est un poil intellectuel tout ça, mais ça n'en n'est pas moins beau, fin et surprenant.

En parlant de musique électronique (mais un niveau en dessous), dimanche dernier, je suis tombé sur des vidéos de Depeche Mode, à leurs débuts, en 1981.
Aux "Tops of the Pops", le présentateur de la BBC – un vieux triste en costard et grosses lunettes, qui tient son micro comme une sucette – annonce fièrement : "dépéché mowde".
Sous les applaudissements de minettes en combinaisons jaunes canari – ça sent encore bon la disco.

A l'époque, ils souriaient encore...
Le chanteur, jeune, ressemble un peu à Sarkozy, de profil.
Et mon Dieu, son acolyte, avec sa grosse choucroute sur la tête, à la Garfunkel...
Un summum de kitcherie, hilarant.

Quand on pense à ce qu'était devenu ce groupe dès la fin des années 80...
Fini les niaiseries prépubères.
Cintrés dans des tenues en cuir intégrales, ils cultivaient des mines composées, dures comme de l'acier, un style sinistre, dominateur, un tantinet sado-maso.
J'étais complètement dupe. Devant leurs clips à la télé, je prenais toute cette artillerie gothico-cuir pour argent comptant, et ça me fascinait, ça me troublait.
Quelque chose comme : eux, ils sont grands, épanouis, ils osent, ils se montrent, ils n'ont pas peur, etc...

Mais maintenant, c'est nous qui rigolons...
Je ne l'interprétais pas vraiment sur le plan de la sexualité (j'aurais sans doute été totalement traumatisé si l'on m'avait alors parlé de sexualité SM, pauvre biche que j'étais) – mais j'y voyais une forme d'affirmation hypervirile (rien que ça), de provocation, et un certain fétichisme austère, radical, oh – disons le – presque désincarné.
Faut croire qu'avec mes 14 ans d'âge mental, j'étais la bonne poire pour faire ce genre d'association débile.

Curieusement, une image est gravée en moi.
En classe de troisième, notre prof d'histoire-géo - une petite bonne femme toute sèche, aux allures de syndicaliste – nous a emmené à Paris voir une expo – je ne me souviens plus laquelle, "Les années 50" peut-être. Et je nous revois encore, toute la classe, trente collégiens normands en promenade dans la capitale, longeant le centre Pompidou, cependant qu'on entendait, quelque part, les échos métalliques d'une des chansons du groupe, "Strange love".
Par la suite, pendant longtemps, Beaubourg et cette chanson restèrent mystérieusement associés. J'ignorais totalement la présence du Marais à proximité – du reste je n'imaginais même pas qu'il pût exister des quartiers gay – et je ne me penchais pas plus que ça sur les diverses interprétations possibles du titre de la chanson.
Mais il y avait quelque chose qui traînait, là, comme une odeur.
Paris, la liberté, la modernité, la mode, l'immensité, la solitude, la solitude de vivre, adulte, dans une grande ville, et d'en jouir, peut-être.
Quand je dis liberté, il s'agissait pour moi non seulement d'indépendance, mais aussi, lointainement, de liberté sexuelle, en tout cas quelque chose d'à peine esquissé, juste d'effleuré dans mon esprit, comme un pressentiment...
Comme si l'inconscient comprenait avant de savoir.
Strange love... La bonne blague.

Dimanche 19 septembre 2004

Vendredi soir, il m'a pris l'envie de sortir au Red Light.
J'y avais été une fois, il y a un certain temps déjà, et je voulais tester l'endroit de nouveau.
Je prends donc une douche, je me pouponne, et vers minuit et demi, frais comme un gardon, je m'élance dans la nuit.

Dans le métro, à Châtelet, des jeunes types sont montés, complètement bourrés, bruyants, mais surtout incroyablement bêtes.
Ils répétaient et répétaient à satiété, sans se lasser, que, dans le restau d'où ils venaient, l'alcool était à volonté. Soit. Ne tenant pas en place sur leur siège, ils gesticulaient, se balançaient dans la rame, faisaient des "oooOOOOOoooh !" à tue-tête, et se sont moqués des moustaches d'un des passagers.
"– Où qu'on va déjà ?
– Au Red Light. Faut descendre à Montparnasse.
– oooooOOOOOOooooh !"

N'en pouvant plus, je suis descendu un peu avant Montparnasse, pour me traîner jusque dans une brasserie, en maudissant ma malchance habituelle. Accoudé au comptoir, j'ai observé les skateurs du vendredi soir, rassemblés sur l'esplanade de la gare, qui se remettaient de leur grande promenade collective.
Puis je me suis dirigé vers la boîte, j'ai passé le contrôle, attendu un peu au guichet.
J'ai alors aperçu des petites blondasses à queue de cheval, plouco-chic, raides et blasées, reprendre leurs affaires au vestiaire.
Ça m'a écœuré, et j'ai fait demi-tour illico.

En remontant la rue de Rennes, je me suis expliqué mon comportement en me disant qu'après tout, tout ce que je voulais, c'était une bonne boîte pédé, sans ces minettes emballées dans du Naf-Naf.
A St Germain des Prés – il était presque deux heures – j'ai trouvé un rade ouvert, un petit bar-tabac où j'ai pris une nouvelle bière et fait pipi.
Une bande d'habitués se serrait autour du comptoir, des jeunes, des moins jeunes. J'écoutais distraitement leur semblant de conversation. Un vieux type en particulier, avec une casquette, qui s'autoproclamait l'"artiste", avait une voix très forte, et s'en vantait : "Eh oui, il faut savoir parler et chanter avec conviction !"
Et, d'instinct, les voilà tous qui entonnent une horrible chanson où il était question de bannières de chrétienté contrant l'assaut des socialistes et des communistes. Gloups, soudain ma bière a eu du mal à passer. Je les ai tous regardé de nouveau, un à un – croyant à une plaisanterie – je les avais plutôt pris pour d'innocents ex-Sorbonnards.
Mais en quittant le bar, j'ai entendu un autre groupe de gens, attablés dans la rue, porter un toast qui ne laissait plus planer aucun doute : "– A Sarko ! – A Sarko !"

J'ai continué mon chemin, accompagné par le vent de septembre, navré, désespéré. Lorsque j'ai franchi la Seine, par la passerelle des Arts, je me suis dit que je ne remettrai plus jamais les pieds sur la rive gauche.

Enfin, après de nombreuses sinuosités le long de ruelles désertes, j'ai fini par arriver sur les grands boulevards, et par entrer au Vogue, l'ancien Scorp – une petite boîte sans élégance, mais indéniablement gay. La déco avait un peu changé, la sono un poil plus forte, mais cela n'avait manifestement pas suffi à freiner la désaffection de ce lieu – juste à faire fuir les derniers habitués.
J'ai bu un gin-to, et j'ai été dansé – le seul moment agréable de la soirée.
Suis rentré au bout d'une heure, en traînant des pieds, en me disant que personne ne faisait attention à moi et que j'étais fini.
Sur Citegay, j'ai ensuite chatté avec un roumain, qui avait l'air charmant et cultivé, mais qui était très occupé, et visiblement pas pressé de me rencontrer.

Je me suis endormi, comme tous les soirs, en serrant un oreiller contre moi.

Samedi, après avoir avalé un peu de paracétamol, j'ai été à mon cours de chant, avec Laurent A. – à qui j'ai expliqué que je ne reviendrai pas, à cause de problèmes financiers. Evidemment, je ne lui ai pas dit que j'allais chercher des cours moins chers (car il est passé à 40 euros de l'heure, le picsou !). C'est dommage, j'avais bien progressé l'année dernière, et l'endroit où il donnait ses cours était sympa.

Puis j'ai déambulé à la Techno-Parade, où ça fleurait bon le sébum et le Jean-Paul Gaultier. J'avais l'impression de voir des têtes très jeunes, des tronches d'ado qu'on ne rencontre presque jamais dans les rues en temps normal.
Ici, comme à la Gay Pride, au moins les gens s'amusent, rigolent, tout en venant d'horizons relativement différents.
Pas de discours, pas d'idéologies, pas de dialectique, pas de calculs, pas de tensions, de conflits, pas de gagnants, pas d'argent, juste des décibels et de la bière qui coule à flots. Puissent les masses humaines toujours en rester là !

Samedi 25 septembre 2004

La salle d'attente du psy
Récapitulons :
Lundi soir, mangé du potimarron chez Pierre.
Mercredi, mon psy m'a sorti des commentaires idiots – et je crois que cette fois-ci je vais le lâcher, ça fait maintenant 4 ans que je le vois. On les paye pour qu'ils se taisent, ces shrinks, pas pour les entendre dire : "Oui, bon, c'est pas l'Irak..." au sujet des pleurnicheries qu'on vient de leur infliger. Ni pour les voir s'étonner : "Mais enfin, chaque fois que vous sortez, il faut vraiment que vous rencontriez un garçon ???". Le commentaire du psy, fût-il de bon sens, peut vite se transformer en démarche plus ou moins délibérée de culpabilisation, et je me culpabilise bien assez tout seul comme ça.
Quelques heures auparavant, je m'étais engueulé avec une collègue – une chef de projet junior, une blonde hystérique, qui a quitté la réunion en criant et en claquant la porte – tout ça parce que je lui avais dit que je ne pouvais pas travailler avec son document de conception, en m'illustrant en saisissant les feuillets du bout des doigts.

Ah, mais je ne me laisserai pas faire, moi !

Jeudi soir, vu Pélléas et Mélisande, à l'Opéra-Bastille.

Du balcon de chez pierre

Les larmes coulaient toutes seules, sur mes blanches joues. Si la musique de Debussy est évidemment très belle – quoique un peu fatigante au bout de trois heures – le texte de Maeterlinck est touchant aussi : tout en s'inspirant de gros clichés wagnériens et romantiques, il est traversé de symboles, d'images poétiques, de clair-obscurs, de divagations, de rêveries, et il ne présente aucun véritable "méchant" – juste des âmes perdues, dépassées par ce qui leur arrive, en quête de lumière.
Mélisande, pleure au bord d'une fontaine, dans une sombre forêt où elle s'est perdue. Apparaît un homme, dont on comprend qu'il est le propriétaire des terres. Il interroge doucement la jeune fille, et tente de la rassurer, car elle semble terrorisée (on ne saura jamais par quoi d'ailleurs). Lorsqu'elle consent finalement à l'accompagner et qu'elle lui demande où ils se dirigent, il répond qu'il ne sait pas, en baissant la tête : "Je suis perdu moi aussi."
La suite de l'histoire donnera d'ailleurs un éclairage particulier à cette formule.
C'est à partir de ce moment que mes larmes ont commencé à couler, devant cet aveu de faiblesse, cette absence d'orgueil. Contrairement aux mythes habituels, ici, l'homme ne sait pas plus où il en est que la femme.
On est loin de la vacuité grandiloquente de certains livrets d'opéras romantiques.
Quant à la mise en scène de Robert Wilson, archi-sophistiquée, totalement anti-naturelle, avec ses ombres et ses couleurs délicates, elle se mariait sans difficulté avec l'impressionnisme général de cette œuvre à part.
(juste dommage qu'il faille se taper la compagnie du public habituel de l'opéra – les mamies râleuses, les maris petits-bourgeois qui se font traîner par leur moitié ou leur belle-maman, l'aristocratie du XVIème en costume, etc, etc.)
Enfin, vendredi soir, au ciné – le dernier Wim Wenders, sur la paranoïa de l'Amérique de George Bush. Un film inspiré par une chose aussi bête et sinistre ne peut pas être bon, fût-il de Wenders.

Jeudi 30 septembre 2004

Boulevard Arago ce soir
Si tout se passe bien, je vais recevoir ma lettre de licenciement lundi prochain.
Demain sera donc ma dernière journée à Préférences, merci Seigneur.
Et comme je serai normalement dispensé d'effectuer mon préavis, je vais pouvoir souffler un peu – ces derniers mois ont été tellement tendus.

Dimanche, au Palais Garnier, j'ai vu un ballet contemporain sur une musique de Philip Glass (j'y allais pour ça). Très coloré, très carré, très années 80, plein de figures collectives, de géométries, les solistes relégués au rang d'accessoires, j'ai adoré.
Par contre, avant, j'ai dû me farcir un ballet classique du début du siècle – musique de Czerny. Taratata-tsoin-tsoin, au secours !... C'était la première fois que j'assistais à un ballet classique, en tutus et demi-pointes, j'ai crû que c'était une blague.

Mardi soir, j'ai été retrouver Alix dans un bar à Montmartre. Elle ne travaille toujours pas, elle dort, lit et se traîne dans les bars.
Ca m'a fait du bien de la revoir, de discuter avec elle, tandis que nous marchions sans empressement, le long des ruelles grises autour de la butte, comme nous le faisions autrefois à Rouen.
Il s'est mis à pleuvoir, une dense et fine petite bruine qui a assombri toute la ville. Nous nous sommes abrités sous le parvis du Sacré-Cœur, entre quelques touristes insouciants.
Elle avait enroulé autour de son cou ce gros boa en synthétique rouge que je lui connais bien, et elle avait noué une touillette en plastique bleu dans ses cheveux pour les tenir. Son boa dégageait une forte odeur, une eau de toilette chic et capiteuse qu'on lui avait offerte récemment, "oui, pour couvrir la clope, c'est mieux que les trucs pour canapé" me dit-elle.
Elle qui n'a pas un rond, qui va sur le RMI, malgré sa thèse en thermodynamique, déjà oubliée maintenant.
Son copain est toujours en prison - il devrait être extradé bientôt. Elle hésite à le suivre en Italie.
Moi je lui contais mes histoires de boulot, mes cours au CNAM qui reprennent, mon ras-le-bol généralisé, ma joie à l'idée de bientôt pouvoir me lever quand bon me semblera.
On a fini dans un restaurant de la rue des Trois-Frères, je me suis empiffré et j'ai picolé comme quatre.
On s'est dit qu'on allait bientôt zoner ensemble.

En cours du soir
Hier, rien de particulier. Au boulot, j'ai un projet mal ficelé à terminer avant mon départ.

Parfois, en fin de journée, une sorte de panique naît en moi, un mélange d'anxiété et de tristesse, que je n'arrive pas à chasser.
Seule la nuit parvient à m'apaiser, lorsque je trouve enfin le sommeil.
Je me sens seul. Et lorsque je fais des efforts, ce n'est que ratages, ironies et indifférence du destin.
Aujourd'hui, mon psy – à qui je devais déclarer que c'était fini, fini à jamais entre nous – n'est pas venu. Je l'ai appelé sur son téléphone ; l'animal, il avait oublié de me prévenir, la semaine dernière, qu'il ne pourrait pas me recevoir aujourd'hui.
Je m'en suis donc rentré à pied, du 13ème arrondissement, de fort mauvaise humeur, en maudissant l'humanité toute entière.

