Hands up!
Elle vivait avec son petit ami dans une maison de campagne au confort minimal, une masure entourée de champs et d'arbres, à côté d'un petit
étang où coassaient des grenouilles.
Il y avait une annexe poussiéreuse, remplie d'objets hétéroclites, que je soumis à une fouille minutieuse comme seuls en sont capables les enfants et
les inspecteurs de police. Pour satisfaire ma curiosité, et peut-être
aussi parce qu'il était impressionné par la connaissance précoce du code de la route dont témoignaient mes dessins et mon babillage, le copain de
Laurence me céda gentiment un ancien képi de gendarme qu'il avait dû dénicher dans une brocante des environs.
Une fois ramené à la maison, en Normandie, j'avoue qu'il subit bien des traitements entre mes mains, ainsi qu'entre celles de mes amis, auxquels je ne pus
m'empêcher de l'exhiber. Puis je m'en suis lassé, et je l'oubliai à plusieurs reprises dans le jardin, où il prit l'eau. A l'orée de ma puberté,
je ne me souciais déjà guère plus de ce pauvre couvre-chef qui, déchu, abandonné, ne servait plus qu'à attraper les grosses araignées qui avaient
eu le malheur de s'aventurer dans la maison, comme elles le font à l'automne, ces grosses araignées qui provoquaient une panique générale lorsqu'elles
étaient découvertes, et que nous rechignions à écraser, par respect familial pour les animaux. Bref, à la fin, ce képi n'était plus qu'une bouillie
de tissus et d'armatures métalliques, que ma mère finit probablement par jeter.
Je n'ai pas le souvenir, étant petit, d'avoir possédé un seul déguisement, et ce képi fut donc le seul uniforme de mon enfance.
Cet homme sans défaut serait-il une version corrigée de mon père, dont ma mère s'ingéniait à redresser si souvent les torts ?
Ce qui est certain, c'est que la figure du policier joue, dans l'économie de mon désir adulte, un rôle régulateur et protecteur très similaire à celui
que je faisais jouer à mes bonhommes Lego autrefois. Pour cette raison, il n'y a pas de domi ni de soumis
dans mon imaginaire sexuel contemporain, pas de méli-mélo sado-maso,
pas d'humiliation, de dressage, de bondage, de punition, ni de dog training,
il n'y a que des figures toutes-puissantes, aussi viriles les unes que les autres, gaulées comme des taureaux, carrées comme des coffres, bâties comme des chênes,
des êtres courageux, forts, justes,
honnêtes et droits, défenseurs de la veuve et de l'orphelin,
des individus interchangeables, libres de leur jouissance, ne dépendant pas de la femme pour la gestion de leur plaisir, ni n'ayant à lui prouver
qu'ils sont des hommes (c'est en cela qu'ils sont homosexuels),
des créatures insensibles à la douleur, résistants comme du plastique injecté, stoïques comme la pierre,
ne connaissant ni le manque, ni la castration, ni la mort, des hommes éternellement infaillibles, au rang
desquels je crois parvenir à me hisser, avec ma petite tête, ma petite carrure et mon petit zizi,
l'espace d'un instant, grâce à un uniforme noir et bleu que je sors de mon placard, qui m'illumine, me transfigure et devant lequel je reste émerveillé
comme devant un vitrail.
De la triche ? Une tare ?
Un raccourci bien pratique en tout cas, sur les voies labyrinthiques, paradoxales, et très codifiées de mon désir.
Bon, j'en ai assez dit.
Circulez maintenant !