Ces temps-ci, la seule chose qui me fait plaisir, c'est, le soir venu, roulé dans ma couette, de pouvoir me plonger dans ce petit bouquin de Raymond Depardon, "La ferme du Garet", sur sa vie, ses origines paysannes.
J'aime cet homme, sa démarche naturelle de photographe, son regard neutre sur les hommes et la société, et cette façon simple et humble qu'il a de s'exprimer. Il se raconte peut-être même mieux que n'importe qui d'autre pourrait le faire. Et puis il a fui, il a voyagé, il a réussi à quitter ce berceau agricole qui ne lui correspondait pas, son désir de photographe a eu raison de son legs parental, ce legs qui nous retient tous en arrière.

Mon Dieu, puissé-je moi aussi – je ne sais encore de quelle façon – arriver à m'en sortir.
Pas faire carrière, non, juste sortir, sortir de ce trou parisien d'horreur, où je me décompose, tout seul, comme ces pauvres vieilles poires que j'oublie dans leur bannette.

Vendredi 1er octobre

Vivre avec quelqu'un, c'est vivre un peu moins avec soi-même.
Ce n'est pas de vivre avec quelqu'un qui m'inquiète.
C'est de vivre un peu moins avec moi-même.

Dimanche 3 octobre 2004

Rue Vaucouleurs
Mal aux cheveux.
Astrid – une collègue, licenciée comme moi – avait organisé un apéro hier, qui s'est un peu étiré en longueur.
Des amis à elle et deux autres collègues étaient là aussi – dont Delphine, qui se présente elle-même comme la pure banlieusarde. La discussion a tourné un moment autour des prix actuels de l'immobilier, des taux d'intérêt, de ces horribles taudis qu'on achète à prix d'or à Orly ou à Neuilly-Plaisance, et de la saturation des lignes de RER le matin. Delphine raconte ensuite son samedi après-midi avec son copain, à Rosny-2, un épouvantable centre commercial de la banlieue est. Ils semblent s'y rendre comme d'autres vont se promener dans les allées des Tuileries. Ce samedi là, c'était opération Bien-être : on proposait des séances gratuites d'initiation au yoga dans les allées du centre. Et les voilà donc tous les deux, Delphine et son copain, enfoncés dans de confortables fauteuils, invités à placer les mains au dessus de la tête, et à observer avec grâce, bonté et reconnaissance le portrait d'un fanatique du yoga, placé juste en face d'eux – le portrait d'un type sans doute plus fanatique que yoguiste d'ailleurs, et tout ça dans le brouhaha invraisemblable du centre commercial.

Mon Dieu, ayez pitié de ces banlieusards (et pardonnez mes airs hautains).

Et puis le vin a coulé, coulé, et plus il coulait, et plus il me collait, me maintenait au parquet (on était tous assis par terre, dans ce petit appart de la rue Ramponneau)

Boulevard Magenta

Soudain j'ai réalisé qu'il était déjà 3 heures et demie, que j'avais prévu d'aller voir deux ou trois spectacles de cette fameuse Nuit Blanche (chaque année, je n'en vois jamais rien), et de finir à cette soirée gay très fashion, à l'Elysée-Montmartre, et dont j'avais lu du bien récemment. Mais une fois dehors, après quelques molles flâneries au hasard des rues du Xème arrondissement, j'ai vite compris que je n'irai pas bien loin, pas plus loin que dans mon lit - ce dont j'enrageais, car j'avais envie de danser, de voir du monde, malgré ma fatigue.
En revenant vers chez moi, la tête et le pas alourdis, j'ai eu Nico et Guillaume au téléphone, Nico qui avait mis une robe noire ce soir là - disait-il - et qui était aussi saoul que moi, et qui ne m'avait pas appelé de la soirée, ni prévenu qu'ils seraient au Chat Noir, ce dont je lui en voulais.
Et enfin, vers 6 heures du matin, avachi sur ma chaise de secrétaire, j'ai eu la force de répondre à quelques mails sur une messagerie gay débile, j'ai même voulu relever ce défi que me lançait un type, de me lancer dans de complexes calculs d'algèbre linéaire ; je me suis courageusement battu quelques dizaines de minutes avec des calculs de déterminant, et puis j'ai jeté l'éponge, en m'affaissant sur mon lit comme une masse.

Aujourd'hui, j'ai préparé un pot-au-feu - envie d'eau et de légumes.

Vendredi soir, j'ai rencontré un garçon charmant, aux yeux magnifiques. Nous avons bu un verre, il s'est révélé assez bavard, je n'en plaçais pas une. Un Roumain, étudiant depuis peu à Paris. Au bout d'une heure, et comme on nous virait du bar, je lui ai proposé d'aller manger quelque part, mais non il ne pouvait pas ce soir là, quel dommage ; par contre il s'est laissé guider jusque devant chez moi (facile, il parlait tout le temps), là, je lui ai proposé de monter, mais non il ne pouvait toujours pas. Bon. Mais au moment de se séparer, il m'a regardé d'un air tendre, ça scintillait soudain dans ses yeux - et dans les miens aussi bien sûr ! - j'étais complètement hypnotisé, électrisé, gaga, pire qu'une adolescente sous son premier coup de foudre.
Alors on s'est fait un petit bisou sur la bouche, à toute vitesse, et nous nous sommes séparés comme ça, sans rien dire, et j'ai monté les marches de l'escalier totalement inconscient, groggy, sur une autre planète.
Hier, je lui ai envoyé un mail pour lui suggérer de se revoir, mais il a répondu un peu sèchement, que non, qu'il était malade, et qu'il devait écouter un récital tôt dimanche matin au Chêtelet, même s'il était content d'avoir fait ma connaissance et qu'il espérait me revoir.
Après beaucoup d'hésitation, je l'ai appelé au téléphone aujourd'hui, mais à peine me suis-je présenté, qu'il a fait un "ha..." tout ce qu'il y a de pas ravi et de pas enjoué du tout.
Je ne comprends pas.
Enfin, si, je comprends que c'est toujours pareil : avec moi, tout foire avant même d'avoir commencé.
Bon, on ne va pas en faire un fromage, je commence à avoir l'habitude.
Donc, snif, au dodo.

Lundi 11 octobre 2004

En passant par la gare de l'est...
Un rhume toute la semaine dernière.

Jeudi matin, vu un nouveau prof de chant, dans son appart bobo du XIème. Trop cher, trop agressif, trop docte, trop sûr de lui. Du coup, me voilà mal à l'aise, paralysé. Il me dit : "Mais ! Vous avez une tension dans le ventre, là, dès que vous ouvrez la bouche pour chanter !".
Et pour cause, la douleur revenait régulièrement dans son discours : "Attendez, je vais vous brusquer un peu..." et il appuyait sur mon bas-ventre, pour forcer les muscles sous le diaphragme. "Ca va, je ne vous fais pas mal ?". Non, pas mal, mais il m'énervait, il m'énervait.
Sa petite fille a fait irruption dans la pièce, vers la fin, avec un gros chat dans les bras.
La seule vision amusante de tout le cours.

Jeudi soir, repas chez Fred et Ch., dans leur appart en béton armé du XIIIème, avec Alix et Maria - la mère d'Alberto. Une fondue, avec du fromage que F. avait ramené de Zurich, où il travaille actuellement. J'étais content de les revoir.
Sommes partis vers 4 heures et demi du matin, Alix, Maria et moi, un peu gris. Alix qui, dans son exubérance éthylique, cherchait vainement à entrer en communication avec le chauffeur de taxi qui nous ramenait vers la gare du Nord, via République - où je devais descendre. On parlait italien, des bêtises, et Alix qui buvait à la bouteille une eau gazeuse très salée, en rigolant... Sauf que lorsque nous sommes arrivés à Nation - pas vraiment le bon chemin - j'ai exigé des explications au chauffeur d'un ton peu aimable, j'ai même demandé à descendre tout de suite - évidemment, il était en train de nous emmener en ballade dans Paris, aux frais de la princesse, scandale. Comme je ne voulais pas payer, il est sorti de son taxi, j'étais très énervé, lui aussi, mais voyant que nous restions fermes, il est remonté dans sa voiture pourrie, il a baissé la vitre et il a crié : "La prochaine fois, tu la payes ta course, PEDE !". Il a démarré en trombe et il a disparu.
Ce jour là, bizarrement, bien que de bonne humeur, il ne fallait pas essayer de m'embobiner.
Je supporte de moins en moins qu'on essaye de m'embobiner.

Le lendemain, 10 heures du matin, je donnais un cours d'informatique à l'autre bout de Paris. Toute la journée, j'ai été transi de froid et de fatigue.
Puis, incursion chez un nouveau prof de chant, absolument pas le même style que l'autre.
Dans une cave humide sans fenêtre, à deux pas de Montmartre. Une vieille tante, lugubre, passablement bouffie, derrière son piano, avec un petit radiateur éléctrique qui ronronnait à ses pieds. Dans un coin, un tableau blanc recouvert d'exercices bizarres sur les voyelles : "kni-i-é-è-o-a ! " "kné-ò-ô-at !". La cinquantaine, un peu cynique, calme jusqu'à la neurasthénie, mais pas méchant, je présume. Pas pédant, pas chiant. Pas cher. Ok, je prends.

Opale, chez mes parents
Ce week-end, back in Rouen, pour les anniversaires de ma mère et de ma sœur Sarah.
Zoé était de sortie ce samedi soir, juste au moment où l'on fêtait l'anniversaire de maman.
– Oui, regardez le petit mot que m'a laissée votre sœur... dit-elle en nous tendant un post-it.
Ça sonnait un peu comme : regardez comme ce n'est pas très gentil de sa part, comme elle m'en fait voir...
Sarah, conciliante : – Bah, elle pensait peut-être qu'on fêterait ça demain midi.
Ma mère : – Moui... Elle aurait quand même pu indiquer un numéro de téléphone, au cas où...
Zoé, 17 ans, commence en effet à sortir. Elle se maquille de noir, écoute du punk, envoie promener ses parents, tout en ayant besoin d'eux.
En même temps, je la plains, de devoir vivre seule avec eux.

J'installe l'ordinateur et l'imprimante – cadeau d'anniversaire. Le lendemain, dimanche, je donne un cours abrégé de Word à ma mère, qui – pleine de bonne volonté – essaye de comprendre les Ouvrir, les Enregistrer et les Nouveau document, tout en se battant avec la souris, ses lunettes posées sur le bout du nez.

La félinomanie familiale
Pendant ce temps là, Sarah revient de chez elle avec Chatouille en laisse, sa chatte surprotégée, qu'elle ramène donc dans la verte banlieue familiale chaque week-end.
"Histoire qu'elle prenne l'air."

Zoé surgit dans la cuisine, avec le visage terne, tout gris, le visage des après-soirées.

Dimanche soir, minuit, c'est la soirée picole pour ma mère – elle boit un soir sur deux, se couche à quatre heures, après avoir ruminé des vieilles rancoeurs, des vieilles culpabilités, toute seule dans son coin. Et donc, minuit, je l'entends qui, maladroitement, d'une voie molle, artificielle, cigarette à la main, cherche à engager la conversation avec Zoé, qui ne demande qu'à prendre son bain tranquillement. Je traverse la cuisine à toute vitesse pour aller aux toilettes, en espérant qu'elle ne me verra pas passer, occupée à questionner Zoé.
J'imagine qu'elle se fait du souci pour elle, qu'elle espère que sa soirée s'est bien passée la veille, elle voudrait en savoir plus, etc.
Elle voudrait sans doute lui dire qu' elle se fait du souci pour elle, qu' elle aime sa fille
Tout ça sous l'effet de l'alcool, ingéré depuis des heures - du gin, du vilain muscadet, dans un nuage de fumée grise.
Généralement, pendant ces soirées picole, elle n'arrive même pas à terminer ses phrases, qu'elle ponctue de gros silences et de petits gestes nerveux de la main droite, et qu'il faut compléter mentalement pour comprendre là où elle veut en venir.
Pendant ce temps là, au lit, mon père ronfle devant la télé allumée. Parfois il s'agite dans son sommeil et fait des petits bruits.
Quelle famille de fous.

Le bar, près de la Croix-de-Pierre
A part ça, dimanche, j'ai appelé Franck, qui ne répondait pas.
Comme j'avais besoin de quitter la maison malgré tout, j'ai pris la voiture et je suis descendu en ville.
Il faisait froid, le temps était couvert, tout était blanc, gris et bleu.
J'ai marché vers le quartier de la Croix-de-Pierre.
J'avais entendu parler d'un bar gay qui s'était ouvert récemment dans le coin. Pas difficile à repérer, avec son enseigne aux couleurs du rainbow flag, qui se détachait dans la pénombre de cette fin d'après-midi d'automne.
Evidemment, avec ma malchance habituelle chaque fois que je cherche à passer inaperçu, j'ai ouvert la porte dans un fracas d'enfer, et tous les regards se sont braqués sur moi, comme si j'étais le diable en personne qui surgissait pour tous les emporter.
Mais à l'intérieur, il n'y avait qu'un barman désœuvré, une fille placide et un vieux normand aux Gitanes, qui s'ennuyaient ferme autour d'un comptoir.
Ca sentait le moisi, le renfermé, la vieille clope.
J'ai commandé une bière.
En sortant du bar...

Aux murs, les affiches habituelles d'un bar gay.
Le vieux a essayé de dire un truc d'un air badin, à propos d'alcool. Un semblant de discussion amusée a commencé avec le barman. Mais deux minutes plus tard, déjà, plus personne ne parlait.
Il était sept heures du soir. Sept heures du soir, à Rouen, en octobre, dans un troquet humide et désert.
Le barman s'est senti obligé de couper les variétés françaises - genre Patricia Kaas - pour passer un CD de techno, histoire de réchauffer l'atmosphère peut-être.
C'était encore plus déprimant.
Je suis parti au bout d'une demi-heure, et j'ai erré au hasard, en revenant vers le centre ville.
Je n'étais pas triste pourtant.
Du reste, même s'il y avait eu du monde dans cette gargote paumée, me serais-je senti moins seul ?

Rue Beauvoisine
Un ami de Paris m'envoya soudain un texto.
Quelqu'un venait donc de penser à moi, quelque part.

Près du Palais de Justice, un type va à ma rencontre. Il a l'air mignon, il me regarde. Je le regarde aussi, un peu gêné. Il me tend la main, il me dit bonjour. Bon sang, Vincent le breton, je ne l'avais pas reconnu ! Au moins cinq ou six ans que je ne l'avais pas vu. Il me demande déjà ce que je deviens, alors que j'en suis encore à me remettre de la brutale réapparition de ce revenant.
Bien qu'il s'exprime un peu mécaniquement, sans un sourire, je sens bien que cette espèce de neutralité froide et austère qui émane du fond de lui n'est pas dirigée contre moi.
Il me raconte qu'il sort de prison, une histoire sordide qui l'a détruit. Et je me souviens du même coup des quelques soucis psychiatriques qu'il connut, un temps.
Il me dit qu'il va bientôt s'installer à Barcelone, qu'il ne supporte plus Rouen - où il ne se passe rien, où les gens ne sont pas intéressants. On parle un peu de ceux qui ont réussi, comme Vincent Delerm ou les Tahiti 80, de ceux qui sont fini, comme les Dogs, de ceux qui essayent encore, comme les Steeple Remove.
Autour de nous, la nuit tombait, tout avait viré au bleu profond des crépuscules d'hiver, et le vent tourbillonnait.
Son discours trahissait des incohérences, des rodomontades, des délires (il partira étudier le yoga à Barcelone, même qu'il est autodidacte, oui, il vivra de ça là-bas, il l'enseignera, à Barcelone, où les gens sont plus réceptifs à la relaxation et aux médecines douces qu'à Rouen bien sûr ; et puis, aussi, il a autoproduit un disque, une "peinture d'émotions" dit-il, mais qui n'a pas réussi à convaincre, il en a vendu peu, même si ça lui fait encore des choses que de le réécouter, etc, etc)

Depuis ma vieille chambre rouennaise...
C'est ce côté délirant qui me retenait de lui proposer d'aller boire un verre, plutôt que de rester debout comme deux ronds de flans dans la nuit tombante. Et même si je le trouvais encore séduisant.
Pourtant, on sent tellement qu'il a envie de se consacrer à quelque chose, qu'il voudrait se hisser, s'élever, s'extirper d'un truc qui l'étouffe, qui lui pèse, et - non - ce garçon n'est pas foncièrement mauvais.
"Oui, j'ai essayé Marseille, la Hollande, mais je n'ai jamais pu y rester plus de trois semaines... Par contre, à Barcelone, sur les Ramblas, c'est pas pareil... C'est autre chose."
Je lui ai souhaité de réussir dans son projet, même si c'est évident qu'il y a quelque chose qui cloche.

Suis rentré ce midi sur Paris.

Voici ce que l'on apercevait, ce matin
Tout à l'heure, premier cours d'intelligence artificielle. Le prof avait l'air intéressant au début, avec un discours ouvert sur d'autres disciplines, philosophie, mathématiques. Et puis le voilà soudain qui parle de son DESS, de l'université de Stanford, des Etats-Unis où il a longtemps vécu, de la fac d'Orsay, de son grand maître à Glasgow, de ses travaux sur la fusée Ariane, de certains chercheurs de la région parisienne qui écrivent n'importe quoi et qui ont tué l'intelligence artificielle. Le voilà qui sort des anecdotes poussives, pas terribles. Et le voilà, s'adressant à nous, pauvres élèves : "Vous savez tous que..." "Tout le monde sait que..." "Quoi, vous ne savez pas que... ?"
Personne ne répondait.
"Bon, vous ne savez pas ça, mais vous savez certainement que..."
Or la connaissance, ses classifications, les modèles cognitifs étaient précisément une idée clef de son baratin, et il semblait très content d'expliquer que "nous", en intelligence artificielle, on dissocie complètement le signe du sens.
Bravo. Magnifique.
En fait, il n'est pas très malin, et surtout terrifié à l'idée de ne pas savoir, justement, ou d'être pris en défaut dans sa connaissance.

Mais pourquoi les individus enfermés dans leur propre névrose, dans leur propre folie, doivent-ils assommer les autres avec elles ?

Dimanche 17 octobre 2004

Les cours du soir – qui constituent pourtant maintenant ma dernière et unique activité sérieuse – me pompent l'air. Je ne veux même pas y songer.

Alors, qu'ai-je fait de toute cette semaine qui se termine ?
Qu'ai-je fait de tout ce week-end ?

A part dormir, j'ai vu quelques personnes – Nico, Laurence, Dirk... – ainsi qu'un film, Brodeuses, pas mal.
Fait quelques photographies, un sale plan cul, un peu de musique, une petite expo, quelques courses.
Il a fait froid, il a plu.
Il me manque quelque chose.
D'un autre côté, si je n'avais pas ces cours du soir - et l'espoir, au final, de réussir à trouver un boulot motivant grâce à eux – je me sentirais encore plus mal. J'ai toujours besoin d'une boîte à rêves. Même moche, il m'en faut une.

Aujourd'hui, j'ai pris un thé chez Alex (une curieuse fréquentation) qui vient d'acheter un grand studio dans le Sentier. Un truc pas mal, j'étais content pour lui.
Alors je me suis dit que je pourrais faire la même chose – gros copieur – me dégoter un appart, me lancer dans de la déco, des travaux, m'installer en somme.
Mais au bout de trois secondes de réflexion, je suis bien obligé de constater que ce n'est pas ça qui m'excite, que ce n'est pas ça qui me manque actuellement.

Parfois, j'ai l'impression subite que la mort est toute proche, là, à portée de vue.
Non pas qu'elle va arriver accidentellement, bientôt, mais la vie m'apparaît si courte et je vois les années passer si vite que je n'ai même plus envie d'investir dans quoi que ce soit.
Dans ces cas là, d'ailleurs, je n'arrive pas à faire de la musique efficacement non plus : je piétine sur une même idée, une vingtaine de mesures, une poignée d'harmonies, et je n'arrive pas à en sortir, impossible de développer, toutes mes tentatives pour élargir me paraissent vaines, artificielles, comme du forçage. J'écoute en boucle la même idée, en la variant un peu, incapable d'avancer vraiment.
Je mange des biscuits, je regarde par la fenêtre.

Je suis peut-être paralysé par une sorte de peur, qui m'empêcherait de me décontracter intérieurement, même lorsque j'ai quatre heures à tuer. Dans ces moments là, je ferais mieux de sortir, d'aller prendre un verre, d'appeler X ou Y, de me frotter à la faune du Marais, mais à peine j'y pense que déjà je soupire : à quoi bon ? Si je rencontre quelqu'un, il va me saouler. Et s'il se passe quelque chose, et que ça commence bien, ça va se terminer mal.
Pas la peine de se faire du mal, mon petit cœur est trop fragile. Je ne veux plus revivre de rupture.

Je ne peux pas aller me coucher tôt non plus. Impossible, trop affreux comme idée. Je n'ai rien d'un moine.

Agir, agir, agir.
Mais j'en ai marre d'agir tout seul, juste pour moi, et moi seul. Si j'avais vraiment envie de faire quelque chose pour ma vie, je le ferais depuis longtemps, et je n'en serais pas là, à ergoter bêtement sur ma passivité. C'est peut-être ça qui me paralyse : il faudrait que j'arrive aussi à me dégager de cette culpabilité à vouloir à tout prix faire quelque chose pour la vie .

Seule consolation : écouter les Cure, dont je redécouvre les albums ces temps-ci. Bizarrement, la mélancolie de leur musique me remonte le moral, me remet d'aplomb, m'apaise. Je vais me mettre du noir sous les yeux, du rouge à lèvre, et aller en amphi au CNAM comme ça, bonne idée.

Dimanche 24 octobre 2004

Mardi, bei Laurence und Dirk...
Des rêves.
Le premier, dans le Cotentin, à Gruchy. Je me trouve dans la cour du gîte, et je vois le ciel s'assombrir. En prévision de l'arrivée d'une tempête, les journaux, la radio conseillent de rester calfeutré chez soi. Et au loin, en effet, sur un noir horizon de nuages, j'aperçois une armée de vagues monstrueuses, hautes de plusieurs centaines de mètres, qui s'élèvent et retombent furieusement sur l'océan. Si cette horreur arrive sur nous, il est évident que nous ne nous en sortirons pas, nous sommes trop près de la mer. Mais autour de moi, personne ne s'alarme, alors que mon angoisse monte et que je vois le danger s'approcher.

Autre rêve. A Vernet, une fois de plus. Je suis dans l'appartement de mes grands-parents. Je m'étonne même de m'y trouver, car je croyais l'endroit déjà vendu. Mais les proportions des pièces, la lumière, l'air, la vue sur le village, tout me paraît étrange, contrefait.

Autre rêve, juste une scène en fait. Je me trouve à l'entrée d'un magasin, et j'attends. Quelqu'un s'approche de moi par derrière, et m'entoure doucement de ses bras. C'est Fabien, je le sens - une joie immense m'envahit brusquement. Dans son étreinte, c'est son amour que je perçois.
« Peut-être a-t-il appris qu'en fait, je l'aime, et il revient vers moi… »

Ces temps-ci, je me couche très tard, je ne m'endors que vers cinq ou six heures du matin.
Rien d'extraordinaire pourtant.

Dans ma rûûûe...
Hier, une soirée organisée par des voisins, dans une salle louée près de la place de Clichy. On fêtait les trente ans de plusieurs personnes à la fois, des bandes d'hétéros, sympas mais un poil bourg, je ne connaissais personne, debout tout seul avec mon verre à picorer dans les assiettes, le super plan. Je me suis efforcé d'être sociable, en m'empiffrant de bonbons Haribo... Suis rentré vers minuit. Je me sentais gai, transporté par une innocente ébriété, je ne voulais pas rentrer. J'appelle N. – il me dit qu'il me rappelle, tu parles. Je ne sais pas où aller.
Alors je fais un peu de net, et je débarque finalement chez un type, en plein Marais, vers les trois heures du matin. Un appart un peu trop bien rangé. Des poutres immenses, des vieux grimoires alignés aux murs, des rideaux-tapisseries, de la tomette, une mappemonde Renaissance dans un coin, des gargouilles aux murs, des couleurs beiges et marronnasses, mais pas une poussière ; Henri IV aurait un studio dans le Marais aujourd'hui, il aurait ça - même l'eau qu'il m'a servie (dans une coupe – mais là il a reconnu qu'il en rajoutait) avait quelque chose de médiéval. Le Henri IV en question n'était pas trop moche du reste, ni trop bête ; ça a conclu au bout d'une heure, dans le coin cuisine, au moment où je m'apprêtais à partir. Je n'étais pas venu spécifiquement pour ça en fait, ce que je lui avais même précisé avant de venir. Mais j'avais besoin d'embrasser quelqu'un, de poser ma tête sur une épaule - même si je savais que c'était factice, en décalage avec mon état. Le désir physique arrive toujours, lorsqu'on l'appelle.
Je ne sais pas ce que j'ai en ce moment.
Je me sens tout nu, à vif.
Je suis triste et gai à la fois.

Et, ah, ces rêves bizarres que je fais, au sujet de Fabien... L'affaire est pourtant close, rangée, classée depuis longtemps. C'est comme Vernet, fini depuis longtemps. Et Fabien a cessé de m'aimer depuis belle lurette – s'il m'a jamais aimé ; mes quelques pauvres tentatives depuis un an pour reprendre contact sont restées lettre morte.
Pourtant, dans mon rêve, ça semble si vrai, si profond. Faut-il croire que l'amour est illusoire au point qu'un simple rêve suffit à le synthétiser ? A moins que ce ne soit mon amour pour ce garçon qui se réveille et qui s'exprime ? A moins que cela ne veuille signifier que notre amour n'est, n'a jamais été qu'un rêve ?
Bah, peu importe, en fait.

Parfois je me dis que je m'accroche à quelque chose qui n'existe pas sur Terre.
L'instant d'après, je me récrie, en me disant que je me culpabilise encore de ne pas savoir aimer, qu'en ce domaine, rien ne se force de toute façon, et qu'un jour viendra, peut-être...
J'aurais le droit de m'en vouloir si j'emmerdais tout le temps les autres avec mes histoires.

Ces temps-ci, je m'imagine vivant dans un autre pays - aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne. Je m'imagine perdu dans une grande ville, vierge, toute entière encore à découvrir, je m'imagine marchant dans la neige, au crépuscule, seul et paumé, mais sans honte à l'être, puisque je serais vraiment un étranger.
Parfois je ne supporte plus ce qui est maternel, ce qui me ramène à ce que je connais déjà par cœur. Je ne pourrai peut-être jamais m'enraciner nulle part.

Dimanche 31 octobre 2004

En revenant des Assedic... paysage romantic
Ces temps-ci, je sors.

Jeudi soir, avec Cécile, Christophe et sa copine, soirée "Ninja Tunes" au Triptyque, où je mettais les pieds pour la première fois. Une sorte de techno ludique, un peu hip-hop, pas trop mal. On est arrivé assez tôt, et ça s'est rempli petit à petit, comme une bassine sous un frigo qu'on dégivre.
Autour de moi, des minets-de-boîte, mignons, soucieux et blasés à la fois, en attente de quelque chose, des filles, bavardes et lookées, des étudiants qui se retrouvent en riant, un couple d'américain, concentrés dans une grande discussion, et je regardais tous ces gens un peu comme des îles depuis un bateau, comme des prés qui défilent, debout, un verre de Kro à la main, pendant que Cécile racontait les avances grossières de son collègue, et que je parlais des tâches qu'il y avait sur mon pull. Après le départ de Christophe, Cécile m'a confié qu'elle ne savait pas si elle voulait continuer avec Thomas. Ca m'a fait drôle de l'entendre dire ça, d'abord parce qu'elle reste assez pudique d'ordinaire sur sa vie sentimentale, ensuite parce qu'elle a presque huit années de vie commune derrière elle.
En tout cas, ni elle ni moi ne comprenons comment on peut en arriver à tromper son copain, sa copine, secrètement, en catimini.

La place de la République et ses clodos
Pour moi, cela n'a rien d'une condamnation morale ; mais c'est qu'aujourd'hui, dans mon contexte actuel, je trouve suffisamment difficile de rencontrer un garçon et de s'attacher à lui, pour risquer de mettre ça en péril. Tromper ne peut que cacher une forme de mensonge, une relation viciée à l'origine.

Vendredi soir, après avoir pris une vodka chez Pierre, hop, à la Scène. Techno-pop dans un style que j'aime bien. Pierre est rentré se coucher. Et moi aussi, après deux ou trois heures de déhanchements fébriles. La déprime habituelle, sur la route du retour. Je devais me parler à moi-même tellement je me sentais seul, pour me rassurer, me dire qu'il n'y avait rien d'anormal à rentrer seul chez soi, que l'important, c'était qu'il y ait eu des moments où je me sois amusé, que les choses n'étaient pas faciles pour tout le monde, etc.

La place de la République et ses passants pressés
Samedi soir, un jeune type a atterri ici, pêché sur internet. Il a proposé de me photographier. Quand j'ai voulu faire la même chose avec lui, il s'est exclamé : "Ok mais pas la tête, j'ai une famille, moi". Et il ne plaisantait pas. Avons fait des poses dans divers uniformes, c'était loufoque.
Après son départ, je me suis senti encore plus seul, bien sûr, le contraire aurait été étonnant.
Donc vers une heure du matin, après quelques gins, j'ai enfilé mon blouson et j'ai foncé dans la nuit comme un voleur, jusque dans le XVIIIème arrondissement, quarante minutes de marche en coupant par un réseau compliqué de ruelles endormies, toutes couvertes par la sombre lumière rouge des lampadaires.
Pour arriver... à la soirée "Finally" de l'Elysée-Monmartre, oui madame. Pas très remplie me fut-il dit. La musique, house-techno pas terrible : dès que ça commençait à décoller, le DJ enchaînait sur autre chose ; mais j'ai fini par trouver mon compte. Bref, la soirée gay parisienne formatée habituelle, genre petites pimbêches, blondinets délicats torse nus, musclors patibulaires, ports altiers, visages fermés, ricanements juvéniles, créatures emplumées sur les podiums, lancers de tee-shirts sous cellophane dans la foule, performance acrobatique, opération marketing pour une marque de rhum, etc. Tout ça entre les mecs qui sont en couple, qui se bisoutent soudain avec le copain qu'était-juste-à-côté-et-qu'on-n'avait-pas-vu, ceux dont le regard insatisfait reste figé sur l'horizon, comme des Napoléons... Pas facile. Personnellement, je m'efforce de montrer un visage amène et rayonnant, ce qui n'est pas gagné, vu mon air austère et constipé ordinaire, surtout avec mes nouvelles lunettes. J'ai rencontré Alex, par hasard, qui était là avec deux amis à lui.
Vers quatre heures, je me dirigeais vers la sortie d'un pas digne.

J'aimerais photographier ces ambiances, mais je me ferais remarquer.
Moi et ma timidité, moi et mes complexes, il faudrait vraiment que je prenne quelque chose, des extas, n'importe quoi, histoire de me décontracter un peu – des extas, où est-ce que je vais trouver ça ?

En descendant le boulevard de Magenta, j'ai croisé un type qui rentrait aussi de la soirée. En chemin, nous en sommes arrivés à échanger des considérations sur Mme Bovary. "Oh, ce passage où elle traverse en Rouen en carriole, c'est l'érotisme total" me sort-il. C'est alors qu'une jeune fille a surgi et s'est mise entre nous : "Mme Bovary, vous parlez de Mme Bovary ??". En plus d'être alcoolisée, elle semblait visiblement émue. "Oh, c'est bien, c'est bien, continuez..." avant de s'en retourner vers ses copines en trottinant, très sérieuse.
Mais Flaubert, dont j'adore l'écriture et la finesse, représente plutôt pour moi l'anti-romantisme, l'émanation d'une Normandie mesquine, cruelle et envieuse, une Normandie que je connais bien, plutôt dans la veine de Maupassant.
(quant au type du boulevard Magenta, qui habitait pas loin d'ici, il m'a suivi jusqu'à ma porte, et je l'ai laissé rentrer chez lui - je n'avais pas follement envie de prolonger le truc) (peut-être ai-je paru trop badin et sociable, au point de le laisser se méprendre, mais j'étais tellement ravi de ne pas rentrer seul pour une fois) – mon côté mesquin normand, il est là.

Aujourd'hui, j'ai bu un verre chez un type, boulevard Voltaire - le type qui vit chez son ex, le truc classique. Il avait un chien, heureusement qu'il l'a mis au placard avant que j'arrive. Grand appart sympa dans un immeuble bourgeois, déco froide et fonctionnelle, avec la chaîne ultra high-tech fixée au mur, à la manière d'un tableau, qui diffusait de la radio assez fort, en fond, l'horreur absolue. Je note toujours les détails affreux. Lui, ni méchant, ni top-model (sacré strabisme), mais assez sympa, je veux dire, il avait un peu d'humour et les remarques de quelqu'un qui a de l'expérience, par rapport aux homos et aux histoires de couples (comme rien ne se passait, ni de sa part, ni de la mienne, j'en suis arrivé à bavasser au sujet de mes complexes - ce qui n'est certainement pas la meilleure manière de séduire)

Ce soir, je vais me réchauffer mon reste de blanquette de veau. Pour une fois, j'ai cuisiné, ça mérite d'être consigné.

Samedi 6 novembre 2004

Le cours de compta du vendredi soir
Les premiers jours de la semaine passent très vite, sans même que je m'en rende compte.
Arrive rapidement le vendredi, avec le cours de chant, le cours de compta générale, et une soirée généralement gaie et imprévisible.

Jeudi, j'ai réussi à me lever plus tôt que d'habitude - 11 heures du matin, effort qui m'a permis de me rendre au musée d'art et d'histoire juif, puis à l'affreux presse-citron de l'expo Turner-Whistler-Monet au grand palais. Les nocturnes de Whistler sont splendides - ils me rappellent certains rêves que j'ai pu faire parfois, de paisibles horizons marins plongés dans la nuit.

Le musée d'art et d'histoire du judaïsme
En ce moment, j'ai tout le temps envie, après des mois de grippage névrotique. Je n'arrête pas de fixer des rendez-vous à des mecs - qui me plantent le plus souvent - rien n'est moins efficace qu'internet dans ce domaine là, surtout que je deviens très impatient, de moins en moins capable de draguer, de plus en plus irrité par les circonvolutions, les questions et les grimaces des mecs, qui cherchent à masquer leur inquiétude sexuelle avec des onomatopées ridicules et de vains interrogatoires.
« Tu cherches ? »

Vendredi, un lieutenant devait venir ici, il s'est décommandé - il m'a promis de refaire signe lundi. Le soir même, j'ai pris un verre avec un garde républicain - un clairon de cavalerie, rien que ça. D'origine berrichonne, premier prix de conservatoire en trompette, il a fait son service militaire dans l'harmonie, avant de s'engager pour toujours. C'était le quart d'heure sociologique façon Baptiste, comment vit un pédé-clairon dans la garde républicaine en 2004.

Dans la rue du Temple
« Il faut connaître entre 50 et 60 morceaux par cœur, on n'a pas le droit aux partitions, à la différence de ceux qui sont dans l'harmonie. Parfois on se mélange les pinceaux : on nous demande tout à coup de jouer les Sambre et Meuse, et l'on se retrouve avec trois airs différents qui se superposent. »
Dommage qu'avec les militaires, il faille généralement se taper les considérations réactionnaires habituelles :
« Non, je n'ai jamais été au Printemps de Bourges. Trop de marginaux, de drogues - ils envahissent la ville dès le mois de janvier... Moi ça ne m'intéresse pas. »
Le gars n'était pas très curieux du reste. Il fait du chat depuis son F2 personnel, à la caserne ; encore un qui vit dans un rêve, un idéal.
Son agenda est imprévisible, on le prévient la veille du programme du lendemain ; chaque matin, un car l'attend dans la cour de la caserne - pour l'emmener faire pouet-pouet devant les poilus de la grande guerre ou devant la reine d'Angleterre en visite en France.

Le Grand Palais
Hier soir, Pierre m'a traîné dans une soirée Crazyvore au Bataclan. Encore pire qu'à l'Elysée-Montmartre la semaine dernière. Un tas de petites chipies qu'un tube de Kylie Minogue rend hystériques - chipies comme moi bien sûr, mais moi je suis gentil. Salle à moitié vide lorsque nous sommes arrivés, j'étais pourtant de bonne humeur - sortir me rend de bonne humeur ces temps-ci, même lorsque ça s'avère archi-nul. Evidemment Pierre est rentré se coucher avant moi, me laissant avec ses deux compères du CGL, deux gentilles précieuses ridicules.
Sur le chemin de retour, je me suis assis sur un banc - l'air de la nuit était frais, les voitures passaient, indifférentes, sur le boulevard des Filles du Calvaire, et la fille au martyr, c'était moi, assise sur son banc, à quatre heures du matin, dans le vent piquant et gai de novembre.

En bas de chez moi, le ciel se pare des couleurs de Babardages
Aujourd'hui, une journée creuse, un peu de sport, des courses. Après deux ou trois heures de chat improductives avec des fantasmeurs bêtes et vilains, j'ai plongé au Full Metal - un endroit glauquissime, tellement glauquissime que ça me fait plaisir de m'y rendre. Une petite cave, un bar, quelques cabines étroites, des couloirs sombres, labyrinthiques, traversés de fausses gueules de brutes, de tueurs, de skins, des gens pas très sympas au premier abord - ça n'est évidemment qu'un leurre, personne n'est dupe, on gratte vite le vernis. Mais au moins il s'y passe quelque chose, dans ces bas-fonds rogues et sans horizon. Je suis tombé sur un jeune mec pas trop moche, le peu que j'en ai aperçu en tout cas, dans la pénombre blafarde de la cabine poisseuse, puis sur un type que j'avais déjà croisé une fois, branché latex - un type peut-être assez brillant à part ça, qui voyage beaucoup mais dont je ne sais absolument rien d'autre.
C'est la règle : personne ne vient ici pour prendre le thé, ou pour discourir sur le prix du pétrole ou l'état de Yasser Arafat.
Et dès que c'est fini, je ressors aussi sec, libéré, délivré, l'esprit disposé à s'envoler ailleurs, vers d'autres sphères.

De retour du Full Metal
Je suis loin de me sentir en paix avec mes désirs pour autant - je dois boire avant de me rendre dans cette back-room sordide, et user de la méthode Coué : Baptiste, laisse ta névrose familiale au panier, donne tes préjugés hautains et hystériques à l'oubli, l'important c'est de vivre ses désirs, de ne pas les laisser pourrir en soi.
Je suis bien obligé de constater qu'une forme de libération est alors au rendez-vous, même si la délivrance ne comble pas l'absence.
Je ne parle pas de l'absence de quelqu'un, je parle d'une absence intérieure, un creux monstrueux, un vide qui va béant, et que rien n'arrive à combler, même un peu. A part la musique peut-être.
Ca ne m'empêche pas de rigoler tout le temps, même seul - dans mon studio, je me mets à glousser en imaginant des choses ou des situations absurdes.

Lundi 8 novembre 2004

Je rentre juste d'un rendez-vous avec un garçon trèèès charmant ce soir...
Les mirettes qui clignotent, le cœur réjoui et troublé à la fois, je dessine ces petites croix dans mon cahier rose à spirales et à fleurs :
x x x x x x x x
Et encore d'autres petites croix :
x x x x x x
Et je fais une prière fervente. Je prie, je prie, je prie !!

On ne dirait pas que j'ai 30 ans, mais je crois que finalement, il est des choses où je ne changerai jamais.
Un peu trop bu peut-être aussi.

Jeudi 11 novembre 2004

Mardi, près de l'Apec, boulevard Brune
Lundi dernier, j'ai donc pris un verre avec ce charmant garçon à la brasserie des Arts et Métiers. Il m'a appelé hier soir, je l'ai invité et il a passé la nuit ici. Evidemment je ne me sens plus attiré, c'était prévisible - sur ce plan là non plus je n'évolue pas beaucoup.
Mais c'est qu'il est encore plus compliqué que moi, hypocondriaque et archimaniaque, et les gens maniaques me filent des crampes au ventre. Pourtant je l'aime bien, et la nuit dans ses bras a été agréable - une nuit qui m'a entraîné dans des rêves idiots d'ailleurs, dans lesquels je me retrouvais à Rouen avec lui, en l'absence de mes parents. Dans ma chambre, il se matérialisait en un chat noir et blanc, avant qu'un chaton ne naisse soudain de sa gueule, tout naturellement, comme Dionysos sortant de la cuisse de Jupiter, notre enfant en quelque sorte. Un animal agité dont il fallait ensuite surveiller les allées et venues dans la maison.

Ca me fait penser que lundi, juste avant le rendez-vous à la brasserie des Arts-et-Métiers, j'ai assisté au cours d'intelligence artificielle de ce prof pédant, brouillon et incompréhensible que je déteste. Et lorsqu'au terme d'une heure et demie de gribouillages psychotiques au tableau et de phrases à moitié terminées (à propos de Prolog), il a demandé : "Bon, c'est clair, hein ?", j'ai répondu, hors de moi : "Non ! Vous me parlez chinois depuis une heure. Je craque !"
Et j'ai quitté la salle avant tout le monde, parce que j'avais peur d'arriver à mon rendez-vous avec l'autre garçon, si bien qu'il y eut des rires étouffés, les autres élèves s'imaginant sans doute que je défiais le prof, lequel m'a regardé partir d'un air pas content.
Mon Dieu, vais-je avoir le courage de revenir à ce cours maintenant ?

La veille, dimanche, il m'a pris la drôle d'idée de me rendre chez ce flic, rue Réaumur, vers minuit.
Cachant un uniforme de police sous mon grand manteau gris en laine, j'ai pris par les petites rues du Sentier, désertes, déjà hivernales.
A l'interphone : "Tu montes au dernier étage. Complètement sur ta gauche, tu verras, il y a une porte, avec un petit tas de bois à côté."
Bel immeuble, cage d'escalier spacieuse et immaculée, ça sentait le chic moderne - pas vraiment à la portée d'un gardien de la paix, me suis-je dit. Et puis pourquoi est-ce qu'il y a un tas de bois à côté de la porte d'abord ??

Une petite rue du Sentier
Evitant l'ascenseur comme d'habitude, je gravis les sept étages à pinces, et j'aperçois en effet trois ou quatre bûches, posées gentiment sur la moquette anthracite du palier. Je sonne. Un policier en tenue m'ouvre la porte.
Mais à peine ai-je franchi le seuil, que tout de suite il se dirige vers un gigantesque bar américain et me propose un whiskey. Une pièce immense. Des canapés en cuir, un éclairage étudié, des petites huiles aux murs - des scènes rustiques - une cheminée en acier dans un coin de la pièce, des rayonnages de livres, une télévision sophistiquée, un grand bureau recouvert de dossiers, et un fond de musique classique - le Roi Arthur de Purcell.
Impossible de réprimer un "Hé beh !"
Il revient avec deux verres, se cale dans un fauteuil et allume une Marlboro.
Interloqué et amusé à la fois, je m'assois à mon tour sur le grand canapé. Nous commençons à discuter, des mecs, des plans, des lieux de rencontres, de Paris. "Je sors beaucoup moins qu'avant, me dit-il, maintenant je reste chez moi."
Il est un peu hargneux parfois, mais pas trop bête.
Petit à petit il se détend, il pose ses grosses rangers sur la table basse, et enlève son tonfa, pour être plus à l'aise. J'apprends qu'en fait il travaille pour le ministère de l'Intérieur, mais je n'en saurai pas plus et je pressens qu'il ne serait pas de bon ton d'investiguer plus avant.
Finalement, je fais quelques tentatives d'approche. Voilà, hop, il vient s'installer sur le canapé avec moi, on se tripote. Mais il devient un peu tendu, pas très sympa même. Le cuir du canapé crisse, craque bizarrement. "Fais gaffe au canapé, hein, avec tes rangers..."
"Déjà que je ressors mon uniforme du placard, hein, et que ça me fait un peu chier..."
Ouh là... Bon, hop hop hop.
La salle de bain : à peine moins grande que mon studio tout entier, avec éclairages incrustés aux murs, douche dans un coin ET jacuzzi dans l'autre. Entre-temps, il était devenu franchement mauvais, non que j'ai finalement bousillé son canapé (je ne crois pas en tout cas), mais il me reprochait ma façon égoïste de faire, alors même qu'il semblait vouloir abréger l'affaire. Je crois surtout qu'il y avait un léger malentendu entre nous, et que ce type, qui avait la quarantaine, ferait mieux de ressortir un peu plus souvent, plutôt que de rester confiné dans son palace doré, à tenter d'appâter les fantasmeurs et les fétichistes, alors même que ça l'emmerde et ne l'excite pas du tout.
Pauvre gars. C'est un aspect supplémentaire de la mocheté de la vie gay parfois - on vieillit, on est seul, on fait quelques concessions pour séduire, dans lesquelles on finit par se prendre les pieds.

L'auteur, très poseur, comme à son habitude
J'ai honte de l'écrire mais mardi soir, un autre type, encore un, est venu ici. Un motard tout vêtu de cuir noir, plutôt mignon. Et lorsqu'il s'est déshabillé, c'est une beauté fabuleuse, une silhouette mince avec des jambes dorées qui m'est apparue. Comme un crustacé sortant de sa coquille. J'en ai tellement rien à faire ces temps-ci que je ne m'étais même pas soucié de ce à quoi il ressemblerait, avant son arrivée. Quelle surprise.
Après son départ, je lui ai envoyé un SMS pour lui dire que je le trouvais beau et sympa, mais il ne m'a pas répondu. J'ai eu l'impression d'être Edith Piaf avec son homme à la moto.

Il faudrait quand même que je me calme, d'ailleurs ça ne peut pas durer - les eaux poissonneuses ne le restent pas longtemps avec moi.
Mais bon, c'est curieux, cette soudaine avidité depuis deux semaines.

Mercredi 17 novembre 2004

Un jour, peut-être que je serai comme elles
Il fallait s'y attendre : retenue, vertu et componction me sont revenues, comme un vieux pyjama, porté depuis toujours. Mais point de relents névrotiques, juste de la flemme, des humeurs lasses, je me lève tard, il est déjà une heure de l'après-midi, etc.

Gros ennui le week-end dernier, je ne sais même plus ce que j'ai fait.
Ah oui, le cinémix au Forum des Images, avec ce film d'André Sauvage de 1925 sur Paris. Fascinant. Les terrains vagues, les no man's lands industriels sont très beaux. Ce que j'ai remarqué, c'est que toutes les femmes des beaux quartiers portaient des peaux de renards (ou une horreur similaire) sur les épaules. Les autres, les prolotes des faubourgs, triment dans la poussière et le charbon, sales de la tête aux pieds. Les chevaux ont la vie dure aussi. On voit des clodos qui se tournent le pouce le long du canal Saint-Martin, des voitures hystériques qui zigzaguent anarchiquement sur les boulevards, entre des policiers bonhommes, cigarette au bec.
Lundi, expo Bernd et Hilla Becher, à Pompidou. L'industrie lourde, les cheminées, l'acier, les bâtiments décrépis, le noir et blanc, encore.

Bizarrement, en rêvassant devant ce film des années 20, je me suis surpris à penser que cette petite société égoïste et cruelle n'aurait que ce qu'elle mérite, quinze ans plus tard. Ce doit être ma lecture du Roi des Aulnes qui m'inspire cette très vilaine pensée.

Demain, j'ai cours toute la journée au CNAM, l'horreur. Et aujourd'hui, en cours de réseau, j'ai imaginé que je me mettais à grogner et à hurler dans l'amphi.

Il fait froid, je rêve de voyages en Europe de l'Est et aux Etats-Unis. Je veux de la neige, des ciels azurés, des prairies pleines de frais horizons, des balades avec des amis, de sages lectures auprès d'un feu de cheminée. Avec un petit gin et des noix de cajou.

Hier soir, mangé chez Nico et Guillaume, au cabinet Vaucouleurs, où tout était mou. Nico, fatigué par une sortie excessive de la veille, avait tout laissé crâmer ; mais ils m'invitent encore - moi le vieux garçon dépressif, misanthrope et mutique - donc je ne vais pas me plaindre !
On a fumé un peu, avec Quentin, et je suis rentré par la rue Jean-Pierre Timbaud, en me laissant porter par mes pas, comme sur un aéroglisseur. Arrivé ici, j'ai terminé un morceau de musique qui traînait depuis un mois, et le montage de son clip :

Lundi 22 novembre 2004

Jeudi soir : comme j'avais bien travaillé toute la journée, que j'avais été sage comme une image, j'ai filé au Rex le soir même, où mixait la fille du groupe Scratch Massive. Pas mal, même si j'étais tout seul et que c'était un peu triste - surtout au début, car la salle a mis du temps à se remplir, et une boîte vide, c'est froid comme un hiver. Mais j'avais besoin de me détendre, après ma grosse journée de cours. M'en suis rentré vers les trois heures, il bruinait doucement sur le boulevard.

Vendredi, j'ai oublié ce que j'ai fait.

Dimitri
Samedi, j'ai rencontré un type qui tient un blog, Dimitri. Un vieux garçon en phase de réinsertion économique et sociale (et surtout une super chipie) qui m'a entraîné dans une folle soûlerie (un gros faible chez lui, je crois) au fond d'un petit bar-tabac de Bastille, tout décoré de néons roses et verts et de vieilles affiches, tandis que dehors la pluie de novembre s'acharnait à noyer les rues. J'ai ensuite suivi le garçon à un repas de quadragénaires, une poignée de vieux copains et de vieilles copines à lui, des gens simples et sympas qui devisaient paisiblement dans un immeuble moderne de la rue de Charonne – j'ai l'impression d'avoir lutté des heures pour y arriver, sous un ciel noir d'encre, à éviter les flaques et à surmonter les frissons.
Malgré tout, ce soir là, je me sentais décontracté et plutôt disponible, heureux de rencontrer du monde, donc j'ai le souvenir d'avoir badiné deci delà, comme une petite mouche timide. Quant à Dimitri, qui avait atteint une ébriété assez avancée, et qui commençait à gesticuler dans tous les sens en maugréant, il a voulu partir sans dire au revoir au moment précis où l'on apportait le gâteau d'anniversaire. Une copine à lui m'a fait signe de le retenir. On est parti peu de temps après, et l'on s'est séparé devant l'immeuble - j'ai eu soudain une énorme envie de solitude.

Durant la nuit qui suivit, j'ai eu particulièrement soif. Comme ma petite bouteille d'eau s'est retrouvée vide rapidement, j'ai ouvert le tube de crème hydratante pour mains qui traînait au pied du lit, et je m'en suis tranquillement tartiné le palais, avant de me réveiller en sursaut et de réaliser ce que j'étais en train de faire. J'ai été cracher, remplir la bouteille, et je me suis rendormi pas content, avec un arrière-goût de rose chimique dans la bouche.

Les soirées de Monsieur l'Ambassadeur sont toujours réussies...
Dimanche soir, j'ai fait un pot-au-feu, et invité des voisins à le déguster.

Aujourd'hui, j'ai travaillé at home à mon projet de réseau – je dois m'inventer prestataire informatique pour un musée imaginaire – c'est le projet que j'ai proposé, la petite touche culturelle bourgeoise de Baptiste dans un monde de brutes et d'informaticiens.

Et puis ce soir, cours d'intelligence artificielle, avec ce pédant Monsieur Je-sais-tout de Villemain, qui divague, qui se permet des commentaires sur l'homosexualité de Maynard Keynes (« Un sujet britannique, donc d'après Mme Cresson, il aime les garçons et les danseuses, hein ?!… »), qui traite les directeurs de la Banque Européenne d'assassins, quand il ne fait pas un peu de provoc misogyne (« La mayonnaise, c'est plutôt un truc de filles, c'est entendu, hein ?! »)
Au bout de trois heures de cours, et après qu'il ait pesamment insisté pour qu'on lui pose des questions (« Oui, vous pouvez me poser des questions, hein, vous POU-VEZ me poser des questions si vous ne comprenez pas, hein, c'est bien clair, hein ?! ») et comme un pauvre malheureux se hasardait à demander d'où provenait le h(D)=8 écrit au tableau, et comme ledit prof commençait à répondre d'une manière désagréable, j'ai craqué et j'ai crié, du fond de la salle, tendu comme un arc :
« Enfin Monsieur Villemain, si vous voulez que l'on vous pose des questions, répondez donc d'une façon moins méprisante !! »

Samedi après-midi, à Beaubourg
Cri de désespoir qui attira vers moi le prof, lequel entreprit péniblement de m'expliquer pourquoi h(D) était égal à 8 , ce dont je me fichais bien, tout énervé que j'étais, et ce que j'avais parfaitement compris, au demeurant. Il a conclu finalement par : « Mépris, mépris… Non, mais nous sommes entre gens humbles, hein, c'est entendu… » ou une chose du genre.
Il est moche, il est gros, il est bête, je le déteste.
La prochaine fois qu'il nous parle de Britney Spears en nous sortant qu'elle est probablement notre égérie, et que nous ne savons rien (« Mais vous ne savez rien, hein ! »), je le mords

Dimanche 27 novembre 2004

Soirée trash.

Temps d'automne pourri sur paris
Pour résumer, hier soir, au Rex, c'était « 10 ans de musique Queer », en même temps que la soirée de clôture du festival du film gay et lesbien. Dans l'après-midi, j'avais d'ailleurs vu un bon documentaire au forum des images, sur le thème de la camaraderie entre jeunes appelés dans la marine russe – un truc qui promettait d'être léger mais qui s'est avéré assez poignant, vu la violence continuelle qui règne dans l'armée russe, les bizutages mortels, les suicides, etc.
BREF, je rentre ici, je mange, je bois. Je bois, je mange. Je file chez Nico et Guillaume, et on se saoule au gin dans leur atelier. Nico finit par monter se coucher, et je presse G. comme un citron pour qu'il m'accompagne au Rex.
Où l'on arrive enfin, bourrés et rigolards.
On s'assoit, flagadas. Je commence par entreprendre un mec, maladroitement, je le perds de vue, je le retrouve, je me fais gentiment rembarrer. Puis un autre, un grand blond placide et mignon. Ah, on s'embrasse, il a l'air gentil, cool. Sans prévenir, il me met une pilule dans la bouche, que j'essaye d'avaler sans déglutir mon chewing-gum – un quart d'ecta sans doute, à moins que ce ne soit du paracétamol (je suis vraiment trop con d'avaler un truc sans savoir ce que c'est, je refais plus jamais ça). Pire, quelques minutes plus tard, je vois le garçon blond discuter avec un copain et s'éloigner, alors je le rattrape, affolé, il me dit que c'est pas tout, mais qu'il a du monde à la maison. Grosse allumeuse, vilaine.
Finalement, je me retrouve au milieu de la piste, comme une tomate sur son étal, qu'on a prise, soupesée, puis reposée dans son cageot. Je m'accroche au premier venu. Je tombe sur le directeur du festival, un échalas aux bras tentaculaires, très entreprenant, me voilà captif. Je connais bien sa tronche puisqu'il fait un speech avant chaque projection avec une moue blasée - Nico et Guillaume l'appellent le droïde. Un inconnu s'accroche à nous. On s'embrasse à trois en plein milieu de la piste, goulûment, comme des gorets. Il paraît qu'il y a même une fille qui a demandé à nous regarder baiser ensuite. J'ai honte, je ne vais plus oser sortir.
Guillaume a disparu. Il est six heures, les lumières se rallument, tout le monde s'en va, le lavabo se vide.

Taxi. Et nous voilà au domicile du festivalier, avec son copain – un petit mec que j'avais déjà remarqué pendant les séances, à faire l'ouvreuse - et avec l'autre larron, assez mignon et souriant, pêché comme moi dans la marmite.
Je me sens moyennement excité, mais j'ai envie de voir, de pousser un peu l'aventure. On reboit des trucs pas nets, vaut mieux pas savoir quoi. Je passe les détails, évidemment. Mais quand même, Damien, le festivalier, n'arrêtait pas de me mordre, de me pétrir dans tous les sens comme une pâte à pain, une vraie brute, même s'il était assez gentil et qu'il s'excusait… avant de m'étouffer de nouveau comme un boa. J'ai dû passer pour chochotte, mais j'ai jamais vu ça, j'ai l'impression de sentir encore ses crocs me percer les oreilles. Au bout d'un moment, j'ai réalisé que le quatrième larron, qui est rapidement parti faire un roupillon sur le sofa, c'était mon coiffeur. Je n'en revenais pas, je ne l'avais pas reconnu. Ca nous a fait rigoler. Ce qui est drôle, c'est qu'il sent vraiment la lotion capillaire.

Ensuite, je me suis allongé sur le sofa à côté de lui, et j'ai essayé de dormir, mais c'était surtout pour échapper aux dents de la mer, j'en pleurais tellement il m'avait meurtri. En plus, ils étaient tous assez beaux de corps, et je complexais un peu.

Une vraie discussion de couple s'est engagée entre D. et son mec, que j'écoutais, les yeux fermés. « Je t'ai déjà dit, tu en mets trop, 10 ml, c'est largement assez, après, tu contrôles plus… Moi j'ai ai pris 10, et je suis su-per-bien ce soir, tu vois. » « – Ouais, je sais, je fais pas gaffe... »
« Quand tu penses aux mecs de l'autre soir, qu'on a ramené ici et qui ont vomi… »
« Merde, déjà neuf heures, comment je vais faire demain, aux séances ? »
Ils parlaient maintenant de gens du boulot. « – Tu crois qu'il comprend, Michel, pour la c. ? »
« – Bah bien sûr, il connaît ça… »
« – Moi je ne suis pas sûr qu'il comprenne… ».
« – En tout cas, c'est cool qu'elle se soit bien passée, cette soirée de clôture. »

Damien s'approche de moi et m'écrabouille de nouveau comme un rouleau-compresseur. Son copain intervient : « Laisse-le, bon sang, mais laisse-le tranquille ! ».
Téléphone. Un bavardage en italien commence. Ça raccroche. La discussion de couple reprend.
« T'as mis le chauffage ? » « Tu ferais mieux d'aller te reposer quelques heures… » « Tu m'as fait une latte ?? Je t'ai dit que j'en voulais pas, ça coûte, ça ! »
« Oh non, il est moche celui-là ». Parce qu'entre-temps, ils étaient partis sur Internet, se dégotter un nouveau type. Finalement, ils ont appelé une connaissance à eux, qui a fini par débouller. Je me suis réveillé, j'ai été les retrouver dans leur chambre, etc, etc, etc.

Le Dim de Severino
Au bout d'un moment, le silence est retombé, la mer s'est calmée, et des ronflements légers se sont élevés dans l'appartement, doucement, comme des petits chants d'oiseaux. Impression d'être sur une barque qui tanguait. J'avais un mal de crâne atroce, mes lentilles de contact collaient, j'avais soif, et j'ai entrepris de rentrer. Ça m'a pris des heures, car je ne retrouvais pas mon caleçon, et je n'osais pas investiguer dans leur chambre, surtout que je crois que le Severino, le copain de D. craignait que je ne fouille de trop dans leurs affaires (il s'est relevé plusieurs fois pour voir où j'en étais). J'ai finalement chipé un Dim, propre, qui séchait sur une chaise, et je suis parti.
Il était midi, il pleuvotait rue Saint-Maur, tout était gris et blanc, des mamies revenaient du marché, et j'avais l'impression de rentrer en métropole, de revenir d'une sorte d'île exotique du Pacifique.

Moralité extra-morale : il ne faut pas que j'abuse des substances et autres, en fait, je crois que je n'en ai pas besoin.
Autre constatation, déjà bien connue, mais bon : je ne supporte décidement pas la brutalité. Et l'ecta me rend super-sensible.

Notre chat roux Opale, cet été à Gruchy
A peine ai-je terminé d'écrire ces lignes que ma mère m'appelle au téléphone. Opale est mort, lundi dernier. Cela faisait plusieurs mois que je craignais de ne jamais le revoir, à chaque retour de Rouen. Ce pauvre chat était de plus en plus malade. Il doit y avoir comme un gros vide, à la maison maintenant, il était tellement domestique, tellement présent. Il était arrivé en 1987 chez nous. C'était un chat doux comme un agneau, avec les humains comme avec ses congénères, et qui parlait beaucoup. Je me sens triste. Et furieux qu'on puisse quitter la vie de cette façon (il était devenu à demi-aveugle, une tumeur s'était développée dans sa bouche, il commençait à s'empoisonner car ses reins ne marchaient presque plus – il restait d'ailleurs des heures devant une flaque d'eau, dans la rue, sans parvenir à boire - et le véto a dit qu'il faisait un oedème pulmonaire. Il l'a piqué, mais ça me rend dingue, dingue, qu'on puisse passer ses derniers jours en vie comme ça, dans la souffrance, ça me rend furieux, mais je ne sais pas contre qui, contre quoi)

Mercredi 1er décembre 2004

Canelle, la chatte de Dominch
Repas chez Dominch ce soir, avec Nico, Guillaume, Monelle.
Ambiance détendue, et pourtant, juste après les avoir quittés, j'avais envie de ne plus jamais les revoir. Je ravalais une horrible tristesse, dans les ruelles froides et pleines d'ombres qui me ramenaient chez moi.
Je me sentais seul, vraiment seul. Il avait été question d'histoires de couples et de voyages, de périples passés, de projets à venir. Des aventures dont je ne faisais pas partie.
Et même si ces personnes me connaissent très bien.

J'ai envie de m'amuser, mais j'ai l'impression de buter contre un mur, le mur des trentenaires, de ces trentenaires égoïstes qui m'entourent, et qui se racontent leur vie en espérant surpasser celle des autres, les épater.
Se sentir seul parce qu'on vient de croiser un couple d'inconnus qui s'amuse, qui conspire, passe encore. Mais lorsque ce sont ses propres amis…
A table, j'ai soudain déclaré, presque excédé : « Bon, moi, j'ai pas de copain, je fais pas de voyages, et mon verre est vide !! »
Petites rires gênés, on me ressert à boire.

Comme l'autre soir, lorsque j'ai demandé à Guillaume comment se portait Gilles (Nico et Guillaume ont été lui rendre visite en Pologne) et qui me répond, d'un air désespéré pour lui : « Oh il va bien... Mais bon, il est seul, et il aimerait bien se trouver un petit copain là-bas, mais bon, pour le moment il est seul… »
Et moi ça fait combien de temps que je suis seul ??
Sa réponse m'a fait tellement mal, que je me suis penché par la fenêtre, pour cacher mon malaise.

Alors c'est vrai, aussi, que ça ne m'intéresse pas du tout d'avoir une vie de couple, a priori.
Le paradoxe, c'est que j'ai surtout envie d'avoir des amis, et de m'amuser avec eux.
Et c'est bien pour cela que je me sentais seul ce soir – à constater combien mon personnage ne cadrait pas avec leurs aspirations, et combien ils s'en foutaient – alors même que je débarquais tout content à l'idée de passer une soirée avec eux. Mais au bout de cinq minutes, j'ai bien senti que ça grippait, que ça ne décollait pas, que chacun campait sur un quant-à-soi factice, donnait le change, ou s'en fichait, je ne sais pas.
On a ri, on a ri franchement, mais quelque part, je me sentais pas bien.

Est-ce qu'il me reste encore de vrais amis, profonds, sincères ? Je n'arrive même plus à le dire, je n'arrive même plus à en être certain. Ou alors je fais une crise de Baptistite aigue.

Vendredi 3 décembre 2004

Mercredi, expo sur la musique sous le IIIe Reich. Le modernisme des années 30, opposé au classicisme rustique prôné par les nazis. Etrange de voir ces nazis empêtrés dans leur propre inconscient : ils pensaient qu'ils avaient un rôle décisif à jouer dans l'histoire, qu'ils étaient investis d'une sorte de mission métaphysique, ils tiendront simplement le rôle des monstres absolus.
Hier, expo sur la photographie spiritiste à la Maison Européenne ; trop anecdotique, pas grand intérêt. Au sous-sol, des photos de Vienne du début du siècle (A.Strauda), beaucoup plus intéressantes. Puis, ratiboisage de tête à Space Hair, avec le coiffeur de l'autre soir, qui m'a laissé son numéro. Mais c'est tellement kitch et attendu, le coup du coiffeur gay !

La rue de mon prof de chant
Aujourd'hui, chant. J'ai fini par me faire à ce prof, même s'il a tendance à aller un peu trop en force, ce qui ne donne rien à mon avis. Mon prof d'avant était plus efficace - il eut en particulier la bonne idée de me proposer de chanter en voix de fausset ; mais il était aussi surexcité, bavard et sucré, il galopait, il me cravachait en quelque sorte, ce qui finissait par me paralyser. J'adore les airs de Haendel que je chante, leur harmonie, leur rythme me conviennent.

Ce matin, réveil avec une impression désagréable, une sensation pesante.
Je me suis rapidement rappelé d'où cela provenait.
Une personne du temps de Rouen est tombée sur ce site par hasard, et dans un mail hier soir, m'a reproché d'être allé trop loin dans le dévoilement de l'intimité des autres. Pris de remords, j'ai corrigé en vitesse des prénoms sur mon site, et je n'ose même pas relire ce que j'ai pu écrire à l'époque, et qui aurait pu vexer cette personne.
Parfois, je me demande pourquoi j'ai exhibé mon journal – ce fade monceau de futilités, d'obsessions et d'arrogances infantiles.
Soit je le publiais, soit je le jetais - voilà peut-être l'idée sous-jacente qui est venue à moi. Je crois qu'il m'amusait aussi : parfois je deviens tellement ironique que je m'imagine – à tort probablement – que je peux également faire rire les autres. Enfin, publier ce journal rejoignait des préoccupations sur le temps, l'oubli, la répétition, la solitude, le désir. La violence des autres, leur aveuglement, l'absurdité perpétuelle du quotidien. Tout un programme !

Mais comment concilier la nécessité de respecter la vie privée d'autrui, avec l'espèce de caprice narcissique qui me pousse à rendre public ce qui me passe par la tête, avec ce besoin d'une franchise aussi grande qu'inutile ?
Car pire que tout, serait de tomber dans une chronique ennuyeuse et convenue, un soliloque chichiteux et ridicule, une performance bourgeoise, citadine, plate comme un mur de vanités. Et si je cumule tous ces travers, alors cela me navre plus que d'enfreindre un peu l'intimité des autres.

Place d'italie ce soir, en sortant de l'ENSAM
Pire que tout aussi serait d'inventer, de trafiquer, de bricoler la réalité - passée ou présente - afin qu'elle s'accommode avec ce que l'on voudrait en faire, alors que je ne nourris aucune ambition nulle part et que je n'attends plus grand chose de la vie, à part pouvoir m'exprimer, dire les choses telles que je le pense, telles que je les vis, après des années de silence oppressant.

En cela, je reste ce que j'ai toujours été : un garçon têtu, idéaliste, un poil provoquant et couard à la fois. Mon Dieu, ayez pitié de moi !
Mais qu'on ne se trompe pas : derrière ce gentil mea culpa, je continue à ricaner, à faire des grimaces, à me moquer de la petitesse et de la stupidité humaines, en levant les bras au ciel comme un possédé !

Lundi 6 décembre 2004

Samedi soir, mariage du cousin Cédric, dans une salle de location du Marais.
Papa, maman et les deux sœurs ont déboulé ici un peu avant. J'ai passé tout l'après-midi à ranger mon capharnaüm et à astiquer le pavé pour l'occasion. Petit apéro, avant de se mettre en route tous les cinq, silencieusement, dans la nuit.

Accueil glacial d'A. à notre arrivée, peut-être parce que nous n'étions pas venus à l'église. Mais quelle drôle d'idée aussi, l'église. Pas question de mettre une cravate en ce qui me concerne, juste un pantalon pattes d'éph et une veste en velours bleu électrique. Zoé gothique.
Heureusement que Sarah et moi, sournois, avons l'habitude de nous moquer des autres dans ces réunions de famille, ça nous détend, et puis il y avait de quoi. A notre table, deux couples très marrants, des amis d'amis, complètement étrangers à l'affaire, avec qui nous n'avons pas arrêté de pouffer, d'étouffer des gloussements sardoniques dans nos serviettes de table, pendant le discours du sommelier ou pendant les performances théâtrales (des acteurs ont joué entre les tables, avant que le repas ne démarre). Les deux mecs en face de moi : un architecte d'intérieur ténébreux avec des yeux bleus magnifiques (je l'avais repéré dès l'apéro, en grignotant des carottes, scotché au bar) et un grand avocat blond et grippé, 25-30 ans, rendus tous deux guindés par leur cravate mais plein d'ironie et de gouaille. Ils n'en étaient que plus beaux.

Ma petite famille, à la sortie du mariage
On est parti entre minuit et une heure, ma petite famille prenant le chemin de Rouen, et moi celui de l'appart. Je serais bien resté (il y avait tant à boire) mais quelque chose pesait lourdement sur tous les convives – pas seulement la nourriture, mais une atmosphère d'ennui, de quant-à-soi, une ambiance rendue encore plus étrange par les quelques chansons, projections et baratins traditionnels, tartissimes et ratés, qu'il a fallu se coltiner, et par les visages des mariés, figés dans le bonheur.
J'aurai sans doute une explication ou un potin à mon prochain retour sur Rouen.
Content de revoir tous ces gens, malgré le formalisme ridicule des agapes nuptiales. Et même si je n'ai pas reconnu certaines personnes de la famille (Ch. par exemple), les visages ne m'ont pas paru abîmés, seulement attendris par le temps, presque dans la douceur.

Cette nuit, cauchemar : je me tenais au bord d'un étang, dans ce qui ressemblait à une jungle. Tant que nous restions plusieurs personnes sur le rivage, rien ne pouvait se produire. Mais sitôt que l'on se retrouvait seul, d'indéfinissables créatures, mi-humains, mi-sauriens, et dont j'apercevais une tribu au loin, risquaient de s'approcher et de nous emporter. Soudain je réalisais que les gens s'éloignaient de moi et que je me retrouvais seul justement (un symbole sans doute). J'ai alors constaté avec horreur qu'une créature nageait en ma direction. Elle finissait par mettre pied à terre, et par chercher à m'emporter dans les eaux profondes. Lutte féroce ; mais je parvenais – je crois – à me libérer.
Sûrement en relation avec le mythe de l'ogre, auquel j'ai songé juste avant de m'endormir (souvenir de la pochette d'un 45 tours qui me faisait atrocement peur quand j'étais petit)

Ce soir, ciné, Tropical Malady avec Nico et Roger (le coiffeur de l'autre soir, qui se promène avec de grands sourires, un accent suisse étincelant et un pénétrant bouquet d'eaux de toilette et d'odeurs de crèmes). « Mais quel est ce petit oiseau des îles ? » m'a demandé Nico en l'apercevant.
Point de dévolu de ma part, mais j'espère qu'on aura l'occasion de se revoir, il est gentil.

Mercredi 8 décembre 2004

Réparé l'ordinateur de Nico, avec Béhémotte qui piétinait le clavier en ronronnant.
Concert avec Christelle, "Idaho", au Point Ephémère. Romantisme sucré, des tartines de piano, de la guitare qui dégouline, une voix qui traîne et qui chavire, une boîte à rythme de trop.

Samedi 11 décembre 2004

Aux abords de l'Ecume
Aujourd'hui, à l'Ecume, avec Laurence et Dirk, pour un spectacle d'amis à eux - un de ces trucs bon enfant avec participation du public.
Devant tout le monde, je me suis retrouvé à engager la conversation avec une inconnue au téléphone, dont le numéro avait été composé au hasard, l'horreur.
Bel endroit à part ça, presque méditerranéen.

Vendredi matin, je me suis levé assez tôt, une espèce d'adrénaline me maintenait éveillé.
Le militaire idiot de Versailles qui devait se pointer à 10 heures s'est décommandé.
Je le sentais.
Tant mieux finalement, j'en ai profité pour faire des courses, de la popote. Ensuite, cours de chant, échange de disques à la bibliothèque, une partition de Purcell, et le soir, vu un garçon, près de l'avenue de Clichy.
Au moment de partir, je discute un peu avec lui. D'abord ingénieur en électronique, il s'est rapidement reconverti, a fait kiné, et essaye péniblement de s'établir comme masseur indépendant. Il gagne trois fois rien, vit dans 18 m2, en a marre des conserves, mais il espère. Ces personnes humbles et honnêtes, pleines d'optimisme et de bonne volonté, me rassurent.

Il était minuit lorsque j'ai quitté son immeuble.
J'ai décidé de rentrer à pied, j'avais envie de m'oublier dans la nuit et le froid.

La première chose qui me soit venue en tête, juste avant d'arriver sur la place de Clichy, animée et encombrée comme toujours, c'était que j'en avais marre du sexe, que ça me barbait.
Quels que soient le manège, la position, l'endroit, et alors même que je venais de prendre mon pied.

Après je me suis dit que j'étais paresseux, blasé, fini, bon à mettre au rebus.

Après je me suis dit : et alors ? J'en suis là aujourd'hui, je n'y peux rien, je me sens impuissant face à ce qui se passe en moi ; je me bouge le derrière pour faire des rencontres, c'est déjà pas mal.

Après je me suis dit qu'il suffirait d'inhiber mes pulsions chimiquement, et j'aurais la paix.

Après je me suis dit que c'était malsain, et que je ne serais sans doute guère plus tranquille comme cela.

Après je me suis imaginé un garçon fantastique dont je tomberais amoureux, et qui me redonnerait envie.
Un désir profond naîtrait de mon amour, de mon envie de lui faire plaisir, et qui balayerait toute ma lassitude. Mais alors, comment peut-on avoir envie, sans aimer particulièrement ?
Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui je peux avoir envie sans même connaître mon partenaire ?

J'ai rejoint Pigalle. La nuit, à Pigalle, il y a toujours du monde. Des touristes étonnés par cars entiers, des jeunes américaines saoules et hystériques, des habitués aux visages fermés à double-tour qui sortent des sex-shops et qui s'évanouissent magiquement dans la nuit, des arabes qui roulent avec l'autoradio à fond.
Rien que de très économique dans tout cela, on a l'impression d'être à Tivoli, à la foire du Trône, dans un parc Astérix pour adultes, un peu vieillot et ridicule.
Je ne m'y sens pas concerné, on ne fait pas attention à moi - pas comme dans le Marais, où j'affronte des regards visqueux.
A Pigalle, il y a de grandes avenues cardinales qui mènent aux quatre vents, on y vient et on s'en échappe rapidement.

Des types m'ont blagué un peu, au moment où je faisais une photo.

Mes pensées sombres et chagrines s'étaient dissoutes.
J'avais à peine plus d'existence qu'un papier gras abandonné sur le sol, j'avais juste une paire d'yeux.

Je me suis enfoncé dans le neuvième arrondissement, en choisissant les rues au hasard, guidé par mon sens de l'orientation.
Le froid commençait à s'introduire dans les plis de mon manteau, à mordre mes oreilles et mon nez.
Je crois que je ne me suis plus rien dit.
Sauf, peut-être, que j'avais faim et que je serai content de trouver un reste de blanquette de veau en rentrant.

Les rues étaient désertes à présent.

Je ne croisais plus que des silhouettes fugitives, et des voitures opaques.

Si, un moment, j'ai vu un couple pénétrer dans un immeuble moderne de la rue de Paradis. La femme était permanentée et traînait avec elle un air vulgaire et pincé. L'homme, je n'ai pas vu son visage. Ils ont composé le digicode, et la porte vitrée s'est refermée sur eux. Ils possédaient un grand appartement sans doute. Voilà vingt ans qu'ils vivent ensemble, et qu'ils ne se posent plus de questions, s'ils s'en sont jamais posées.
Ca m'a fait froid dans le dos, comme une vision de film d'horreur. Ce couple faisait surgir la mort en face de moi, c'est à dire le néant total, le vide total, l'absurdité totale, le noir total.

J'ai traversé le boulevard de Sébastopol, ce grand fleuve qui transperce le centre de Paris du nord au sud.

Rue du Château d'eau, des pompiers ont rangé un camion dans leur caserne. A l'intérieur, j'ai aperçu des décorations de Noël qui pendaient aux coursives, ça respirait la chaleur et la douceur. L'espace d'une seconde, je me suis demandé si c'était eux, avec leurs crânes tondus et leurs ports virils, qui avaient pris l'initiative d'accrocher toutes ces douillettes guirlandes lumineuses dans la caserne, ou une femme attentionnée. J'ai des clichés débiles qui me traversent l'esprit parfois. Pourquoi est-ce que des pompiers n'auraient pas le droit de décorer leur lieu de travail ?

Un peu plus loin, j'ai regardé si c'était allumé chez Fred. C'était éteint. Est-ce qu'il habite encore seulement chez son copain ? Encore un que j'ai perdu de vue.

Je suis passé devant Préférences. Ils n'avaient pas fermé tous les volets.

République. Une bande de jeunes rigolaient derrière la vitre d'un Quick ou d'un Mac Do, comme des poissons enfermés dans leur bocal.

Je suis arrivé chez moi, aussi blanc et frais qu'une banquise. J'ai jeté mon manteau sur le lit, j'ai mangé, pris une douche, et je me suis endormi, endolori par les courbatures de la muscu de jeudi soir, et ravi du contact de la couette.

Ma vie est un mélange de sensations agréables et dures, de pensées rêveuses, et plus noires que de l'encre.

Pour le moment, il n'y a rien de plus.

Vendredi 17 décembre 2004

Une semaine toute creuse.
Sans rebondissement, sans surprise, sans relief, sans rien.
Ai-je seulement adressé la parole à des êtres humains cette semaine ??

Oui, quand même.

Mangé chez Nico mardi soir. C'était juste après avoir reçu mes deux compères du ici, pour notre foutu projet (inutile de m'étendre sur ce que je pense d'eux – je dis assez de mal des gens comme ça dans mon journal).

J'ai acheté du pain, donc j'ai bien dû prononcer aussi quelques mots à l'attention de la boulangère. A moins d'avoir en silence pointé du doigt la demi-baguette, mais je n'en suis pas encore arrivé à ce stade.

Jeudi soir, au TD de compta, il y avait aussi ce garçon, repéré et langoureusement épié depuis plusieurs semaines. Nous avons quitté la salle presque en même temps. En lui tenant la porte, j'en ai profité pour lui adresser la parole, avec une banalité sur nos études. Nous sommes rentrés en métro ensemble, ça m'a projeté sur un petit nuage, je ne sentais plus mes jambes. Il est vraiment mignon, il me rappelle un peu Adrien. Les mêmes yeux bruns, le même regard doux et patient. Un côté timide et fuyant, un peu garçon rangé, avec sa trousse en toile, pleine de stylos bic, posée sur la table. En scrutant son visage pendant qu'il parlait, je découvrais de nouveaux traits, de nouvelles strates, de nouvelles formes qui glissaient sur ses joues, son front, son menton, des détails que je n'avais pas encore remarqués.
A suivre.

Dans le square du Temple
En début de semaine, deux rêves.
Dans le premier, je visite une exposition de photographies. François Mitterrand arrive, accompagné de sa fille. Avec mon tact habituel, je fais mine de ne pas les remarquer. Ils s'arrêtent devant le portrait d'une femme, et j'entends la voix de l'ancien président, solennelle et recueillie, dire : « Danièle ».
Je me rappelle alors que sa femme est morte. Sans doute veut-il montrer à sa fille ce portrait de sa mère, dont elle ne se souvient peut-être pas très bien.
Mais dans la réalité, c'est évidemment l'inverse (puisque c'est Danièle qui a survécu à son mari).
Probablement en rapport avec ma grand-mère paternelle, décédée alors que mon père n'avait que quelques années. Et la grande sœur de mon père s'appelle Danièle, comme par hasard.
Mitterrand est clairement un symbole paternel – d'ailleurs, du côté paternel, il y a comme une vague analogie physique avec lui. C'est un rêve sur la mort de la mère , mais pourquoi je l'ai fait, je ne sais pas.

Second rêve : je me trouve à Stockholm, en vacances. Au début, je suis bien content (c'est vrai que j'aimerais y aller un jour). Nous (je ne sais pas qui est nous, des amis, de la famille peut-être) entrons enfin dans un restaurant, j'ai faim. C'est un restaurant de poisson, il y a de grandes marines accrochées aux murs. Tout le monde trouve une place sauf moi. Les serveurs essaient de me rassurer en me disant qu'une table va se libérer bientôt, mais on m'oublie plus ou moins. A un moment donné, le visage de mon cousin Hugues surgit. C'est tout ce dont je me souviens.
Dans la réalité, il se trouve que ce cousin, fils de Danièle, a vécu à Stockholm pendant longtemps. Il est musicien, il a une certaine classe, il m'a gardé quand j'étais tout petit, c'était un « grand ». Très associé à mon père. Mais je ne sais pas où je voulais en venir avec ce rêve.

Dans ma rûûûûe
Il fait froid ces temps-ci.

Je me sens inhibé, ankylosé, gauche, pas très volontaire. Il suffirait peut-être d'une étincelle, d'une soirée, d'une bouteille de gin, et hop, me voilà gai et frivole. Pour le moment, je grelotte rien qu'à l'idée de mettre un pied dehors.
Patrick m'a écrit : il s'installe à San Francisco. Je rêve de partir aussi, je rêve d'un autre pays, d'une autre langue, l'anglais surtout, la "langue de ma mère". Mais j'ai un peu peur. Peur de retomber dans la même routine, passé le sentiment de nouveauté.
De toute façon, il faut que je termine ces fichues études avant, donc en juin au plus tôt.

Lundi 20 décembre 2004

Saint-michel, aujourd'hui
Je viens de terminer de monter quelques pages radoteuses sur les vacances de l'été dernier, à Vernet, ici et .
Revoir les grands ciels bleus au dessus du Canigou me fait du bien, m'apaise – surtout en ce moment, où les nuages gris s'amoncellent au dessus de ma tête.

Certains soirs, mon amour-propre se délite, tombe en morceaux - et je me sens seul, et je ne comprends pas pourquoi.
L'instant d'après, un sursaut d'orgueil me reprend, comme toujours : je me raisonne, je me rassure, je m'explique, je relativise.
Tout ne va pas si mal, il me reste du temps. Ai-je vraiment envie de vivre avec quelqu'un ? Je suis juste envieux. Ou pas encore prêt. Les autres, ça leur arrive aussi d'être malheureux. Il y a des choses plus graves en ce bas-monde. Pauv' bicquette. Et gna gna gna.

Et puis ça casse, ça retombe en morceaux de nouveau, et je me sens désespéré.
Je ne me trouve pas assez valable pour quiconque, sur la durée.
J'ai horreur de décevoir, de lasser les gens. Souvent, j'ai préféré disparaître avant que ça ne se produise.
Et cette affreuse rigueur que j'ai eu avec moi, je l'ai longtemps eue avec les autres aussi.
Peut-être me suis-je assagi, avec le temps…
Mais j'ai perdu espoir.
J'ai l'impression d'avoir joué dans une pièce remplie d'enfants beaux et intelligents, qui ont joué, en fait qui se cherchaient en faisant mine de jouer, et qui se sont trouvés, et qui ont disparu ensemble – et depuis longtemps. Et moi je suis encore assis à la même place, dans la même pièce, mais maintenant elle est vide.

Je crois que c'est d'avoir perdu espoir, en même temps que le constat d'échec, qui me fait pleurer.
Mais voilà que mon orgueil et ma raison reviennent, je relève la tête, je dédramatise, je suis vraiment ridicule.

Cet orgueil historique, qui m'a privé de tant de choses, semble être celui-là même qui me permet de tenir aujourd'hui... Enfin, j'espère que je me trompe, sans ça je suis pas sorti de l'auberge.
Certains soir, ça me noue la gorge, vraiment. La douceur et le besoin d'affection qui sont en moi, attendront-t-ils encore longtemps ? Voilà plus de quinze ans qu'ils attendent, gentiment, sans mot dire.
Assez, au dodo.

Mercredi 22 décembre 2004

Luxembourg hier (je suis un romantique, moi !)
Non, ce n'est pas mon orgueil qui me permet de tenir – juste mon envie de vivre.

Cette nuit, rêves romanesques (mais pas romantiques du tout).
Je visite un hôtel, avec Dirk et Laurence, dans un endroit inconnu. Un vieil et bel établissement, un peu suranné, très Art Déco, belle époque. Bien que ce soit la pleine journée, les volets sont fermés, couloirs et pièces plongés dans une douce obscurité, mais pas trop inquiétante a priori. Je plaisante sur le fait qu'il s'y cache peut-être des fantômes : je prononce exprès une phrase en relation avec la mort, assez fort pour qu'elle se répercute dans toutes les pièces, comme si cela allait faire surgir des spectres. Mais rien ne se produit, je frissonne juste un peu. Nous déposons nos affaires, et nous allons nous promener.
Nous marchons dehors à présent, sur une grande étendue pleine de vent, un bord de mer peut-être. Je réalise que j'ai oublié ma sacoche à l'hôtel. Dirk se propose gentiment d'aller la chercher. Ca m'arrangerait bien, vu que j'ai un peur d'y retourner tout seul, pour être franc, mais je me dis qu'il ne faut pas abuser…

Trou noir (ou trou blanc)

Trou noir
Maintenant, je suis fait prisonnier par les Allemands. Cette fois-ci, c'est clairement la seconde guerre mondiale. Je me tiens debout au milieu d'une grande pièce lumineuse, avec parquet en bois, dans un bel immeuble (l'hôtel peut-être ?). Nous sommes plusieurs prisonniers, assis et alignés, pas rassurés. On nous projette une vidéo de propagande (je ne m'embarrasse pas des anachronismes), pendant qu'un officier allemand, en grand uniforme, nous fait un discours convenu. En fait, je comprends qu'il vont nous fusiller, mais par derrière (le mot « backwards » résonne alors dans ma tête). Donc, ce qu'il faut faire, c'est tout simplement se laisser tomber vers l'avant (le contraire de backwards) juste avant que le coup ne parte (bin oui voyons !). On se passe le mot entre prisonniers. Sauf que nous commençons à faire le geste de tomber un peu trop tôt, alors qu'aucun coup n'est encore parti. Le kapo nous regarde, étonné et navré à la fois, l'air de penser : « Mais ils sont complètement idiots. »
D'ailleurs, il est vexé et il s'en va, en marmonnant à ses soldats : « Vous fermerez les volets en partant. »

Trou noir.

Je dîne avec Laurence et Dirk. J'interromps L., qui est en train de papoter, car je sens un truc dur dans ma bouche. Je regarde : c'est une dent, cassée en deux morceaux. Je me plains : « Oh, non, c'est pas vrai ! »

Ce qui m'énerve, c'est qu'il y a d'autres passages importants dans ce rêve, mais je ne m'en souviens plus, je sens seulement leur existence dans ma tête.
La première partie est en lointain rapport avec le déménagement prochain de L. et D., mais il n'y a pas que ça.
Aller de l'avant ?

De Beaubourg ce soir
Aujourd'hui, Nico est passé ici. On a filé à Beaubourg – où j'ai refait un tour aux collections permanentes, puis à l'expo Hélion (bof), enfin au fourre-tout « Sons et Lumières » - assez anecdotique, mais j'ai bien aimé les expérimentations hippies (ragas, mandalas, fractals et compagnie), le bric-à-brac des années Fluxus, et l'interview de John Cage – il est vraiment fabuleux, John Cage.
Aux collections, je reste toujours collé à la vitrine avec toutes les objets et sculptures amassés par Breton.
Puis ciné, Café Lumière de Hou Hsiao Hsien ; le Japon ordinaire, filmé délicatement, sans complaisance et sans effet, sophistiqué et épuré à la fois, même dans les détails les plus anodins. Nico s'est endormi, moi j'ai bien aimé. Les acteurs sont bons, et la mise en scène pas tape-à-l'œil.

Dimanche 26 décembre 2004

Noël.

Dans ma chambre jaunie et poussiéreuse
La maison était pleine d'une atmosphère fausse et lourde, derrière les guirlandes argentées du sapin, la nappe turquoise et les serviettes de table saumons, les joyeuses bulles de champagne et les petits rires qui fusaient de temps en temps. J'arrivais pourtant de Paris avec l'esprit vif et léger, heureux à l'idée de retrouver du monde, de festoyer, de mettre les pieds sous la table…
J'ai rapidement été déçu. Vers sept heures du soir, dans la cuisine, pendant que je donnais des nouvelles de ma vie parisienne, papa et maman portaient des visages soucieux, éteints. Puis maman s'est énervée contre l'halogène qui ne s'allumait pas, pendant que papa était préoccupé par le fait de devoir aller chercher papi, mamie et Isabelle en voiture.
Sarah m'a appris que mes parents rencontrent de gros problèmes financiers (ils ont fait un emprunt pour éponger un découvert, et des chèques sont déjà sur le point d'être refusés)

Apéritif.
Radotages et gâtismes habituels de papi, que mes parents eux-mêmes ignorent.
« – Que se dice en Paris ? – Se dice que el ministerio está para caer », souvenir de son prof d'espagnol royaliste, la première chose que mon grand-père prononce dès qu'il me voit, c'est presque de l'ordre du réflexe darwinien.
Je réponds complaisamment aux questions que l'on me pose, maman s'active dans la cuisine, Zoé fait passer les olives, papa se décide à rouvrir une bouteille de champagne. On me pose une question sur mes études, mais pas sur la perte de mon boulot – on évite les sujets pénibles.

Stéphane arrive en retard, il n'arrivait pas à trouver la rue, dans le dédale de notre banlieue bourgeoise. Mamie se met à répéter à l'envi que les philosophes sont dans la lune. Petits échanges de cadeaux avec les grands-parents. Mamie donne une enveloppe à mes sœurs, pas à moi, ce qu'elle a cessé de faire depuis longtemps. A chaque fois, ça me vexe, quoique je sois sans attente particulière, hein, j'avais même oublié ce détail avant d'arriver, mais je me demande pourquoi elle fait ça. « Je n'ai rien pour toi, Baptiste » dit-elle avec simplicité.

Repas. En bout de table, heureusement, on rigole avec Stéphane et les deux sœurs. Stéph. qui tisse des anecdotes absurdes, ironise sur ses élèves de classe de philo, lance des impertinences, glousse bruyamment, s'échauffe avec le vin. Papi et mamie ne disent plus grand-chose à présent, ils avalent religieusement leur poulet à l'estragon.
Fromages. Mamie se réveille et me considère soudain : « Toi, tu n'aimes pas le fromage, hein ? ». Elle fait ainsi des fixettes sur les aliments que n'aiment pas les gens dans la famille.
Dessert.
C'est fini, tout le monde est rassasié, tout le monde regarde son assiette avec tristesse.

Il faut ramener les grands-parents maintenant. Mamie oublie de me dire au revoir, je la regarde s'éloigner, paralysé. Papi me réconforte : « Ah, ça m'a fait plaisir de te revoir ! ». La descente de l'escalier et la traversée du jardin, plongé dans le noir, c'est l'aventure périlleuse et redoutée, la descente de l'Everest : il faut les soutenir, leur éclairer le chemin avec la lampe-torche, ça dure des heures, ils ont peur de rouler comme des boules dans l'allée en pente.
Stéph. avait un offert un livre marrant sur le thème de l'idiotie, mais il ne s'en détachait plus, il explosait de rire en le feuilletant avec Zoé, alors qu'on avait un peu tous envie d'aller se coucher.
Nuit mauvaise, je me réveillais souvent, je ne trouvais aucune position confortable, de sombres pensées me traversaient l'esprit.

Levé tard. Séance cadeaux vers une heure de l'après-midi.
Sarah m'a offert deux petits bouquins très mignons. Mais je ne prenais pas de plaisir à ce rituel.
On déjeune. Ambiance détendue, on évoque le repas de la veille, on se moque un peu des grands-parents, on parle de choses et d'autres.

Les quais
Vers quatre heures de l'après-midi, je descends sur Rouen, avec l'envie de prendre l'air.
Avant de quitter Paris, j'avais laissé un message sur le répondeur de Franck, lui annonçant mon retour en Normandie. Mais pas de réponse depuis, je pense qu'il ne veut plus me voir – je ne sais pas pourquoi non plus.

Le ciel se chargeait petit à petit, les rues étaient désertes et froides.
Je portais une tristesse insondable.
Je m'imaginais quittant la France, m'installant au Canada.
Je me suis dirigé vers la Seine. Elle était grise, dense, lourde, épaisse.
La nuit tombait.
Me jeter du haut du pont. Vu que je n'attends plus rien, plus rien de la vie.
J'ai continué ma route, ça doit être une mort affreuse, ça ne servirait à rien.

Rouen se tenait là, face à moi, comme transfigurée. Ce sont les gens que j'y ai côtoyés qui donnèrent à cette ville sa lumière et sa vie, jadis. Maintenant, elle n'est plus qu'un voile de gaze, gris et uniforme, jeté sur l'horizon, une scène dépeuplée, et qui attend.
Sur les quais rive gauche, balayés par le vent, je remarque qu'il y a deux ou trois mecs qui traînent, et une voiture blanche qui tourne lentement. Je me demande si ça tapine ou si ça drague.

Sur le pont Jeanne d'Arc
Sur le pont Jeanne d'Arc, je fais des photos.
Un type passe, un jeune. On se regarde. Il s'arrête. Je le dépasse, je lui bredouille un bonjour. On se suit dans les rues du centre ville, lentement. Il était lancé dans de grandes discussions de famille avec son téléphone portable. En l'écoutant parler, j'ai tout de suite compris que j'avais affaire à un type très simple. Quand il a eu enfin raccroché, on a bavardé un moment ; il racontait qu'il devait aller sur Paris le soir même, bien qu'il n'ait pas de bagages avec lui. Je me demandais s'il me baratinait. Il m'a tout de suite parlé de son ex. Je lui répondais d'une façon aimable et détendue, sans montrer d'empressement. Sur le parking de la gare, dans la voiture, garée à l'écart, on s'est embrassé.
(il a trouvé que je sentais l'eau de toilette de Lidl. Je me suis rengorgé, en répliquant que je mettais du Dior – mais je suspecte cette vieille crème hydratante)
Le soir même, après un saut à la maison, j'étais chez lui, à Canteleu – car voilà, il a changé d'avis, il ira à Paris demain matin. Un trapéziste, issu d'une grande famille du cirque, pas méchant, mais archi pleu-pleu, avec un accent rouennais à faire trembler la terre, et toujours un peu dans la plainte, ou dans la protestation virile. Il essaie de terminer un BEP commerce, pour s'émanciper d'un milieu familial étouffant.
On a fait ça devant une émission de variétés atroce, sur un fond musical exquis de Patrick Bruel et de Johnny Hallyday, allongés sur un maigre matelas posé à même le sol, dans une pièce marronnasse toute vide et faiblement éclairée par le plafonnier (il venait d'emménager). Dehors, il s'était arrêté de pleuvoir.
J'avais besoin d'être dans les bras de quelqu'un, et lui aussi je pense. Il était mignon, il était simple, il était doux, il embrassait beaucoup, il ne s'intéressait pas à qui j'étais, ça me convenait.

Je suis revenu en ville vers les onze heures, dans l'espoir de trouver une brasserie ouverte. Je n'avais pas dîné, et je savais qu'au même moment, maman était en train de s'alcooliser à la maison, si bien qu'elle m'aurait enquiquiné dans la cuisine si j'étais rentré pour manger.

Le restau
Rarement j'ai vu Rouen aussi mort, même l'infatigable brasserie Leffe était fermée. J'ai fini par trouver un petit restau, assez chaleureux, près du Palais de Justice. Pour me distraire pendant que j'attendais, j'ai relu des exercices d'harmonie du temps de la fac de musico, des feuillets que j'avais retrouvés dans un coin de ma chambre et que j'avais fourrés dans mon sac avant de partir.
Aux autres tables, des groupes d'amis terminaient leurs assiettes en riant, des jeunes qui se retrouvaient après leurs agapes familiales sans doute. J'étais le seul mangeur solitaire du restaurant, évidemment : un 25 décembre au soir, dans une foutue ville de province !
Mais je gardais au fond de moi la quiétude, le soulagement procuré par la rencontre avec le garçon de Canteleu, par le souvenir encore frais que mon corps avait gardé du sien.

Je suis rentré me coucher.
Impossible de trouver le sommeil – je repensais à Noël, à la famille et à son hypocrisie odieuse, à ma grand-mère, à sa fausseté, que soudain je réalisais pleinement – à sa difficulté à accepter mon homosexualité peut-être, à ses non-dits, à ses regards fuyants, à ses fantasmes équivoques (elle s'imagine très sérieusement, par exemple, que je suis un bon cuisinier qui prépare des petits plats à ses jeunes amis parisiens ), à mes parents désargentés qui organisent le repas de Noël, au chat Opale disparu, à l'alcoolisme de ma mère, à mes sœurs malheureuses – l'une sans copain depuis longtemps, l'autre cloisonnée, couvée par les parents – je repensais, dans le noir, aux murs ternis de ma chambre et à sa poussière étouffante.

Une rue de Rouen
Dans la famille, on se croit trop intelligent pour parler de certaines choses. Mes sœurs et moi n'avons toujours été que des enfants modèles, condamnés à jouer le rôle poli et impersonnel que ma mère a voulu nous voir tenir. Oh mais aujourd'hui, ma mère se démène pour aider ses parents, avec un dévouement de sainte ! Quant à mon père, il rend visite, seul, à sa propre famille, que ma mère refuse de voir depuis plus de quinze ans, et que je ne reverrai jamais, ce dont je ne me plains pas d'ailleurs - même si je pourrais comprendre la peine silencieuse de mon père à ce sujet.
Il est peu question d'amour dans tout ça… sauf lorsque maman, saoule, vient s'épancher. Mais qu'elle s'épanche de trop, ou qu'on la renvoie à la réalité de sa fierté et à la faiblesse de son comportement, et elle se raidit comme un chat contrarié, elle sort les griffes, et joue la carte classique des culpabilités familiales : t'es bien comme ton père, c'est moi qui m'occupe de tout ici, t'es égoïste, t'es un mec à argent… ces tendres choses qui me furent dites, un temps.
Aussi, lorsque je décidai, vers l'âge de treize ou quatorze ans, de ne plus rien dire à mes parents, sinon le minimum, décision sur laquelle je ne suis jamais vraiment revenu, je crois que je n'avais pas le choix. Si j'avais parlé, c'aurait été pour me défendre, pour réagir à l'idiotie familiale, et rendre la situation encore plus explosive, et dire des choses qu'on n'était pas prêt à entendre. C'est un peu ce que tente Zoé aujourd'hui, à sa manière braque, et naturellement ça se passe assez mal ; elle se le permet pourtant car ma mère, comme bien des mamans, s'est calmée avec l'âge, ne hurle plus sur ses enfants, ne les menace plus, ne les frappe plus.
Aujourd'hui, je pourrais raconter ma détresse intérieure et mon agacement à mes parents. Leur dire qu'ils font l'autruche, qu'ils ont trop d'orgueil et qu'ils sont chiants, des fois... mais je crois que le terrain s'est fossilisé, la folie familiale s'est figée maintenant. D'où mes idées de départ pour l'étranger.

Je n'ai trouvé le sommeil que vers six heures du matin.

Aujourd'hui, il a fait un temps splendide.
Dans le jardin, la lumière était diaphane, argentée, puissante, et j'étais content d'entendre le gazouillis joyeux des moineaux – un son si rare à Paris.
J'ai marché un peu dans le quartier, et je suis resté longtemps dans le jardin.

Mon train est arrivé à Saint-Lazare vers 15h30.

Vers d'autres photos du jardin